samedi 18 mars 2017

Le bouc émissaire de Daphné du Maurier


John, un historien anglais en vacances en France, rencontre au Mans par hasard son sosie parfait, Jean de Gué. Les deux hommes font connaissance : l'un est solitaire, sans famille, l'autre, épicurien désinvolte, se plaint de la sienne qui l'étouffe. Le lendemain matin, John se réveille, vêtu des affaires de Jean, qui a disparu. À la porte, le chauffeur l’attend pour le ramener au château. John prend alors la place de Jean. (Le Livre de Poche)

Un soir au Mans, John un historien Anglais parfaitement bilingue en vacances en France croise son sosie parfait, Jean de Gué.
Les deux hommes intrigués prennent un verre, parlent, se confient : "J'avais l'impression que je pouvais tout confier à cet homme, que lui parler était la même chose que me parler à moi-même.".
Si l'un est célibataire et solitaire, John, l'autre désinvolte étouffe au sein de sa famille.
Jean piège John : il le drogue, échange leurs vêtements et le laisse dans une chambre d'hôtel où il se réveille le lendemain sans comprendre tout de suite ce qui lui arrive.
John, piqué par la curiosité, va finalement prendre la place de Jean et vivre une semaine dans la famille de ce dernier.
Et John pourrait bien faire les frais de cette farce : "Être complice d'une farce compliquée n'impliquait pas que je dusse accepter d'en être la victime. C'était l'inverse qui aurait dû se produire, me semblait-il, c'était à eux d'en faire les frais et non à moi. Rien ne m'attachait à eux.".

J'ai lu ce livre il doit bien y avoir quinze ans, j'en gardais d'ailleurs un bon souvenir.
Comme quoi parfois il vaut mieux rester sur une bonne impression plutôt que se lancer dans une relecture qui au final laisse un goût légèrement amer.
Il faut dire qu'à l'époque de cette première lecture, je n'avais pas encore découvert "L'inconnu du Nord-Express" de Patricia Highsmith, la référence en matière d'échange d'identité et de thriller psychologique.
Et après ce roman, il faut bien avouer que celui de Daphné du Maurier apparaît comme suranné, même s'il a des qualités indéniables.
J'ai longtemps attendu qu'il se passe vraiment quelque chose dans ce roman, à part l'échange d'identité contraint et forcé du début et le dénouement final il faut reconnaître que l'ensemble est très psychologique, sans doute un peu trop, et qu'un peu d'action n'aurait pas nui.
John et Jean ont beau partager des caractéristiques physiques en commun, ce sont des antagonistes.
Jean est clairement un personnage imbuvable, égoïste, manipulateur, désinvolte, prenant plaisir à rabaisser les gens et trompant allègrement sa femme; à l'inverse John se prend d'une réelle sympathie pour cette famille, qu'il va d'ailleurs contribuer grandement à réconcilier les uns avec les autres, ainsi que pour la verrerie familiale qu'il va réussir à remettre sur les rails contrairement à son sosie qui s'en lave au passage totalement les mains qu'elle ferme et laisse sur le carreau les ouvriers y travaillant.
John est vite dépassé par toute cette famille et par les secrets qu'il découvre, il y a beaucoup d'animosité à l'égard de Jean et il va tout faire pour apaiser les tensions, alors qu'il leur est inconnu et sans lien de sang.
Mais parfois tout cela est dur et lui pèse sur la conscience, car il est difficile pour un homme comme lui de se mettre au niveau d'un Jean de Gué, d'autant que ce dernier a la fâcheuse manie de charmer toutes les femmes qui l'entoure et que cela n'est pas sans causer de dégâts : "Jean de Gué avait trop de femmes dans sa vie.".
Au cœur de cette intrigue, Daphné du Maurier en profite pour glisser un hommage à ses ancêtres artisans verriers à travers la verrerie familiale, pour en découvrir plus sur les ancêtres de l'auteur je vous invite à lire "Les souffleurs de verre".
Si l'auteur arrive à dessiner la personnalité de Jean de Gué malgré une absence de ce dernier pendant toute l'intrigue, certains mystères ne sont que partiellement découverts, et ce sont sans doute ces blancs qui m'ont quelque peu déstabilisée.
Jean de Gué aurait pu être un véritable génie du mal, il en a en tout cas de nombreuses qualités, finalement il s'avère être un homme médiocre dont la méchanceté fait pitié, un être humain en somme, et si ce n'était pas le plus beau retournement au final ?
La galerie de personnages présentés dans cette intrigue se divise en deux : ceux qui sont proches de Jean de Gué comme sa mère ou sa fille Marie-Noëlle, et ceux qui lui sont hostiles comme sa sœur Blanche ou son frère Paul.
Si l'on continue à creuser, ce roman est aussi habilement construit : les jours sont proportionnels dans le récit, le style paraît morne et plat car il décrit des actions quotidiennes et des habitudes de la vie courante, mais avec un certain recul ce roman s'inscrit finalement bien dans l'oeuvre de Daphné du Maurier, de par la complexité des relations entre les personnages et l'univers malsain mis en place dès les premières pages.
Alfred Hitchcock n'aurait certainement pas renié cet univers et cette histoire, pourtant ce n'est pas lui qui l'a pourtant à l'écran mais Robert Harmer, un film qui n'a pas eu un succès durable et dont apparemment il n'existe même pas de version en DVD.
Il en reste une adaptation télévisée de 2012 pour une chaîne Britannique.

Cette seconde relecture du roman "Le bouc émissaire" de Daphné du Maurier a perdu de son charme par rapport à la première fois, néanmoins en y réfléchissant bien, il est tout à fait dans la veine du style et de l'univers qui ont fait la réputation de Daphné du Maurier.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices


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