dimanche 29 novembre 2015

Corps et âme de Frank Conroy


À New York, dans les années quarante, un enfant regarde, à travers les barreaux du soupirail où il est enfermé, les chaussures des passants qui marchent sur le trottoir. Pauvre, sans autre protection que celle d'une mère excentrique, Claude Rawlings semble destiné à demeurer spectateur d'un monde inaccessible. Mais dans la chambre du fond, enseveli sous une montagne de vieux papiers, se trouve un petit piano désaccordé. En déchiffrant les secrets de son clavier, Claude, comme par magie, va se découvrir lui-même : il est musicien. (Folio)

Dans ce roman, il y a plusieurs personnages : Claude Rawlings, la musique à travers notamment les grands classiques et le jazz, et la ville de New York.
Tout commence avec un don, celui du jeune Claude Rawlings pour la masique, qu'il découvre un beau jour un peu par hasard dans le magasin de musique de Monsieur Weisfled.
Ce dernier marquera de façon indélébile la vie et le destin de Claude Rawlings qui le considérera comme son premier maître et ira toujours chercher auprès de lui les conseils et les réponses à ses doutes et à ses interrogations.
Grâce à la musique, Claude Rawlings va devenir un miraculé de la vie : "A l'exception possible de Weisfeld, nul ne savait que la musique l'avait sauvé.".
Des années plus tard, dans l'euphorie du succès et des concerts donnés dans des salles toutes plus prestigieuses les unes que les autres, il prendra la pleine mesure de ce que la musique a apporté à son existence, un sens : "Sans musique, il serait encore, et toujours, cet enfant vague, faible, aussi évanescent qu'une volute de fumée.".
Claude Rawlings habite dans un appartement en sous-sol, il est souvent laissé à lui-même et vit avec sa mère qui passe une grande partie de ses journées à gagner sa vie en conduisant un taxi, une mère maladroite vis-à-vis de son fils et qui ne saura jamais lui montrer son amour.
C'est dans cet appartement qu'il découvre un piano, son premier piano, sur lequel il va s'entraîner et apprendre les bases de la musique, timidement tout d'abord, puis avec de plus en plus d'assurance : "Le silence, la pénombre, l'immobilité paisible du lieu, produisaient sur lui un effet bizarre - il n'avait pas peur de jouer mais presque peur de respirer, comme si le fait trivial d'être en vie pouvait, inexplicablement, déranger les objets.".
Puis, soutenu par Monsieur Weisfeld, il va bénéficier du piano et de l'accueil d'un maestro, puis des meilleurs professeurs, jusqu'à devenir un musicien de talent, reconnu.

J'ai beaucoup aimé le portrait et le destin de Claude Rawlings.
C'est grâce au hasard qu'il a découvert son don pour la musique à travers le piano, l'étude de grands classiques mais aussi le jazz.
C'est un personnage calme, travailleur, qui ne se rend pas bien compte de toute la chance qu'il a accumulé au cours de sa vie.
L'un de ses maîtres, Monsieur Fredericks, le lui fait d'ailleurs justement remarqué à un moment donné de sa carrière où Claude se laisse complètement aller.
Pour avoir pratique la musique pendant de nombreuses années, notamment dans un conservatoire de musique, l'auteur a su mettre dans son roman toute la discipline que la pratique de la musique impose.
Il a également très bien retranscrit les émotions que l'on peut ressentir en jouant ainsi que la relation physique qui se met en place entre un musicien et son instrument : "Sa relation physique avec le piano était immuable. Tout le reste était transitoire. Ses repères étaient là.".
Il est sûr que par rapport à un musicien lambda, Claude est au-dessus du lot, il ressent la musique, les notes, il imagine la mélodie en lisant la partition et surtout, fait assez rare chez les musiciens talentueux, il perçoit les nuances et la mélodie par rapport à des couleurs (il s'agit de la synesthésie, la pianiste Hélène Grimaud y est sujette, d'ailleurs j'ai établi un parallèle tout au long de ma lecture entre cette pianiste talentueuse et le personnage de Claude).
Fort heureusement, il n'y a pas que la musique dans la vie de Claude Rawlings, il y a aussi les femmes qui vont y jouer un rôle déterminant.
A titre personnel j'ai énormément apprécié le personnage très secondaire d'Anson Roeg, elle apporte une touche de modernité à tous les personnages féminins que Claude va croiser qui est des plus rafraîchissantes.
En dehors de Claude Rawlings, j'ai énormément apprécié les personnages de Messieurs Weisfeld et Fredericks.
Le premier parce qu'il a découvert Claude Rawlings et qu'il renie complètement sa vie et sa personnalité pour se mettre au service du talent de Claude, qui ne découvrira que bien tardivement le tragique passé de son maître; le second parce qu'il est le mentor de Claude, il lancera d'ailleurs sa carrière en lui offrant un sacré coup de pouce, et qu'il saura le rappeler à la réalité lorsque cela sera nécessaire.
Il est aussi beaucoup question de musique dans ce roman, et même si le piano n'est pas l'instrument que je préfère, j'ai pu m'imaginer écouter certains airs bien connus en le lisant.
Il y est aussi question de jazz, une vraie révolution musicale, loin d'être évidente à jouer et à maîtriser.
Non seulement il y a une histoire très prenante, la vie et l'ascension de Claude Rawlings, mais l'arrière-plan de ce roman est très fouillé, qu'il s'agisse du point de vue musical mas aussi architectural.
Car c'est là aussi un aspect qui m'a plu, la ville de New York est un personnage à part entière de l'intrigue, notamment à travers sa mutation architecturale à partir des années 60.
Pour qui connaît cette ville, il est toujours plaisant d'y retourner par le biais d'un roman.
Je n'aurai qu'un petit bémol à apporter à ce roman, j'ai trouvé que la fin était un peu théâtrale, dans le sens où l'auteur s'est cru obligé d'ajouter un nouveau retournement de situation pour Claude Rawlings.
J'ai trouvé ça un peu trop cousu de fil blanc, et puis le roman s'achève sur un Claude Rawlings au sommet de sa gloire, mais n'aborde que par petites touches son futur, c'est un peu dommage car j'aurai aimé le suivre du début à la fin de sa vie et non m'arrêter en plein milieu.

"Corps et âme" est un roman d'apprentissage musical qui se dévore, une lecture intéressante qui se lit comme on écoute une oeuvre musicale ou comme on joue une partition, avec plaisir et bonheur.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices

mardi 24 novembre 2015

Top Ten Tuesday #128


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani, puis désormais par Froggy.

Les 10 challenges littéraires incontournables sur la blogosphère

Je n'ai jamais été très portée "challenge littéraire", je vais donc en citer mais qui ne sont peut-être pas "blogosphèrement" très connus, le principe d'un challenge étant surtout de découvrir ou approfondir un auteur ou un thème (ceci n'est que mon point de vue).

1) Challenge ABC critiques par Babelio
2) Challenge rentrée littéraire
3) Challenge Agatha Christie
4) Challenge Edith Wharton
5) Challenge pour faire diminuer sa PAL
6) Le regretté Challenge New York
7) Challenge Il Viaggio
8) Challenge Totem
9) Je ne me jette pas des fleurs mais je finirai sur mon challenge Romancières américaines que j'ai pris beaucoup de plaisir à faire.

dimanche 22 novembre 2015

Le fils de Saul de László Nemes



Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau.
Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture. (AlloCiné)


C'est quand ce film a été primé à Cannes que je m'y suis intéressée de très près, d'autant plus lorsque j'ai su de quoi il était question.
Je savais en pénétrant dans la salle de cinéma que ce que j'allais voir était tout sauf joyeux, que j'allais pénétrer dans l'horreur, dans l'abomination, dans l'une des pires créations de l'Homme, si ce n'est la pire : l'usine à déshumaniser, l'usine de la mort qu'était Auschwitz-Birkenau.
Je préviens : âme sensible s'abstenir, on ne ressort pas indemne de ce film.
C'est un choc, un véritable choc. Je ne suis pas ressortie indemne de cette séance.


La première chose qui m'a frappée, et qui a certainement frappé toutes les personnes l'ayant vu, c'est la mise en scène, la parfaite maîtrise de celle-ci.
Le film s'ouvre sur un plan flou, pendant quelques instants on se demande s'il n'y a pas un problème en salle de projection, mais non, petit à petit un personnage s'approche de la caméra, son visage n'est pas flou, on ne voit même que lui, comme s'il n'y avait que lui.
Ce personnage, le spectateur ne le sait pas encore, c'est Saul Ausländer, celui qui va être sa porte d'entrée dans l'univers de mort d'Auschwitz-Birkenau, celui qui va être ses yeux et dont il va découvrir l'histoire.
Saul Ausländer fait partie des Sonderkommando, ces hommes choisis par les SS pour accompagner les convois vers les chambres à gaz, extraire les cadavres, les brûler et aller jeter les cendres au fond d'un lac.
Ces hommes qui savaient le secret d'Auschwitz-Birkenau et dont la durée de vie ne dépassait pas quelques mois, eux aussi finissaient par y entrer, dans ces chambres à gaz, pour qu'ils ne parlent pas et qu'ils disparaissent comme les autres, par la fumée et dans la cendre.
Il y a du monde, beaucoup de monde, c'est un convoi qui vient d'arriver. 
Les chiens aboient, les SS hurlent des ordres, c'est l'angoisse qui nous étreint le cœur et les tripes.
Pendant cet instant, le spectateur a la sensation de toucher du doigt, surtout des oreilles, 
Saul encadre ces gens, les emmène, les conduit jusqu'à la chambre à gaz. 
Il y a une forêt de bouleaux, cette forêt de bouleaux, il fait presque beau, il n'y a plus de neige au sol.
Saul ne leur parle pas, il ne leur dit rien.
Lui sait ce qui les attend, le spectateur aussi, mais ces gens-là, eux, ne le savent pas.
Il y a les voix des Allemands, ceux qui leur disent de se dépêcher, qu'après la douche ils auront une soupe et du café, qu'ils vont avoir besoin de main-d'oeuvre spécialisée, qu'il faut qu'ils se signalent s'ils sont charpentiers, maçons, et surtout, qu'il faut qu'ils se souviennent du numéro de crochet sur lequel ils ont accroché leurs vêtements.
La foule est massée dans la douche, les portes se ferment sur eux et ce sont des cris, des pleurs.
Saul décroche les affaires, il fouille les poches, dans un quasi silence les membres du Sonderkommando travaillent, font leur petit trafic, préparent quelque chose.
Puis vient le silence.
Les portes se rouvrent sur des tas de cadavres, Saul nettoie, frotte, astique le sol de ces pièces pour préparer l'arrivée du convoi suivant tandis que les cadavres sont emmenés aux fours crématoires.
Et puis, un autre convoi arrive, et tout recommence.
Ce n'est pas par la vue mais par le son que László Nemes confronte le spectateur à l'usine de mort d'Auschwitz-Birkenau.
C'est terrifiant, c'est assourdissant.
Le travail sonore sur ce film est tout simplement prodigieux, c'est un acteur à part entière qui restera présent pendant tout le film.
C'est aussi très angoissant, à tel point que le spectateur regarde ce film dans un silence religieux, quasi incapable de penser, uniquement d'enregistrer ce qu'il voit et de suivre le parcours de Saul.


Parmi les cadavres, il y a celui d'un jeune garçon.
En lui, Saul croit reconnaître son fils.
Il décide de voler le cadavre, de ne pas le laisser partir avec les autres aux crématoires afin de lui offrir une sépulture décente.
A partir de ce moment-là, Saul bascule dans une forme de folie qui ne le quittera plus.
Est-ce réellement son fils ? A-t-il simplement un fils ? Pourquoi ce cadavre plus qu'un autre ?
Autant de questions qui resteront sans réponse.
Faut-il de toute façon y apporter une réponse ?
Saul était déshumanisé par les tâches qu'il accomplissait de façon mécanique, à travers le cadavre de cet enfant et son envie de lui offrir des rites funéraires décents c'est son âme qui lui est rendue.
La force de ce film, et l'idée géniale de László Nemes, c'est de ne jamais montrer l'horreur en face. 
La caméra ne cesse de suivre le Sonderkommando, particulièrement Saul, soit de dos soit face à lui.
Elle ne s'attarde pas, elle ne fait pas de voyeurisme, elle est sans cesse en mouvement et en action.
A l'image de ce plan d'ouverture, la mort est toujours en arrière-plan, dans le flou ou hors-champ.
C'est un film parfaitement maîtrisé, ce qui est d'autant plus surprenant qu'il s'agit d'une première réalisation pour László Nemes.
Je suis partagée, à la fois curieuse de voir sa prochaine réalisation mais je me dis aussi qu'après avoir atteint une telle perfection je n'ai pas forcément envie de voir autre chose de ce réalisateur.
A travers ce film, j'ai réalisé comme jamais auparavant à quel point le système de fonctionnement d'Auschwitz-Birkenau avait été pensé et rationalisé, même si je l'ai lu et entendu à de nombreuses reprises, j'ai aussi mieux compris comment fonctionnaient les chambres à gaz, des images ont été mises sur des mots dont je n'arrivais pas toujours à me représenter toute l'ampleur.
C'est par le détail des tâches, par les gestes mécaniques et répétitifs de Saul et des autres membres du Sonderkommando que j'ai pu prendre conscience de tout cela.
Ce film est une fiction mais qui s'inspire de faits réels, notamment la préparation d'une révolte et d'un soulèvement du Sonderkommando dans lequel travaille Saul.
Cela a représenté un travail de cinq ans pour László Nemes, le résultat à l'écran est tout simplement éblouissant et percutant.
Le personnage de Saul est très justement interprété par Géza Röhrig.
Il sombre dans un forme de folie, anéanti par toutes les horreurs qu'il a vues et auxquelles il a participé par la force des choses.
Sa rédemption, c'est d'offrir une sépulture décente à cet enfant qu'il dit être son fils.
L'un des membres du Sonderkommando lui dit quelque chose de très juste à ce sujet et qui m'a particulièrement marquée : "Tu as abandonné les vivants pour les morts.", sauf que les vivants ne sont eux-même qu'en sursis.
Je crois plutôt que Saul a fini par retrouver une âme et que celle-ci le pousse à ne plus continuer à vivre ainsi, si tant est que l'on peut dire vivre pour décrire une telle situation.
Il serait trop réducteur de résumer ce film à une descente aux enfers et dans les bas-fonds de l'horreur, il y a autre chose dessous, une autre histoire exposée de façon très pudique, celle d'un homme parmi tant d'autres en 1944 à Auschwitz-Birkenau, celle de Saul.


"Le fils de Saul" de László Nemes est un film choc, percutant, sans doute parmi les plus intelligents et les mieux faits traitant de la Shoah, si ce n'est le plus grand, en tout état de cause un chef-d'oeuvre, un pur chef-d'oeuvre.

Ce film a reçu le Grand Prix du jury au Festival de Cannes 2015.





samedi 21 novembre 2015

Walking Dead Tome 14 Piégés ! de Robert Kirkman et Charlie Adlard


Suite à la tragédie qui vient d'ébranler la tranquille communauté d'Alexandria, Douglas Monroe cède sa place de leader à Rick. Son sang-froid, son organisation et sa lucidité durant l'agression du groupe de maraudeurs ont prouvé à tous sa capacité à faire face à ce genre de situation extrême. Reste que les coups de feu échangés semblent avoir attiré l'attention sur des kilomètres à la ronde. (Delcourt)

Les personnages de "Walking Dead" se sont crus "Libérés, délivrés" mais que nenni, il n'en était rien, et aujourd'hui ils ont des centaines de rôdeurs qui viennent s’avachir le long de la clôture de leur petit nid douillet et menacent leur sécurité, leur tranquillité,
Rick est (re)devenu le leader du groupe après la démission de Douglas Monroe, qui est soit dit en passant une véritable loque, et redécouvre les joies (s'il y en a) et surtout les choix à faire lorsque l'on a un groupe de survivants à diriger et à maintenir en vie, particulièrement quand derrière les murs il y a une cohorte de morts-vivants qui se pressent, s'entassent et cherchent à atteindre la chair humaine se trouvant à l'intérieur : "J'avais oublié ça depuis la prison ... Les grognements. Les avoir de l'autre côté du mur ... quel bruit horrible.".
Une chose est sûre, Rick a changé, après de nombreuses erreurs, choix hasardeux mais aussi décisions courageuses il se rend compte ici d'une chose très importante, et que le lecteur avait bien saisi des tomes précédents, le plus grand danger ne vient peut-être pas des morts-vivants mais des vivants eux-mêmes et ce, qu'importe le lieu où l'on se trouve : "Je n'en reviens pas d'avoir mis aussi longtemps à comprendre ... après avoir été baladé d'un endroit à l'autre ... le problème, c'est toujours les gens. C'est terrible de dire ça, mais ... les morts c'est une menace gérable.".
Après treize tomes on pourrait craindre que les auteurs n'arrivent plus à se renouveler et à insuffler une nouvelle dynamique dans leur histoire, fort heureusement il n'en est rien et ce quatorzième tome repart sur les chapeaux de roue, dans une nouvelle direction qui laisse même entrevoir une forme de survie possible, une véritable et non un simulacre, une première dans l'univers de "Walking Dead" : "Après tout ce qu'on a traversé, tous les gens qu'on a perdus ... je ressens quelque chose que je croyais perdu à jamais ... l'espoir.".
Connaissant les auteurs je me demande si ceci n'est pas qu'un feu de paille destiné à cacher de nouvelles horreurs il n'empêche que même si des événements se déroulant dans ce tome sont tragiques, il y a une lueur d'espoir à la fin.
Je note qu'il y a un véritable retour des scènes d'action, le coup de crayon de Charlie Adlard est reparti de plus belle et offre de très belles planches dynamiques; quant au scénario de Robert Kirkman il propose de nouvelles pistes à explorer et continue à s'intéresser et de très près aux personnages et à leur psychologie, même si ce n'est pas ici le cœur du roman.

En somme, plutôt que de lasser la série "Walking Dead" ne cesse de se renouveler, d'apporter de nouvelles situations, de nouveaux personnages, ce quatorzième tome intitulé "Piégés !" en est la preuve, et ceci pour le plus grand bonheur des lecteurs.
J'apprécie énormément cette série qui ne m'a jusqu'à présent jamais déçue, c'est très rare dans une série aussi longue qu'il n'y ait aucun relâchement et aucun passage à vide et ceci mérite d'être souligné.

vendredi 20 novembre 2015

Le roman de la momie de Théophile Gautier


Dans un tombeau de la Vallée des Rois, un jeune lord anglais et un archéologue découvrent la momie d'une jeune fille à la bouleversante beauté. Près d'elle, un papyrus raconte son histoire... Ainsi nous est révélé le destin de Tahoser, fille d'un grand prêtre d'Egypte, qui s'éprend d'un Hébreu. Elle est prête à partager la vie du peuple esclave, mais Pharaon, passionnément amoureux d'elle, la fait enlever et lui offre puissance et richesse... Le drame culmine lorsque, sur les pas de Moïse, les Hébreux se mettent en marche vers la mer Rouge, bientôt poursuivis par le monarque à la tête de son armée. (Le Livre de Poche)

"Le roman de la momie" a été publié en feuilleton, à l’époque où les romans historiques étaient fortement en vogue, pour ne pas dire très tendance.
De Théophile Gautier, j’ai déjà lu la nouvelle « Arria Marcella » qui traite d’un homme qui, à l’occasion d’une visite du site archéologique de Pompéi, tombe fou amoureux de l’image d’une jeune femme morte dans l’éruption du Vésuve.
Ici, le principe est un peu le même puisque un jeune aristocrate Anglais, Lord Evandale, et un égyptologue Allemand, le docteur Rumphius,  découvrent dans la vallée de Biban-el-Molouk une tombe inviolée.
Dans le sarcophage normalement réservé à pharaon, les hommes découvrent la momie parfaitement conservée d’une jeune fille de toute beauté : Tahoser.
La suite s’attache à raconter la vie de cette jeune fille et particulièrement ses amours.

La belle Tahoser, fille d’un grand prêtre d’Egypte, est riche et pourrait avoir n’importe qui tant les hommes soupirent sur son passage devant tant de grâce et de beauté.
Mais voilà,  "La passion ne calcule pas.", et Tahoser est amoureuse du mystérieux Poëri, un Juif promis à la belle Rachel.
Tahoser fuit de chez elle, se fait passer pour une fille pauvre et entre ainsi dans la maison de Poëri sous le nom de Hora, elle découvre l’amour secret de cet homme à l’occasion d’une filature qu’elle fait de Poëri dans le désert.
Mais qu’importe, Poëri et Rachel prennent la décision de la garder, en somme faire un ménage à trois.
Le souci que Tahoser ignore, c’est qu’elle a attiré l’attention de Pharaon qui est tombé fou amoureux d’elle et la fait chercher partout : "Pourtant Tahoser était bien belle, et l'amour qu'ignorait ou dédaignait le mélancolique habitant de la villa, Pharaon l'eût acheté bien cher; pour la fille du prêtre, il eût donné Twéa, Taïa, Amensé, Hont-Reché, ses captives asiatiques, ses vases d'argent et d'or, ses hausses-col de pierres coloriées, ses chars de guerre, son armée invincible, son sceptre, tout, jusqu'à son tombeau auquel depuis le commencement de son règne, travaillaient dans l'ombre des milliers d'ouvriers !".
Sur dénonciation, Tahoser est capturée par Pharaon qui l’emmène dans son palais et lui promet monts et merveilles : "Je te donne l'Egypte avec ses prêtres, ses armées, ses laboureurs, son peuple innombrable, ses palais, ses temples, ses villes; fripe-la comme un morceau de gaze; je t'aurai d'autres royaumes, plus grands, plus beaux, plus riches. Si le monde ne te suffit pas, je conquerrai des planètes, je détrônerai des dieux.".
Dans le même temps, Moïse ne cesse de demander à Pharaon de libérer de l’esclavage le peuple Juif et de laisser partir, ce que Pharaon refuse avant de céder suite à l’envoi des dix plaies d’Egypte.
Pharaon regrette très vite son geste, poursuit les Juifs mais est englouti avec son armée par les eaux de la Mer Rouge.
Tahoser devient reine d’Egypte, le récit s’arrête-là et il est dit que Lord Evandale ne s’est jamais marié, sans doute car il est tombé fou amoureux de la belle Tahoser morte depuis plusieurs siècles.

Ce récit est très romantique, voire trop, en tout cas pour ma part j’ai presque parfois souri à la lecture des amours contrariées de Tahoser.
Evidemment elle s’entiche de la mauvaise personne, évidemment elle ne pourra pas vivre l’histoire d’amour qu’elle souhaite, pourtant elle finit par s’accommoder de la vie avec Pharaon.
Je trouve ce revirement de personnalité quelque peu surprenant, mais je comprendre tous les attraits de la vie dans un palais somptueux avec une richesse des plus grandes.
Je ne m’attarderai pas trop sur la pseudo proposition de ménage à trois, j’ai trouvé ça résolument moderne pour l’époque, que ce soit du point de vue historique du récit que de celui de l’année d’écriture du roman.
Mais bon pourquoi pas, si tout le monde est heureux ainsi soyons fous !
Ce qui m’a le moins séduite dans ce roman, mais qui s’explique peut-être par sa publication sous forme de feuilleton, c’est le mélange dans les faits historiques et l’apparition presque soudaine d’indications de la Bible figurant dans "Le livre de l’exode".
J’avais presque l’impression de lire un récit issu des "Dix commandements" avec Charlton Heston dans le rôle de Moïse, avec les dix plaies d’Egypte, la fuite des Hébreux, alors que je ne m’attendais pas du tout à ça, d’ailleurs le début de l’histoire ne le laissait absolument pas prévoir.
Cette subite direction prise par l’auteur reste un mystère pour moi, et ça arrive un peu comme un cheveu sur la soupe.
Malgré quelques erreurs et anachronismes, l’intérêt majeur de ce roman tient dans son ancrage historique fidèle.
Toutes les scènes et les objets de la vie quotidienne des Égyptiens sont fidèles à la réalité, très détaillés ; ainsi que les fouilles archéologiques en début de roman.
Ce sont tous ces aspects qui donnent tout son intérêt à cette lecture.
J’y ai également trouvé quelques similitudes avec "Arria Marcella" : sur la fidélité historique mais aussi avec une héroïne belle, morte il y a plusieurs centaines d’années et qui éveille encore un intérêt amoureux chez les hommes d’aujourd’hui.


"Le roman de la momie" est un roman au charme suranné dont l’intérêt principal réside dans la fidélité historique sur les modes de vie des Égyptiens.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2015 / Chute de PAL




jeudi 19 novembre 2015

Mermaid Project Episode 3 de Léo, Corine Jamar et Fred Simon


Pennac, femme flic parisienne, a découvert les agissements inquiétants de la société Algapower pour laquelle travaille son frère. Cette société manipule le génome humain et le mélange à celui de dauphins afin de développer une nouvelle race qui sera utilisée dans un but purement économique… L’un de ces cobayes, le dauphin Delph, a sacrifié sa vie pour aider Pennac. De Paris à Rio de Janeiro en passant par New York et le Canada, Pennac va mener une enquête aux tenants et aboutissants effrayants ! (Dargaud)

Après New York, direction Rio de Janeiro où Algapower a délocalisé son activité et ses expériences.
Algapower est décidément une entreprise très puissante, et très louche, qu’il sera très difficile de faire tomber et de dénoncer ses activités illégales, ne serait-ce que parce que certains pays espèrent grâce à ses recherches retrouver leur gloire passée : "Ils ont des ramifications partout et les expériences qu'ils développent intéressent ce qu'il reste des armées de beaucoup de pays.".
Romane Pennac continue d’être toujours aussi efficace et récupère des compliments de partout et de tout le monde : "De nos jours, une femme blanche qui arrive jusqu'au grade d'inspecteur signifie qu'elle est très capable.".

C’est vraiment un personnage intéressant qui prend de l’ampleur au fur et à mesure de l’aventure, ainsi que sa nièce qui intéresse beaucoup de monde à commencer par Algapower : "Je ne vais pas vous faire un dessin : votre nièce est le fruit de l'union de deux personnes dont le patrimoine génétique a probablement été modifié. Elle est certainement très précieuse aux yeux d'Algapower.".
Certes, ce rebondissement n’est pas des plus surprenants mais je trouve que bien qu’écrit à deux le scénario reste toujours cohérent et a le mérite de développer d’autres intrigues autour de la principale.
D’ailleurs, il n’y a pas que les personnages de Romane et de sa nièce qui prennent de l’importance mais aussi celui de son frère.
Après l’accent mis sur la problématique écologique, ce sont les manipulations génétiques qui sont au cœur de l’intrigue et j’aime assez le côté ironique qu’il y a là-dessous : si les forces politiques ont changé, la recherche du profit par de grands groupes et le saccage de vies humaines ou animales pour parvenir à ses fins sont eux toujours des constantes dans l’histoire de l’Humanité.
J’aime beaucoup la dynamique donnée à chaque tome, avec des changements de lieux qui sont systématiquement bien représentés.
Cela donne de la diversité à l’histoire et aux personnages, l’intrigue prend le temps d’être posée et déroulée, elle n’est pas expédiée et aucun tome ne connaît jusqu’à présent de temps mort.
Je suis toujours un peu frustrée quand je commence une série non achevée à ce jour, d’autant plus que j’ai ici vraiment hâte de découvrir ce que les auteurs nous réservent dans l’avant-dernier tome de cette série, mais je vais devoir prendre mon mal en patience et attendre pour lire la suite.

Ce troisième tome de la série "Mermaid Project" est dans la continuité des deux premiers et s’inscrit comme de la bonne, voire très bonne, science-fiction en bande dessinée.

Voilà un nouveau projet auquel participe Léo et que j’apprécie particulièrement, tout comme les précédents.

mercredi 18 novembre 2015

Mermaid Project Episode 2 de Léo, Corine Jamar et Fred Simon


Deuxième épisode de Mermaid Project, une BD qui se déroule au milieu du XXIe siècle entre Paris et New York. Partie enquêter à New York sur la disparition de corps humains, l’inspectrice Romane découvre qu’une société, Algapower, se livre à des manipulations génétiques douteuses. La découverte – dans une base secrète de l’ONU – d’un dauphin auquel on a greffé des parties d’un cerveau humain la convainc qu’il faut découvrir ce qui se passe réellement dans les laboratoires d’Algapower… Pourquoi cette société s’adonne-t-elle vraiment à la recherche génétique ? (Dargaud)

Après un premier tome qui posait les bases de l’intrigue, elle a tout le loisir d’être développée et expérimentée dans ce deuxième tome de la série "Mermaid Project".
Romane est toujours sur la piste d’un mystère à la société Algapower, elle accompagne l’agent El Malik mais la jeune femme commence à peu à s’impatienter et se fâcher, car elle a l’impression que son compagnon de travail est loin de tout lui dire : "Je pensais que nous formions une équipe, vous et moi ! Que vous aviez un minimum de confiance en moi et que vous alliez bientôt me mettre au courant ! Au lieu de quoi vous restez aussi muet qu'une carpe !".
L’enjeu de ce tome est de délivrer les dauphins retenus par Algapower à New York pour réaliser leurs expériences, pour cela Romane est aidée d’un dauphin répondant au nom de Delph, un dauphin quelque peu étrange car modifié génétiquement par Algapower afin de le doter de la parole.
S’il restait encore quelques doutes sur les pseudos bonnes intentions d’Algapower il n’en demeure plus aucune à ce moment-là, d’ailleurs le frère de Romane est aussi en train de se rendre compte qu’il s’est peut-être laissé embarquer dans un travail qui le dépasse et qui pourrait aller à l’encontre de sa moralité : "Rien n'est impossible pour un scientifique résolu, et prêt à ... certains sacrifices, docteur Pennac !".
Le scénario s’étoffe véritablement, des questions commencent à se poser sur la véritable nature de Romane ainsi que sur celle de sa nièce restée à Paris, ladite nièce qui lui a d’ailleurs confié le texte d’une chanson qu’elle a écrite et dont les paroles sont plus que prémonitoires par rapport à la situation des dauphins à Algapower que Romane va découvrir.
Il y a beaucoup de rebondissements et l’intrigue ne connaît pas de temps mort.
J’ai également beaucoup apprécié les personnages, Romane est très attachante et sa relation professionnelle avec El Malik fonctionne bien.
Les auteurs ne sont pas tombés dans le piège d’une relation trop facile qui se bâtit en un claquement de doigts au contraire, elle se fait au fur et à mesure et les deux personnages interagissent bien entre eux.
Les deux points forts de cette série sont, de mon point de vue, le contexte original et les personnages.
Pour le graphisme, j’ai fini par m’y habituer et la mise en couleurs est des plus réussies.
L’histoire s’enfonce encore plus dans la science-fiction et que dire de la chute de ce deuxième tome à part qu’elle ne donne qu’une envie : lire la suite !
Toutefois, si vous avez deux sous de jugeote et quelques notions d’anglais, le titre de la bande dessinée pourrait vous mettre sur la voie.

Le deuxième tome de "Mermaid Project" est tout aussi passionnant que le premier et je me suis très vite attachée au personnage de Romane.

Encore une très bonne série à ajouter à l’univers de la science-fiction en bande dessinée.

mardi 17 novembre 2015

Mermaid Project Episode 1 de Léo, Corine Jamar et Fred Simon


Paris, dans un futur proche. L’inspecteur Romane Pennac se voit confier des enquêtes sans intérêt jusqu’au jour où un couple vient la voir à propos du décès de leur fille dont le corps a, en outre, disparu. La jeune fille travaillait à New York pour la société Algapower, une entreprise spécialisée dans la production de méthane (un substitut au pétrole, devenu rare) qui procède à des manipulations génétiques sur des algues afin d’en tirer de l’énergie. Romane, dont le frère travaille pour Algapower, réussit à convaincre son chef d’aller enquêter à New York. Sur place, elle découvre que les activités de la société ne se limitent pas à la production énergétique et que leurs expériences vont bien plus loin que l’imaginable… (Dargaud)

Léo excelle dans les bandes dessinées de science-fiction, il a le chic pour créer des univers et des atmosphères aussi étais-je quelque peu curieuse de voir ce que cela donnait avec cette nouvelle série, d’autant que la couverture laisse bien penser qu’il s’agit de science-fiction mais se situant cette fois-ci dans un univers qui nous est connu : la Terre.
Tout commence à Paris avec Romane Pennac, une inspecteur de police, qui jusque-là enquête à peu de choses près sur les chats écrasés.
Jusqu’au jour où un couple franchit son bureau car le corps de leur fille a disparu et que ces personnes disent à Romane qu’ils ont eu son nom par une personne travaillant à Algapower.
Or la seule personne que Romane connaît et qui y travaille c’est son frère, et elle est en froid avec lui depuis de nombreuses années.

Si l’intrigue se passe sur notre chère planète Terre, les choses ne sont plus tout à fait comme nous les connaissons.
Les ressources naturelles ont effectivement été épuisées, cela a engendré de profonds changements climatiques qui ont eux-mêmes engendré des changements politiques.
Ainsi, les pays dits émergents aujourd’hui dominent désormais le monde et font bien payer aux autres pays les erreurs du passé : "Aujourd'hui, ils prennent leur revanche. C'est pas terrible mais c'est compréhensible. Maintenant ils nous voient, nous les blancs, surtout les blonds, comme le symbole de l'ancien dominateur qui a failli détruire la planète.".
La vieille Europe n’a jamais aussi bien porté son nom et l’on comprend mieux cette couverture avec une Tour Eiffel en ruine.
D’ailleurs tous les symboles et les monuments qui faisaient la gloire des pays de l’Occident ne sont plus que ruines ou dans un état de délabrement avancé.
J’ai littéralement adoré ce concept, à savoir que l’Occident n’est plus le maître du monde et que les autres pays lui rendent aujourd’hui la monnaie de sa pièce.
Tout comme j’ai apprécié la sensibilité ici mise en avant sur les problématiques écologiques.
J’ai d’ailleurs noté à travers les dessins que la nature reprenait systématiquement ses droits, il y a toujours de la verdure dans les décors et les bâtiments.
C’est donc de la science-fiction, mais une forme proche temporellement de nous et somme toute assez plausible.
Ce premier tome sert surtout à placer le scénario et à présenter les personnages, cette nouvelle série part en tout cas sur une très bonne base.
C’est donc avec un certain plaisir que j’ai suivi les aventures de Romane et de l’agent El Malik, de Paris à New York en passant par les locaux de la société Algapower, spécialiste du biométhane mais aussi, et ce de façon totalement secrète voire illégale, de manipulation génétique sur les dauphins et pourquoi pas sur les humains : "On dit qu'ils ont un programme très ambitieux de recherches génétiques non seulement sur les algues à méthane mais sur les dauphins. Algapower a entamé une série de recherches très poussées sur ces animaux.".
Les dessins sont de Fred Simon et si j’avoue ne pas avoir tout de suite apprécié son coup de crayon par rapport à celui de Léo j’ai néanmoins fini par m’y habituer.


"Mermaid Project" est une nouvelle série de science-fiction en bande dessinée qui démarre plutôt bien, avec une intrigue captivante et des personnages qui le sont tout autant.

Top Ten Tuesday #127


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani, puis désormais par Froggy.

Les 10 meilleurs BD et/ou Manga que vous avez lus

1) "Quartier lointain" de Jirô Taniguchi
2) "L'épervier" de Patrice Pellerin
3) "Aldebaran" de Léo
4) "Les passagers du vent" de François Bourgeon
5) "Le sursis" de Jean-Pierre Gibrat
6) "Le vol du corbeau" de Jean-Pierre Gibrat
7) "Maus" d'Art Spiegelman
8) "Valérian et Laureline" de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin
9) "Les années douces" de Jirö Taniguchi
10) "Cesare" de Fuyumi Soryo

lundi 16 novembre 2015

Le papyrus de César de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad


Qu’on se le dise LES GAULOIS sont de retour, c’est officiel : César n’a vraisemblablement pas fini de « veni, vidi….. » reste à savoir si pour une fois il « vici » ! (Albert René)

César a écrit "La guerre des Gaules", en son honneur, sauf qu'il est bien embêté par un passage concernant la conquête de toute la Gaule.
Toute ? Non, car un village d'irréductibles gaulois en Armorique lui résiste encore et toujours !
Qu'importe, son éditeur Promoplus lui suggère une solution : "Supprime-le, ô César ! Ce passage est une tâche sur ton curriculum vitae.".
Il ne faut pas le dire deux fois à César qui s'exécute aussitôt, son livre est publié, c'est un succès, mais l'un des scribes Numides muets dérobe le dernier exemplaire du papyrus censuré, parce qu'il estime que le monde doit connaître la vérité : "Un scribe qui pense ! On aura tout lu !".
C'est un colporteur du nom de Doublepolémix qui récupère ce papyrus et fuit avec en Gaule, où il arrive bien évidemment dans la forêt jouxtant le village d'Astérix et d'Obélix : "J'ai sur moi un document qui va faire trembler l'empire : le papyrus manquant du livre de César !".
Cette affreuse nouvelle parvient aux oreilles de Promoplus, bien décidé à aller le récupérer pour éviter de finir jeté en pâture aux lions : "Le papyrus chez les irréductibles ? Mais, Kefélapolis, si ça s'ébruite, pour moi, c'est le cirque !".
Pendant ce temps, Astérix, Obélix, Panoramix et Idéfix partent en direction de la forêt des Carnutes pour faire enregistrer dans la mémoire Gauloise le fameux papyrus.

Que de ramdam pour un malheureux bout de papier ! Enfin, de papyrus.
Mais quel plaisir de retrouver Astérix et Obélix dans une nouvelle aventure !
Je n'ai pas lu le dernier tome paru avant celui-ci, j'étais quelque peu méfiante de la reprise de ces personnages cultes de la bande dessinée par d'autres personnes que les créateurs originaux.
Apparemment bien m'en a pris car les avis étaient quelque peu mitigés, par contre je me suis rapidement procurée celui-ci et là aussi j'ai bien fait, car les critiques sont plus qu’enthousiastes, la mienne le sera aussi.
Les dessins de Didier Conrad sont très proches de ceux d'Albert Uderzo, je n'ai pas eu l'impression à la lecture d'avoir deux dessinateurs différents entre cette aventure et les précédentes.
Le scénario Jean-Yves Ferri est à la fois original et résolument moderne, les nouvelles technologies étant au cœur de l'histoire.
Il y est question de pigeons voyageurs, de circulation de l'information, de Twit twit qui ne sont pas sans rappeler un certain réseau social, c'est jeune, c'est moderne, ça passe bien et ça pourra ainsi être lu par toutes les tranches d'âge : par les plus âgés qui ont été bercés dès leur enfance par Astérix et par les plus jeunes qui découvrent ce héros.
Au point de vue scénario et déroulement de l'histoire, c'est très fidèle à l'esprit de René Gosciny, j'y ai retrouvé toute la malice que ce dernier glissait dans les aventures d'Astérix et les répliques des différents personnages.
Les gags s'enchaînent, ils prêtent tous à sourire voire à rire, comme d'ordinaire il y a beaucoup de références dans l'histoire, les personnages, les dessins, de jeux de mots ou des phrases courantes réutilisées à bon escient : "Tu l'auras pas ! Ce papyrus appartient à César ! Et comme chacun sait,  il faut rendre à César ce qui lui appartient !", l'ensemble est dynamique et fonctionne, c'est extrêmement plaisant à lire, et divertissant.
J'ai beaucoup aimé le petit clin d’œil à la fin, bien que je me demande dans quelle mesure il n'a pas été fait pour inciter à acheter d'autres aventures d'Astérix.
Mais prise par l'enthousiasme de cette lecture, il semblerait que quelques références et clins d’œil aient échappé à ma vigilance, je vais donc devoir y remédier en relisant cet album.

"Le papyrus de César" est un excellent opus de la franchise Astérix, j'aime, j'adhère, je recommande et j'en redemande !
A quand un prochain tome aussi bon que celui-là ?

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2015 / Chute de PAL


dimanche 15 novembre 2015

Délivrances de Toni Morrison


Dans son onzième roman, qui se déroule à l'époque actuelle, Toni Morrison décrit sans concession des personnages longtemps prisonniers de leurs souvenirs et de leurs traumatismes. Au centre du récit, une jeune femme qui se fait appeler Bride. La noirceur de sa peau lui confère une beauté hors norme. Au fil des ans et des rencontres, elle connaît doutes, succès et atermoiements. Mais une fois délivrée du mensonge - à autrui ou à elle-même - et du fardeau de l'humiliation, elle saura, comme les autres, se reconstruire et envisager l'avenir avec sérénité. (Christian Bourgois)

Chère Toni Morrison, Dear Toni Morrison,

Dans un souci de lectorat majoritairement en langue Française, je vais devoir abandonner la langue de Shakespeare pour continuer dans celle de Molière.
Qu'importe, car je crois que le ressenti, les sentiments et les émotions sont un langage universel compréhensibles de tout à chacun.
Il y a longtemps que j'entends parler de vous, Toni Morrison, longtemps que vos œuvres parviennent jusqu'à mes oreilles sous forme de louanges : un Prix Pullitzer, un Prix Nobel de Littérature, "Beloved" étant le roman qui vous a fait connaître en France.
Pourtant, ce n'est que tardivement que j'ai commencé à vous lire, à découvrir votre plume, avec "Home", une sorte de synthèse de tout ce que vous avez écrit jusqu'à présent; puis avec "Le chant de Salomon"; et enfin avec "Délivrances", votre dernière oeuvre publiée en France.
C'est d'ailleurs de "Délivrances" dont je souhaite vous parler, et tout d'abord du titre.
"Délivrances" dans mon esprit cela fait écho à une supplique, une prière : "Seigneur, délivrez-nous du mal", et ici, vos personnages sont en quête de rédemption, d'une certaine manière.
Il y a cette jeune femme qui se fait appeler Bride, de son vrai nom Lula Ann, une superbe Vénus à la peau noire, mal-aimée par sa mère, abandonnée sans explication par son amant, une femme qui s'est hissée socialement à la seule force de sa volonté, et en jouant de son superbe physique noir en rehaussant l'éclat de sa beauté en se vêtant uniquement de blanc : "A l’exception de Sylvia, Inc. et de Brooklyn, elle avait le sentiment d'avoir été toute sa vie méprisée et rejetée par tout le monde. Booker était la seule personne qu'elle était capable d'affronter, ce qui revenait à s'affronter soi-même, à se défendre soi-même. Ne valait-elle pas quelque chose ? Quoi que ce soit ?"; il y a Sweetness, la mère de Lula Ann, une apparition fugace dans le roman, une presque mauvaise mère qui a toujours eu du mal à aimer sa fille, parce qu'elle était trop noire et elle presque blanche, si elle cherche le pardon de sa fille, je n'en suis pas bien sûre; il y a Brooklyn, la seule amie de Bride, qui la comprend à peu près, mais qui n'hésite pas à la trahir lorsque l'occasion se présente; il y a Rain et Sofia, une petite fille et une femme qui vont jouer un rôle déterminant dans les décisions prises par Bride; et puis il y a Booker, l'homme que Bride aime, et qui aime Bride, mais qui, comme elle, est rongé par son passé et n'arrive pas à s'en débarrasser, à tel point qu'il aime Bride sans vouloir le reconnaître, car elle l'émeut, elle fait vibrer sa corde sensible : "De temps à autre, elle abandonnait les dehors de maîtrise totale qui étaient ceux de la chef d'entreprise branchée au succès époustouflant, pour confier quelque défaut ou douloureux souvenir d'enfance. Et lui, sachant tout de la façon dont les blessures d'enfance suppuraient et jamais ne cicatrisaient, il la consolait, non sans dissimuler sa rage à l'idée de quiconque en train de lui faire du mal.", pourtant il la quitte sans un mot, sans une explication.
Jusqu'à présent, j'ai toujours trouvé dans vos romans une dimension religieuse, celui-ci ne fait pas exception à la règle car on y retrouve tous les thèmes qui vous sont chers, notamment celui de la place des Afro-américains dans l'Amérique actuelle, le racisme, la discrimination.
Certains pourraient dire que vous ne vous renouvelez pas, pourtant à chaque fois vous abordez ces sujets sous un autre angle, toujours avec brio et avec une émotion sans cesse renouvelée.
Ici, vous y ajoutez une dimension fantastique, à travers le personnage de Bride qui constate des changements physiques, comme si elle redevenait la petite fille qu'elle a été un jour et qui ne cessait de vouloir attirer l'attention de sa mère : "C'est alors qu'elle comprit que les changements corporels n'avaient pas seulement débuté après qu'il était parti, mais parce qu'il était parti.".
Je me suis demandée où vous vouliez en venir avec cet aspect presque inhabituel chez vous, la fin apporte toutes les réponses.
Votre roman n'est pas le récit d'une délivrance, mais de plusieurs délivrances : celle de la naissance, celle de l'enfance, celle du mensonge, celle des blessures et des erreurs du passé, celle d'une vie d'adulte qui ne convient pas; en somme, c'est une véritable mue de serpent que vous faites faire à vos personnages.
Et avec quel talent.

Il ne me reste plus qu'à vous remercier, chère Toni Morrison, pour ce merveilleux, émouvant et bouleversant roman.
C'est toujours avec grand plaisir que je vous lis, je vous donne donc rendez-vous au hasard d'une prochaine lecture d'un roman de votre cru.

Une lectrice parmi tant d'autres.

Livre reçu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire 2015 organisés par Price Minister #MRL2015


Pray for Paris


Pas de mots assez forts pour décrire l'horreur, le ressenti, les émotions qui m'agitent, qui nous agitent, depuis plus de 24 heures désormais.
Toutes mes pensées vont aux victimes, à leurs familles; mais aussi aux sauveteurs, aux médecins, aux infirmiers, à tous les anonymes qui se sont mobilisés et se mobilisent encore.

Cela n'aurait dû être qu'un vendredi soir sur la Terre.

Persepolis - Tome 4 de Marjane Satrapi


Difficile de faire plus attendu que ce quatrième et dernier tome de Persépolis de Marjane Satrapi. La jeunesse et les premiers pas dans la vie adulte d'une jeune Iranienne au caractère bien trempé et à la langue bien pendue. Avec, en arrière-plan, le récit des événements tragiques qui ont constitué le quotidien de l'Iran contemporain. (L'Association)

Si l'intégration en Autriche dépeinte dans le troisième tome n'avait pas été évidente, il en va de même pour ce retour au pays.
Marjane, au début heureuse de ce retour parmi les siens, sombre bientôt dans une dépression, et comprend bien vite que pour les Occidentaux elle était une Iranienne et que pour les Iraniens, y compris ses ami(e)s, elle n'est qu'une Occidentale : "Derrière leur apparence de femmes modernes, mes amies étaient de vraies traditionalistes. Elles étaient saturées d'hormones et de frustrations, d'où leur agressivité à mon égard. Pour elles, j'étais devenue une occidentale décadente.".
Il va lui falloir une sorte d'électrochoc, la visite à l'un de ses amis d'enfance désormais mutilé et handicapé par la guerre, pour retourner à la vie et sortir de sa chambre : "Ce jour-là, j'appris une chose fondamentale : on ne peut s'apitoyer sur soi que quand nos malheurs sont encore soutenables. Une fois cette limite franchie, le seul moyen de supporter l'insupportable, c'est d'en rire.", et se décider d'appliquer à la lettre le conseil fondamental de sa grand-mère : être soi-même.
Marjane sort, s'amuse - non sans risque - avec ses ami(e)s, s'inscrit à l'université pour entreprendre des études artistiques, et rencontre Reza dont elle tombe amoureuse, et qu'elle finit même par épouser, non par amour véritable mais parce que la vie était quasi impossible pour des couples non mariés : "Nous rentrâmes chez nous. Quand la porte de l'appartement se referma, j'eus une sensation bizarre. Je regrettais déjà ! J'étais soudain devenue "une femme mariée". J'avais suivi le schéma social alors que j'avais toujours voulu rester en marge. Dans ma tête "une femme mariée" n'était pas comme moi. Cela demandait trop de compromis. Je ne pouvais pas l'accepter, mais c'était trop tard.".
Elle en divorcera d'ailleurs tout aussi rapidement qu'elle l'a épousé, après des mois de disputes, de bagarres, de silences incessants.
C'est une Marjane plus adulte mais pas tout à fait encore que le lecteur découvre ici.
Elle se piège elle-même dans ce mariage, pourtant elle ne muselle plus plus ses pensées, ses paroles, son envie de liberté et trouve un exutoire à tout cela à travers le dessin.
Marjane n'est pas dupe, elle se rend bien compte que l'époque n'est plus aux manifestations, aux révoltes, le régime en place a le pouvoir absolu, il a fini par museler la population et la forcer à fermer les yeux à force de réprimandes sévères et sanglantes : "Le régime avait le pouvoir absolu et la plupart des gens, à la recherche d'un nuage de bonheur, avaient oublié leur conscience politique.".
J'aime beaucoup ce qu'est devenue Marjane, elle trouve une forme d'équilibre et de bonheur et il lui fallait sans doute cela pour pouvoir quitter définitivement l'Iran, ce qu'elle finit par faire pour la France où elle habite depuis lors, poussée par ses parents mais cette fois-ci où chacun sait que le point de non-retour est atteint : "Cette fois, tu pars pour toujours. Tu es une femme libre. L'Iran d'aujourd'hui n'est pas pour toi. Je t'interdis de revenir !".
C'est à la fois une chance pour Marjane et une sévère désillusion pour ses parents qui, rappelons-le, ont vraiment cru à un nouvel Iran après la chute du Shah.
J'y suis allée de ma petite larme sur les derniers mots de Marjane Satrapi par rapport à son départ et au fait qu'elle n'aura pu revoir vivante sa grand-mère qu'une seule fois car, comme elle le dit, la liberté a un prix et j'ai malheureusement pu découvrir bien qu'à une plus petite échelle et dans un autre contexte ce que cela faisait de perdre quelqu'un de sa famille lorsque l'on est à des milliers de kilomètres de là.
A la fin, c'est une Marjane complètement adulte que le lecteur a sous les yeux, la chrysalide a fini par donner naissance à un très beau papillon tout sauf éphémère.
Ce quatrième tome était attendu, j'ai trouvé que c'était le parfait aboutissement de toute cette histoire.
L'Histoire est un peu moins présente mais la part belle est donnée aux sentiments, aux émotions, aux modes de vie des Iraniens sous le régime islamiste et, bien que ce pays tende aujourd'hui à s'ouvrir un peu plus, cela donne un aperçu assez fidèle et d'un certain côté glaçant de ce qu'ont pu vivre, et vivent encore, les Iraniens.
Dans un sens, cette bande dessinée permet aussi de changer notre regard d'Occidentaux sur l'Iran et sur son histoire.
Pour ma part, j'ai trouvé cette lecture très enrichissante et très intéressante sur bien des aspects, et le graphisme est des plus réussis.

Comme bon nombre de personnes, j'ai découvert Marjane Satrapi et "Persepolis" à travers le dessin animé qu'elle en a fait avec Vincent Paronnaud.
J'ai attendu plusieurs années pour lire la bande dessinée, afin de laisser reposer l'histoire et les personnages qui étaient bien frais dans ma mémoire, et c'est une excellente chose.
A toutes les personnes qui ont vu le dessin animé j'ai envie de leur dire de se ruer sur cette excellente bande dessinée; et à toutes les personnes qui l'ont déjà lue de voir le film animé qui en a été tiré, si ce n'est déjà fait.
"Persepolis", c'est à la fois l'histoire contemporaine de l'Iran mais aussi celle plus personnelle de Marjane Satrapi, les deux étant intimement liées et les deux étant, bien entendu, à découvrir.

samedi 14 novembre 2015

Persepolis - Tome 3 de Marjane Satrapi


Pour ce troisième volume (prépublié dans le cahier d'été 2002 de Libération), nous découvrons l'exil de la petite Marjane en Autriche, ses expériences chez les bonnes sœurs et chez les autres exilés iraniens, l'apprentissage d'un Occident qui la surprend et l'amène à revendiquer haut et fort ses origines. (L'Association)

Ce troisième tome de "Persepolis" ne se passe plus en Iran mais en Autriche, à Vienne.
Dans un geste d'amour, les parents de Marjane l'ont envoyée dans ce pays, afin qu'elle reçoive une bonne éducation et qu'elle puisse grandir dans un climat de liberté.
Très vite, elle doit partir de la maison de la connaissance de sa mère et se retrouve dans un pensionnat catholique. Après quelques difficultés d'adaptation, Marjane se fait des amis, elle apprend à s'assumer mais son franc-parler va lui jouer de nouveau des tours et elle se retrouve à devoir quitter le pensionnat.
Elle trouve refuge chez un médecin, puis à la suite d'une visite de sa mère elle prend pension chez une femme un peu revêche, qu'elle finira par quitter à la suite d'une déception sentimentale et se retrouvera à la rue, puis à l'hôpital gravement malade et prendra la décision de rentrer chez elle en Iran, en se sentant peu glorieuse et peu méritante du sacrifice de ses parents ; "La honte de ne pas être devenue quelqu'un, la honte de ne pas avoir rendu mes parents fiers après tous les sacrifices qu'ils avaient faits pour moi. La honte d'être devenue une nihiliste médiocre.".

C'est un tome assez dur car les conditions de vie de Marjane sont loin d'être idylliques, elle se heurte à l'incompréhension des jeunes gens, elle ne comprend pas qu'ils crachent sur une société sans rien connaître à la guerre et à la souffrance, pourtant elle va finir par se lier d'amitié avec quelques-uns.
Ce tome, c'est un peu le choc des cultures : Marjane vient d'un pays où la pudeur, la discrétion, la conviction et le travail sont érigés comme des valeurs nationales, elle se retrouve dans un pays où les gens de son âge partagent les idées de la philosophie anarchiste, se droguent et sont libérés sexuellement.
Marjane est gênée, vis-à-vis de ses parents, elle a 'impression de les duper par rapport au sacrifice qu'ils ont consenti pour elle : "Si seulement ils savaient ... S'ils savaient que leur fille se maquillait comme une punk, qu'elle fumait des pétards pour faire bonne impression, qu'elle avait vu des hommes en slip alors qu'eux se faisaient bombarder tous les jours, ils ne m'appelleraient plus leur enfant rêvée.".
Une nouvelle fois, l'auteur a su se remettre dans la peau de l'adolescente qu'elle était à cet âge-là, je trouve ses réflexions justes et elle a très bien su retranscrire à l'image et dans le texte les difficultés auxquelles elle s'est heurtée dans un pays étranger à la culture et aux coutumes de celui d'où elle venait.
C'est aussi la période de la première aventure sentimentale de Marjane, puis les désillusions avec la découverte de l"infidélité et un fossé qui se creuse de plus en plus entre sa culture et celle de l'Autriche.
J'ai trouvé ce troisième tome particulièrement dur, Marjane vit des situations très difficiles, elle finit par dormir dans la rue, c'est un passage qui m'a énormément marquée, mais c'est aussi avec ces épisodes qu'elle va se forger son caractère et que sa foi va réapparaître pour la première fois depuis le premier volume.
Elle trouve une forme de combativité qui, à mon avis, va l'aider sa vie durant, et même si elle tombe très bas en dépression, elle va trouver le courage de se sortir de là, en rentrant en Iran auprès de sa famille.
Peu de personnes ont eu le même parcours que Marjane Satrapi, son récit est d'une justesse de toute beauté et vient nous rappeler que rien n'est jamais acquis, et qu'il n'est pas facile de s'intégrer dans un autre pays que le sien.

Cet avant-dernier tome de "Persepolis" est aussi grave que les précédents mais cette fois-ci uniquement par rapport à la petite Marjane qui se retrouve livrée à elle-même dans un pays étranger.
Un tome très touchant et un témoignage indispensable à la sensibilité à fleur de peau.

Persepolis - Tome 2 de Marjane Satrapi


1982 : il pleut des bombes irakiennes à Téhéran et Marjane a douze ans. A peu près l'âge des gamins, ceux de la femme de ménage s'entend, qui seront envoyés sur les champs de bataille munis d'une clé en plastique censée leur ouvrir les portes du paradis. Après avoir fait connaissance avec la révolution et ses corollaires terrifiants, Marjane découvre la guerre à sa fenêtre et apprend à faire la différence entre un Mig et un F14. C'est la guerre. Alors, comme dans toutes les guerres, on tâche de ne pas se laisser abattre: on s'aime, on boit, on se déchire, on s'entraide, on se méfie des voisins et on attend la fin. On grandit aussi un peu plus vite car on vit plus intensément, et la vie de suivre ou non son cours, Inch'Allah ou au petit bonheur la chance. A douze ans, on voit grand, et Marjane n'est pas du genre à s'en laisser compter. Ses parents non plus, qui prendront le risque de lui rapporter de Turquie des posters d'Iron Maiden et de Kim Wilde ou d'organiser des fêtes interdites. (L'Association)

Ce deuxième tome de "Persepolis" s'ouvre sur un événement dont j'ai appris l'existence avec le film "Argo" : la prise d'otages à l'ambassade des Etats-Unis.
Dès le début le ton est donné, la révolution culturelle Iranienne bat son plein, les universités sont fermées et Marjane voit alors l'un de ses rêves s'écrouler : "Plus d'universités ... Et moi qui voulais devenir chimiste. Moi qui voulais faire comme Marie Curie. Je voulais être une femme savante et émancipée. Je voulais attraper un cancer pour la science.".
Bien vite, le pays s'enfonce dans un obscurantisme, la révolution islamiste ne se contente pas de fermer les lieux d'instruction et de réécrire l'histoire de l'Iran, le port du voile est décrété obligatoire pour toutes les femmes, soit-disant pour les protéger des hommes : "Ainsi donc pour protéger les femmes de tous les violeurs potentiels, le port du voile fut décrété obligatoire.", certains fuis le pays tandis que des purges d'opposants politiques se mettent en place.
Puis, c'est la guerre Iran-Irak qui éclate, un conflit qui durera huit ans et coûtera la vie à de nombreuses personnes, le régime au pouvoir n'hésitant pas à faire sortir de prison des opposants politiques afin de les envoyer se battre et mourir en héros.
J'ai trouvé particulièrement belle et juste une phrase d'une camarade de classe de Marjane alors que celle-ci tente de la consoler de la mort de son père : "J'aurais préféré qu'il reste en prison vivant, que héros mais mort.".
L'histoire traite également de l'enrôlement/endoctrinement de nombreux jeunes gens sous la promesse d'un paradis certain à leur mort, pour cela on leur remettait une clef qu'il devait porter sur eux : "La clef du paradis, c'était pour les démunis. En leur assurant une vie meilleure, des milliers de jeunes, leur clef autour du cou explosèrent sur les champs de mines.".
Une nouvelle fois, Marjane Satrapi a su choisir avec justesse les mots pour raconter son histoire et les souffrances de tout un peuple.
Elle parle des conditions de vie difficiles des Iraniens, des pénuries dans les supermarchés, des bombes larguées sur Téhéran, de la mort qui rôde de plus en plus, du déchirement des familles séparées à travers son oncle mourant dont le seul souhait est de revoir son fils vivant aux Pays-Bas.
L'Iran est un pays qui s'est alors refermé sur lui-même, tout ce qui est occidental y est banni et une nouvelle fois, Marjane peut compter sur le courage (et l'amour) de ses parents qui bravant les interdits et rusant vont lui ramener de Turquie des biens interdits en Iran, comme la dernière paire de baskets Nike ou un badge de Michael Jackson.
Pourtant, cela n'empêche pas les personnes de se procurer une partie de ces biens, par le biais du marché noir évidemment.
La terreur commence à régner partout, à travers les gardiennes de la révolution avec qui Marjane va passer un sale quart d'heure qui aurait pu lui coûter bien plus cher.
Marjane continue à grandir, elle se rebelle contre sa mère, en fumant sa première cigarette, continue à dire ce qu'elle pense et à s'habiller comme le souhaite, mais cela devient trop dangereux pour elle.
Et c'est sans doute l'une des plus belles preuves d'amour que ses parents vont lui faire, pour lui permettre de continuer à étudier et à vivre une vie normale, ils vont l'envoyer en Autriche, loin d'eux parce qu'ils savent que c'est la seule solution et la meilleure chose à faire pour leur fille : "On préfère t'avoir loin de nous et heureuse, plutôt que proche mais malheureuse et vu la situation, tu te porteras mieux ailleurs qu'ici.".
Ce passage est pour moi l'un des plus émouvants de la bande dessinée, j'ai trouvé ce geste magnifique, très fort mais aussi très douloureux.
Qu'il en faut de l'amour pour laisser partir sa fille pour lui offrir un avenir meilleur.
A cette occasion, la grand-mère de Marjane va lui dire une phrase très importante, qui lui restera toute sa vie : "Dans la vie tu rencontreras beaucoup de cons. S'ils te blessent, dis-toi que c'est la bêtise qui les pousse à te faire du mal. Ça t'évitera de répondre à leur méchanceté. Car il n'y a rien de pire au monde que l'amertume et la vengeance. Reste toujours digne et intègre à toi-même.".
D'ailleurs, la scène de cette dernière nuit où Marjane dort avec sa grand-mère est l'une des plus émouvantes, ainsi que celle du départ à l'aéroport avec ses parents.
Qu'est-ce que j'aime la grand-mère de Marjane Satrapi, c'est une personne qui aura réussi à me tirer les larmes aux yeux plusieurs fois au cours de ma lecture.

Ce deuxième tome m'a une nouvelle fois transportée dans l'Iran des années quatre-vingt, j'y ai appris bon nombre de choses à travers une histoire particulièrement émouvante et un graphisme des plus réussis, c'est donc tout naturellement que je me suis dirigée vers le troisième tome pour découvrir la vie de Marjane en Autriche.

vendredi 13 novembre 2015

Persepolis - Tome 1 de Marjane Satrapi


Dans « Persepolis », Marjane Satrapi, née en 1969, se souvient de son enfance en Iran, dans une famille intellectuelle et d'avant-garde. La petite Marjane rêve d'être prophète, se découvre une conscience de classe et lit « Le Matérialisme dialectique » en BD. Mais elle se souvient aussi de l'histoire de son pays, de la montée en puissance des islamistes et de l'année où le port du foulard est devenu obligatoire. (L'Association)

Marjane Satrapi, dessinatrice, scénariste et réalisatrice Franco-Iranienne, a décidé de publier à partir de l'année 2000 en quatre tomes son histoire, son enfance en Iran en partant de l'année 1979, avec la chute du régime du Shah et la Révolution islamique iranienne.
Ce premier volume commence donc en 1979, la petite Marjane a dix ans, et va se focaliser quasi exclusivement sur l'atmosphère qui règne à l'aube de cette révolution Iranienne jusqu'au basculement dans la République islamique.
Marjane est un petite fille cultivée à la langue bien pendue et qui ne mâche pas ses mots.
Il faut reconnaître qu'elle a la chance d'être née dans une famille ouverte d'esprit à tendance progressiste.
A dix ans Marjane avait une ambition dans la vie : "Je voulais être prophète.", mais les événements vont en décider autrement.
Ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce premier tome, c'est qu'il y a toujours en toile de fond l'histoire de l'Iran, d'ailleurs les notes historiques en introduction étaient plus que bienvenues car c'est un pays que je ne connais que très peu et pas forcément sous un jour favorable.
Après la liesse du départ du Shah, la libération des prisonniers politiques, dont certains sont des amis de la famille, commence à se mettre en place un régime qui se revendique comme une démocratie, mais les résultats du vote disent toute autre chose : "Tu te rends compte de l'ignorance du peuple ?! Des élections falsifiées et ils croient aux résultats : 99,99% !! Pour ma part, je ne connais pas une seule personne qui ait voté pour la république islamique.", et c'est une République islamique, une première dans le monde, qui se met en place.
Les Iraniens se croyaient libres, il n'en était en fait rien, et à dix ans Marjane se retrouve à devoir porter le foulard à l'école et est séparée de ses camarades de sexe masculin.
Et bientôt, c'est le début de la guerre Iran-Irak qui va agiter l'Iran et sa population : "De toute façon, tant qu'il y aura du pétrole au Moyen-Orient, on ne connaîtra pas la paix.".
Je trouve que cette histoire est très bien racontée, elle est découpée par chapitres assez courts qui traitent à chaque fois d'une anecdote qui permet de mieux comprendre l'atmosphère régnant en Iran au début des années 80.
Tous les sujets y sont abordés : les conditions de vie difficiles des gens modestes à travers le cas de l'employée de maison des parents de Marjane; les opposants politiques et le sort qui leur était réservé (au mieux l'emprisonnement, au pire la mort après la torture); la crise Irano-sociétique de 1946; l'espoir qui a pu habiter les Iraniens en 1979 avec le départ du Shah et le désenchantement qui s'en est suivi.
De par ses parents et plus généralement sa famille, Marjane a évolué très jeune dans un milieu politisé et militant.
J'ai beaucoup aimé le regard et les réflexions de cette petite fille sur la situation de cette époque, ainsi que ses rêves et ses aspirations, mais surtout la distance qu'a su prendre la femme pour coucher tout cela par écrit, à la fois dans le scénario et dans le dessin.
Si les dessins peuvent paraître simplistes au premier abord il n'en est en fait rien, le texte a toute son importance et est extrêmement riche en détails, l'image en est le parfait reflet.
Mine de rien, il y a un gros travail derrière tout cela de la part de Marjane Satrapi, un travail qui mérite d'être salué et reconnu.

Derrière la page historique très importante il y a beaucoup d'émotions et de sentiments, cette bande dessinée est une réussite sur toute la ligne.
C'est donc sur la fin de l'innocence de la petite Marjane que ce premier tome s'achève, et c'est tout naturellement que j'ai enchaîné aussitôt sur le deuxième.

jeudi 12 novembre 2015

Constellation d'Adrien Bosc


Le 27 octobre 1949, le nouvel avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers. Le 28 octobre, l’avion ne répond plus à la tour de contrôle. Il a disparu en descendant sur l’île Santa Maria, dans l’archipel des Açores. Aucun survivant. La question que pose Adrien Bosc dans cet ambitieux premier roman n’est pas tant comment, mais pourquoi ? Quel est l’enchaînement d’infimes causalités qui, mises bout à bout, ont précipité l’avion vers le mont Redondo ? Quel est le hasard objectif, notion chère aux surréalistes, qui rend « nécessaire » ce tombeau d’acier ? Et qui sont les passagers ? Si l’on connaît Marcel Cerdan, l’amant boxeur d’Édith Piaf, si l’on se souvient de cette musicienne prodige que fut Ginette Neveu, dont une partie du violon sera retrouvée des années après, l’auteur lie les destins entre eux. (Stock)

Comme beaucoup de monde, de la catastrophe aérienne du 28 octobre 1949 je n’ai retenu que la disparition du boxeur Marcel Cerdan, le grand amour d’Edith Piaf, et très vaguement celle de la violoniste virtuose Ginette Neveu.
Lire un roman traitant d’une catastrophe aérienne après une année 2014 particulièrement meurtrière et une année 2015 qui en prend la même tournure était-il une bonne idée ?
Et bien sans hésitation : oui, car entre 1949 et aujourd’hui l’aéronautique a fait beaucoup de progrès ; et surtout, Adrien Bosc a eu l’idée géniale de s’interroger sur le pourquoi de cette catastrophe et de redonner vie l’espace de quelques lignes à toutes les personnes disparues.
C’est dans l’archipel des Açores que cet avion va disparaître, trouvant sa dernière demeure au sommet du mont Redondo : "Au sommet du mont Redondo, une âme veille au salut de quarante-huit naufragés du ciel.".
Nous sommes bien peu de chose (et mon amie la rose me l’a encore dit ce matin), mais nous avons bien souvent tendance à l’oublier, à nous croire indestructibles.
Pourtant d’un abri solide et fiable, le nouvel avion Constellation d’Air France issu de l’imagination de Howard Hughes, il ne restera plus que des miettes éparpillées aux quatre coins d’un mont : "D’un corps solide aérodynamique et étincelant l’avion est disséminé en un amas de tôles.".
C’est aussi ce qu’il restera des trente-sept passagers et onze membres d’équipage, des miettes, des reliquats, des morceaux de ce qu’ils ont été et de ce qu’ils ont chéri, à l’image du Stradivarius de Ginette Neveu.
Mais qu’est-ce qui a poussé ces personnes à se trouver ensemble dans cet avion ? Quelles ont été leurs motivations ?
Pour Marcel Cerdan rejoindre plus rapidement Edith à New York, pour Ginette Neveu et son frère une tournée, pour d’autres l’espoir d’un nouveau départ aux Etats-Unis, pour certains une nouvelle vie.
Ces personnes n’avaient rien en commun, hormis le destin, qui leur fut des plus cruels.
C’est tout cela que s’attache à démontrer Adrien Bosc dans son roman, mais aussi qu’il n’y avait de toute façon rien à y faire, le destin avait décidé pour eux que l’heure de leur mort était venue, rien n’aurait pu y changer : "Plus l’oracle est précis, moins on l’écoute, telle est la leçon de Cassandre. Et quand il est entendu, tout geste contraire concourt à son accomplissement, se débattre, rebrousser chemin fait partie du jeu, telle est la leçon de l’oracle de Delphes. En somme, nul n’échappe à son destin.".
Je trouve que pour un premier roman, Adrien Bosc s’est lancé un beau défi : celui de s’interroger sur le hasard qui met en relation des personnes entre elles, et le destin.
J’ai beaucoup aimé son style et la construction de son récit, alternant les chapitres entre le vol jusqu’à la catastrophe et les flashbacks pour narrer le passé de tous les personnages.
Même si l’issue est connue il y a un certain suspens qui est entretenu dans tout le récit, j’ai été piquée au jeu et c’est quasiment d’une traite que j’ai lu ce roman.

Adrien Bosc livre avec "Constellation" un premier roman ambitieux et maîtrisé qui restera parmi mes belles découvertes littéraires 2015.

C’est avec impatience que j’attends désormais son deuxième roman.