Tardi, dessinateur, et Verney, historien, proposent une vision incroyable et forte de la Première Guerre mondiale vue par le prisme d’un soldat anonyme. Un hommage aux milliers de jeunes gens précipités dans une boucherie absurde. (France Loisirs)
"L'expérience a fait ses preuves, la victoire est certaine, je vous en donne l'assurance, l'ennemi l'apprendra à ses dépens.", phrase prononcée par Nivelle, le nouveau généralissime, en décembre 1916, qui, outre sa grande stupidité, n'a fait qu'augurer du contraire, à savoir une année 1917 qui allait être aussi difficile que les deux précédentes, avec son lot de morts et de blessés.
Il faudra attendre Georges Clemenceau, dit "le tigre", pour réussir insuffler une lueur d'espoir à l'armée française : "J'affirme que la victoire dépend de nous ... Il reste aux vivants à parachever l'oeuvre des morts." et pour qu'enfin cesse ce bourbier ultra meurtrier de quatre années.
Jacques Tardi est reconnu pour son travail sur la Première Guerre Mondiale à travers de nombreuses bandes dessinées.
C'est avec l'historien Jean-Pierre Verney qu'il a créé cette "Putain de guerre !" qui porte, il faut bien le reconnaître, parfaitement son nom.
Le récit commence en août 1914, dans les premiers jours de la guerre : "Petit soldat du mois d'août, avec tes grimpants garance, tu essaies bien de te planquer, mais derrière les coquelicots 'y a pas des masses de place. Tu faisais ton entrée dans l'Histoire, grimé en comique troupier d'opérette, petit mort du mois d'août.", avec comme narrateur un soldat anonyme qui croisera plusieurs fois au cours des quatre années suivantes son reflet de l'autre côté du miroir, à savoir un soldat allemand sensiblement du même âge que lui.
Ce choix d'un quidam est délibéré, il est au cœur des événements et il subit de plein fouet les décisions toutes plus absurdes les unes que les autres ainsi que la désorganisation des hautes instances militaires qui n'ont pas hésité à conduire à la boucherie des centaines de milliers de soldats : "Je ferais un très bon mort, "évaporé" dans la confusion. Une sorte de putréfaction anonyme, un disparu. Qui s'inquiéterait d'un ouvrier tourneur aux établissements Biscorne de la rue des Panoyaux - Paris XXè arrt ? Après tout, un pauvre ça crève dans l'indifférence totale.".
Dans ce récit, le manque d'organisation et l'absurdité des batailles pour gagner quelques kilomètres au prix de nombreuses vies humaines sont dénoncés : "Par nécessité ou par obstination, nos chefs, peu économes en vies humaines et en obus, ont donné l'ordre à la grosse artillerie sur rail de détruire Vaux et Douaumont, histoire que ces magnifiques, coûteuses et inutiles forteresses redeviennent françaises.", ça balance sévère et personne n'est épargné.
Il est question des décisions irréfléchies de certains chefs militaires, mais également des révoltes de certains soldats, des fusillés pour l'exemple, des procès sommaires où des soldats étaient condamnés à mort alors que dans un sens, ils l'étaient déjà; mais aussi de l'engagement dans ce conflit des anglais, des américains, des canadiens, des italiens, des africains des colonies françaises.
"Plus atroces seront nos plaies et meilleure sera notre place dans les nuages de gaz phosgène, à la droite de notre "saigneur".", car il ne faut jamais oublier à quel point la guerre de 14-18 fut une boucherie.
Pour la première fois, le conflit n'est pas que terrestre mais également maritime, aérien, avec de nouvelles armes de guerre qui sont expérimentées et surtout l'utilisation des gaz.
Les dessins sont non seulement fortement évocateurs, mais ils sont très violents et n'épargnent aucun détail des crânes qui explosent, des viscères qui s'étalent, des cadavres en putréfaction dans les tranchées.
C'est l'une des premières fois que j'ai lu un récit aussi explicite à ce sujet, le format de bande dessinée convient d'ailleurs très bien car les images parlent souvent d'elles-mêmes, ce qui est d'ailleurs le cas ici puisque la narration est plutôt concise au profit d'images nombreuses.
Très fouillée historiquement, cette bande dessinée est très agréable à lire car elle couvre une large période, de 1914 à 1919, évoquant non seulement la guerre mais également l'après-guerre et le difficile retour à la vie.
Chaque année est illustrée par les batailles marquantes : "Je venais de participer à la bataille de la Marne. Je n'avais rien compris aux astucieuses stratégies, il faut dire qu'on ne m'avait rien expliqué. Je ne savais donc pas que je venais de rentrer victorieusement, et les deux pieds dans la merde, dans l'histoire de France !", mais il est aussi question tout du long des désastreuses conditions de vie et d'hygiène dans les tranchées, des difficultés du ravitaillement, de la violence des affrontements, de la peur qui tiraille en permanence et de cet infime espoir toujours présent de rentrer un jour chez soi : "La guerre nous brûlait les boyaux et, dans la puanteur de nos existences dérisoires, je me cramponnais à un espoir : rentrer à la maison, qu'on la perde ou non cette guerre qui n'était pas la mienne !".
Et puis, dans les horreurs de cette guerre, il n'y a pas que les morts, il y a aussi les blessés souvent mutilés à vie, à ce titre j'ai trouvé très émouvantes les deux pages consacrées à des "gueules cassées".
"Putain de guerre !" n'est pas une énième bande dessinée sur la Première Guerre Mondiale, elle est très intéressante à plus d'un titre.
Tout d'abord, elle est très précise d'un point de vue historique et remet bien tous les éléments dans leur contexte, je salue d'ailleurs l'excellente idée de Jean-Pierre Verney de présenter de façon détaillée chaque année du conflit en 5/6 pages, mais également dans la façon de parler (ne pas hésiter à se reporter au lexique des expressions dans les tranchées) et de penser de tous ces soldats qui, sans avoir rien demandé, se sont retrouvés à se battre dans l'un des conflits les plus sanglants du vingtième siècle.
La précision n'est pas qu'historique, elle l'est également par rapport à l'utilisation des armes et aux améliorations qui y sont apportées durant ces quatre années.
Ensuite, elle met le doigt là où ça fait mal et n'hésite pas à dénoncer les erreurs commises ainsi que les fusillés pour l'exemple.
Plutôt que de voir cette bande dessinée comme une mise en avant de la guerre, il faut plutôt y lire un plaidoyer pour la paix.
Et puis, il y a la si jolie plume de Jacques Tardi qui, sous des traits fluides, parvient à transcrire avec justesse toute l'horreur de ces quatre années avec des personnages extrêmement réalistes ainsi que le recours à une décoloration progressive jusqu'à ne plus coloriser qu'en noir et blanc, à l'exception du rouge sang par moment, montrant ainsi la perte de l'espoir et l'enlisement de ce conflit dans des actions de plus en plus sanglantes et de plus en plus noires.
"Putain de guerre !" brosse un portrait incroyablement réaliste et fort de ce que fut la Première Guerre Mondiale, il serait regrettable de passer à côté de cette si belle et indispensable bande dessinée.
En guise de conclusion, je citerai cette phrase de Francesco Nitti, président du Conseil Italien de 1919 à 1920 qui résume parfaitement ce conflit : "La guerre européenne, devenue plus tard mondiale, a été un horrible événement : elle n'a été illuminée par aucun principe, par aucune pensée, par aucune grande idée.".
Ce qu'il ne savait pas, c'est que la suivante, vingt ans plus tard, serait encore plus horrible et allait être illuminée par le principe de la supériorité de certaines races sur d'autres, par la pensée de l'extermination de masse et par la grande idéologie nazie, plongeant une nouvelle fois l'Europe, et le monde, dans le chaos et dont les cortèges de millions de morts hantent encore les esprits.
La bataille de Verdun
Le chemin des Dames
La bataille de la Marne
14-18 La guerre des tranchées
Les lance-bombes B14
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire