dimanche 4 mars 2012
No et moi de Delphine de Vigan
Lou Bertignac a 13 ans, un QI de 160 et des questions plein la tête. Les yeux grand ouverts, elle observe les gens, collectionne les mots, se livre à des expériences domestiques et dévore les encyclopédies.
Enfant unique d’une famille en déséquilibre, entre une mère brisée et un père champion de la bonne humeur feinte, dans l’obscurité d’un appartement dont les rideaux restent tirés, Lou invente des théories pour apprivoiser le monde.
A la gare d’Austerlitz, elle rencontre No, une jeune fille SDF à peine plus âgée qu’elle.
No, son visage fatigué, ses vêtements sales, son silence.
No, privée d’amour, rebelle, sauvage.
No dont l’errance et la solitude questionnent le monde.
Des hommes et des femmes dorment dans la rue, font la queue pour un repas chaud, marchent pour ne pas mourir de froid. « Les choses sont ce qu’elles sont ». Voilà ce dont il faudrait se contenter pour expliquer la violence qui nous entoure. Ce qu’il faudrait admettre. Mais Lou voudrait que les choses soient autrement. Que la terre change de sens, que la réalité ressemble aux affiches du métro, que chacun trouve sa place. Alors elle décide de sauver No, de lui donner un toit, une famille, se lance dans une expérience de grande envergure menée contre le destin. Envers et contre tous. (Le Livre de Poche)
Lou Bertignac est une enfant précoce, elle est seconde à 13 ans, elle n'a pas d'amis, est secrètement amoureuse du rebelle de la classe de quatre ans son aîné qui est le seul à s'intéresser à elle et qui a su parfaitement la saisir : "T’es toute petite et t’es toute grande".
Elle vit avec son père, un homme occupé par son travail, et sa mère qui vit dans son propre monde suite à la mort tragique de sa petite soeur Thaïs.
Lou est consciente de sa différence : "Parfois il me semble qu'à l'intérieur de moi quelque chose fait défaut, un fil inversé, une pièce défectueuse, une erreur de fabrication, non pas quelque chose en plus, comme on pourrait le croire, mais quelque chose qui manque." et malgré sa précocité, elle aimerait avoir une vraie mère, présente pour elle, et non pas ce fantôme, ce qui ne manque pas de l'énerver : "Je ne veux pas lui parler parce qu'elle n'écoute pas, parce qu'elle a toujours l'air de penser à autre chose, d'être perdue dans son monde ou d'avoir avalé un Lexomil de travers. Je ne veux plus lui parler parce qu'elle ne sait plus qui je suis, parce qu'elle semble toujours se demander ce qui nous relie, elle et moi, quel est le rapport." et cela se comprend tout à fait.
Car à 13 ans, même avec deux ans d'avance, on a besoin de ses parents, de leur amour, de leur proximité.
Et puis un beau jour, parce qu'elle a annoncé en classe que son exposé porterait sur les femmes SDF, elle fait la rencontre de No, une jeune fille de 18 ans vivant dans la rue.
Et sa vie va changer, car elle va vouloir aider No, à tout prix et par tous les moyens, n'hésitant pas à la faire venir vivre chez elle : "Je donnerais tout, mes livres, mes encyclopédies, mes vêtements, mon ordinateur, pour qu'elle ait une vraie vie, avec un lit, une maison et des parents pour l'attendre. Je pense à l'égalité, à la fraternité, à tous ces trucs qu'on apprend à l'école et qui n'existent pas. On ne devrait pas faire croire aux gens qu'ils peuvent être égaux ni ici ni ailleurs."
Malgré certains clichés sur les adolescents un peu trop faciles (les Converse, les sacs à dos Eastpack, MSN), j'ai apprécié cette première lecture d'un livre de Delphine de Vigan.
Le personnage principal, Lou, est un peu trop parfait à mon goût, certes, c'est une enfant précoce, mais elle manque de failles et l'auteur ne la montre à aucun moment fragile ou en état de difficulté.
J'ai retrouvé dans ce personnage des similitudes avec celui de Paloma créé par Muriel Barbery.
Toutes les deux ont une vision bien précise du monde et tiennent des propos très justes, parfois durs : "Noël est un mensonge qui réunit les familles autour d'un arbre mort recouvert de lumières, un mensonge tissé de conversations insipides, enfoui sous des kilos de crème au beurre, un mensonge auquel personne ne croit."
A d'autres moments, j'ai tout de même trouvé ce récit un peu trop moralisateur envers le lecteur, et Lou cherche trop à porter toute la misère du monde sur ses épaules, ce qui fait que je n'ai jamais réussi à totalement m'attacher à elle.
J'ai par contre apprécié que le récit soit écrit à la première personne du singulier, cela permet au lecteur d'accrocher plus rapidement à la lecture.
De plus, le style d'écriture de l'auteur est intéressant, elle a un vocabulaire assez riche et elle arrive à se mettre dans la tête d'une adolescente.
L'histoire s'enchaîne bien au fur et à mesure des chapitres et j'ai très vite été prise dedans, de plus l'auteur a su mettre en valeur les évènements importants et a donné une dimension temporelle à son récit.
Le personnage de No tient une place très importante dans l'histoire, déjà car il va aider Lou à grandir et il va surtout servir de catalyseur par rapport au personnage de la mère en la faisant revenir peu à peu dans le monde réel et dans sa famille.
C'est, de plus, un personnage très réel, les propos tenus par No sont justes et réalistes, et elle est tout à fait consciente qu'elle ne fait pas partie du monde de Lou, qu'elle ne pourra jamais en faire partie.
Elle est intelligente et généreuse, c'est en tout cas ce que prouve son geste à la fin de l'histoire.
Il faut aussi du courage pour agir comme elle le fait, car je n'ose croire qu'elle ait agi par pur égoïsme.
Par le biais de ce personnage, l'auteur apporte une autre dimension à son histoire : tout dans ce personnage contient une violence silencieuse.
J'ai été frappée par la violence des non-dits et des silences de No, tout comme le personnage de Lou s'en rend compte : "Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque.".
C'est ce qui rend cette histoire encore plus émouvante et touchante.
En conclusion, l'auteur, par le biais du personnage de Lou, joue beaucoup sur la corde sensible du lecteur, parfois trop, et ce personnage est un peu trop parfait pour créer de l'empathie auprès du lecteur.
Néanmoins, malgré cet aspect, j'ai trouvé l'ensemble du livre très attachant et je n'ai pu le lâcher une fois commencé et s'il y a quelque chose à retenir de cette histoire c'est sans doute ceci : "Il ne faut pas espérer changer le monde car le monde est bien plus fort que nous."
Certes, c'est connu de tous, mais parfois il est bon d'enfoncer des portes ouvertes.
Je l'avoue, j'ai été sous le charme de ce livre et je ne regrette pas cette lecture, encore moins d'avoir découvert le style de Delphine de Vigan dont je vais continuer à lire les livres.
J'ai bien aimé aussi. Il faudrait que je découvre d'autres de ses livres d'ailleurs :)
RépondreSupprimer@ Clairdelune : les yeux fermés je dirai tout de suite "Rien ne s'oppose à la nuit", son dernier livre, qui est une pure merveille.
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