mercredi 26 avril 2017

The Young Lady de William Oldroyd

     
     

1865, Angleterre rurale. Katherine mène une vie malheureuse d’un mariage sans amour avec un Lord qui a deux fois son âge. Un jour, elle tombe amoureuse d’un jeune palefrenier qui travaille sur les terres de son époux et découvre la passion. Habitée par ce puissant sentiment, Katherine est prête aux plus hautes trahisons pour vivre son amour impossible. (AlloCiné)


A lire le résumé de cette Katherine (Florence Pugh), femme menant une vie malheureuse dans un mariage sans amour avec un mari deux fois plus âgé qu’elle et découvrant l’amour dans les bras de Sebastian (Cosmo Jarvis), le palefrenier, on se dit que l’on va voir une nouvelle variation de L’amant de Lady Chatterley.
Et comme cela se passe dans l’Angleterre rurale du dix-neuvième siècle, peut-être que c’est une "Lady Chatterley" mâtinée des "Hauts de Hurlevent", avec un tel prénom (à une lettre différente) le raccourci est simple.
Et bien que nenni !
Oubliez Lady Chatterley et son homme des bois, oubliez Katherine hurlant après son Heathcliff dans la lande, car cette Lady, mesdames et messieurs, elle va vous laisser sur les fesses, sans vilain jeu de mots.


Le film s’ouvre sur la scène du mariage à l’église.
Oh, quelle oie blanche, se dit-on.
Puis vient la nuit nuptiale, avec un mari aux mœurs quelques peu étranges dans la chambre conjugale.
Pauvre oie blanche, se dit-on.
Vient ensuite les repas de famille, sinistres, entre son mari dont le comportement ne s’arrange pas et son beau-père qui la rabaisse en permanence.
Décidément, pauvre petite oie blanche toute fragile, se dit-on.
Le mari part, le beau-père aussi, Katherine se retrouve seule à passer les après-midis assise dans un canapé, ses jupons étalés, jusqu’à ce qu’elle intervienne dans les écuries, suite à une mauvaise plaisanterie à l’égard de sa servante, pesée tel un cochon, et qu’elle découvre l’existence de Sebastian, le nouveau palefrenier.
Là, on commence à se dire que la petite oie blanche s’émoustille.
Très vite elle relève ses jupons et découvre le plaisir charnel.
Et là, le spectateur découvre un tout nouveau visage à cette oie blanche, qui au final est loin d’être blanche, et surtout ange.
Car la Lady, pour pouvoir vivre son histoire d’amour tranquille, elle va basculer dans le meurtre : son beau-père, son mari, et je n’en dirai pas plus.
De femme soumise elle se transforme en femme dominatrice, et perverse, jusqu’à la moelle.


Comment dire … je ne m’attendais tellement pas à cela.
Je me doutais bien que je n’allais pas voir qu’une Lady Chatterley, disons que le message d’avertissement y contribue, mais j’étais loin, bien loin d’imaginer jusqu’à quel degré de perversité et de manipulation j’allais tomber.
Enfin, pas moi personnellement, mais cette fameuse Young Lady.
Pour tout dire, je crois bien ne pas être la seule à avoir été surprise, preuve en sont les petits rires nerveux lors de certaines scènes par d’autres spectateurs.
Parce que c’est tellement horrible, parce que l’on se demande jusqu’où elle va bien pouvoir aller, et que l’on a l’espoir secret qu’elle va finir par s’arrêter à un moment donné, qu’elle a bien un cœur, une âme.
Autant vous dire que l’oie blanche a littéralement explosé en plein vol, si tant est qu’il y ait eu un jour une oie blanche.
A voir la mise en scène, il est aisé de deviner que le réalisateur vient du milieu du théâtre.
La quasi intégralité de l’action se situe en milieu clos : la maison ; tout est parfaitement millimétré et cadré, notamment les nombreuses scènes où Katherine est assise au beau milieu d’un canapé.
La mise en scène est un véritable régal et est l’un des atouts majeurs de ce film. Outre une théâtralité dans le cadrage, les scènes le sont également, avec une femme qui va passer de dominée à dominatrice et reproduire les actes de son mari à l’égard de ses domestiques pour s’en faire obéir et asseoir son pouvoir.
Belle réflexion sur la condition des femmes au dix-neuvième siècle, au passage. L’autre aspect qui m’a fortement marquée, et séduite, c’est la quasi absence de musique, rien à part des sons naturels, et autant vous dire qu’un générique final sans un son est assez impressionnant et en parfaite continuité avec l’atmosphère du film.
Mais la révélation, le talent incontestable de ce film, c’est l’actrice Florence Pugh incarnant Katherine.
Elle est jeune, mais quel jeu ! Quelle prestance ! Quelle présence !
 Elle illumine le film par son jeu qui est impressionnant et saisissant de justesse.
Et dire qu’elle est encore toute jeune dans la profession, et bien je lui promets un bel avenir, elle m’a bluffée et laissée sans voix (et pour ceux qui me connaissent, ce n’est pas si aisé).
Tout cela m’a rendue fort curieuse de lire l’œuvre dont est tiré ce film : "Lady Macbeth du district de Mtsenk" de Nikolaï Leskov.


"The Young Lady" est un film saisissant jouissant d’une mise en scène remarquable et d’une actrice éblouissante, l’un des films les plus forts de ce printemps 2017.

lundi 17 avril 2017

Orpheline d'Arnaud des Pallières

     
     

Portrait d’une femme à quatre âges de sa vie. Petite fille de la campagne, prise dans une tragique partie de cache-cache. Adolescente ballottée de fugue en fugue, d’homme en homme, puisque tout vaut mieux que le triste foyer familial. Jeune provinciale qui monte à Paris et frôle la catastrophe. Femme accomplie enfin, qui se croyait à l’abri de son passé. Quatre actrices différentes incarnent une seule et même héroïne. (AlloCiné) 


Renée (Adèle Haenel) est une directrice d’école comblée, entre son travail, son compagnon Darius (Jalil Lespert) et un bébé à venir après avoir été tant désiré. Mais tout bascule quand une femme fatale, Tara (Gemma Arterton), sort de prison et débarque dans sa salle de classe.
Un fantôme du passé resurgit, et bientôt c’est la police qui débarque au domicile de Renée, pour arrêter une Karine.
Car en réalité, Renée c’est Karine.
Sandra (Adèle Exarchopoulos) est une jeune provinciale débarquée à Paris, entretenue par Maurice (Sergi Lopez) et qui vient de répondre à l’annonce d’un vieil homme cherchant une fille pour l’aider dans son travail. Sandra découvre le monde hippique, ainsi qu’une superbe femme évoluant dans ce domaine et nommée Tara, joue de ses charmes et de son corps, auprès des hommes qui la protègent, la nourrissent, mais aussi des femmes.
Sandra frôle la catastrophe lors d’un coup monté, mais c’est Tara qui part emmenée par les policiers, pas elle.
Car en réalité, Sandra c’est Karine.
Karine (Solène Rigot) a treize ans, et mieux vaut fuir le foyer familial, se perdre dans les boîtes de nuit et offrir son corps à beaucoup d’hommes plutôt que de subir la violence de son père.
Aux gendarmes qui l’interrogent après une énième fugue, elle répond qu’elle agit ainsi parce que "Je suis pas heureuse".
 Car à cette époque-là, Karine se fait encore appeler Karine.
Kiki (Vega Cuzytek) est une petite fille de la campagne assistant à la mort du couple formé par ses parents et prise dans une tragique partie de cache-cache où le doute plane sur sa réelle culpabilité.
Car en réalité, Kiki c’est Karine.


Un seul et même personnage et quatre actrices pour l’interpréter à des pages différents, tel est le postulat de départ du nouveau film d’Arnaud des Pallières.
Ce procédé a également été utilisé récemment dans le film "Moonlight".
J’ai énormément apprécié la construction à rebrousse-temps qui permet de bien saisir toute la complexité du personnage et l’origine de son mal être qui finit par la rattraper.
Sans cela, je crois bien que le personnage de Karine nous serait resté une énigme, pour ne pas dire antipathique.
Une fois que le réalisateur a fini de plonger dans le passé de son personnage, il revient au présent et j’ai bien senti venir la fin.
D’ailleurs, une autre fin était-elle possible ?
Mon intérêt pour ce film s’est éveillé dès la bande annonce qui est assez intrigante et réussit à ne pas en dire trop tout en donnant envie de creuser dans le passé de cette femme.
Et je dois reconnaître qu’elle m’a touchée cette femme, beaucoup.
Elle n’a pas eu une vie facile, elle a réussi à s’en sortir, à peu près, mais la voilà rattrapée par son passé.
C’est là l’une de ses plus grosses erreurs, croire que l’on peut tirer un trait définitif sur son passé.
D’un autre côté, je ne cautionne pas non plus tout son comportement.
La Karine adolescente et jeune adulte peut déstabiliser le public par son comportement, voire le mettre mal à l’aise.
A ces deux âges, elle joue de ses charmes et fait commerce du sexe.
 Elle est crue, elle est limite vulgaire, elle n’a pas froid aux yeux, quelle image bien éloignée de cette du début de la respectable directrice d’école.
Si certains reprochent que ces deux âges sont moyennement traités et n’apportent pas grand-chose à l’histoire, je ne suis pas totalement d’accord avec eux.
Ils montrent une Karine au paroxysme de sa sensibilité, qui se fait surtout du mal à elle-même mis qui a pourtant quelques principes comme celui de ne pas toucher à la drogue.
C’est une jeune fille qui découvre le monde à travers la sexualité.
Mais c’est aussi un personnage en fuite permanente et qui ne cesse de changer d’identité tout au long de sa vie.
Quant à la Kiki jeune, j’ai trouvé un tout petit peu dommage que cette partie soit plus courte que les autres car elle dégage une puissance émotionnelle grâce à l’utilisation astucieuse de l’ellipse.


Outre la réalisation d’Arnaud des Pallières, particulièrement réussie à mon goût, ce film brille évidemment par son excellent casting.
Les quatre actrices interprétant Karine sont à la fois différentes mais tout aussi bien choisies pour interpréter ce personnage à différents âges de sa vie.
Et qu’importe si Solène Rigot a plus que treize ans, elle m’a fait penser à la Lolita du clip de Laurent Boutonnat dans sa façon d’être, et de façon plus générale à la Lolita de la chanson "Moi Lolita".
 J’ai un peu honte de le dire, mais Adèle Haenel je ne l’ai vue que dans "L’Apollonide : souvenirs de la maison close", et j’ai eu du mal à la replacer dans son personnage, je regrette car j’ai (re)découvert une excellente actrice.
Quant à Adèle Exarchopoulos, révélation de "La vie d’Adèle", j’ai été ravie de retrouver cette actrice dont je trouve qu’elle a un jeu très animal qui colle toujours à la perfection avec ses personnages.
Si je n’apprécie que très moyennement le jeu de Nicolas Duvauchelle, il me faut dire que les rôles de salaud lui vont particulièrement bien.
Ça tombe bien, puisque c’est le cas ici.
Les chansons coupant les différentes époques ont aussi toute leur importance.
Et même si j’ai battu mon record d’affluence dans une salle pour ce film – nous étions deux en tout et pour tout – je ne regrette absolument pas car plusieurs jours après son côté sauvage m’interpelle encore.


"Orpheline" d’Arnaud des Pallières est un film aussi puissant qu’émouvant retraçant le parcours chaotique d’une femme en perpétuelle fuite en avant, un film intrigant à ne pas manquer ce printemps au cinéma.


     
     

     
     

samedi 15 avril 2017

Player One d'Ernest Cline


2044. La Terre est à l’agonie.
Comme la majeure partie de l’humanité, Wade, 17 ans, passe son temps dans l’OASIS – un univers virtuel où chacun peut vivre et être ce qui lui chante. Mais lorsque le fondateur de l’OASIS meurt sans héritier, une formidable chasse au trésor est lancée : celui qui découvrira les trois clefs cachées dans l’OASIS par son créateur remportera 250 milliards de dollars ! Multinationales et geeks s’affrontent alors dans une quête épique, dont l’avenir du monde est l’enjeu. Que le meilleur gagne… (Pocket) 

Player One Ready

* générique musical de pacman *

On insère la pièce dans la fente, on tape son nom, on choisit son personnage, le fond musical se déclenche et c’est une nouvelle partie du jeu qui commence.
Sauf que là, on parle d’une formidable chasse à l’œuf à travers le monde entier dans l’univers virtuel de l’OASIS : "L’Ontologie anthropocentrique stimulée, immersive et sensorielle, ou OASIS, était immense.", car le fondateur de ce monde, James Halliday, vient de mourir sans héritier et il a légué une petite fortune à qui réussira en premier à découvrir les trois clés qu’il a cachées dans l’OASIS.

Ce roman de science-fiction est raconté à la première personne du singulier, par Wade, 17 ans : "Je n’étais qu’une de ces âmes tristes, perdues et solitaires qui gâchaient leur vie en la consacrant à un vulgaire jeu vidéo.", alias Parzival dans l’OASIS.
Le monde a connu quelques bouleversements, dont une crise économique et énergétique, si bien que comme l’explique Wade : "Nous étions à l’aube d’une ère nouvelle : la majeure partie de l’espèce humaine passait désormais tout son temps libre à l’intérieur d’un jeu vidéo.", et que "A l’intérieur de l’OASIS, les choses avaient la même valeur que dans le monde réel (parfois plus), et on ne pouvait pas les acheter avec des tickets de rationnement.
Les crédits OASIS étaient la devise du royaume, et aussi, en ces temps troublés, l’une des monnaies les plus stables du monde : elle dépassait le cour du dollar, de la livre, de l’euro et du yen.".
OASIS, ce seul nom me rappelle une boisson sucrée, et vous allez voir que ce n’est pas la seule référence aux années 80.
Ce roman en est truffé : des références musicales, cinématographiques ainsi qu’aux jeux vidéos des années 80.
Et comme je ne suis pas une véritable gamer, autant vous dire que toutes ces références ne m’ont pas parlé, mais je suis fière d’en avoir reconnu quelques-unes, ma préférée étant bien évidemment celle à Blade Runner.
C’est un livre à destination des geeks, mais pas que.
Comme tout livre de science-fiction, il part du postulat qu’un évènement est survenu et a changé le cours des choses.
Ici, les humains ont fini par épuiser les ressources naturelles et vivent aux abords des grandes villes dans des mobil-homes empilés les uns sur les autres.
D’un côté, il y a donc le monde réel, sombre, violent, en train de se perdre et de se consumer, géré par quelques multinationales.
Et de l’autre, celui de l’OASIS, où chacun est ce qu’il a envie d’être, tant sur le plan psychique que psychologique.
La première dérive d’un tel monde saute aux yeux : la perte des contacts humains.
Wade est un garçon isolé, pas très bien dans sa peau, qui passe son temps dans l’OASIS où il enchaîne les succès et les amitiés, bref tout virtuel et rien réel. Comme d’autres, il se lance dans la chasse à l’œuf organisée par James Halliday, dont le nom d’avatar est Anorak, ce qui n’a cessé de me faire sourire durant toute ma lecture et penser au sketch de Dany Boon.
Il faut déchiffrer des énigmes, réussir des jeux, réciter des répliques de films cultes, WOW, ai-je envie de dire, quelle partie !
 Le livre démarre bien, après des explications longues mais nécessaires pour connaître et comprendre les tenants et les aboutissants de ce monde, de la tension et du suspens se mettent en place, si bien que le lecteur est piqué par la curiosité.
Puis Wade trouve le premier portail, et là période de relâchement et de flottement, tant pour le personnage que pour l’intrigue et pour le lecteur.
Il ne se passe pas grand-chose, Wade se repose sur ses lauriers, le hic c’est que l’auteur aussi, et qu’il faut attendre un petit moment pour que l’histoire se relance et retrouve l’intérêt du début.
Bon, et là encore je vais chouiner un tantinet, mais j’ai trouvé la fin un peu trop précipitée, j’aurai apprécié que l’auteur prenne un peu plus le temps (pour être tout à fait honnête, on n’était plus à quelques pages près).
Et en toute honnêteté, ça n'est pas non plus une écriture à la Proust.
Sinon j’ai trouvé cette lecture quelque peu originale pour de la science-fiction et j’ai passé un bon moment.
Et pour conclure, Steven Spielberg va adapter ce roman au cinéma en 2018, tout un programme !

Game Over

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices

mercredi 12 avril 2017

L'autre côté de l'espoir d'Aki Kaurismäki

     
     
Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile. (AlloCiné)


Khaled (Sherwan Aji) a fui la Syrie et s'est retrouvé complètement par hasard à bord d'un cargo à destination de la Finlande.
Après que sa demande d'asile ait été rejetée, il décide toutefois de rester clandestinement, notamment grâce à l'aide de Mazdak (Simon Al-Bazzon), un réfugié Irakien.
C'est alors qu'il croise là aussi par hasard la route de Wikström (Sakari Kuosmanem), ancien représentant de commerce ayant quitté sa femme alcoolique pour ouvrir un restaurant.
Ce dernier, ainsi que le reste du personnel du restaurant, prend Khaled sous son aile et l'aide à obtenir des (faux) papiers ainsi que faire venir sa sœur Miriam (Niroz Haji) dont il a été séparé au cours de leur fuite.


Ce n'est pas vraiment le pitch du film qui m'a incité à aller le voir, j'y ai plus été en quasi aveugle portée par les bonnes critiques.
D’Aki Kaurismäki j’ai déjà vu … rien.
Rien, jamais entendu parler jusqu’à présent, et pour tout dire, j’ai la désagréable impression d’être passée à côté d’un réalisateur.
Parce que son nouveau film, après six ans de silence, mérite grandement tous les éloges qui en sont faits.
Avec son film, Aki Kaurismäki cherche à changer le regard que nous avons, nous européens, sur les réfugiés arrivant en Europe depuis quelques années.
Pour cela, il propose de suivre le parcours de deux hommes qui quittent tout au même moment pour une nouvelle vie : l’un débarque d’un cargo couvert de suie tandis que l’autre quitte femme et travail stable pour reprendre en gestion un restaurant fatigué.
Il y a un côté kitch et désuet dans ce film qui m’a beaucoup plu, il n’y a d’ailleurs qu’à voir le restaurant de Wikhström pour comprendre.
Il y a aussi, et c’est surprenant car je ne m’y attendais pas, un humour assez féroce voire cynique.
Ce qui permet d’atténuer le drame dont il est question autant que le renforcer.
Certains passages sont à la limite des scènes cultes, je garde un souvenir particulièrement vivace des sushis aux harengs fumés parce qu’il n’y a plus de saumon.
Ou encore de la tirade de Khaled sur le chien avec qui il a dû rester enfermé dans les toilettes le temps de l’inspection des services d’hygiène.
Voilà un film qui mêle intelligemment la comédie, le burlesque, le drame et le social.


La mise en scène est intéressante dans sa construction et apporte beaucoup au film.
La musique joue également un rôle important, certains thèmes sont rock, d’autres country et d’autres lents, les paroles des chansons font toujours écho à la situation des personnages.
C’est aussi l’un des éléments qui fait que j’ai apprécié ce film.
Néanmoins, je trouve que l’on met un peu trop de temps à croiser les deux personnages.
Le spectateur sent venir la rencontre mais elle tarde, elle se fait désirer, sans doute un peu trop.
J’ai également noté un creux dans le milieu du film, pas assez de rythme sans doute dû au fait que les deux héros ne se sont pas encore croisés et qu’il ne se passe plus grand-chose de nouveau dans leur vie.
J’ai même cru que j’allais lâcher le film à ce moment-là et je commençais à m’interroger sur toutes les louanges que j’avais entendues.
Fort heureusement le réalisateur réussit à rebondir et à relancer la dynamique dans son film qui s’avère au final être un drame réaliste comme il s’en passe tous les jours des dizaines sous nos yeux et que nous refusons bien souvent volontairement de voir.
Pour l’anecdote, l’acteur Sherwan Haji a, comme son personnage, fui la Syrie il y a quelques années pour se réfugier en Finlande où il a pu reprendre son métier d’acteur.


"De l’autre côté de l’espoir" est un film humaniste signé par un réalisateur qui a su éveiller ma curiosité et dont je vais certainement découvrir les autres œuvres.


     
     

dimanche 9 avril 2017

S'enfuir - Récit d'un otage de Guy Delisle


En 1997, alors qu'il est responsable d'une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, vers une destination inconnue. Guy Delisle l'a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d'un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ? (Dargaud)

Nuit du 1er au 2 juillet 1997.
Christophe André, responsable d'une ONG médicale de MSF dans le Caucase, se retrouve pour la première fois seul à dormir dans le bâtiment de la mission.
Il est enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, pour un lieu de détention inconnu.
Menotté, son seul moment de liberté dans la journée est lors de ses repas et de la courte pause pour assouvir ses besoins naturels.
De ses ravisseurs, il devine qu'ils sont Tchétchènes et qu'ils ont demandé une rançon pour sa libération.
Il changera plusieurs fois de cache et c'est grâce à l'oubli d'un de ses geôliers de lui remettre la menotte qu'il réussira à s'évader après quatre mois de détention.
C'est aussi grâce à un bon samaritain qu'il retrouvera les membres de l'ONG et parviendra, après encore de longs échanges avec les autorités Tchétchènes, à rentrer en France.
Avant de repartir pour une autre mission humanitaire, car malgré le calvaire vécu, Christophe André n'a jamais douté du bien fondé de son engagement.

De Guy Delisle, j'ai déjà lu l'excellent "Chroniques de Jérusalem", récit autobiographique de sa période de vie à Jérusalem durant une année.
Pour cette nouvelle publication, l'auteur a choisi de ne pas raconter un événement personnel mais de narrer celui de Christophe André, ex-otage des Tchétchènes en 1997.
Avec ce récit, Guy Delisle emmène le lecteur dans la tête d'un otage, celle de Christophe André : "Être otage, c'est pire qu'être en prison. Au moins, en prison, tu sais pourquoi tu es enfermé. Il ya une raison, qu'elle soit fausse ou vraie, mais au moins il y a une raison. Alors qu'otage, c'est juste de la malchance. Au mauvais endroit, au mauvais moment.".
Et le rendu est bon, très bon, pour ne pas dire excellent.
Guy Delisle, après entretiens avec Christophe André, a réussi à reconstituer minutieusement son récit et à plonger le lecteur dans la tête d'un otage et de toutes les émotions qui l'agitent : la dure réalité de la situation : "Ça me paraît tellement irréel de savoir que la vie continue dans toute sa banalité alors que je suis enfermé ici, menotté au sol.", le doute, la patience : "Certes, une discussion est en cours, mais j'imagine qu'avant de trouver un accord ça peut traîner encore un bon moment. Je dois prendre mon mal en patience et me projeter dans un temps long.", mais surtout toute la force mentale que cela demande pour tenir le coup.
Parfois anxiogène, à d'autres moments le récit se révèle presque cocasse face à certaines situations : le surnom de Thénardier pour un des geôliers, les histoires qui se font et se défont dans la tête de Christophe André.
S'il n'y a pas beaucoup de situations, les vignettes étant majoritairement consacrées à l'enfermement de Christophe André reposant sur un matelas et menotté, il n'en demeure pas moins qu'une certaine tension s'instaure et que l'auteur a su retranscrire avec justesse les différentes phases psychologiques et émotionnelles traversées par cet homme : au début l'espoir d'une libération rapide, puis l'espoir fondé sur d'éventuelles négociations, puis les doutes, les moments de désespoir et d'abattement, les questionnements, mais aussi l'imagination qui a permis à Christophe André de tenir et de faire ainsi passer le temps, jusqu'aux derniers doutes sur l'intérêt ou non de profiter de cette opportunité de s'évader et enfin le sentiment d'euphorie qui l'habite tandis qu'il erre sur les routes en cherchant à mettre le plus de distance entre lui et ses geôliers : "Je suis en train de vivre quelque chose d'énorme. Après presque 4 mois d'enfermement, je m'évade. J'ai dépassé mes limites comme je n'aurais jamais imaginé pouvoir le faire. Rien ne peut m'arrêter maintenant, je me sens invincible.".
L'épilogue précise également que les deux personnes ayant prêté main forte à Christophe André lors de son évasion ont par la suite connu de nombreux embêtements, à tel point qu'ils ont dû se réfugier en France avec leur famille.
Non seulement Guy Delisle a réussi à retranscrire dans son scénario l'enfermement durant quatre mois d'un otage, mais il a aussi su transmettre les émotions à travers ses dessins et le choix de la couleur.
Les bulles oscillent entre des nuances de gris et de bleu, aucune couleur chaude ce qui est bien normal et met ainsi le lecteur en condition par rapport à la situation du personnage.
Malgré une histoire prenant place dans un lieu clos, Guy Delisle réussit à transporter le lecteur, un pari qui était non seulement risqué mais loin d'être gagné et qui prouve, s'il en était encore besoin, toute l'étendue du talent de cet auteur.

"S'enfuir - Récit d'un otage" est un texte - sans vilain jeu de mots - captivant qui dépeint avec brio le quotidien d'un otage pendant quatre mois, une bande dessinée faisant office de témoignage, un genre qui va décidément très bien à son auteur, Guy Delisle.

Si je devais mettre une note à cette BD : 18/20

BD lue dans le cadre "La BD fait son festival 2017" organisé par PriceMinister.

samedi 8 avril 2017

Les brumes de Sapa de Lolita Séchan


Un récit de vie touchant sur le passage à l’âge adulte à travers l’amitié improbable de deux jeunes filles : Lolita, ado parisienne un peu perdue, et Lo Thi Gôm, petite fille de la minorité Hmong opprimée au Vietnam. (Delcourt)

"La première fois que je suis allée au Vietnam, j'avais 22 ans.", ainsi débute le récit autobiographique de Lolita Séchan, un récit qu'à l'époque du tout fait vite elle a mis cinq ans à laisser mûrir, à bâtir, pour se raconter mais aussi l'histoire de Lo Thi Gôm, petite fille de la minorité Hmong rencontrée lors de son premier séjour et avec qui elle a, depuis lors, tissé des liens que je qualifierai d'amitié : "J'étais partie me chercher et je l'ai trouvée elle.".
Lolita Séchan est "fille de", mais ce qu'elle cherchait par-dessus tout, c'était se trouver elle, trouver quelque chose qui n'appartiendrait qu'à elle : le dessin.
Elle aborde sa filiation à certains moments du récit, mais elle reste une fille comme les autres, avec un père et une mère qui connaissent des problèmes de couple et d'autres plus personnels, une fille qui se cherche beaucoup et va finalement trouver quelque chose de fort qui la fera grandir, mais sans qu'elle s'en rende compte : "C'est bien toi qui l'as voulue, cette amitié. C'est toi qui l'a choisie. A force de te perdre, tu te trouves ma chérie.".
Lolita, lors de ses séjours annuels au Vietnam, n'aura de cesse de retourner à Sapa, pour y voir Lo Thi Gôm, cette fillette d'une minorité opprimée pour qui elle ressent un profond attachement : "Étais-je son amie ? Sa sœur ? Sa mère ? Sa banque ? Étais-je toujours une étrangère ?".
En écrivant son histoire en bande dessinée, c'est aussi de cette minorité que l'auteur a voulu parler, la mettre en avant, ainsi qu'un Vietnam qui évolue, se modernise et qui n'accorde toujours pas de place pour certaines minorités qui composent pourtant ce pays.
Le Vietnam est également mis en avant, un pays que Lolita a eu du mal à appréhender lors de ses débuts et qu'elle a fini par aimer : "Tu vois, c'est étrange ... J'ai tellement haï le Vietnam. Il m'a bousculée, malmenée, blessée même, et pourtant ... A 48 h de mon départ, j'ai l'impression que j'en suis tombée amoureuse.", voire même le comparer à l'enfer : "L'enfer est un endroit chaud comme la braise qui grouille d'âmes perdues trimant dans les flammes pour l'éternité. C'est comme le Vietnam, en fait. Le feu en plus.".
J'ai été touchée par la façon dont elle en parle, déjà parce qu'à sa façon j'ai tendance à partir seule découvrir un endroit, mais aussi par les représentations qu'elle en fait.
Clairement, cette bande dessinée m'a donné envie de découvrir le Vietnam, j'y ai vu un pays fascinant qui recèle quelques merveilles si l'on prend le temps de s'attarder et de sortir hors des sentiers touristiques.
Malheureusement, j'ai aussi l’impression que c'est un pays en train d'être déformé par le tourisme, peut-être ne faut-il plus tarder pour y aller.
C'est avec intérêt que j'ai suivi les péripéties de Lolita au Vietnam ainsi que la très belle amitié qu'elle noue avec Lo Thi Gôm, malgré deux cultures très différentes ces deux femmes ont finalement des points en commun.
Lo Thi Gôm a des rêves, elle refuse pendant un certain temps de céder aux traditions, parce qu'elle a envie d'accomplir ses rêves, mais elle est aussi lucide par rapport à ceux-ci et sait que plus le temps passe plus ils grossissent et moins ils deviennent réalisables : "Mais je sais que plus mes rêves grossissent moins j'ai de chance d'être heureuse.".
J'ai trouvé ça très beau, autant de clairvoyance de la part de cette jeune femme, pour tout dire elle m'a même beaucoup émue.
Lolita Séchan est restée très pudique pendant tout son récit, c'est quelque chose que j'ai apprécié, ainsi que sa quête personnelle, sans doute parce que nous nous y retrouvons tous à un moment donné de notre vie.
Outre l'histoire, j'ai également apprécié le coup de crayon de l'auteur, même si ce n'était pas forcément gagné au début.
Uniquement dans les tons de noir, blanc et gris, elle a su donner du contraste aux paysages et à ces personnages.
Comme quoi, il est bon parfois de savoir prendre son temps, le résultat n'en est que meilleur.

Avec "Les brumes de Sapa" Lolita Séchan livre une très belle bande dessinée personnelle qui arrive pourtant à toucher chacun dans le cœur, un beau moment d'émotion et une belle découverte.

jeudi 6 avril 2017

Ceux qui avaient choisi de Charlotte Delbo


A Athènes, Françoise, ancienne déportée, confronte avec Werner, universitaire allemand, sa conception de l'engagement. (Les Provinciales)

Écrite en 1967, cette pièce de théâtre de Charlotte Delbo ne fut publiée que tardivement, pour être précise en 2011 dans sa version intégrale et originale, l’auteur en ayant extrait et légèrement modifié une scène en 1977 pour une émission radiophonique de France Culture.
Il y a plusieurs raisons avancées à cette publication tardive : par pudeur, car outre un hommage à son mari fusillé Charlotte Delbo s’y livre beaucoup, mais aussi à cause du contexte politique de l’époque avec la guerre d’Algérie et le coup d’état des Colonels d’avril 1967.
Constituée de deux actes, la pièce se passe sur une place d’Athènes et consiste en une conversation entre Françoise, ancienne déportée Française, et Werner, universitaire Allemand et ancien officier de la Wehrmacht.
Tous deux se confrontent autour de la conception de l’engagement, l’une n’ayant aucune haine ou ressenti à l’égard du peuple Allemand : "Même si vous êtes coupables d'avoir été lâches, je n'ai pas de haine contre vous. Pour une raison égoïste : j'ai eu trop de mal à vivre. La haine ne m'y aurait pas aidée. Pour une autre raison, celle de la raison même : admettre les responsabilités collectives, c'est aller contre la raison, renier tout ce pour quoi je me suis battue. Ce serait me sentir responsable, moi, des actes répréhensibles ou criminels que commettent mes concitoyens, mon gouvernement, la police ou l'armée de mon pays.", l’autre se sentant coupable, voire complice, des actes de son peuple : "Accepter les lois raciales, c'était accepter la Solution Finale, c'était accepter la destruction de tout ce qui avait formé notre conscience, au cours des siècles. C'est d'avoir accepté que l'Allemagne ne se remet pas. C'est là que tout Allemand se sait coupable, et ce qu'il avoue en prétendant qu'il ne savait pas.".

Sous ses airs de tranquillité, voire de passivité, cette rencontre n’en demeure pas moins violente car elle voit s’affronter, avec courtoisie, deux personnes diamétralement opposées par la vie.
A la question de Werner si elle est déjà allée en Allemagne, Françoise répond : "Oui, à Auschwitz.", en découvrant dans le même temps son avant-bras tatoué de son numéro de déportée.
Le ton est calme, et pourtant tout est dit.
Il y a eu la Françoise d’avant la déportation, celle engagée avec son mari dans la résistance, avec qui elle fut arrêtée mais elle seule partit dans un convoi, son mari ayant été fusillé en France ; et puis il y a la Françoise d’après la déportation, celle désormais parée d’une connaissance inutile chèrement acquise face à la cruauté des hommes en qui elle a pourtant toujours cru : "Il faut croire en l'homme pour vouloir vivre.".
Françoise, c’est Charlotte Delbo, secrétaire de Louis Jouvet et engagée dans la résistance avec son mari Georges Dudach, ils sont arrêtés en 1942.
Georges Dudach est fusillé au Mont-Valérien en mai 1942, Charlotte Delbo est incarcérée pendant plus d’un an avant d’être déportée par le convoi du 24 janvier 1943 à Auschwitz.
Libérée par la Croix-Rouge en avril 1945, elle est hospitalisée par la suite en Suisse afin de soigner ses problèmes de santé mais aussi sa dépression. C’est au cours de cette hospitalisation qu’elle écrit "Auschwitz et après" qui ne sera publié que vingt ans plus tard, volontairement.
Pour avoir lu "Auschwitz et après", il y a effectivement beaucoup, pour ne pas dire exclusivement, de Charlotte dans le personnage de Françoise.
J'ai d'ailleurs vu un lien entre cette pièce de théâtre et les trois ouvrages composant l'oeuvre de Charlotte Delbo.
Comme elle, c’est une femme qui a appris quelque chose durant sa déportation, quelque chose qui paradoxalement ne lui sert pas mais lui a pourtant permis de survivre.
La discussion est également le moyen pour Françoise de revoir la scène des adieux avec son mari à la prison avant que celui-ci ne soit fusillé, clairement un hommage de Charlotte Delbo à son mari.
Face à elle, il y a Werner qui incarne l’Allemand classique, celui aimant l’intelligence et le savoir, soldat lambda de la Werhmacht qui utilise sa passion de la Grèce Antique pour justifier sa passivité et son aveuglement.
S'il est plutôt facile de cerner le personnage de Werner, celui de Françoise l'est beaucoup moins.
Ce personnage, à l'image de son auteur, a vécu l'irracontable, au-delà de l'horreur, nul à part elle ne peut donc le savoir et il est admirable qu'elle arrive à mettre dessus des mots qui sonnent justes et trouvent une résonance en chacun de nous.
La conversation entre ces deux personnes apparaît comme la construction Européenne qui n’était pas encore faite à l’époque, la réconciliation de tous les peuples, mais sonne aussi comme un avertissement.
Et c’est d’autant plus saisissant dans le contexte actuel, cette pièce finalement est universelle et n’est (malheureusement) pas prête de se démoder sur le fond de son propos.


De Charlotte Delbo, je vous invite bien entendu à découvrir cette pièce de théâtre mais je vous recommande vivement "Auschwitz et après" composé de "Aucun de nous ne reviendra", "Une connaissance inutile" et "Mesure de nos jours", sans doute l’un des témoignages les plus forts et poignants sur la déportation qu’il m’ait été donné de lire.

mardi 4 avril 2017

Couleur de peau : miel Tome 3 de Jung


Jung clôt ce voyage intérieur par l'évocation de ses années de jeunesse, étudiant à l'Institut Saint-Luc, amateur de jolies filles et de dessins. Il évoque aussi ce récent voyage en Corée effectué en 2011 pour le tournage de l'adaptation audiovisuelle de la série. Soulagement, sentiment d'appartenance retrouvé ou acculturation définitive ? Ses sentiments sont complexes et troublants. Et son récit toujours bourré d'humour et d'émotions. (Quadrants)

Dans ce troisième tome, Jung a bien grandi.
Désormais marié et père de famille, après ses années d'étudiant, il va enfin boucler la boucle en allant, pour la première fois de sa vie, en Corée, le pays où il est né mais aussi où il a été abandonné.
Ce n'est pas seul qu'il y va mais accompagné d'une équipe pour le filmer : "Dire que j'avais prévu de faire ce voyage en famille avec ma femme et ma fille ! Mais la réalité nous joue parfois des tours : cette autobiographie va être adaptée au cinéma ! La production m'a convaincu de filmer mon premier retour au pays, évidemment.".

"Quand le fil de la vie a été interrompu, il faut le reconstruire. Et la reconstruction de soi passe inévitablement par l'acceptation de ce qu'on est, de ses origines, de ses racines.", c'est ce qu'aura mis plusieurs années à comprendre Jung, et sans doute que le fait de raconter son histoire en bande dessinée y est aussi pour quelque chose : "Le dessin m'a permis de vivre une relation avec une maman qui n'existe finalement que dans mon imaginaire. Il est peut être temps pour moi de grandir, de faire le deuil ... tourner la page.".
Plutôt que des années sur le canapé d'un psychothérapeute, c'est par le dessin que Jung va exorciser les démons de son enfance, grandir : "Je suis parti depuis bien trop longtemps. Enfant, puis adolescent je vois ai détestés ... J'étais en colère car je ne comprenais pas pourquoi la Corée abandonnait ses enfants. J'avais honte. Aujourd'hui, je ne suis évidemment plus en colère. Je peux vous regarder en face. Je veux découvrir ce qui se cache derrière le masque.", et enfin accepter qui il est : un enfant né en Corée mais élevé et ayant fait sa vie en Belgique.
Jung continue à présenter une autre face de l'adoption, une beaucoup plus sombre dont on parle bien peu souvent : l'autodestruction de personnes qui n'arrivent pas à trouver leurs racines : "Quand j'étais petit, je me disais souvent que j'avais dû être drôlement mauvais puisqu'on m'avait abandonné. A l'adolescence, perdant l'insouciance de l'enfance, ce sentiment de disgrâce, de rejet, celui de ne pas avoir été désiré, s'est transformé en colère. Je suis devenu un démon pour moi-même, entamant un processus d'autodestruction. Guérir le mal par le mal, jusqu'à disparaître, ne plus exister. Certains adoptés inscrits dans cette logique de destruction ont choisi de se donner la mort.".
J'avoue avoir été particulièrement choquée par cet aspect que non seulement je ne connaissais pas mais dont on ne parle pas, alors que Jung en présente plusieurs cas.
Il y a une symbolique très forte qui constitue la trame de ce tome : les racines.
Jung en parle beaucoup, il arrive à se réconcilier avec les siennes, et nombre de ses dessins sont soit des arbres soit des personnes dont les pieds se sont transformées en racines et qui avancent ainsi.
Il est illusoire d'attendre une fin complètement heureuse, non le miracle n'a pas eu lieu, Jung n'a pas retrouvé la trace de ses parents biologiques.
Bien qu'il ait emprunté le même parcours que d'autres adoptés, nombreux sont ceux qui sont repartis sans vraiment plus d'éléments qu'au départ.
Mais c'est un accomplissement personnel que Jung a réalisé, sans doute l'oeuvre de sa vie et dont il est peut être fier.
Il n'est d'ailleurs pas surprenant qu'il ait tenu à le partager avec un public plus large.
C'est sans doute le tome de cette série qui m'aura le plus marquée, et même si je n'apprécie que moyennement le trait de crayon de Jung il a mis ici beaucoup de personnel, d'éléments intimes ainsi que des symboliques fortes qui, j'en suis sûre, doivent parler à beaucoup d'adopté(e)s ainsi qu'aux adoptants.

"Couleur de peau : miel" est un roman graphique portant une réflexion juste et troublante sur l'adoption et les répercussions de celle-ci à la fois sur les enfants mais aussi sur les parents et les autres membres de la famille.

lundi 3 avril 2017

Couleur de peau : miel Tome 2 de Jung


À 14 ans, Jung aborde la difficile période de l'adolescence, l'âge où certains rejettent leur famille pour mieux trouver leur personnalité. Comme Jung est du genre radical, son rejet sera intense ! Ce sera toutefois pour mieux découvrir les autres : les amis, dont certains sont des coréens adoptés aussi. Et puis les filles : Jung a un certain succès auprès d'elles et lui leur porte un intérêt prononcé. Enfin, se libère en lui une véritable passion pour le dessin... Mais en même temps que l'enfant devient jeune homme grandit une sorte de désespoir. Ce désespoir, tous les enfants adoptés de son entourage semblent l'expérimenter, et pour certains, il sera même fatal. Au combat pour trouver une place dans un environnement familial succède celui de s'accepter tel qu'il est. Il le mènera au seuil de sa vie d'homme. (Quadrants) 

"Je suis né à 5 ans, le jour où ce policier m'a trouvé dans la rue.".
Né en Corée, abandonné dans une poubelle à l'âge de cinq ans, Jung, l'auteur de cette bande dessinée, a été adopté par une famille Belge, tout comme sa petite sœur elle aussi originaire de Corée.
Dans le premier tome, l'auteur retraçait sa petite enfance et son adoption, en faisant part des nombreux sentiments qui l'avaient traversé, notamment celui persistant pendant de nombreuses années qu'il n'était pas vraiment aimé, particulièrement de sa mère.
Jung a mis du temps à comprendre qu'il avait sa place dans la famille, et notamment que sa mère l'aimait sincèrement, à sa manière qui n'était sans doute pas celle qu'il attendait d'une mère : "Je savais que j'avais ma place dans la famille ... Mais je ne savais pas que j'en avais une aussi dans son cœur.".
Jung est désormais adolescent, il a encore du mal avec ses racines et par ricochet à se construire à un âge où l'on se cherche beaucoup : "Je n'étais pas heureux. Le pire, c'est que je ne savais pas pourquoi j'étais malheureux.".
Ce que traverse Jung n'est pas un cas isolé, d'autres adoptés le connaissent également, à des degrés plus ou moins importants, l'auteur abordant ici le thème du suicide chez les adoptés qui sera encore plus développé dans le troisième tome.
Grâce à ses amitiés avec d'autres adoptés, Jung finit par comprendre qu'il y a la famille qu'il a rêvée et celle qu'il a réellement : "La famille idéale n'existe pas, encore moins lorsque c'est une famille d'adoption.".

J'ai lu le premier tome en avril 2015, la raison pour laquelle je n'ai pas lu les deux suivants dans la foulée est assez simple : la bibliothèque municipale avait égaré les deux autres tomes, rangés au mauvais endroit par quelqu'un.
Le temps a passé, j'ai presque fini par oublier jusqu'à ce que j'aperçoive les deux tomes en attente de rangement il y a deux semaines.
J'ai donc enfin pu finir l'histoire autobiographique de Jung.
Comme dans le premier tome, je trouve que Jung apporte un autre regard sur l'adoption, un regard quelque peu éloigné de la vision idyllique que l'on peut en avoir.
Bien sûr, je sais que toutes les adoptions ne se passent pas bien, mais j'étais loin d'imaginer toutes les implications que celle-ci pouvait avoir.
En racontant son histoire, Jung s'est sans nul doute affranchi de celle-ci mais il a aussi libérer la parole des adoptés et des adoptants, particulièrement pour le cas de tous ces enfants Coréens adoptés massivement en Europe dans les années 70 et 80.
Une nouvelle fois, c'est un beau témoignage que livre ici Jung, qui m'a mis moins mal à l'aise que la première fois car si le ton reste parfois léger, il l'est tout de même moins que dans le premier tome et la noirceur n'est jamais loin.
En effet, il y a une dimension dramatique qui se greffe à l'histoire, Jung sort du cadre de sa seule adoption pour évoquer le cas de sa sœur elle aussi adoptée ainsi que d'autres enfants Coréens qu'ils côtoient et dont le présent ainsi que l'avenir sont loin d'être tout rose.
Pour contrebalancer, il y a aussi quelques touches comiques, notamment celle de Jung enfant prenant des cours de danse.
Dans ce deuxième tome, Jung est un enfant qui se cherche, dont les sens commencent à s'éveiller mais qui se fait aussi du mal à lui-même, perdu qu'il est entre ses racines Coréennes qu'il a au final du mal à cerner et celles Belges, son pays d'adoption.
C'est aussi dans ce tome que commence à germer l'idée d'aller en Corée, de découvrir le pays où il est né et, pourquoi pas, en apprendre plus sur sa famille et les raisons de son abandon.
Je n'apprécie que moyennement le trait de crayon de Jung, ce n'est clairement pas ce qui me plaît le plus chez lui, ce qui m'intéresse c'est ce qu'il a à raconter.

"Couleur de peau : miel" est un ouvrage autobiographique portant un regard à la fois et tendre et mordant sur l'adoption, celle de Jung, ainsi que sur la façon dont ces enfants réussissent ou non à intégrer à la fois leur vie passée et celle présente et à venir.

dimanche 2 avril 2017

Retour sur les lectures de mars 2017


"Allo ! Non mais allo quoi !" dit la fille qui n'avait pas lu plus de dix livres en un mois depuis plusieurs mois, justement.
(Oui parce qu'il y en a certains qui sont commencés mais pas encore achevés. Et pour les chroniques, la plupart sont programmées. Une renaissance vous dis-je !)
Et de tout : de la PAL, de la bibliothèque, du théâtre, du suspens, de l'autobiographique, de la science-fiction.
Ma brave dame, c'est que je n'ai pas lésiné durant ce mois de mars, et qu'à l'image de la végétation la véritable lectrice qui sommeille en moi est (peut-être) enfin de renaître.
Ah le printemps !
Sa végétation qui se réveille, ses fleurs, (ses allergies), et ses livres par dizaine.
Allez, on repart mettre le nez dehors au soleil avec un bon livre !

PAL

"Le bouc émissaire" de Daphné du Maurier
"La route" de Cormac McCarthy

Emprunté à la bibliothèque

"Des chauves-souris, des singes et des hommes" de Paule Constant
"Couleur de peau : miel - Tome 2" de Jung
"Couleur de peau : miel - Tome 3" de Jung
"Autobiographie d'une courgette" de Gilles Paris
"Ceux qui avaient choisi" de Charlotte Delbo
"Les cités obscures - Les murailles de Samaris" de Benoît Peeters et François Schuiten
"Les brumes de Sapa" de Lolita Séchan

Divers

"Player One" d'Ernest Cline

Les cités obscures - Les murailles de Samaris de Benoît Peeters et François Schuiten


Que se passe-t-il au juste à Samaris ? C’est pour le savoir que Franz, un envoyé de la ville de Xhystos, prend à son tour la très longue route qui mène à la cité. Mais sur place, le secret ne fait que s’épaissir. Toutes les tentatives de Franz pour appréhender et comprendre ce qui se noue exactement à Samaris restent vaines. Pourquoi ne voit-on jamais d’enfants dans les rues de la cité ? Pourquoi les passages et les lieux que Franz semblait connaître semblent-ils se volatiliser ? La ville (dont l’emblème est la drosera, une plante carnivore), plus insaisissable, plus sinueuse, plus complexe qu’elle ne paraît l’être de prime abord, s’ingénie à lui échapper, encore et toujours. (Casterman)

Franz est envoyé par la ville de Xhystos à la cité de Samaris où il se passe des choses inquiétantes qui gagnent du terrain.
Tous ses amis le lui disent : "C'est une folie, une folie sans nom.", mais Franz part à Samaris, cette cité dont l'emblème est la drosera, une plante carnivore.
Dès l'arrivée, cette cité le met mal à l'aise : "Je n'avais rien remarqué de précis et ne pouvais cependant me défaire d'une certaine impression de bizarrerie.", puis vient le temps des questions : pourquoi n'y voit-il jamais d'enfants ? Pourquoi a-t-il cette impression de déjà-vu face aux bâtiments ?
Franz arrivera peut-être à saisir le secret de Samaris, mais quel en sera le prix ?

Tout de suite après avoir fini la lecture de ce premier tome des "Cités obscures", je pensais rédiger un avis mitigé penchant vers le négatif.
Mais depuis, cette histoire a éveillé en moi un certain intérêt, j'y repense encore et cette fin ne cesse de m'intriguer, preuve donc que mon avis sera un peu moins mitigé et plutôt positif.
"Les cités obscures" est une série fantastique créée par le scénariste Benoît Peeters et le dessinateur François Schuiten dont le premier tome a, à peu de chose près, mon âge.
Ce qui m'a perturbée dans ce premier tome, c'est que je n'ai pas réussi à déterminer si l'histoire se passait dans notre monde dans le futur ou bien dans un univers parallèle.
Il s'avère que c'est la deuxième option et que ceci est plus nettement plus clair dans les autres tomes.
Ce premier tome sert à planter le décor mais il soulève de nombreuses questions sans y apporter de réponse, j'ai eu l'impression que les auteurs étaient encore en train de créer l'univers de cette série, qu'ils tâtonnaient et ne s'étaient pas encore fixés sur le fond de l'histoire.
Après recherche, il s'avère effectivement que la cohérence de cet univers se bâtit au fur et à mesure des tomes avant de prendre définitivement forme.
Tout ceci m'a un peu dérangée, même si je dois reconnaître que l'intrigue finit par piquer la curiosité et que le twist final est tout simplement surprenant.
J'ai lu ce premier tome dans la version d'origine, j'ai trouvé que les dessins ainsi que les couleurs avaient quelque peu passé, cela donne un petit côté vieillot à la bande dessinée.
Mais le point fort du graphisme, c'est tout l'aspect architectural des deux cités dont il est ici question.
Xhystos est une cité art nouveau, où l'architecture mêle des poutres métalliques à la végétation; à l'inverse de la cité de Samaris dont l'architecture est de style renaissance et où les bâtiments usent et abusent de la technique du trompe-l’œil.
Il y a beaucoup de détails dans les dessins, à tel point que je suis souvent revenue sur des planches pour prendre le temps de les regarder plus attentivement.
Voilà une série des plus intrigantes dont le succès ne se dément pas plus de trente ans après sa parution.

Finalement "Les murailles de Samaris" a su éveiller ma curiosité, je n'hésiterai donc pas à l'occasion à découvrir les autres tomes de cette série fantastique.

samedi 1 avril 2017

Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris


"Elle ressemble à une poupée de chiffon toute molle et ses yeux sont grands ouverts. Je pense aux films policiers où des tas de femmes se font tuer et après elles ressemblent à des tas de chiffons toutes molles et je me dis "c'est ça, j'ai tué maman."
Ainsi commence l'aventure d'Icare, alias Courgette, un petit garçon de neuf ans qui tue accidentellement sa mère alcoolique d'un coup de revolver. Paradoxalement, la vie s'ouvre à lui après cette tragédie, et peut-être même un peu grâce à elle. Placé dans un foyer, il pose avec une naïveté touchante son regard d'enfant sur un monde qu'il découvre et qui ne l'effraie pas. De forts liens d'amitié se créent entre lui et ses camarades. Et puis surtout, il tombe amoureux de Camille... (J'ai lu)

Icare, alias Courgette, est un petit garçon de neuf ans vivant seul avec sa mère dépressive et alcoolique, tandis que son père les a abandonnés pour partir avec une autre femme (alias la poule).
Un beau jour, parce qu'il veut jouer et que sa maman ne décolle pas de devant la télévision, comme d'ordinaire, Courgette trouve dans un tiroir un objet qu'il juge fabuleux et qui va lui permettre de réaliser son rêve : tuer le ciel dont les nuages sont responsables de la tristesse de sa mère : "Je pensais à mon géant de père et à sa tête dans les nuages et je me disais que le ciel avait fait du mal à maman et qu'un jour je la vengerais comme dans les films et que je tuerais le ciel pour qu'on voie plus jamais les nuages qui pissent que du malheur.".
Sauf que par accident ce n'est pas le ciel que Courgette tue, mais sa mère.
Placé dans un foyer, il va rencontrer d'autres enfants comme lui que la vie n'a pas gâté, va rencontrer la sublime Camille dont il tombe fou amoureux : "De toute façon, moi, j'irais n'importe où avec Camille.", et va aussi nouer une relation forte avec Raymond, le gendarme présent suite à l'accident sur sa mère qui va se prendre de tendresse pour ce petit garçon.
"Nous, on est comme des fleurs sauvages que personne a envie de cueillir.", c'est ce que pense Courgette qui va poser son regard d'enfant sur ce monde d'adulte et peut-être enfin trouver le bonheur.

Je ne suis pas allée voir le dessin animé adapté de ce roman car je n'aimais pas le graphisme.
Était-ce une raison suffisante ou non ?
Peut-être que oui, peut-être que non, je me suis en tout cas rattrapée avec le roman et je ne le regrette pas.
Cette histoire est très belle, très touchante, pleine de tristesse et de tendresse, de moments poignants et d'autres joyeux, de rires et de pleurs, c'est un beau condensé de toutes les émotions.
L'histoire est racontée par les yeux de Courgette, avec ses mots et ses expressions à lui.
C'est le regard que porte un enfant sur un monde d'adulte qu'il va finir par comprendre, et dont il parle en termes qui ont fait sourire l'adulte que je suis.
Si au tout début le style m'a quelque peu gênée, cela a bien vite fini par disparaître.
De la part de l'auteur, c'est une belle réussite d'avoir écrit ce roman du point de vue d'un enfant de neuf ans, en se mettant dans sa tête et en oubliant totalement le fait qu'il a plus l'âge des personnages adultes qui entourent Courgette.
C'est également une histoire triste, qui part d'un drame doublement terrible : non seulement Courgette a perdu sa mère mais c'est lui qui l'a accidentellement tuée.
Je me suis interrogée pendant un moment de savoir si Courgette avait conscience de son geste, et bien oui : "C'est vrai qu'on est pas aussi sages que les images qui bougent jamais, mais bon, c'est pas les enfants qui cambriolent les maisons ou font sauter les gens avec des bombes ou tirent avec des carabines, à part moi, mais c'était juste un revolver et j'ai pas fait exprès.", mais il a aussi le recul nécessaire pour comprendre que ce n'était pas un acte volontaire.
Dans son malheur, Courgette va beaucoup gagner : de belles amitiés, Raymond, mais aussi les éducatrices du centre dont la plupart sont des femmes remarquables et dévouées aux enfants dont certains ont un passé aussi lourd voire même plus que Courgette.
L'émotion qui se dégage de ce récit m'a agréablement surprise, il y a toute une palette d'émotions et l'on passe du rire aux larmes pour revenir au rire, à tel point que j'ai maintenant bien de voir ce que cela donne en adaptation, et qu'importe si je n'apprécie pas le graphisme.

"Autobiographie d'une courgette" est un roman à la fois beau et dramatique où les sentiments les plus tristes laissent place à la joie et au bonheur, en somme un roman optimiste sur l'avenir et il y en a parfois bien besoin.