jeudi 29 septembre 2016

Les anagrammes de Varsovie de Richard Zimler


Septembre 1940. Erik Cohen, vieux psychiatre juif, emménage dans le ghetto de Varsovie, chez sa nièce et son petit-neveu, Adam, qu’il adore. Réfugié dans sa propre ville, il tente de lutter contre la hantise des rafles et des camps de travail. De survivre au rationnement, à l’isolement, aux épidémies, et de protéger les siens. 
Jusqu’à cette aube où Adam est retrouvé assassiné, mutilé, son petit corps jeté sur les barbelés. Contre la peur et le silence, Erik va s’échapper du ghetto pour mener l’enquête dans un Varsovie spectral, où les plus basses pulsions humaines côtoient l’héroïsme et la grandeur. 
Parce que le moins que nous puissions faire pour nos morts est de rendre à chacun sa singularité. (Pocket)

Placer une histoire fictive dans le ghetto de Varsovie, c’était déjà un pari risqué, mais y adjoindre une enquête suite à la découverte de cadavres mutilés, c’était encore plus périlleux.
Et bien Richard Zimler s’en est bien sorti, sans tomber dans le piège de la facilité qui aurait consisté à balayer purement et simplement l’aspect historique pour se concentrer uniquement sur l’enquête, et sans non plus sombrer dans le mélodrame ou l’exagération.
L’histoire est racontée par Erik Cohen, un vieux psychiatre Juif qui revient dans ce qui est le ghetto de Varsovie (la guerre n’est donc pas encore finie).
Il revient pour y raconter son histoire et lever le voile sur les meurtres mystérieux qui y ont eu lieu en 1940/1941, dont son petit-neveu adoré Adam a été l’une des victimes.
Il est nettement plus clairvoyant qu’à l’époque lorsqu’il a emménagé dans le ghetto chez sa nièce et son petit-neveu : "Si j'avais pensé à notre exil dans le ghetto comme à un rêve et que je l'avais correctement interprété, j'aurais été plus prudent, car j'aurais alors su qu'ils nous avait transportés sur une île pour nous voler plus facilement notre avenir - et pour empêcher le reste du monde de le savoir.", et a fini par comprendre que les nazis n’allaient pas se contenter de les enfermer dans un espace restreint mais allaient les assassiner purement et simplement, ainsi que les enfants : "Les nazis veulent la mort de nos enfants car ils veulent nous priver de notre avenir.".
Il est aussi changé mais je n’en dis pas plus et laisse le lecteur découvrir par lui-même ce qui se cache derrière mes propos.

Sans faire une leçon d’histoire ou un descriptif complet des conditions de vie dans le ghetto de Varsovie, pour cela je vous invite à lire des ouvrages historiques sur le sujet, Richard Zimler a su en dresser les grands principes et les utiliser comme toile de fond pour son récit.
Il a créé une ambiance particulière, assez spectrale et frôlant presque parfois le fantastique, dans le sens où tout cela était inconcevable pour les personnes qui y vivaient et qui pourtant sombraient chaque jour un peu plus dans l’horreur, la misère, le froid, les conditions de vie insalubres, la peur.
Erik adopte alors un comportement de survie pour lui et sa famille, mais ce fragile équilibre se rompt le jour où Adam ne rentre pas et où son corps est retrouvé jeté sur les barbelés et mutilé.
Ce qui restait de lucidité va céder dans l’esprit de la mère de l’enfant et Erik n’aura plus alors qu’un seul but : découvrir ce qui est arrivé à Adam, d’autant qu’il apprend que ce n’est pas un cas isolé mais que les responsables du ghetto se sont bien gardés d’en informer la population.
Pour cela il va se faire aider de son vieil ami, il va aussi sortir du ghetto et peut-être miraculeusement finir par atteindre son but : "Et là, je pris conscience que les miracles se produisent réellement, même si - malheureusement - ils ne sont pas toujours les glorieuses manifestations de transcendance auxquelles on a toujours voulu nous faire croire.".
Car à l’intérieur comme à l’extérieur du ghetto il y a le bien qui côtoie le mal, si la noirceur de l’âme de certains est sans fond, d’autres vont au contraire essayer de lui porter secours et de l’aider dans sa quête insensée.
Au final, c’est un roman très sombre à l’ambiance bien particulière qui ne couvre même pas la totalité de la guerre, c’est dire que le paroxysme de l’horreur n’a pas encore été atteint.
L’ensemble est assez pesant, dans le bon sens du terme, car très sombre, le lecteur partage la violence et la misère qui règnent dans le ghetto.
Si j’ai pu deviner quelques ficelles, notamment celle par rapport au personnage d’Erik, par contre la vérité se cachant derrière les meurtres est difficile à trouver et est en plus assez crédible par rapport au contexte historique.

"Les anagrammes de Varsovie" est un roman sombre mêlant intelligemment intrigue policière et contexte historique.


mercredi 28 septembre 2016

Frantz de François Ozon

     
     

Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville. (AlloCiné)


Nous sommes en 1919, dans une petite ville d’Allemagne.
Anna (Paula Beer), comme tous les jours, se rend sur la tombe de son fiancé Frantz (Anton von Lucke) mort dans les tranchées en France.
Mais ce jour-là elle découvre qu’elle n’est pas la seule à venir fleurir la tombe.
Elle découvre qu’Adrien (Pierre Niney), un jeune Français, est lui aussi venu pour s’y recueillir, parce qu’il était ami avec Frantz.
Mais sa présence déclenche les passions à la fois dans la ville et au sein de la famille de Frantz.


Je n’ai jamais caché que j’admirais depuis très longtemps le travail de François Ozon et je manque très rarement la sortie de son nouvel opus (d’ailleurs si j’étais actrice j’adorerai tourner avec lui).
Certains diront donc que je ne suis pas objective dans mon propos, et bien tant pis pour eux et que les grincheux restent où ils sont.
Mais quel film magnifique ! Quelle belle et tragique histoire !
Déjà, il y a la mise en scène, toujours très soignée chez François Ozon, mais ici plutôt que d’utiliser certains de ses plans habituels il propose un travail sur la lumière, la majorité du film étant en noir et blanc et certains passages en couleur.
Sur le plan esthétique c’est une réussite, un sans-faute, que dis-je, un chef d’œuvre (je me calme, je ne m’emballe pas) !
Parce qu’en se faisant, il traduit l’état intérieur des personnages et les sentiments qui les habitent, et quand j’apprends que le recours au noir et blanc fut pour des raisons économiques, je me dis que le hasard fait décidément parfois bien les choses.
Dans ce film, on retrouve certains des thèmes chers au réalisateur : la mort, l’amour, ou tout du moins les premiers émois amoureux, mais les deux thèmes centraux sont à mon sens le mensonge et le pardon.
Comme d’ordinaire, François Ozon aime mettre en avant des personnages tourmentés, car Adrien est loin d’être apaisé mentalement, et cette histoire cache bien évidemment des secrets, car rien n’est simple dans les histoires mises en scène par ce réalisateur.


Là où l’on reconnaît également la patte de François Ozon, c’est dans le choix de ses interprètes.
Dire que Pierre Niney, pour rappel ancien plus jeune pensionnaire de la Comédie Française et plus jeune lauréat du César du meilleur acteur, est excellent est un doux euphémisme.
Il incarne complètement Adrien, il l’habite, et prouve ainsi, s’il en était encore besoin, qu’il est sans nul doute l’un des acteurs les plus talentueux de sa génération.
François Ozon aime aussi découvrir des actrices, ici la révélation est sans conteste Paula Beer, inconnue en France jusqu’alors mais cela ne m’étonnerait pas que les réalisateurs se l’arrachent par la suite tant son jeu est bouleversant et sa palette d’émotions grande.
J’ai aussi énormément été touchée par le jeu d’Ernst Stötzner incarnant Hoffmeister, le père de Frantz, et Maria Gruber incarnant Magda, la mère.
Il y a une dimension tragique qu’ils incarnent parfaitement, il n’est pas question de vaincus et de vainqueurs mais uniquement de parents qui ont perdu leur fils unique et qui peu à peu retrouvent le goût à la vie grâce à cet ami Français.
Le personnage qui m’a le plus marquée est celui d’Anna, non pas parce qu’elle est une femme mais parce qu’elle est une personne qui va progresser, s’ouvrir et s’affranchir de son passé pour oser s’offrir un présent et un futur, quelque chose qu’Adrien n’aura pas la force de faire.
Le personnage d’Anna est sans doute la plus belle promesse d’avenir dans ce film où l’illusion règne pourtant en maître pendant une grande partie.
Car il y a ce que l’on voit et ce que le réalisateur raconte, parfois ce sont la même chose d’autres fois cela diffère.
Mais pour bien le comprendre il faut voir ce film.


"Frantz" est un excellent film mélodramatique à l’esthétique irréprochable, l’un des plus beaux films de cette rentrée et sans doute de l’année 2016.

mardi 27 septembre 2016

Dans la peau de Coventry de Sue Townsend


Fuyant un mari ennuyeux qui voue un amour inconditionnel à ses quatre tortues domestiques, une existence monotone dans le lotissement des Chemins Gris où il ne se passe jamais rien, et surtout la police, Coventry va se découvrir une âme d'aventurière… et de fugitive sans le sou. Tandis que tout le monde la recherche activement, ses tribulations en plein cœur de Londres, aux côtés de personnages tous plus rocambolesques les uns que les autres, vont se révéler bien plus drôles qu'une vie de femme au foyer dans la banlieue anglaise. (Les éditions Charleston)

"Il faut d'abord que je vous dise deux choses sur moi : la première, c'est que je suis belle, la deuxième, c'est que, hier, j'ai tué un homme du nom de Gerald Fox.", ainsi commence le récit des péripéties de la belle Coventry, une femme au foyer tout ce qu’il y a de plus ordinaire qui va, à la suite de ce geste, fuir à Londres et y vivre de multiples aventures : "J'ai un visage, un corps et un prénom extraordinaires, mais malheureusement, je suis une femme très ordinaire qui n'a aucun talent particulier, aucune relation influente parmi les membres de sa famille, aucune qualification en quoi que ce soit et aucun revenu. Hier, j'avais un mari et deux enfants adolescents. Aujourd'hui, seule et en fuite, je suis à Londres, sans mon sac à main.".

Coventry mène une vie bien monotone dans un lotissement du nom des Chemins Gris auprès d’un mari dont l’unique passion est vouée à ses tortues, de deux enfants qui ont bien grandi.
Si à ce stade-là vous baillez je vous comprends, car Coventry est elle aussi endormie dans sa vie bien pépère et y baille très certainement bien trop souvent.
La seule touche d’exotisme dans sa vie c’est son frère Sidney qu’elle apprécie vraiment, mais qui est actuellement en voyage avec sa femme qu’il adore, sachant que tous les deux passent une grande partie de leur vie à faire l’amour (mais ne veulent pas d’enfant), et ce encore plus lorsqu’ils sont en vacances.
Fort heureusement, en commettant son geste Coventry va s’offrir pour la première fois de sa vie une dose d’aventure et va enfin prendre sa vie en main.
Et là, comme Coventry, vous allez arrêter de bailler.
"Dans la peau de Coventry" est un roman léger et drôle qui se lit avec grand plaisir.
Certes, ce n’est pas de la grande littérature mais j’ai beaucoup aimé le personnage de Coventry, une "Desperate Housewife" avant l’heure.
Même si c’est rocambolesque j’ai aimé suivre les péripéties et la transformation de cette femme qui va fuir sur un coup de tête, après avoir assassiné un homme tout de même, et se retrouver seule dans Londres, totalement démunie et face à elle-même.
Il faut dire que Coventry va rencontrer quelques personnes originales à Londres, mention spéciale pour Dodo, une bourgeoise logée chez les sans-abris, qui devenir sa nouvelle copine.
Pour qui connaît Londres il est également plaisant de déambuler dans les rues avec Coventry et retrouver des lieux ou des monuments connus.
L’humour contenu dans ce roman est très Anglais, et derrière cette apparente légèreté il y a en fait une belle satire de la société moderne.
Satire qui reste d’actualité même si ce roman a été écrit il y a près de vingt ans.

"Dans la peau de Coventry" est un sympathique roman signé par la drôle et satirique Sue Townsend qui m’a permis par la même occasion de découvrir (enfin) les éditions Charleston.

Un grand merci aux éditions Charleston pour l'envoi de ce livre !


lundi 26 septembre 2016

Retour chez ma mère d'Eric Lavaine

     
     

Aimeriez-vous retourner vivre chez vos parents ? À 40 ans, Stéphanie est contrainte de retourner vivre chez sa mère. Elle est accueillie les bras ouverts : à elle les joies de l'appartement surchauffé, de Francis Cabrel en boucle, des parties de Scrabble endiablées et des précieux conseils maternels sur la façon de se tenir à table et de mener sa vie… Chacune va devoir faire preuve d’une infinie patience pour supporter cette nouvelle vie à deux. Et lorsque le reste de la fratrie débarque pour un dîner, règlements de compte et secrets de famille vont se déchaîner de la façon la plus jubilatoire. Mais il est des explosions salutaires. Bienvenue dans un univers à haut risque : la famille ! (AlloCiné)


Stéphanie (Alexandra Lamy) a quarante ans, elle se retrouve contrainte de retourner vivre chez sa mère Jacqueline (Josiane Balasko) car le seul client de l’agence d’architecte qu’elle avait avec son amie Charlotte (Cécile Rebboah) vient de déposer le bilan.
Non seulement ce retour au nid n’est pas bien vu par sa sœur Carole (Mathilde Seigner), marié au gentil Alain (Jérôme Commandeur) à qui elle en fait voir de toutes les couleurs, ni par son frère Nicolas (Philippe Lefebvre) ; mais il lui faut aussi se réadapter à la vie chez sa mère : Francis Cabrel en boucle, les parties de scrabble, et les conseils maternels d’un autre âge, comme éplucher les petites annonces des journaux pour retrouver un emploi.


Mes parents ont été voir le film à sa sortie, m’ont dit avoir beaucoup ri et surtout s’être reconnus dans cette femme (i.e. le personnage de Josiane Balasko) dépassée par les nouvelles technologies : la boîte mail, internet et ses adresses (un jour je vous parlerai de ce grand moment au cours duquel je leur ai expliqué comment s’y prendre pour taper l’arobase …).
Pour le coup, je me suis dit qu’il serait peut-être bien d’aller le voir, que je me reconnaîtrai peut-être dans le personnage d’Alexandra Lamy (enfin en plus jeune, plus belle, toussa, toussa).
J’ai donc profité d’une rediffusion au cinéma cet été pour y aller.


Et alors ?
Et bien j’ai ri, c’est très drôle mais pas dans le sens moqueur, car le personnage de Jacqueline découvre internet et pose finalement des questions qui sont légitimes, même si elles sont évidentes pour notre génération (.com : point p-o-i-n-t ? Comme quoi ?).
Il n’y a pas que ça dans le film, il y a aussi une scène assez longue d’un repas de famille qui est extrêmement drôle avec de nombreux quiproquos (ah, la fameuse quiche, c’est Picard), mais aussi des secrets qui voient le jour (et la Jacqueline, si elle ne maîtrise pas les codes d’internet elle maîtrise par contre très bien les codes amoureux, je n’en dis pas plus) et aussi un fond plus sérieux, à savoir le chômage, les difficultés actuelles pour retrouver un emploi et le fait de tout perdre du jour au lendemain.
Car avant d’être fauchée Stéphanie avait la belle voiture, la belle maison, elle avait réussi et avait une vie facile, mais du jour au lendemain elle perd tout et il lui faut se remettre en question.
Alexandra Lamy campe cette femme très justement, et je déplore une nouvelle fois que cette actrice soit si peu utilisée car elle a vraiment un jeu intéressant.
Mathilde Seigner est excellente quand il lui faut incarner des filles vachardes (mais pas que, elle aussi est une très bonne actrice), et bien c’est ici le cas et le rôle de cette fille jalouse de sa sœur lui réussit bien, même si elle est odieuse avec son mari, sa sœur et sa mère, car ce personnage va lui aussi évoluer et grandir en un sens.
Quant à Josiane Balasko, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu avoir un aussi joli rôle, en tout cas elle excelle dans cette mère décidée à réunir sa famille pour leur annoncer une grande nouvelle.
L’intrigue se déroule dans un univers assez clos pourtant le réalisateur a su habilement jongler et ne donne à aucun moment la sensation au spectateur d’être enfermé.


"Retour chez ma mère" est une sympathique comédie d’Eric Lavaine qui a connu un beau succès à sa sortie en salle, succès mérité car j’ai passé un très bon moment et je ne peux que vous le conseiller si vous avez encore l’occasion de le voir en salle.



lundi 19 septembre 2016

Le facteur sonne toujours deux fois de James Cain


«J'étais étendu sur elle, nous nous regardions dans les yeux. Nous étions serrés l'un contre l'autre, essayant d'être plus unis encore. L'enfer aurait pu s'ouvrir devant moi alors, je n'en aurais pas bougé. Il fallait que je l'aie, même si l'on devait me pendre pour cela. Je l'ai eue.» "Il fallait que je l'aie, même si l'on devait me prendre pour cela. Je l'ai eue." (Le Livre de Poche)

C’est Frank Chambers, jeune vagabond, qui raconte cette histoire, celle de sa rencontre avec la trop belle Cora dans un diner en Californie qu’elle gère avec son mari, Nick Papadakis.
Entre Cora et Frank c’est une attirance immédiate : "Il fallait que je l'aie, même si l'on devait me pendre pour cela. Je l'ai eue.".
Commence entre eux une relation passionnelle frisant le sadomasochisme, mais la belle Cora est lasse de sa situation et de son mari, ils mettent alors au point un scénario pour faire disparaitre le gênant.
Cela rate une première fois, mais pas la seconde.
Après avoir éteint les soupçons de la justice à leur égard, Cora et Frank reprennent leur relation tumultueuse : "Nous avions un grand amour, et nous nous sommes laissé écrabouiller par cet amour. C'était comme un splendide moteur d'avion capable de nous porter jusqu'aux cieux, par-dessus les montagnes. Mais si on met ce moteur dans une Ford, elle éclate en morceaux.", mais le drame va encore les frapper dans leur vie.

De James M. Cain j’avais énormément apprécié "Mildred Pierce", et bien il en va de même pour ce splendide et percutant roman noir.
Rarement l’art de la concision et de l’ellipse n’a été aussi bien mené, en moins de deux cents pages James Cain a réglé le sort de Cora et de Frank et a ainsi dévoilé ce qui pousse des gens ordinaires à basculer dans le crime, à savoir le sexe et l’argent.
Il n’est pas surprenant que ce roman ait fait l’objet plusieurs fois d’adaptations cinématographiques, il s’y prête particulièrement bien.
J’ai beaucoup aimé l’atmosphère qui s’en dégage, c’est très noir et à la fois extrêmement sensuel, pour ne pas dire charnel.
Cora est la femme fatale par excellence tel qu’on se l’imagine, et Frank est le beau vaurien qui arrive toujours à séduire ce genre de femme.
D’ailleurs, le lecteur finirait presque par oublier le côté criminel de l’histoire tant il suit avec avidité l’histoire d’amour torride entre Cora et Frank.
Cette lecture et le style m’ont fait penser aux romans noirs de Dashiell Hammett, il y a autant de noirceur et de sensualité qui s’en dégagent, deux termes collant parfaitement aux romans noirs écrits dans les années 30 et qui, je dois le confesser, n’ont pas pris une ride et font toujours mouche.
Je reste un peu intriguée par le titre mais je conçois plutôt le facteur dont il est question comme la Grande Faucheuse, qui si elle laisse passer une première fois ne repart pas les mains vides la seconde.

"Le facteur sonne toujours deux fois" est un envoûtant et sensuel roman noir signé par le regretté car si talentueux James M. Cain, une lecture à découvrir ou à redécouvrir.


dimanche 18 septembre 2016

L'île sous la mer d'Isabel Allende


1770, Saint-Domingue. Zarité – Tété – a 9 ans lorsqu'elle est vendue à Toulouse Valmorain, tout juste débarqué pour prendre la succession de son père, propriétaire terrien mort de la syphilis. Elle découvre la plantation, les champs de canne à sucre et les esclaves, la violence des maîtres, le vaudou… et le désir de liberté. Lorsque Valmorain, réchappé de l'insurrection, parvient à embarquer pour La Nouvelle-Orléans, Tété le suit. Mais la lutte pour la dignité et l'émancipation ne peut être arrêtée. (le Livre de Poche)

Isabel Allende l'a prouvé à plusieurs reprises, c'est une conteuse hors pair et ses romans sont la garantie d'histoires passionnantes avec des héroïnes attachantes et de nombreux rebondissements.
Qui plus est, elle ancre toujours ses récits dans un contexte historique.
Ici, il est question de l'esclave, tout d'abord à Saint-Domingue puis à la Nouvelle-Orléans, car les personnages vont devoir fuir cette colonie Française lors de la guerre civile.
Zarité - dite Tété - est fille d'esclave, à neuf ans elle est achetée par Violette, une "cocotte" mûlatresse la plus appréciée de toute l'île, qui la forme et la vend à Toulouse Valmorain, Français tout juste débarqué pour prendre la succession de son père à la tête de leur plantation de cannes à sucre.
Dans cette plantation, Tété apprendra à tenir une maison, s'occupera du fils de la femme devenue folle de Toulouse Valmorain, découvrira le vaudou, le droit de viol de son maître sur elle et sur d'autres, mais aussi l'amour dans les bras d'un jeune esclave qui ne tardera pas à s'enfuir et à rejoindre les esclaves révoltés qui finiront par se battre pour leur liberté.
Quand les "Grands Blancs", menacés par la guerre civile, seront forcés de fuir, Tété sauvera Valmorain et fuira avec lui et son fils, ainsi que sa fille.
Leur nouvelle vie commencera d'abord à Cuba puis à la Nouvelle-Orléans en Louisiane, un territoire que les Français ne manqueront pas de vendre aux Américains.
Là-bas les misères et la vie de dure labeur de Tété continueront, mais elle y retrouvera également l'amour et surtout acquerra à prix fort sa liberté.

La quatrième de couverture laissait penser que Tété serait le personnage central de ce roman, or il n'en est rien car elle n'est que l'une des héroïnes de ce roman.
Certes, elle a un rôle majeur mais le lecteur découvre également le destin de Violette, une jeune mûlatresse touchante qui de cocotte finira en femme d'affaires avisée.
Elle jouera par deux fois un rôle important dans la vie de Zarité et j'ai aimé que l'auteur mette dans son histoire autant de personnages féminins différents pour laisser voir toutes les facettes de la société de cette époque : il y a Zarité l'esclave qui veut son indépendance, Violette dont le côté mûlatresse ne se voit pas et qui si elle est déjà libre cherche à occuper une place d'importance dans la société, Tante Rose l'esclave adepte du vaudou qui conseillera Tété, Eugenia la femme blanche de Valmorain qui deviendra folle et ne s'adaptera jamais à Saint-Domingue, Rosette la fille de Zarité qui connaîtra un destin fort, tout comme sa mère.
A travers toutes ces épreuves, Zarité comprendra bien vite pourquoi sa mère avait cherché à la tuer, c'est en devenant mère qu'elle prendra conscience que sa condition d'esclave s'applique tout autant à sa fille, et c'est pourquoi elle ne cherchera plus qu'à obtenir leur liberté : "Nous ne pouvons protéger nos enfants ni leur promettre que nous serons près d'eux aussi longtemps qu'ils auront besoin de nous. Nous les perdons trop tôt, c'est pourquoi il vaut mieux ne pas leur donner le jour.".
Dans ce roman, il y a plusieurs sens au mot "liberté" : pour Zarité, c'est d'obtenir un papier la libérant de sa condition d'esclave, pour son amant Gambo c'est l'abolition pure et simple de l'esclave.
Ce dernier aura d'ailleurs du mal à comprendre qu'elle choisisse de partir avec Valmorain plutôt que de rester avec lui et participer à la rébellion : "Et la liberté ? C'est sans importance pour toi ?".
Cette histoire a le mérite de montrer qu'il n'y a pas qu'une forme de liberté et que quelle que ce soit la perception que l'on en a, le chemin pour l'obtenir est long et semé d'embûches.
J'ai été très vite prise par l'histoire et malgré un nombre de pages important ce roman se lit très rapidement, et très facilement.
Le style d'Isabel Allende emporte le lecteur qui non seulement change de pays mais également d'époque.
Elle utilise l'ellipse à bon escient, ce qui fait que son récit ne souffre d'aucune longueur et garde sa cohésion du début à la fin.
J'ai beaucoup apprécié le contexte historique de ce roman, sans donner l'impression de se transformer en livre d'histoire Isabel Allende a su insérer les moments clés et les personnages historiques importants dans son récit.
Ainsi, le lecteur croisera notamment Toussaint Louverture ou le général Dessalines, mais découvrira ou redécouvrira des pans plutôt méconnus de l'histoire de l'indépendance de Saint-Domingue, ancienne colonie Française qui prendra le nom de Haïti à son indépendance en 1804, ou encore de la vente de la Louisiane aux Américains.
Pendant qu'en France la Révolution faisait rage et que les têtes tombaient sous la guillotine, ailleurs les esclaves se révoltaient et cherchaient à s'émanciper dans les colonies, ainsi la Révolution Française ne s'est pas limitée qu'au territoire de la métropole mais a également eu lieu dans certaines de ses colonies, et c'est un aspect historique peu souvent abordé.
Etant amatrice d'histoire, ce récit ne pouvait que me plaire car il donne envie de creuser et d'en apprendre plus sur cette période.
J'avais déjà pu l'apprécier dans de précédentes lectures, mais Isabel Allende aime décidément tourmenter ses héroïnes et si tout finit plus ou moins bien pour certaines pour d'autres c'est un drame.
Isabel Allende aime les histoires d'amours contrariées, je me souviens d'une dans "La maison aux esprits", ici celle de Rosette m'y a fait penser, sans doute parce que là aussi c'est la fille du personnage principal qui va souffrir le plus alors que le lecteur pensait qu'elle pourrait au moins s'en sortir.
Mais comme à chaque lecture d'Isabel Allende la même impression revient, si j'ai aimé ma lecture et si celle-ci m'a transportée, il y manque la petite touche de magie extraordinaire que je n'ai trouvé à ce jour que dans "La maison aux esprits".
Par contre, il va s'en dire que cette historie ferait une formidable adaptation télévisuelle en série historique.

"L'île sous la mer" est une très belle fresque historique et romanesque signée de la talentueuse Isabel Allende qui sait si bien transporter le lecteur, alors n'hésitez pas et vous aussi succombez au destin de Zarité et de tous les autres personnages de ce roman dépaysant.



vendredi 16 septembre 2016

Black Messie de Simonetta Greggio


Dans les douces collines de Toscane, le Monstre de Florence a sauvagement assassiné sept jeunes couples entre 1968 et 1985. Cet horrible fait divers a inspiré films et romans, dont Le Silence des agneaux. Mais le principal suspect est mort en attendant un énième procès et le silence a recouvert toute l’histoire... Jusqu’au jour où filles et garçons recommencent à tomber, fauchés par un serial killer étrangement semblable à celui d’autrefois. Le Monstre est-il revenu ? A-t-on commis une erreur à l’époque ? 
Le capitaine des carabiniers Jacopo D’Orto mène l’enquête. Proche de la retraite, il n’a plus rien à perdre. Dans une course contre la montre, il fouille la fosse où la boue des mystères italiens s’est amassée. Depuis la Renaissance, le mal refait régulièrement surface dans ce pays qui semble béni des Dieux. L’Italie actuelle paraît pourtant purifiée de ses secrets… mais si, derrière les apparences, il n’y avait que chaos, violence et guerres de pouvoir ? "Une ville à rhizomes, comme le mal qui renaissait régulièrement de ses entrailles. Mais une ville qui avait imposé la langue Toscane à l'Italie entière." (Stock)

Après avoir lu, et avoir été déçue, par "Étoiles" et "Les mains nues" j'avais dit plus jamais du Simonetta Greggio.
Comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, j'ai décidé de laisser une ultime chance à cette auteur avec son nouveau roman, une enquête policière sur fond de meurtres sanglants à Florence (Florence, ah Florence !).
Et le miracle a eu lieu !
Quand Simonetta Greggio décide de se lancer dans le policier ça lui réussit !

Ce roman avait déjà deux atouts pour me plaire : en premier la couverture, un détail du "Printemps" de Botticelli ; en deuxième le lieu de l’action : Florence, une ville que j’aime énormément.
Mais ici, il n’est point question de Florence la magnifique mais plutôt de Florence la maléfique : "Une ville à rhizomes, comme le mal qui renaissait régulièrement de ses entrailles. Mais une ville qui avait imposé la langue Toscane à l'Italie entière.".
En matière de mal, il est question de l’affaire du Monstre de Florence, une série de sept double meurtres ayant eu lieu entre 1968 et 1985  et dont le ou les meurtrier(s) restent inconnu(s) à ce jour.
A noter que le Monstre de Florence a inspiré le personnage d’Hannibal Lecter créé par Thomas Harris.
Mais l’histoire se situe à notre époque et une série de doubles meurtres vient rappeler à tous celle du Monstre de Florence.
Le Monstre est-il revenu ou bien est-ce un imitateur ?
Pour mener l’enquête, Simonetta Greggio met en scène le capitaine des carabiniers Jacopo d’Orto, un homme honnête qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait et qui aujourd’hui est proche de la retraite.
Et puis elle entrecoupe l’enquête par des chapitres consacrés à un professeur d’histoire américaine au lourd passé dont la fille adolescente vient de disparaître (fugue ou enlèvement ?), ou encore par les confessions du mystérieux Légion.
Simonetta Greggio a su créer des personnages forts à la psychologie très fouillée, son Jacopo est attachant par son honnêteté, sa droiture, sa volonté d’enquêter et de faire éclater la vérité au grand jour ; quant à son professeur Américain il traîne derrière lui un lourd passé dont l’écho résonne encore aujourd’hui.
Les personnages masculins sont particulièrement bien mis en avant, j’ai également beaucoup apprécié le personnage féminin secondaire de la médecin/biologiste légiste.
Simonetta Greggio m’avait auparavant déçue avec son style à l’eau de rose, ici il n’en est plus question car elle a recours à un langage cru et n’hésite pas à décrire, et à détailler, des scènes bien gores.
Elle a osé et cela lui a réussi à merveille.
Je ne reprocherai qu’une chose à ce roman c’est sa fin un peu bâclée car trop rapide, quelques questions restent sans réponse, le tout est expédié en quelques phrases et cela a légèrement terni ma bonne impression d’ensemble.
A moins que l’auteur n’ait en tête de réutiliser les personnages dans une autre enquête.
Je suis aussi mitigée sur l'explication donnée au comportement du tueur, en lien avec Charles Manson - qui décidément a suscité l'intérêt chez les écrivains en cette rentrée - et l'assassinat de Sharon Tate.
C'est la seule grosse ficelle dans ce roman qui m'a laissée sceptique.
Je parlais auparavant de la couverture que je trouvais très belle, sachez également qu’elle est très bien choisie mais pour cela il vous faudra lire ce roman, tout comme pour savoir le lien qu’il y a entre l’enquête et une chanson des Beatles.

"Black Messie" est un très bon thriller mené de main de maître par Simonetta Greggio qui m’a permis de me réconcilier avec cette auteur, comme quoi j’ai eu raison de lui laisser une dernière chance.



jeudi 15 septembre 2016

Quoi qu'il arrive de Laura Barnett


En 1958, Eva a dix-neuf ans, elle est étudiante à l'université de Cambridge et amoureuse de David, un acteur follement ambitieux. En chemin pour un cours, son vélo roule sur un clou. Un homme, Jim, assiste à la scène. Que va-t-il se passer ? Ce moment sera déterminant pour leur avenir commun. Un point de départ, trois versions possibles de leur histoire : le roman suit les différents chemins que les vies de Jim et d'Eva pourraient prendre après cette première rencontre. Des vies faites de passion, de trahisons, d'ambition et sous-tendues par un lien si puissant qu'il se renforce au fil du temps. Car, quoi qu'il arrive, Eva et Jim vivront une magnifique histoire d'amour. "Rien n'est parfait", et surtout pas une vie.
C'est ce que va découvrir Eva, dont l'histoire débute en 1958 alors qu'elle a dix-neuf ans.
Elle est étudiante à l'université de Cambridge, elle est amoureuse de David, un acteur ambitieux, mais un beau jour son chemin croise celui de Jim tandis que son vélo roule sur un clou.
Que va-t-il se passer ?
C'est le point de départ, à partir de celui-ci l'auteur va proposer trois versions possibles qu'elle va décliner tout au long de la vie de ces trois personnages. (Les Escales)

"Rien n'est parfait", et surtout pas une vie. C'est ce que va découvrir Eva, dont l'histoire débute en 1958 alors qu'elle a dix-neuf ans. Elle est étudiante à l'université de Cambridge, elle est amoureuse de David, un acteur ambitieux, mais un beau jour son chemin croise celui de Jim tandis que son vélo roule sur un clou. Que va-t-il se passer ? C'est le point de départ, à partir de celui-ci l'auteur va proposer trois versions possibles qu'elle va décliner tout au long de la vie de ces trois personnages.

Le point de départ de ce roman était original, pourtant l'ensemble ne m'a pas totalement convaincue.
Il faut dire que j'ai eu beaucoup de mal pour me repérer dans chaque scénario, je me demandais systématiquement qui était avec qui, qu'elle était la situation d'Eva vis-à-vis de David.
Cela ne m'a donc pas aidée dans ma lecture, j'avais tendance à m'emmêler les pinceaux d'autant que l'auteur ne traite pas toujours des trois scénarios à chaque fois.
Par ailleurs, j'ai trouvé que les scénarios avaient tendance à se ressembler un peu trop, j'aurai aimé un peu plus de diversité car clairement il y avait plus que trois scénarios possibles.
Ou alors ce ne sont pas forcément ces trois-là que j’aurai retenus.
Je n'ai pas non plus trop accroché aux personnages, celui d'Eva est le plus attachant mais ceux de David et Jim sont un ton en-dessous. Il faut dire que celui de David donne envie de lui coller des baffes et celui de Jim par moment donne envie de faire la même chose.
Les hommes n’ont pas forcément une belle image dans ce récit, à l’exception d’un dans un scénario, j’ai l’impression que l’auteur a plus cherché à mettre en valeur son personnage féminin et montrer les aléas qui peuvent être engendrés par la vie de couple.
C'est un premier roman intéressant sur le principe mais qui souffre d'erreurs de jeunesse, je n'ai pas été totalement convaincue par la maîtrise du sujet de la part de l'auteur, il me semble que la structure aurait pu être un peu plus travaillée, ou alors Laura Barnett a été un peu trop ambitieuse par rapport à son idée de départ.
Je lui reconnais toutefois un mérite, la complexité du sentiment amoureux y est bien abordée, tout comme les différents aspects de la vie de couple : "C'est ça la vie de couple, non ? Prendre les roses avec les épines. Du moins, c'est comme ça que ça devrait être.", cela mérite d’être souligné d’autant que l’auteur semble assez jeune, mais cela seul ne suffit pas pour que je revoie ma position.
En somme, ce roman publié ainsi n'est pas complètement abouti de mon point de vue.
Je n'ai pas été follement emballée par l'ensemble, c'est clairement le livre de la sélection Prix Relay que j'ai le moins apprécié.

"Quoi qu’il arrive" est un premier roman de Laura Barnett qui aborde le sentiment amoureux et la vie de couple via trois scénarios dans lesquels on retrouve les mêmes protagonistes, un point de départ original mais qui souffre de faiblesse et de longueurs.

 Livre lu dans le cadre du Prix Relay 2016



mercredi 14 septembre 2016

Par un matin d'automne de Robert Goddard


Fin des années 1990. Leonora Galloway part en France avec sa fille afin de se rendre à Thiepval, près d'Amiens, au mémorial qui honore les soldats - dont de nombreux Britanniques, comme son père - tombés durant la bataille de la Somme, lors de la Grande Guerre. Le 30 avril 1916 est la date officielle de son décès. Or Leonora est née près d'un an plus tard. Ce qui pourrait n’être qu’un banal adultère cache en fait une étrange histoire, des secrets de famille, sur lesquels plane l'ombre d'un meurtre jamais résolu et où chaque mystère en dissimule un autre… Dans ce livre envoûtant, Robert Goddard allie l'atmosphère des plus grands romans anglais à un sens du suspense et de la reconstitution historique remarquables. (Le Livre de Poche)

C'est à la fin de sa vie que Leonora Galloway se décide à raconter la vérité à sa fille sur un secret de famille la concernant et qu'elle a gardé pour elle pendant plusieurs dizaines d'années.
Pour cela, il faut retourner en 1916, durant la Première Guerre Mondiale.
A Thiepval, près d'Amiens, figure sur le monument aux morts le nom de son père et la date de son décès, le 30 avril 1916.
Petit problème, Leonora est née un an plus tard.
Qui était son père ?
C'est ce que propose de raconter à sa fille - donc aux lecteurs - Leonora.

Je ne m'explique pas le classement de ce roman dans la catégorie policier, car il s'agit plus d'une fresque familiale à secret qu'une enquête policière à proprement parler.
En attendant, je qualifierai ce livre de page-turner, il se lit rapidement malgré sa taille car le lecteur finit par être pris dans l’intrigue et n’a qu’une envie : connaître la suite.
Pour ma part j'avais de gros doutes sur le mystère entourant la naissance de Leonora, il s'avère que j'avais raison donc des esprits perspicaces arriveront facilement à deviner ce qui se cache derrière tant de mystère.
Mais, je le redis, l’auteur a été malin et a su créer de nombreux rebondissements, peut-être un peu trop d’ailleurs car par moment l’intrigue aurait gagné à être condensée.
A travers son récit, Leonora arrive bien à reconstituer une époque ainsi que ses conditions de vie dans le manoir familial où l’ambiance est très pesante et où Leonora n’a pas le luxe d’approfondir plus le mystère de sa naissance en des temps troublés : "La vérité est un luxe inabordable en temps de guerre.".
Face à Leonora, il y a Olivia, la jeune épouse de son grand-père qui non seulement le trompe allègrement mais est bien décidée à s'approprier le domaine pour elle et mène la vie dure à Leonora en n’hésitant pas à la rabrouer : "Se réfugier dans le moralisme est bien commode pour dissimuler certaines faiblesses personnelles !".  
Cette femme est un peu le mal personnifié, mais elle n'a toutefois pas l'aura d'une Rebecca.
Les personnages sont très manichéens, soit ils sont gentils soit méchants.
Leonora est un peu trop l'archétype de la pauvre jeune fille brimée et Olivia celui de la marâtre, un peu de nuance n'aurait pas nui à l'histoire, encore moins aux personnages.
Outre des passages un peu longs c’est le deuxième reproche que je ferai à ce roman.
Les personnages ne surprennent pas, dès le début le lecteur a compris que la victime dans l’histoire était Leonora et dès qu’Olivia entre en scène il comprend de même que toute sa souffrance viendra d’elle.
Finalement, j’ai été prise par l’intrigue mais je ne peux pas vraiment dire que je me suis attachée à un personnage en particulier.
Leonora, pour continuer un parallèle avec Rebecca de Daphné du Maurier, n’arrive pas à atteindre l’empathie que suscite la nouvelle Lady de Winter auprès du lecteur.
Il y a beaucoup de retournements de situation, on imagine assez bien cette histoire transposée à l'écran, c'est tout à fait une lecture estivale car elle captive sans faire trop travailler le cerveau.
Par ailleurs, je trouve le choix de la couverture tout à fait excellent, j’aime beaucoup cette photographie.

"Par un matin d’automne" est une lecture qui m’a globalement satisfaite et qui s’est trouvée fort à propos durant mes vacances estivales, à conseiller aux amateurs de fresque familiale Anglaise.

Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices 2016



mardi 13 septembre 2016

Les putes voilées n'iront jamais au paradis ! de Chahdortt Djavann


Ce roman vrai, puissant à couper le souffle, fait alterner le destin parallèle de deux gamines extraordinairement belles, séparées à l’âge de douze ans, et les témoignages d’outre-tombe de prostituées assassinées, pendues, lapidées en Iran. Leurs voix authentiques, parfois crues et teintées d’humour noir, surprennent, choquent, bousculent préjugés et émotions, bouleversent. Ces femmes sont si vivantes qu’elles resteront à jamais dans notre mémoire. 
À travers ce voyage au bout de l’enfer des mollahs, on comprend le non-dit de la folie islamiste : la haine de la chair, du corps féminin et du plaisir. L’obsession mâle de la sexualité et la tartufferie de ceux qui célèbrent la mort en criant « Allah Akbar ! » pour mieux lui imputer leurs crimes. 
Ici, la frontière entre la réalité et la fiction est aussi fine qu’un cheveu de femme. (Grasset)

Dans ce roman, il est question de Soudabeh et Zahra, deux filles magnifiques dont les chemins vont se séparer et qui connaîtront pourtant le même destin : elles deviendront prostituées.
Mais cela, elles ne le savent pas encore lorsqu’elles sont amies en étant plus jeunes.
Mais plutôt que de s’arrêter à ce récit fictionnel sur ces deux héroïnes, l’auteur va aussi compléter son récit avec des témoignages de prostituées qui ont été assassinées.
Certes, ces récits sont eux aussi fictifs, mais les crimes sont eux bien réels.
Car être fille en Iran, c’est plus que l’enfer : "Naître fille dans ce pays est un crime en soi.", et pour être considérée comme une pute il n’y a qu’un infime pas à franchir : "Un rien fait de vous une pute, dans cette contrée. Femme, dès qu'on vous remarque, pour quelque raison que ce soit, vous êtes forcément une pute.".
Alors que des femmes soient assassinées en étant désignées immédiatement comme des prostituées, pour certains c’est bien fait pour elles et inutile d’aller chercher plus loin et surtout pas la vérité : "Qui mènerait ici une enquête digne de ce nom pour une pauvre femme dont la vie ne valait que la moitié de celle d'un homme ? Déjà que la vie d'un homme ne valait pas grand-chose.".

Ceci n’est pas une fiction, Chahdortt Djavann part de faits réels : dans plusieurs villes d’Iran et depuis plusieurs années des femmes sont retrouvées assassinées sans que cela émeuve qui que ce soit dans la population.
Et c’est à travers le prisme de la fiction que l’auteur va dénoncer plusieurs choses : que le système islamique contrôle tout, que le voile est une prison pour les femmes, que les hommes les asservissent ainsi et les utilisent pour assouvir leurs frustrations, particulièrement sexuelles.
Car ne soyez pas étonnés, mais dans un pays tel que l’Iran la prostitution est omniprésente : "Ici, sur cette terre sacrée de l'islam, souillée pourtant par le péché, Shéhérazade et ses mille et une nuits de fables se muent en une seule nuit et mille et une fornications.", à tous les coins de rue et ce malgré les tchadors : "Tâche ardue et contradictoire. Elles portent le hijab le plus sévère et parviennent à se prostituer sans montrer la plus infime parcelle de leur corps. Du grand art !".
Il ne faut point juger ces femmes, bien souvent la prostitution est le seul recours qu’elles ont, dans un pays où le chômage explose tout comme le trafic de drogue.
Chahdortt Djavann a placé la femme au cœur de son récit, et montre à quel point il est difficile, pour ne pas dire sans issue, de naître tout simplement femme dans certains pays : "Habiter un corps de femme, dans l'immense majorité des pays musulmans, est en soi un une faute.".
Elle n’hésite pas à dénoncer de façon percutante l’hypocrisie des islamistes qui asservissent ainsi les femmes tout en se parant du voile de l’innocence et du droit divin.
Difficile de ne pas être bouleversée par ce texte, ni dérangée par la puissance des mots qui frappent toujours justes.
Par moment ce récit m’a mis mal à l’aise, le dégoût m’a entièrement envahie et bien souvent j’ai été au bord de la nausée, parce que ce que je lisais dépassait tout ce que j’avais jamais pu (naïvement) imaginer sur le sujet.
Et c’est sans doute la plus grande force de ce récit, l’uppercut qu’il déclenche à chaque phrase ou presque, parce que de temps à autre cela fait du bien de s’en prendre en pleine figure avec une lecture.

Si "Les putes voilées n’iront jamais au paradis !" tant mieux pour elles, et pour toutes les autres femmes, car ce n’est point un paradis qui leur est promis mais un enfer pur et simple qui commence sur terre, quel formidable roman de Chahdortt Djavann.


lundi 12 septembre 2016

Charlie et le grand ascenseur de verre de Roald Dahl


Woush! Dans le grand ascenseur de verre, Willy Wonka, Charlie Bucket et sa famille survolent la chocolaterie ! Ils voient le monde en bas mais ils ne sont pas seuls : le premier hôtel spatial a ouvert. Et les bêtes les plus méchantes, les plus vindicatives, les plus meurtrières de tout l'univers y rôdent : les Kpoux Vermicieux. Alors accrochez bien vos estomacs et vos chapeaux ! Seuls Charlie et Willy Wonka peuvent empêcher les Kpoux de tout détruire. (Gallimard Jeunesse)

Souvenez-vous, Charlie venait de remporter le grand prix de la loterie organisée par Willy Wonka, à savoir sa chocolaterie, il avait embarqué avec toute sa famille et Willy Wonka dans un grand ascenseur de verre.
Mais une mauvaise manœuvre va projeter l’ascenseur dans l’espace, ce sont alors de nouvelles aventures extraordinaires qui attendent nos héros : "Charlie, mon garçon, lui dit-il, nous avons vécu de drôles d'aventures ensemble, mais jamais rien de pareil !".

Je suis plus partagée sur la suite des aventures de Charlie car si le côté fou est toujours présent il m’a moins fait rêver que précédemment.
Déjà parce que l’action se passe dans un lieu restreint : l’ascenseur de verre, mais aussi parce que l’histoire est plus simple que précédemment.
Certes, l’espace est peuplé des Kpoux, des créatures monstrueuses qui ont décidé de s’en prendre à une station spatiale et à l’ascenseur de verre : "Parce que ces êtres, cher petit ignorant, sont les bêtes les plus méchantes, les plus vindicatives, les plus venimeuses, les plus meurtrières de tout l'univers.", mais c’est, de mon point de vue, moins excitant que la visite de la chocolaterie.
Tout comme la partie concernant le Forti-Wonka et la Terre des Moins après le retour sur terre, je n’ai pas compris ce que cet épisode venait faire là.
En somme, j’ai trouvé nettement moins d’intérêt dans cette suite et pour tout dire je m’y suis quelque peu ennuyée.

"Charlie et le grand ascenseur de verre" fut une déception, je préfère oublier cette suite et ne garder à l’esprit que les premières aventures de Charlie qui sont nettement plus réussies et intéressantes.


dimanche 11 septembre 2016

Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl


Willy Wonka est le plus grand inventeur de chocolat de tous les temps. Et savez-vous qui est Charlie ? Charlie Bucket est le héros de cette histoire. Il y a quatre autres enfants dans ce livre, d'affreux petits garnements, nommés Augustus Gloop (goinfre), Veruca Salt (gâtée), Violette Beauregard (mordue de chewing-gum) et Mike Teavee (obsédé par la télé). Les voilà qui arrivent avec leurs tickets d'or, à la chocolaterie Wonka ! Quels secrets vont-ils découvrir ? (Gallimard Jeunesse)

* Générique musical : "Willy Wonka, Willy Wonka / The amazing chocolatier / Willy Wonka, Willy Wonka / Everybody give a cheer" *

Charlie Buckett vit pauvrement dans une petite maison avec ses parents et ses quatre grands-parents qui n’ont plus bougé du lit depuis des dizaines d’années : "La maison était beaucoup trop petite pour abriter tant de monde et la vie y était tout sauf confortable.".
Dans la famille de Charlie on est pauvre, mais on a de l’amour et des principes, aussi Charlie est un petit garçon très bien élevé, gentil, attentionné et pas envieux pour un sou.
Quand il apprend que le fantasque et génial chocolatier Willy Wonka, que personne n’a plus vu depuis des années et dont la chocolaterie fonctionne mystérieusement sans qu’aucune personne n’y entre ou n’en sorte, organise une loterie pour accueillir et faire visiter son usine à cinq enfants accompagnés d’un ou deux adultes il décide de tenter sa chance et de trouver lui aussi un ticket d’or caché dans l’emballage d’une tablette de chocolat.
Charlie a raison de croire en sa bonne étoile, car la chance va lui sourire et c’est accompagné de son grand-père Joe qu’il va pénétrer la mystérieuse chocolaterie de Willy Wonka, dans laquelle d’autres surprises l’attendent … .

Oui, j’ai vu l’adaptation cinématographique de Tim Burton ; non, je n’avais pas lu l’œuvre de Roald Dahl.
Je me suis dit qu’il était temps, d’autant que cela faisait longtemps que je n’avais pas lu de Roald Dahl.
Ce livre pour enfants est un véritable bonheur, il y a à la fois la magie et le mystère de la chocolaterie, la folie de Willy Wonka mais aussi une belle morale de fond.
Face à Charlie se trouvent quatre enfants pourris/gâtés qui vont connaître bien des mésaventures durant la visite, et tant mieux pour eux !
Willy Wonka est totalement fou, voire par moment inconscient, il faut dire qu’à force de vivre reclus dans son usine il n’a plus l’habitude de côtoyer des adultes, encore moins des enfants.
Car ses seuls compagnons sont de petits être farceurs et travailleurs, qui adorent pousser la chansonnette régulièrement : les Oompas-loompas.
Lu avec des yeux d’adulte, ce roman s’avère quelque peu moralisateur, mais le message passe plutôt bien et je ne l’ai pas trouvé rébarbatif.
Charlie est l’incarnation de l’enfant parfait, tandis que les quatre autres illustrent un vice (la gloutonnerie par exemple).
Les adultes ne sont pas en reste et j’ai beaucoup aimé le personnage de grand-papa Joe ainsi que les parents de Charlie.
Je suis un peu plus partagée sur le personnage de Willy Wonka que j’ai eu du mal à cerner, d’autant que s’imposait systématiquement à moi la vision de Johnny Depp pour incarner ce personnage, alors que celui du roman diffère quelque peu de celui présenté dans le film de Tim Burton.
L’histoire racontée est universelle et ne vieillit pas, je comprends parfaitement qu’elle ait pu faire l’objet de deux adaptations cinématographiques car le récit prête à l’imaginaire avec quelques illustrations qui ponctuent la narration.
J’ai beaucoup aimé cette lecture divertissante, je suis retombée en enfance et c’est avec plaisir que j’ai retrouvé cet auteur dont j’avais beaucoup apprécié le "Sacrées sorcières" plus jeune.

"Charlie et la chocolaterie" est un beau roman qui comblera petits et grands par la magie qui s’en dégage.


samedi 10 septembre 2016

Délivrez-moi ! de Jasper Fforde


Après avoir sauvé Jane Eyre des contrefaçons, Thursday Next, détective littéraire, bénéficie d’un repos bien mérité. Elle a aussi retrouvé l’homme de ses rêves, Landen, et comme un bonheur n’arrive jamais seul, la voilà enceinte ! Mais le groupe Goliath ne l’entend pas de cette oreille et décide d’éradiquer son mari de la réalité. Lutte de haut vol et entraînement très spécial, Thursday est prête à tout pour sauver Landen et reprendre ses voyages à l’intérieur des chefs-d’oeuvre de la littérature. (10/18)

Quelques mois après les évènements de "L’affaire Jane Eyre", la fameuse détective littéraire Thrusday Next coule des jours paisibles avec son cher et tendre mari Landen Parke-Laine.
Jusqu’au jour où son père, pour rappel un Chronogarde hors-la-loi, débarque et lui annonce que la fin du monde est proche et qu’il a besoin d’elle pour éviter que cela n’arrive – qu’un flot de crème-glacée suite à la perte de contrôle d’une invention de son oncle Mycroft ne submerge le monde : "Le 12 décembre à 20 heures 23, à une ou deux secondes près, tous les organismes vivants - plantes, insectes, poissons, oiseaux, mammifères et les trois milliards d'êtres humains qui peuplent la planète - vont commencer à se transformer en ça.".
Le hic, c’est qu’outre la fin du monde, Thrusday est aussi poussée par le Groupe Goliath à libérer le terrible Jack Maird qu’elle a enfermé dans "Le corbeau" d’Edgar Allan Poe à la fin du précédent ouvrage, car Thrusday a le don d’entrer dans les livres, un don qui lui permet à la fois de garder la vie sauve mais aiguise aussi la convoitise du Groupe Goliath : "Ecoute-moi : cette petite pute vaut potentiellement des milliards.".
Pour cela, le Groupe Goliath n’hésite pas à éradiquer le mari de Thrusday (i.e. le faire disparaître purement et simplement).
Mais ce que le Groupe Goliath ignore, c’est que Thrusday se souvient de son mari car elle est enceinte, et surtout qu’elle ne va pas se laisser faire et va pour cela rejoindre la Jurifiction en tant qu’apprentie de Miss Havisham (Cf. Les grandes espérances de Charles Dickens) pour y développer son don naturel et trouver ainsi le moyen de sauver le monde et faire revenir son mari.

La vie de Thrusday Next n’est décidément pas de tout repos, à peine le temps de se remettre de ses émotions que c’est reparti pour un tour, le Groupe Goliath n’hésitant jamais à faire un sale coup.
Et bien évidemment, à chaque fois non seulement Thrusday trinque mais aussi les livres.
Décidément, j’adore cette série mélangeant l’uchronie et l’humour et dont les références littéraires sont nombreuses.
C’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé la pétillante Thrusday Next, et c’est avec tristesse que j’ai partagé avec elle les nombreux coups durs lui arrivant dans ce deuxième tome.
J’ai toujours une petite appréhension avant de lire un Jasper Fforde : celle de savoir si ça va me plaire et si je vais arriver à suivre et à tout comprendre.
C’est bête car ce n’est jamais le cas et je passe toujours un bon moment, même si je ne connais pas tous les personnages de la littérature j’en reconnais bon nombre et j’aime décidément beaucoup le principe développé par l’auteur dans cette série, à savoir la possibilité de voyager dans les livres et de donner vie aux personnages de fiction.
Outre la redoutable Miss Havisham, que je n’ai pas eu le bonheur de croiser au cours d’une lecture, le chat du Cheshire, que j’ai par contre croisé, apporte une dimension comique à l’intrigue qui n’a pourtant rien de drôle, en tout cas pour Thrusday.
C’est très enlevé, c’est pétillant, il y a toujours des rebondissements, Jasper Fforde a non seulement créé une héroïne très attachante mais également un univers parallèle fort riche.
Quel bonheur de lire cette suite, de retrouver Thrusday Next ainsi que l’univers original créé par Jasper Fforde.

Je n’aurai qu’un seul mot en guise de conclusion : la suite, la suite !


vendredi 9 septembre 2016

Kinderzimmer de Valentine Goby


En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout. (Actes Sud)

Décidément, après "L’antilope blanche" Valentine Goby a le chic de rendre hommage sous forme romancée à des personnages ou des lieux ayant existé.
Ici, il est question de la Kinderzimmer, littéralement la Chambre des enfants, du camp de concentration de Ravensbrück.
Car dans ce camp en 1944 on ne fait pas qu’y mourir, on y naît aussi.
Pourtant, lorsque Mila, personnage fictif dont il s’agit du nom de résistante, y arrive elle ne le sait pas, pour elle il n’y a que deux possibilités : la survie ou la mort : "L'inconnue est la même depuis l'entrée au camp : tu survis, ou tu y meurs. A Ravensbrück l'Allemagne a droit de vie et de mort sur toutes choses. Et aussi, et contre ça tu ne peux lutter à coups de mitraille et de phosphore, il y a : la maladie, le froid coupant, la faim. Une guerre dans la guerre.".
Mais Mila découvre qu’elle est enceinte, et parce que certaines femmes mises au courant le lui ont conseillé elle va se taire et ne rien dire, jusqu’à l’accouchement, et la découverte de cette Kinderzimmer où son nouveau-né va se retrouver avec d’autres, dans des conditions déplorables.
Mila a survécu, son enfant aussi, aujourd’hui elle raconte son histoire incroyable face à des élèves : "Elle parle. Phrase après phrase elle va vers l'histoire folle, la mise au monde de l'enfant au camp de concentration, vers cette chambre des nourrissons du camp dont son fils est revenu vivant, les histoires comme la sienne on les compte sur les doigts de la main.", mais paradoxalement elle sait aussi qu'elle ne pourra jamais dire exactement ce que c’était, que cela restera un secret enfoui en elle : "Elle sait qu'elle va porter Ravensbrück comme elle a porté son enfant : seule, et en secret.".

Valentine Goby n’a pas inventé, il y a bien eu des naissances à Ravensbrück, une Kinderzimmer dont la puéricultrice a été Marie-Josée Chombart de Lauwe, et bien que leur existence ait été éphémère sur 522 nouveau-nés 31 ont survécu, dont 3 Français.
C’est un roman à la fois grave et lumineux que signe Valentine Goby, sous couvert de personnages de fiction elle rend hommage et contribue à mettre en lumière ces femmes qui ont œuvré à la Kinderzimmer, celles qui y donnaient la vie, bien souvent les mêmes qui luttaient pour que ces enfants survivent mais aussi les autres femmes qui aidaient à leur façon ces mères.
Mila n’est pas seule, au début il y a cette amie membre de sa famille avec qui elle a été arrêtée, et puis quand celle-ci meurt il y a une autre détenue qui se propose de l’aider dans sa grossesse et par la suite, pour une raison bien précise, sans doute la seule valable en ce lieu : "Une raison de vivre.".
Inimaginable ou presque que dans un tel lieu de déshumanisation et de mort la vie y ait vu le jour.
L’auteur à travers Mila raconte l’horreur du camp et les conditions de vie insalubres : "Les jambes purulent, les vieilles prisonnières s'éclipsent dans des camions bâchées, la cochonnerie marche en colonne, va et vient, chie, dort, meurt, chante, fantasme des festins de temps de paix, attend sans borne et sans motif." ; mais aussi l’autre aspect de ce camp, celui quasi incroyable dans lequel la Vie a vu le jour.
C’est un roman extrêmement dérangeant car bien souvent on a l’impression de lire une fiction, mais non, car une fois la lecture finie il suffit de faire quelques recherches sur internet ou en bibliothèque pour que la vérité éclate : si les personnages sont fictionnels le fond de ce roman ne l’est pas.
Et c’est ce qui le rend encore plus bouleversant et poignant.
Et une nouvelle fois dérangeant, mais dans une autre mesure.
Ce roman, c’est à la fois l’ombre et la lumière, la mort et la vie, l’horreur et le bonheur, toujours à la limite de la nausée sans doute parce que les extrêmes les plus forts s’y côtoient et s’y marient, et une nouvelle fois un roman à part sur la déportation.

"Kinderzimmer" de Valentine Goby est un roman fort, dérangeant, qui met mal à l’aise, dans lequel suintent le désespoir et l’horreur et où la noirceur la plus sombre est toutefois illuminée d’une lumière d’espoir, celle de la Vie. En somme, un roman paradoxal où les sentiments les plus extrêmes se côtoient, se heurtent et se mélangent.