mardi 30 juin 2015

Top Ten Tuesday #107


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

La première phrase des 10 derniers livres que vous avez lus

Je vais faire ce TTT avec mes dernières lectures que j'ai encore sous la main.

1) "L'invitation à la vie conjugale" d'Angela Huth : Le pouvoir, toujours grand, qu'avait Rachel Arkwright d'agacer son mari Thomas, était particulièrement virulent à huit heures du matin.
2) "Kernok le pirate" d'Eugène Sue : Par une nuit de novembre, sombre et froide, le vent de nord-ouest soufflait avec violence, et les longues lames de l'océan venant se briser sur les bancs de granit qui couvrent la côte de Pempoul, les pointes déchirées de ces rocs tantôt disparaissaient sous les vagues, tantôt se découpaient en noir sur une écume éblouissante.
3) "Amours" de Léonor de Récondo : "Anselme jette Célestine sur le matelas, chaque fois le même geste qui la balance sur le ventre, la tête plongée dans l'oreiller, la tignasse à portée de main."
4) "Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal : (phrase partielle car faisant 2 pages) "Ce qu'est le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, depuis que sa cadence s'est accélérée à l'instant de la naissance quand d'autres cœurs au-dehors accéléraient de même, saluant l'événement, ce qu'est ce cœur, qui l'a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou comme une pierre, [...] et quand soudain tout s'est emballé."
5) "La colline des potences" de Dorothy M. Johnson : Notre maison était pleine de femmes qui étouffaient mon oncle Charlie et me troublaient parfois avec leurs bavardages et leur agitation.
6) "L'étreinte du mal" de Chelsea Cain : "C'était l'été à Portland, Forest Park resplendissait."
7) "Tous les matins du monde" de Pascal Quignard : "Au printemps de 1650, Madame de Sainte-Colombe mourut."
8) "La confusion des sentiments" de Stefan Zweig : Ils ont eu une exquise pensée, mes étudiants et collègues de la Faculté : voici, précieusement relié et solennellement apporté, le premier exemplaire de ce livre d'hommage, qu'à l'occasion de mon soixantième anniversaire et du trentième de mon professorat, les philologues m'ont consacré.
9) "Les six compagnons de la Croix-Rousse" de Paul-Jacques Bonzon : "Ce jour-là, je ne l'oublierai jamais."
10) "L'affaire Jane Eyre" de Jasper Fforde : "Mon père avait une tête à arrêter les pendules."

lundi 29 juin 2015

L'étreinte du mal de Chelsea Cain


Gretchen Lowell continue à tuer, même derrière les barreaux. Placée sous haute surveillance, sans la moindre marge de manœuvre, elle trouve pourtant le moyen de mener la danse en mettant au point un redoutable scénario. Son but ? Que revienne à elle sa dernière victime, la seule qui ait trouvé grâce à ses yeux et à qui elle ait laissé la vie sauve : l'inspecteur Archie Sheridan. Et lorsque la nouvelle de l'évasion de Gretchen se répand, Archie n'a qu'une envie : retrouver celle qui n'a jamais cessé de le hanter. Parce qu'il sait qu'elle peut frapper à chaque instant, mais surtout parce qu'il ne peut résister au désir qui le tenaille de la rejoindre et de s'abandonner, une dernière fois, à l'étreinte du mal… (Pockett)

Autant j'avais aimé le premier volet de cette série, autant je me suis quelque peu ennuyée avec celui-ci, entre temps le soufflé est retombé et les personnages ont perdu une bonne partie de leurs attraits.
Avant de plus développer mon propos, je vous rappelle que Gretchen Lowell est une femme aussi belle que dangereuse, elle a à son actif le meurtre de beaucoup de personnes et a été surnommée "L'Artiste" car la dame ne trouve rien de mieux que de prélever des organes et graver un cœur sur la poitrine de ses victimes.
A ce jour une seule personne lui a survécu : l'inspecteur Archie Sheridan, et parce qu'elle l'a bien voulu.
Depuis, cette "charmante" personne est en prison, et l'inspecteur Sheridan est complètement détraqué dans sa tête, impossible de reprendre le cours de sa vie d'antan : "Pour l'essentiel, il faisait semblant. Semblant de vivre, de respirer, de travailler. Il faisait semblant de croire qu'il allait guérir.", tant il est obsédé par Gretchen.
Malgré l'interdiction pour sa santé physique et mentale de continuer à voir Gretchen en prison (c'est le deal qu'il a passé avec elle : il vient lui rendre visite en l'échange d'une de ses victimes à chaque fois), il ne rêve que d'elle, ne fantasme que sur elle, et bonne nouvelle (ou pas) pour lui : Gretchen s'est fait la malle !
Archie va-t-il retrouver sa Gretchen chérie et succomber à l'étreinte du mal ? Ou bien la capturer de nouveau ?

Je vous rassure, l'intrigue ne tourne pas qu'autour de l'évasion de Gretchen, d'ailleurs c'est ce qui m'a un peu agacée : il faut attendre plus de cent pages pour qu'elle apparaisse enfin, autant vous dire que j'ai trouvé ça plutôt long pour une intrigue qui est normalement centrée sur la relation qu'elle entretien avec Archie Sheridan.
Pour nous occuper pendant ce temps, Chelsea Cain sème quelques cadavres sur le chemin du lecteur, enfin dans un parc plus précisément.
Et balance quelques autres personnages récurrents comme Henry, le collègue et ami d'Archie, et la journaliste Susan qui est passée d'une teinte rose à bleue pour ses cheveux.
C'est bien joli tout ça maus ça n'apporte pas grand chose, les meurtres finissent comme par magie à être liés les uns aux autres ainsi qu'à l'enquête journalistique menée par Susan, et surtout au premier meurtre de Gretchen Lowell.
Je ne vous parle même pas de la fin qui est bâclée en deux temps trois mouvements, ça manque d'inspiration et de création originale tout ça.
Parce que comme d'habitude Susan se met dans de sales draps, ainsi qu'Archie, comme d'habitude Henry leur sauve la mise mais ne se décide jamais à tuer Gretchen quand il en a la possibilité, et l'ex-femme d'Archie tient toujours le rôle de potiche qui essaye de revivre avec son ex mais sans y réussir parce qu'il a Gretchen Lowell dans la peau, dans tous les sens du terme.
Quant à l'explication apportée par l'auteur sur la nature de la relation qu'entretiennent Gretchen et Archie, c'est d'une simplicité et d'une banalité, je n'y vois plus rien d'original tant je m'y attendais en lisant ce roman.
Et si Archie a développé un syndrome de Stockholm vis-à-vis de Gretchen, ce n'est pas très bien exploité ni mis en avant pour servir le récit.
En somme, j'ai désormais la réponse à la question que je m'étais posée lors de ma lecture du premier volet : non, Hannibal Lecter n'a pas trouvé son double féminin, d'ailleurs n'est pas Hannibal Lecter qui veut et Chelsea Cain est très loin d'avoir le talent et la plume de Thomas Harris pour développer des personnages aussi complexes et bâtir une intrigue autour d'eux.

"L'étreinte du mal" de Chelsea Cain est donc une belle déception, je ne sais même pas si je lirai le troisième tome tant j'ai été déçue par celui-ci, ça manque de style, de profondeur de caractère et d'intrigue, bref c'est de la série B littéraire policier/thriller bas de gamme.

jeudi 25 juin 2015

Vice-Versa de Pete Docter



Au Quartier Général, le centre de contrôle situé dans la tête de la petite Riley, 11 ans, cinq Émotions sont au travail. À leur tête, Joie, débordante d’optimisme et de bonne humeur, veille à ce que Riley soit heureuse. Peur se charge de la sécurité, Colère s’assure que la justice règne, et Dégoût empêche Riley de se faire empoisonner la vie – au sens propre comme au figuré. Quant à Tristesse, elle n’est pas très sûre de son rôle. Les autres non plus, d’ailleurs… Lorsque la famille de Riley emménage dans une grande ville, avec tout ce que cela peut avoir d’effrayant, les Émotions ont fort à faire pour guider la jeune fille durant cette difficile transition. Mais quand Joie et Tristesse se perdent accidentellement dans les recoins les plus éloignés de l’esprit de Riley, emportant avec elles certains souvenirs essentiels, Peur, Colère et Dégoût sont bien obligés de prendre le relais. Joie et Tristesse vont devoir s’aventurer dans des endroits très inhabituels comme la Mémoire à long terme, le Pays de l’Imagination, la Pensée Abstraite, ou la Production des Rêves, pour tenter de retrouver le chemin du Quartier Général afin que Riley puisse passer ce cap et avancer dans la vie… (AlloCiné)


Vous êtes-vous déjà demandé comment vos émotions étaient gérées ?
Et bien que vous vous le soyez demandé ou non, Pixar vous fournit la réponse sur grand écran avec "Vice-versa", l'envers du décors de notre Quartier Général à chacun (i.e. notre cerveau), en s'intéressant au Quartier Général qui régit les émotions de Riley, 11 ans, qui vient de connaître un grand bouleversement dans sa vie en déménageant.


Contrairement à ce que la petite fille à côté de moi a pu dire (vingt cinq ans c'est déjà trop grand pour aller voir un dessin animé), il n'y a pas d'âge pour voir un dessin animé et l'on n'est jamais trop grand pour cela.
D'autant plus quand le dessin animé est signé Pixar.
Car ces dernières années, Pixar a donné naissance à de très beaux dessins animés, tous plus originaux les uns que les autres et qui ont le grand mérite de créer des histoires originales et non d'adapter des contes.
Celui-ci ne fait pas exception et c'est une réussite sur toute la ligne, car les créateurs ont choisi de disséquer les émotions principales qui nous régissent : la joie, la tristesse, la colère, le dégoût et la peur; et par la même occasion de nous les faire vivre à l'écran.
Le dessin animé alterne des moments de joie, d'euphorie, de tendresse, à d'autres plus tristes, mélancoliques et à quelques accès de colère voire de découragement.
C'est très humain tout cela, et c'est uniquement de l'animation.
Les répliques de chaque personnage ont presque toutes un deuxième sens, ainsi il serait réducteur de dire que Tristesse est une dépressive de la vie, car avec Joie elle va former un duo des plus inattendus et chacune va en apprendre plus sur l'autre, c'est aussi une belle façon de montrer que toutes nos émotions sont complémentaires et ne vont pas les unes sans les autres.
Il n'y a pas de temps mort, le scénario connaît beaucoup de rebondissements et toutes les scènes se valent les unes par rapport aux autres.
L'animation est très bien faite, il y a de la couleur, des formes, du mouvement, c'est vraiment chouette et j'ai pris beaucoup de plaisir à suivre le quotidien des émotions de la jeune Riley.
Les couleurs sont très tranchées : le rouge pour la colère, le vert (brocolis !) pour le dégoût, le violet pour la peur, ça fonctionne à merveille à l'écran.
J'ai vu ce dessin animé en Français et le doublage est particulièrement bien fait, à chaque fois j'ai toujours du mal à mettre un nom sur les voix et ici même si je connaissais les acteurs doublant les personnages je ne les ai pas reconnus aux intonations de la voix.
Une dernière chose pour finir, vous noterez que le personnage principal est une femme, ce qui est plutôt rare dans un dessin animé et n'avait pas été le cas il me semble jusqu'à présent chez Pixar.


"Vice-versa" est une franche réussite sans défaut qui plaira autant aux petits qu'aux grands et qui donnera certainement lieu à des échanges entre les générations, c'est un tourbillon d'émotions à l'animation quasi parfaite, alors pourquoi bouder son plaisir ?







mardi 23 juin 2015

Top Ten Tuesday #106


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 noms de personnages que vous vous verriez donner à vos enfants

1) Jane
2) Yann
3) Bérénice
4) Tristan
5) Pénélope
6) Eléa
7) Arwen
8) Violaine
9) Laureline
10) Solal

dimanche 21 juin 2015

La colline des potences de Dorothy Marie Johnson


Les histoires de Dorothy Johnson dressent le tableau d’une époque où il n’était pas rare qu’un homme rentre d’une journée de chasse pour retrouver sa maison en flamme, sa femme et ses enfants disparus. Ces histoires de captures et d’évasion, d’hommes et de femmes décidant de quitter la Frontière et de revenir au pays tandis d’autres font le choix de rester au milieu des tribus hostiles, mettent à nu l’Ouest américain du XIXe siècle avec une vivacité réjouissante. 
Les nouvelles de Dorothy Johnson sont d’une vigueur et d’une sincérité hors du commun, car elles savent aussi bien épouser le point de vue de pionniers désireux de construire leur vie en territoire sauvage, que celui de guerriers sioux ou crow qui luttent désespérément pour préserver leur liberté. (Gallmeister)

"La colline des potences" qui donne son titre à l'ouvrage est la plus longue des nouvelles de ce recueil où elle est accompagnée de neuf autres traitant de sujets aussi divers que variés et alternant les points de vue entre les pionniers, les indiens, les bandits.
Dès la première nouvelle, le ton est donné : c'est l'Ouest américain du dix-neuvième siècle à fond, pour les amateurs du genre un vrai régal, pour les curieux comme moi un vrai régal aussi.
J'ai éprouvé beaucoup de tendresse pour la première nouvelle "Une sœur disparue" qui traite du retour dans sa famille d'une femme enlevée il y a quarante ans alors qu'elle était enfant par une tribu d'indiens.
Il y a un décalage entre cette femme qui est complètement indienne et ne rêve que de grands espaces et de liberté et sa famille qui imagine qu'elle va leur parler en anglais instantanément, leur raconter sa captivité et éprouver de la satisfaction à être enfin de retour dans sa famille (chez les civilisés pour le dire autrement).
C'est à la fois beau et cruel, et cela illustre parfaitement le choc des cultures et des civilisations, avec un peuple qui se bat pour conserver un peu de liberté et de dignité et un autre qui grignote tout sur son passage sans se soucier des dégâts occasionnés.
Cette première nouvelle n'a pas été sans me rappeler "La dernière frontière" de Howard Fast, ou encore "Le fils" de Philipp Meyer, voilà sans doute ce qui explique mon attachement à celle-ci.
Si l'aventure est l'un des fils conducteurs de ces nouvelles et des personnages, d'ailleurs l'un la décrit assez justement comme une amante : 'Adieu Aventure ! Tu es une amante volage !", il est surtout question d'hommes et de femmes, de leur vie et de leur courage, ou de leur lâcheté à l'image de ce brigand qui a l'instant d'être pendu se vante d'avoir trahi une femme dans sa vie dans "Une dernière fanfaronnade", alors qu'il n'y a certainement pas matière à se vanter car plutôt que de la trahir il a fui comme un lâche face à l'amour véritable qu'elle lui portait : "Il comprit alors qu'il n'allait pas descendre. En bas, il ne voyait plus la jeune fille, mais l'incarnation de la patience. Il ne voyait plus le rougeoiement des flammes, mais la lueur de la foi éternelle. Il voyait l'amour près du feu, et il ne pouvait supporter de le regarder, de peur de voir s'étioler durant la nuit ou les années à venir.".
Sans les hommes les femmes ne seraient pas grand chose et auraient bien du mal à survivre dans le monde plutôt hostile qu'est la Frontière, mais la réciproque est également vraie.
Et c'est sans doute la dernière nouvelle "La colline des potences" qui illustre le mieux ce propos, avec un Doc Frail qui ne cherche qu'à renvoyer chez elle la jeune Elizabeth après que celle-ci eut atterri par accident dans le campement de chercheurs d'or de Skull Creek, alors que c'est elle qui pourra peut-être le sauver de la mort par pendaison qu'il guette désespérément dans le regard de chaque homme qui croise sa route depuis plusieurs années : "La Femme à la Bonne Etoile courait vers lui. Sans trébucher, sans hésiter, sans peur et sans trésor, elle gravissait la colline vers l'arbre aux pendus. Son visage était pâle, mais ses yeux brillaient.".
"La colline des potences" est la nouvelle la plus longue et développant une intrigue plus étoffée, elle est ma préférée de ce recueil et il me tarde désormais de voir l'adaptation cinématographique qui en a été faite en 1959 par Delmer Daves.
Quant au style de Dorothy Marie Johnson, il passerait presque au second plan tant ses nouvelles sont extrêmement bien construites mais je dois lui reconnaître une plume tout à fait extraordinaire de justesse, à la fois dans les émotions mais aussi dans les descriptions des conditions de vie de cette époque.
Ce n'est pas aussi cruel et sans pitié que "Homesman" de Glandon Swarthout, il faut dire qu'un peu plus de cinquante ans se sont écoulés entre ces deux romans, disons que la vie des pionniers est un peu plus apaisée et facile, mais qu'elle demeure tout de même rude et est toujours le nid préféré de brigands en tout genre qui cherchent l'argent facile.
Voilà une auteur méconnue qui gagnerait à l'être et qui est sans nul doute l'une des plus grandes plumes de la littérature de l'Ouest américain, voire même un auteur majeur de la littérature Américaine.
Et autant dire que je vais me précipiter dès que possible sur "Contrée indienne" du même auteur, également publié aux formidables éditions Gallmeister.

"La colline des potences" de Dorothy Marie Johnson est plus qu'un western littéraire, c'est un recueil de nouvelles sur l'Ouest américain, celui qui est devenu aujourd'hui mythique et qui alimente les rêves les plus fous et les imaginations débordantes.
Alors pourquoi bouder son plaisir quand on peut s'offrir une part d'un mythe ?

Je remercie Babelio et les éditions Gallmeister pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique.

Livre lu dans le cadre du Challenge Romancières américaines

L'affaire Jane Eyre de Jasper Fforde


Dans le monde de Thursday Next, la littérature fait quasiment office de religion. A tel point qu'une brigade spéciale a dû être créée pour s'occuper d'affaires aussi essentielles que traquer les plagiats, découvrir la paternité des pièces de Shakespeare ou arrêter les revendeurs de faux manuscrits. Mais quand on a un père capable de traverser le temps et un oncle à l'origine des plus folles inventions, on a parfois envie d'un peu plus d'aventure. Alors, lorsque Jane Eyre, l'héroïne du livre fétiche de Thursday, est kidnappée par Achéron Hadès, incarnation du mal en personne, la jeune détective décide de prendre les choses en main et de tout tenter pour sauver le roman de Charlotte Brontë d'une fin certaine. (10/18)

Dans le monde de Thursday Next, l'Angleterre et la Russie impériale poursuivent la guerre de Crimée depuis plus de cent ans.
Dans le monde de Thursday Next, le dodo n'est pas une espèce éteinte mais a été recréée grâce au clonage, d'ailleurs Thursday Next en possède un qui répond au nom de Pickwick.
Dans le monde de Thursday Next, la littérature est au même niveau que la religion, d'ailleurs une brigade spéciale a même été créée, et Thursday Next en fait partie : "J'étais ce qu'on appelle un "agent échelon I" à OS-27, autrement dit détective à la Brigade Littéraire du Service des Opérations Spéciales basée à Londres. C'est loin d'être aussi glamour que ça en a l'air.".
Dans le monde de Thursday Next, ça discute beaucoup pour savoir qui était réellement William Shakespeare et qui a écrit les œuvres sous ce nom.
Au fait, le père de Thursday Next est un agent renégat des Op-Specs-12, les chronogardes, et il peut arrêter momentanément le temps pour apparaître.
Dans le monde de Thursday Next, Jane Eyre ne se marie pas avec Edward Rochester, elle part aux Indes avec son cousin St John Rivers et fin de l'histoire.
Heureusement que je ne vis pas dans le monde de Thursday Next !
Mais bon, elle m'est sympathique Thrusday, parce qu'elle considère aussi "Jane Eyre" comme un chef d'oeuvre auquel il ne faut pas toucher : "Il y a des choses plus importantes que le règlement. Modes et gouvernements vont et viennent, alors que Jane Eyre, c'est intemporel. Je donnerais n’importe quoi pour sauver ce roman.".

Vous l'aurez compris, les aventures de Thursday Next se passent en 1985, mais dans un monde parallèle.
Difficile de classifier ce roman, à la fois uchronie, science-fiction, policier et humour, mais alors quel régal à lire !
J'ai adoré ce premier tome des aventures de Thursday Next, déjà parce que le roman "Jane Eyre" est au centre de l'intrigue, et que ça ne pouvait donc que m'intéresser, et aussi parce que c'est loufoque et que le personnage de Thursday est attachant.
Ici, elle se retrouve aux prises avec un des criminels les plus recherchés : Achéron Hadès, l'un de ses anciens professeurs et se définissant lui-même comme le mal à l'état pur : "Le mal véritable et gratuit est aussi rare que le bien à l'état pur.".
Il est donc rare, mais également insaisissable, et il va donner du fil à retordre à la pauvre Thursday, alors que dans le même temps elle doit gérer un retour dans la ville de son enfance et de recroiser le chemin de son ex qu'elle aime toujours mais à qui elle n'a plus parlé depuis des années (et pour savoir pourquoi, il vous suffit de lire le roman).
J'envie quelque peu Thursday, non seulement elle a récupéré une voiture qui déchire (et qui se repère bien), mais en prime elle a déjà croisé le chemin d'Edward Rochester, LE Edward Rochester de "Jane Eyre" : "Normalement, je n'aurais pas cru que Rochester se serait arraché aux pages de Jane Eyre pour venir à mon secours; ceci est totalement inconcevable, bien sûr. J'aurais considéré la chose comme un canular grotesque et laborieux ... si Edward Rochester et moi-même ne nous étions pas déjà rencontrés dans le passé.", bref, la demoiselle se découvre le don de se projeter dans les romans et d'interagir avec les personnages, autant dire que j'aimerais beaucoup pouvoir le faire par moment.
C'est drôle à souhait, j'ai beaucoup aimé la narration à la première personne ainsi que la construction avec en début de chaque chapitre soit un extrait du journal de Thursday Next, soit une explication sur les Opérations Spéciales, c'est très vivant et cela rendrait presque crédible l'histoire.
Il y a du rebondissement, une intrigue qui se complexifie, de l'humour et des jeux de mots, c'est un melting-pot de plusieurs genres littéraires que l'auteur a mélangé pour former un roman un peu hors norme et surtout inhabituel, ça donne un nouveau souffle aux romans policier et de science-fiction.
Et mine de rien, le style de Jasper Fforde n'est pas si simple que cela et il se revendique de plusieurs auteurs, en tout cas il a trouvé un excellent filon en la personne de Thursday Next et peut me compter parmi les amateurs de cette série littéraire.

"L'affaire Jane Eyre" de Jasper Fforde est difficilement classable mais a été une belle découverte pour ma part et garantit un moment de pur bonheur en le lisant.
Je crois bien que j'ai (enfin !) croisé la route d'un OLNI - Objet Littéraire Non Identifié, et des rencontres de ce type j'en redemande.

samedi 20 juin 2015

L'invitation à la vie conjugale d'Angela Huth


Frances Farthingoe s'ennuie. Elle se sent délaissée par ce mari qui passe ses journées devant son ordinateur et ses nuits à observer les animaux au fond des bois. Elle décide d'organiser une fête somptueuse dans son manoir d'Oxford et y convie ses amis les plus chers : Rachel et Thomas Arkwright, qui n'ont plus rien à se dire depuis longtemps, Mary et Bill Luchtins, tendrement unis dans leur passion pour la nature, Martin et Ursula Knox, le couple au bonheur insolent, Ralph, l'ami si timide, ancien amant de Frances et amant platonique d'Ursula, Rosie, la mère de Ralph, artiste peintre, dont Thomas vient de tomber follement amoureux... C'est la fête de l'année qui, en quelques heures, bouleverse la vie des couples. Les masques tombent, les sentiments se bousculent, s'enflamment. Que la fête commence ! (Gallimard)

J'ai entendu quelques bons échos concernant Angela Huth, je me suis donc décidée à découvrir cette auteur et à juger par moi-même, mon choix s'est porté par le plus grand des hasards sur "L'invitation à la vie conjugale".
En lisant la quatrième de couverture, je m'attendais à un roman un peu cynique sur le mariage, où des couples tombés dans la routine et l'ennui allaient mettre à profit la grande fête organisée par Frances Farthingoe pour se délasser et faire tomber les masques.
Bref, je m'attendais à quelque chose de mordant et au final je me suis ennuyée pendant ma lecture à peu près autant que les personnages dans leur vie.
Certes, la vision du mariage qui est dépeinte dans ce roman est loin d'être idyllique, mais alors à ce point ... disons que quand on lit ce roman et que l'on est déjà pas forcément partisan(e) de cette institution, on est carrément vacciné(e) en le refermant.
L'un des personnages féminins décrit d'ailleurs ainsi l'amour conjugal : "En fait, l'amour conjugal est quelque chose d'irrégulier, et comme ce serait ennuyeux si ce n'était pas le cas.", je suis bien d'accord que tout n'est pas toujours rose, sauf que c'est plutôt comique de faire penser cela à un personnage dont la vie conjugale n'est pas folichonne et qui pourtant s'ennuie et dans sa vie quotidienne et dans sa vie conjugale.
La plupart des femmes qui sont dépeintes dans ce roman auraient bien besoin de prendre quelques pilules du bonheur, elles ont tout : le mari avec une bonne situation, la maison, l'argent, la réussite sociale; pourtant elles ne sont pas satisfaites de leur vie et passent leur temps à se demander ce qu'elles pourraient bien en faire : reprendre un travail ou continuer à être "l'épouse de" ?
N'ayons pas peur des mots, elles sont dépressives et n'ont plus goût à rien : "En vérité, son ardeur pour tout travail, quel qu'il soit, s'était tarie. Et le conflit empirait : culpabilité devant une vie futile d'un côté, manque d'inspiration à propos de ce qu'elle pouvait faire de l'autre.".
Quant aux hommes, ils ne sont pas forcément mieux puisque soit ils trompent leur femme soit ils envient celle de leur ami, à l'image d'un Thomas qui est un véritable cœur d'artichaut et cherche à conquérir à peu près toutes les femmes qui croisent son chemin.
Heureusement qu'il y a le couple Luchtins, sinon c'était un tableau noir du mariage que dressait Angela Huth.
Les interactions et les liens entre les personnages ne sont pas trop mal, mais il m'a manqué quelque chose tout au long de ma lecture pour que je m'intéresse sincèrement à tous ces personnages.
Je n'ai pas apprécié les deux parties du roman qui sont trop disproportionnées, la première couvre plus des trois-quart du roman tandis que la deuxième tient en une centaine de pages.
Et puis j'aurais bien aimé que les masques tombent un peu plus que ça, car le soufflé redescend très vite au cours de la fête : pas de crêpage de chignons, pas de coups de feu, oui j'ai peut-être attendu un peu trop à lire une version moderne de "Gastby le magnifique", mais au final il n'y a ni faste ni grandeur, juste une fête lambda.
Le tout reste très conventionnel, trop, c'est très British : pas de vague, tout le monde prend les choses avec flegme et retenue.
Quant à l'analyse des relations conjugales entre des couples qui ne se comprennent plus ou n'ont plus rien à se dire, n'est pas Richard Yates qui veut et c'est bien loin de valoir le formidable "La fenêtre panoramique".

Au final, j'ai été peu convaincue par "L'invitation à la vie conjugale" d'Angela Huth, dans tous les sens du terme, et j'en suis arrivée à la conclusion que je n'ai peut-être pas choisi la meilleure oeuvre de cette auteur pour découvrir son univers et son style.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2015 pour PAL en danger /Chute de PAL


vendredi 19 juin 2015

Amours de Léonor de Récondo


Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d’une maison bourgeoise, dans un bourg cossu du Cher, pour laisser s’épanouir le sentiment amoureux le plus pur – et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, à prendre en mains sa destinée. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l’héritier Boisvaillant tant espéré. Comme elle l’a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s’apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire n’a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont elle martèle inlassablement les touches. Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l’enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s’éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre sous les combles… Les barrières sociales et les convenances explosent alors, laissant la place à la ferveur d’un sentiment qui balayera tout. (Sabine Wespieser)

Depuis que j'ai découvert la plume de Léonor de Récondo avec "Rêves oubliés", c'est avec plaisir que je lis chaque année le nouveau roman de cette jeune auteur qui non seulement a du style mais sait se renouveler dans les histoires qu'elle nous conte.
Après des réfugiés Espagnols et Michelangelo, Léonor de Récondo s'intéresse à la bourgeoisie du début du vingtième siècle, et plus particulièrement à l'amour, une thématique chère à l'auteur et qui se retrouve dans tous ces romans.
Victoire de Boisvaillant est une femme qui subit, elle s'est mariée parce que sa mère lui a vanté une vie conjugale idyllique et parce qu'à l'époque cela se faisait, depuis cinq ans c'est un tout autre univers qu'elle a découvert dans lequel elle est prisonnière sans espoir de fuite : "Pourquoi nous a-t-on tant menti durant notre enfance ? Sur la vie conjugale, sur tout ce qui est censé faire le bonheur d'une femme ?".
Céleste, elle, est une jeune femme qui n'a guère d'illusions sur la vie mais qui subit aussi, les assauts sexuels (pour ne pas dire les viols vu son non consentement) d'Anselme de Boisvaillant, dans le silence le plus complet car une bonne, ça encaisse tout et ça ne doit jamais rien dire : "Garde la tête haute, c'est tout ce que nous pouvons faire, nous autres ! Garder la tête haute pour faire croire qu'on n'a pas honte.".
Anselme quant à lui, est un homme chargé de travail et indolent, un homme bien de son temps qui profite, use et abuse des privilèges de sa classe sociale, et qui ne s'y entend guère en matière de gente féminine : "Les femmes vivent dans un monde si étrange, si peu compréhensible. Toujours changeant.".
Mais un beau jour, Céleste se découvre enceinte, Victoire le découvre également, mais qu'importe, elle prend une décision : cet enfant sera celui de son couple.
Mais Victoire n'a que peu d'instinct maternel, pendant un temps chacun des protagonistes reste dans son coin : "Sous les tuiles en ardoise de la maison bourgeoise, quatre personnes sont couchées, seul l'enfant dort. Les autres gardent les yeux grands ouverts. Chacun dans sa pièce, chacun dans sa solitude profonde, hanté par des rêves, des désirs, des espoirs qui ne se rencontrent pas, qui se cognent aux murs tapissés, aux taffetas noués d'embrasses - métrages de tissu qui absorbent les soupirs pour n'en restituer qu'un écho ouaté.", puis Céleste approche l'enfant, et Victoire approche l'enfant et Céleste, et c'est alors que se noue entre les deux femmes un amour aussi puissant qu'inattendu.

"De la vie, on ne garde que quelques étreintes fugaces et la lumière d'un paysage.", j'espère en tout cas garder un peu plus que cela de ma propre vie, mais à cette époque et dans ce contexte social, ces personnages féminins ne pouvaient guère attendre autre chose de la vie.
J'ai beaucoup aimé ce roman de Léonor de Récondo, tout d'abord parce que la plume est magnifique.
Il y a une forme de musicalité dans son écriture, ce qui est peu surprenant puisqu'elle est musicienne avant d'être écrivain, et son roman est orchestré de main de maître.
Elle a su lui donner du rythme et le construire comme une symphonie, voilà un style et une harmonie qui ont su trouver un écho en moi.
Les premiers mots m'ont de suite mise dans l'ambiance, je subissais en même temps que Céleste et le ton était ainsi donné.
La construction du roman est à la fois lente et rapide, lente parce que l'auteur prend le temps de poser ses personnages et de mettre en place les pions du jeu; rapide parce que le paroxysme de l'intrigue est relativement fulgurant sans toutefois exploser en plein vol.
Et puis il y a deux beaux portrait féminins, qui sont diamétralement opposés de par leur condition sociale mais qui vont pourtant se réunir et vivre quelque chose de fort.
L'une comme l'autre va se découvrir, s'ouvrir à l'autre et connaître un pur moment d'extase comme il en existe peu dans une vie.
C'est une relation qui permet de développer les différentes formes que revêt l'amour : charnel, maternel notamment; et qui donne ainsi son titre au roman.
J'ai beaucoup apprécié cette exploration, je l'ai trouvée à la fois touchante et profondément juste, et de toute beauté car elle fait littéralement voler en éclat les convenances et les barrières sociales, une petite révolution lorsque l'on se replace dans le contexte historique.
J'ai également trouvé ce roman très visuel, peut-être parce que j'avais vu le "Journal d'une femme de chambre" peu de temps avant au cinéma, il m'était alors facile de prêter les traits de Léa Seydoux à Céleste ou à Victoire, je n'ai pas vraiment réussi à me décider, et ceux de Vincent Lindon à un personnage secondaire du roman.
Il n'en demeure pas moins que je pense que ce roman ferait une formidable adaptation cinématographique, à bon entendeur salut.

"Amours" de Léonor de Récondo est un très beau roman sur l'amour sous toutes ses formes, sur une époque et une ambiance bourgeoise début du vingtième siècle, en somme une partition de musique franchement réussie que Léonor de Récondo orchestre d'une main sûre, une nouvelle fois ai-je envie d'ajouter tant cette auteur conserve ses qualités et sa fraîcheur au fil de ses œuvres.
Et que ce roman ait été couronné de deux prix littéraires n'est pas surprenant, juste mérité.

jeudi 18 juin 2015

Kernok le pirate d'Eugène Sue


Homme dur et sans pitié, le solide Kernok est un pirate qui ne transige pas avec les égarements de ses hommes. Capitaine de L’Épervier, il parcourt les mers à la recherche de trésors, n’hésitant pas massacrer les occupants – fussent-ils inoffensifs – des vaisseaux adverses… C’est à terre cependant, celle de sa Bretagne natale, qu’il mourra, de la plus étrange façon. (Oskar)

Premier roman d'Eugène Sue, "Kernok le pirate" livre le portrait d'un homme cruel, violent, sans pitié, s'étant enrichi en pillant et détruisant des navires et dont le cœur est resté de marbre tout au long de sa vie hormis pour la seule femme qu'il ait aimée et qui disparût dans des conditions tragiques.
Kernok ne terrorisait pas que ses victimes mais également les hommes qui constituaient son équipage et qui gardèrent de lui le portrait d'un homme dur et sans pitié : "Kernok avait une de ses âmes fortement trempées, inaccessibles aux mesquines considérations que les hommes faibles appellent reconnaissance ou pitié.".
Construit sous la forme de courts chapitres, ce roman retrace les grandes étapes de la vie de Kernok.
Dès les premiers chapitres le ton est donné : Kernok parcourt la lande Bretonne et se retrouve chez la sorcière de Pampoul qui lui dévoile les infamies qu'il a commises et lui annonce sa mort prochaine.
Des infamies, Kernok en a commises un bien grand nombre, et si l'auteur se contente de n'en livrer qu'une au lecteur, il a choisi la plus emblématique de toutes.
C'est très bien écrit, cela se lit rapidement, j'ai eu l'impression au court de ma lecture que ce roman avait été écrit sous forme de feuilleton littéraire comme cela était le cas à l'époque d'Eugène Sue, mais je dois bien reconnaître que je n'ai pas trouvé à Kernok la classe et le côté pervers qu'a le personnage de Long John Silver créé par Robert Louis Stevenson et qui reste à mes yeux la quintessence même du pirate.
Sans doute que ce court roman pourrait convenir à un public jeune, pour ma part cela a été un moment de court divertissement et ce livre ne restera pas dans mes classiques du roman de piraterie.

"Kernok le pirate" est plus une longue nouvelle qu'un roman et reste une première oeuvre dans laquelle le talent de conteur sous la forme de roman-feuilleton d'Eugène Sue transparaît.
A découvrir, mais ce personnage n'a pas à mes yeux tout l'éclat et la grandeur de Long John Silver.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2015 pour PAL en danger / Chute de PAL (merci Marjolaine !)


mardi 16 juin 2015

Top Ten Tuesday #105


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres dans ma PAL pour cet été

Ça va un peu se recouper avec un précédent TTT.

1) "Orgueuil et préjugés" de Jane Austen
2) "Rouge Brésil" de Jean-Christophe Ruffin
3) "Noire lagune" de Charlotte Bousquet
4) "Maria Chapdeleine" de Louis Hémon
5) "Le sillage de l'oubli" de Bruce Machart
6) "Le coeur est un chasseur solitaire" de Carson McCullers
7) "Un été prodige" de Barbara Kingsolver
8) "Les pieds dans la boue" d'Annie Proulx
9) "Sept jours à River Falls" d'Alexis Aubenque
10)"Pompéi" de Maja Lundgren

mercredi 10 juin 2015

D'acier de Silvia Avallone


Il y a la Méditerranée, la lumière, l’île d’Elbe au loin. Mais ce n’est pas un lieu de vacances. C’est une terre sur laquelle ont poussé brutalement les usines et les barres de béton. Depuis les balcons uniformes, on a vue sur la mer, sur les jeux des enfants qui ont fait de la plage leur cour de récréation. La plage, une scène idéale pour la jeunesse de Piombino. Entre drague et petites combines, les garçons se rêvent en chefs de bandes, les filles en starlettes de la télévision. De quoi oublier les conditions de travail à l’aciérie, les mères accablées, les pères démissionnaires, le délitement environnant… Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont les souveraines de ce royaume cabossé. Ensemble, elles jouent de leur éclatante beauté, rêvent d’évasion et parient sur une amitié inconditionnelle pour s’emparer de l’avenir. (Liana Levi)

A Piombino, triste cité industrielle de Toscane faisant face à l'île d'Elbe, il n'y a d'autre choix pour les jeunes que de troquer le cartable pour le bleu de travail pour aller fondre l'acier dans l'usine de la Lucchini, ou alors de partir.
Anna et Francesca, bientôt quatorze ans, sont amies depuis l'enfance et règnent en reine sur ce royaume, narguant de leur insolence les autres filles plus moches qu'elles et moins bien dans leur peau, et suscitant le désir chez les garçons.
Anna et Francesca ont toute la vie devant elles : "Le monde était encore à venir. Le monde, c'est quand on a quatorze ans.", et leur avenir elles l'imaginent loin de Piombino, car l'île d'Elbe revêt pour elles un caractère de rêve et de suprême accomplissement.
Pour cela, elles misent tout sur leur amitié, sur cet amour si fort qui les lie l'une à l'autre : "Et elle éprouvait un amour exagéré, oui, de l'amour pour cet être qui la regardait d'un air si complice, elle la sentait si proche et réconfortante, infiniment douce et tiède et intense.".
Mais c'est aussi le temps des premiers amours, et c'est un garçon qui va mettre à mal le lien si fort qui unissait jusqu'alors les deux jeunes filles dans un même rêve, un même espoir.

Quel portrait fidèle de l'Italie des années 2000 !
J'ai été dès les premiers mots immédiatement emportée dans l'atmosphère de cette ville de Piombino située en Toscane et qui pourtant fleure bon le Sud de l'Italie, avec les difficultés à trouver un emploi, les petites et grosses magouilles des hommes pour faire vivre leur famille, des filles qui se rêvent en star pour échapper à leur quotidien, à leur ville et à leur vie où rien ne les attend, hormis le même destin que leur mère.
Il y a le linge qui sèche aux fenêtres, le soleil étouffant, la mer si belle, les mères si courageuses qui portent à bout de bras leur famille et les pères démissionnaires qui attendent que le temps file en matant par la fenêtre les jeunettes en maillot de bain sur la plage et en refaisant le monde accoudés au comptoir d'un bar.
Une partie de ce qui fait l'Italie, et d'une certaine façon son charme.
Outre cette atmosphère, j'ai littéralement été séduite par les personnages d'Anna et de Francesca.
J'ai aimé suivre leur si belle amitié, leur amour si profond, leur déchirement, leur ignorance, le mal qu'elles s'infligent à elle-même, un mal nécessaire pour mieux grandir et retrouver ses valeurs tout en ayant envie de leur ouvrir les yeux pour que cesse leur souffrance.
Francesca est sans doute celle qui m'a le plus émue, avec son côté fragile, secret, mystérieux, les douleurs intimes qu'elle tait à tout le monde hormis à Anna, et sa force de caractère pour se convaincre qu"Anna c'est du passé et qu'elle ne manque pas à sa vie : "Elle aimait se répéter qu'elle ne pensait même plus à Anna, que c'était comme un paquet de biscuits laissé plusieurs jours ouvert. Tout secs, qui attirent les mites.".
Qu'elle est belle cette relation, qu'elle est forte, et qu'est-ce qu'elle est si bien décrite et analysée dans ses moindres détails.
Au-delà de ces deux personnages principaux, il y a tous les autres qui gravitent autour et qui sont tous aussi touchants les uns que les autres, qu'il s'agisse d'Alessio, le frère d'Anna, qui fait le gros dur macho devant ses amis mais qui souffre en secret dans son cœur, ou de la mère de Francesca qui s'emmure dans son silence et refuse de faire quoi que ce soit pour améliorer sa vie.
Mais impossible d'y échapper, tout revient toujours à Anna et Francesca, à ces deux magnifiques sirènes qui attirent le regard des garçons, suscitent la jalousie chez les autres filles, deux chrysalides qui éclosent et basculent du monde de l'enfance à celui des adultes.
Et qui acceptent que le lecteur, à travers la si belle plume de Silvia Avallone, assistent en spectateur à cette transformation.

"D'acier" de Silvia Avallone est un magistral premier roman qui dresse un portrait sensuel et envoûtant de l'Italie des années 2000.
Un livre sans concession qui a réussi le pari audacieux de transformer l'acier en or et le désespoir en espoir, un petit bijou littéraire.

Livre lu dans le cadre du Challenge Il Viaggio


mardi 9 juin 2015

Top Ten Tuesday #104


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres à paraître les plus attendus pour la deuxième moitié de 2015

Thème un peu délicat car la plupart des maisons d'édition n'ont mis que partiellement en ligne les parutions à venir, j'ai aussi pioché du côté des sorties en format poche.

1) "Prête à tout" de Joyce Maynard (réédition)
2) "Otages intimes" de Jeanne Benameur
3) "L'oiseau du bon dieu" de James McBride
4) "La quête de Wynne" d'Aaron Gwyn
5) "Compartiment n°6" de Rosa Liksom
6) "La solitude des soirs d'été" d'Anaïs Jeanneret
7) "L'arc-en-ciel de verre" de James Lee Burke
8) "Dans la maison de l'autre" de Rhidian Brook
9) "Ma" de Hubert Haddad

lundi 8 juin 2015

L'odyssée de Pi d'Ang Lee



Après une enfance passée à Pondichéry en Inde, Pi Patel, 17 ans, embarque avec sa famille pour le Canada où l’attend une nouvelle vie. Mais son destin est bouleversé par le naufrage spectaculaire du cargo en pleine mer. Il se retrouve seul survivant à bord d'un canot de sauvetage. Seul, ou presque... Richard Parker, splendide et féroce tigre du Bengale est aussi du voyage. L’instinct de survie des deux naufragés leur fera vivre une odyssée hors du commun au cours de laquelle Pi devra développer son ingéniosité et faire preuve d’un courage insoupçonné pour survivre à cette aventure incroyable. (AlloCiné)


Pi et un tigre sont sur un bateau, qui des deux tombera à l’eau ?
Je n’avais pas été voir ce film au moment de sa sortie en salle car je craignais les longueurs, près de 3 heures à suivre Pi et un tigre sur un bateau, je me demandais bien ce qu’il pouvait y avoir d’autres dans ce film.
Heureusement, il n’y a pas que ça, il y a aussi l’enfance de Pi Patel en Inde, le zoo de ses parents, et Pi adulte qui raconte son histoire à un écrivain souffrant du syndrome de la page blanche.
Malheureusement, il y a quand même beaucoup de longueurs sur la fameuse odyssée de plus de deux cents jours de Pi et du tigre Richard Parker.


Visuellement, ce film est magnifique, il mêle les images réelles à celles de synthèse, c’est une réussite sur toute la ligne bien que parfois la beauté des images frôle l’économiseur d’écran d’ordinateur.
J’ai aimé le travail fait que la qualité des images, les contrastes dans les couleurs, ainsi que sur le tigre qui s’amaigrit au fur et à mesure qu’il n’a plus rien à manger (c’est un peu moins visible sur Pi par contre).
Les plus belles scènes sont bien entendues celles en mer, je pense particulièrement à celle avec les poissons volants.


L’autre aspect que j’ai apprécié dans ce film, c’est toute la psychologie de l’histoire : Pi propose une première version de son histoire, la fameuse avec le tigre, qu’il développe longuement ; puis il en expose aussi une autre qui au lieu de mettre en scène des animaux fait intervenir des personnes réelles.
Chaque animal correspond à une personne et vice-versa, alors laquelle choisit-on de croire ?
Pour ma part je choisis le rêve avec le jeune homme et le tigre, mais les deux ont une certaine forme de crédibilité.
Maintenant, j’ai aussi trouvé que ce film souffrait de longueurs : des scènes bien trop longues, une partie trop importante dédiée à la dérive sur les océans du canot, l’arrivée d’une île avec des mangoustes qui devient toxique la nuit – là je me demande ce que ça vient faire dans l’histoire et ce que ça lui apporte (hormis de la nourriture pour Pi et Richard Parker ainsi que de l’eau potable), et une fin vite expédiée.
Le film dure près de 3 heures, le spectateur n’était plus à 5 minutes près pour le coup.
Au bout d’un moment le côté enchanteur devient lassant, ce film condense à lui seul les qualités et les défauts d’un film grand spectacle mêlant réalité et fiction.
Ang Lee est un habitué des films longs mais cela ne le sert pas toujours, quant au choix des interprètes des différents personnages, je les ai trouvés tous justes dans leur composition.



"L’odyssée de Pi" d’Ang Lee est une fable zoologique qui souffre de quelques longueurs mais reste tout de même un film à grand spectacle et effets spéciaux à voir au moins une fois pour en savourer la beauté.





mercredi 3 juin 2015

Tous les matins du monde de Pascal Quignard


«Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse. Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura : 
- Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids.» (Gallimard)

Monsieur de Sainte Colombe n'est plus que l'ombre de lui-même depuis que sa femme bien-aimée est morte et refuse désormais quasiment tout contact avec le monde extérieur pour se consacrer à la grande passion de sa vie, la musique : "Sainte Colombe s'enferma chez lui et se consacra à la musique.".
Car Sainte Colombe est un grand musicien, sans doute le plus grand de son temps, et également un inventeur de talent puisqu'il révolutionne la viole pour en tirer une musique encore plus proche de l'âme humaine : "Un de ses élèves, Côme Le Blanc le père, disait qu'il arrivait à imiter toutes les inflexions de la voix humaine : du soupir d'une jeune femme au sanglot d'un homme qui est âgé, du cri de guerre de Henri de Navarre à la douceur d'un souffle d'enfant qui s'applique et dessine, du râle désordonné auquel incite quelques fois le plaisir à la gravité presque muette, avec très peu d'accords, et peu fournis, d'un homme qui est concentré dans sa prière.".
Sainte Colombe a aussi deux filles, Madeleine et Toinette, mais il s'en occupe peu hormis pour leur apprendre la musique et à jouer de la viole.
Car c'est cet instrument qui le définit le mieux et autour duquel tournera toute sa vie après le décès de sa femme : "Quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon cœur vivant que je déchire.".
Mais comme il le dit lui-même si justement : "Tous les matins du monde sont sans retour.".

Avant de lire ce livre, j'avais vu il y a plusieurs années de cela l'adaptation cinématographique qui en a été faite, une réussite et un très beau film.
J'ai été surprise de constater à quel point cette adaptation était fidèle, à quelques détails près, à l'oeuvre originale et pourtant, je n'ai pas pris autant de plaisir à la lire qu'à la regarder.
Si l'absence de dialogue passe bien au cinéma il n'en est pas de même dans le livre or, c'est un roman contemplatif construit autour du mutisme de Monsieur de Sainte Colombe qui ne s'exprime qu'à travers la musique : "La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens elle n'est pas tout à fait humaine.".
La langue est belle, les réflexions autour de la musique sont intéressantes et le personnage de Monsieur de Sainte Colombe détonne quelque peu dans son attitude par rapport à l'époque, vivant en quasi reclus depuis la mort de sa femme pour ne pratiquer que la musique dans un quasi secret : "A mon avis, peu importe qu'on exerce son art dans un grand palais de pierre à cent chambres ou dans une cabane qui branle dans un mûrier. Pour moi il y a quelque chose de plus que l'art, de plus que les doigts, de plus que l'oreille, de plus que l'invention : c'est la vie passionnée que je mène.".
Ce qu'il qualifie de vie passionnée, ce sont des journées entières dédiées à son art, à la composition, à l'apprentissage de ses filles, et à des moments intimes partagés avec le fantôme de sa femme.
Et qu'importe l'arrivée du jeune Marin Marais, cela ne trouble pas Monsieur de Sainte Colombe, contrairement à ses filles toutes tourneboulées par l'arrivée d'un loup dans la bergerie.
Mais il est dur avec son élève, il ne l'épargne pas et finit par le chasser : "Quittez à jamais la place, Monsieur, vous êtes un très grand bateleur. Les assiettes volent au-dessus de votre tête et jamais vous ne perdez l'équilibre mais vous êtes un petit musicien.", trop tard : le mal est fait.
C'est vraiment bien écrit, mais cela manque de rythme, cruelle ironie pour un roman traitant de la musique, et la courte histoire se dévide sur un mince fil qui n'a pas su me séduire complètement.
J'ai apprécié la trame romanesque bâtie autour de ces deux personnes ayant réellement existé, je me suis intéressée à toutes les réflexions portant sur la musique, il est vrai que la plume de Pascal Quignard est agréable, mais j'ai lu le tout avec un regard détaché car à aucun moment je n'ai pu m'attacher aux personnages ni vibrer avec eux, alors que ce n'est pas le souvenir que je garde du film qui vit beaucoup plus, grâce à l'interprétation des acteurs.

Parfois, mieux vaut rester sur l’adaptation cinématographique que découvrir l'oeuvre originale, c'est en tout cas mon sentiment après avoir achevé "Tous les matins du monde" de Pascal Quignard, une lecture qui m'a laissée mi-figue mi-raisin et qui n'a pas réussi à me faire vibrer.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices


Retour sur les lectures de mai 2015


J'ai débuté le mois de mai en ne lisant pas, ou plutôt en lisant exclusivement le guide du Routard et le Lonely Planet de Budapest (d'ailleurs soyons fou et comptons-les dans les lectures du mois).
Il faut dire que cela m'a bien occupé, et que j'ai surtout pris le temps de visiter, de profiter le nez en l'air et les pieds dans l'eau, bref, j'ai pris du temps pour moi et j'ai fait un break de lectures, ce qui ne fut pas désagréable.
Pour me remettre en jambes (enfin, en mains), j'ai pris une petite bande dessinée Italienne que j'aime beaucoup - "Diabolik" - puis j'ai alterné entre un roman jeunesse, des romans classiques et d'autres plus récents.
J'ai beaucoup utilisé ma liseuse en ce mois de mai et je pense qu'il va en être de même pour les quelques mois à venir.
J'ai retrouvé la belle plume de Léonor de Récondo pour une lecture dont je vous parlerais prochainement, j'ai lu le formidable "D'acier" de Silvia Avallone qui m'a plongée dans le Sud de l'Italie à travers l'amitié forte de deux jeunes filles, et j'ai fini le mois en apothéose avec la truculente Thursday Next, sans doute ma découverte la plus agréable de ce mois, voire de ces derniers mois.
Le joli mois de mai où les fleurs volent au vent s'en est allé, place à celui de juin !

Plan Orsec pour PAL en danger / Chute de PAL

"Budapest Hongrie Le Routard 2014/2015"
"Budapest Lonely Planet"
"Diabolik - A caro prezzo" d'Angela et Luciana Giussani
"Kernok le pirate" d'Eugène Sue

Emprunté à la bibliothèque

"D'acier" de Silvia Avallone

Autres

"Les six compagnons de la Croix Rousse" de Paul-Jacques Bonzon
"Tous les matins du monde" de Pascal Quignard
"Amours" de Léonor de Récondo
"L'affaire Jane Eyre" de Jasper Fforde

mardi 2 juin 2015

Top Ten Tuesday #103


Le Top Ten Tuesday (TTT) est un rendez-vous hebdomadaire dans lequel on liste notre top 10 selon le thème littéraire défini.

Ce rendez-vous a été créé initialement par The Broke and the Bookish et repris en français par Iani.

Les 10 livres de science-fiction à lire pour ceux qui lisent d'autres genres

Le thème des livres était libre, j'ai choisi la science-fiction car c'est un genre littéraire que je lis peu souvent.

1) "La planète des singes" de Pierre Boulle
2) "La ferme des animaux" de George Orwell
3) "La nuit des temps" de René Barjavel
4) "Le cycle d'Hypérion" de Dan Simmons
5) "Chroniques martiennes" de Ray Bradbury
6) "Le cycle d'Ender" d'Orson Scott Card
7) "Le cycle de fondation" d'Isaac Asimov
8) "Le guide du voyageur galactique" de Douglas Adams
9) "Les annales du disque-monde" de Terry Pratchett
10) "La compagnie des glaces" de Georges-Jean Arnaud

lundi 1 juin 2015

La loi du marché de Stéphane Brizé



À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ? (AlloCiné)


J’hésitais à aller voir ce film car le sujet est loin d’être joyeux, mais poussée par la curiosité et le Prix d’Interprétation à Cannes de Vincent Lindon, j’y suis allée.
Je confirme : ce n’est pas joyeux, ce n’est pas drôle, ça parle de la vie d’un homme obligé d’accepter un boulot de merde après 20 mois de chômage car il faut bien payer les factures, les crédits, l’école pour son fils handicapé, mais alors quelle justesse et quelle exactitude dans les situations qui y sont décrites, avec la question sous-jacente : peut-on/doit-on tout accepter pour garder un emploi ?
Car la réalité est bien là : bon nombre de personnes ne vont pas travailler de gaité de cœur tous les matins, ils le font parce qu’il faut ramener de l’argent pour vivre, mais il faut voir aussi ce qu’ils endurent à longueur de journée, notamment les humiliations, et ce qu’ils acceptent de faire pour cela.
La mise en scène de Stéphane Brizé est particulièrement réussie et frôle le documentaire.
Plutôt que de dérouler son film par rapport à une trame bien établie il a au contraire choisi de le bâtir par des scènes de la vie quotidienne de Thierry : l’entretien à Pôle Emploi et la colère de Thierry face à une formation de grutier qui n’a servi à rien car il fallait pour cela avoir travaillé sur chantier au préalable, l’entretien avec la banquière qui propose des solutions déconnectées de la réalité (vendre l’appartement alors qu’il ne reste que 5 ans de crédit ou souscrire une assurance décès), l’entretien via Skype avec un employeur qui ne l’embauchera pas de toute façon, la vente du mobil-home, le cours de rock avec sa femme, le bain donné à son fils.
Ainsi, il positionne le spectateur dans la tête de Thierry et c’est réussi, en tout cas j’ai beaucoup aimé cette mise en scène par plans.
Mais cette façon de filmer ne serait pas aussi grandiose sans l’interprétation magistrale de Vincent Lindon.
Jamais il ne se plaint, jamais il n’est montré comme un miséreux ou un pauvre bougre supportant tant bien que mal sa vie, mais toujours il a le mot juste et toujours il se bat sans baisser les bras et sans se plaindre.
Vincent Lindon est entouré d’anonymes, de personnes dont le métier n’est pas acteur, il a su se fondre dans la masse et devenir Thierry, gommer définitivement Vincent Lindon l’acteur tout en faisant passer des émotions à l’image, belle performance, qui méritait largement une récompense.
Et que l’on arrête de dire que le cinéma Français ne sait pas/ne veut pas s’intéresser à la réalité sociale, car ce film en est bien la preuve d’autant plus qu’il sort quelques semaines après "Jamais de la vie" de Pierre Jolivet, autre film largement ancré dans la réalité du monde du travail.
Je terminerai en parlant de la scène qui m’a sans doute le plus marquée et révoltée, celle où le DRH du groupe vient expliquer aux employés du supermarché que le suicide sur son ancien lieu de travail d’une employée qui venait d’être licenciée n’est en rien lié à cela ou au personnel ou au groupe, qu’il répète cela tel un mantra pour en persuader son auditoire ainsi que lui-même.
Je ne peux m’empêcher de me demander comment cette personne croit à ce qu’elle raconte, et surtout qu’elle ose le faire, parce que c’est ce qui se passe dans la vie de tous les jours, je me dis alors que décidément en ce moment le D de DRH signifie Déshumanisation et non Direction.



"La loi du marché" de Stéphane Brizé fait partie de ces films qui n’ont rien de sexy à la base et qui pourtant marquent le cinéma, c’est en tout cas un des films les plus poignants de cette année 2015 qui a le mérite de montrer la vérité crue du monde du travail d'aujourd’hui et qui pose une question à laquelle il est bien difficile de répondre.