À 51 ans,
après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met
bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout
accepter ? (AlloCiné)
J’hésitais à
aller voir ce film car le sujet est loin d’être joyeux, mais poussée par la
curiosité et le Prix d’Interprétation à Cannes de Vincent Lindon, j’y suis
allée.
Je
confirme : ce n’est pas joyeux, ce n’est pas drôle, ça parle de la vie
d’un homme obligé d’accepter un boulot de merde après 20 mois de chômage car il
faut bien payer les factures, les crédits, l’école pour son fils handicapé,
mais alors quelle justesse et quelle exactitude dans les situations qui y sont
décrites, avec la question sous-jacente : peut-on/doit-on tout accepter
pour garder un emploi ?
Car la
réalité est bien là : bon nombre de personnes ne vont pas travailler de
gaité de cœur tous les matins, ils le font parce qu’il faut ramener de l’argent
pour vivre, mais il faut voir aussi ce qu’ils endurent à longueur de journée,
notamment les humiliations, et ce qu’ils acceptent de faire pour cela.
La mise en
scène de Stéphane Brizé est particulièrement réussie et frôle le documentaire.
Plutôt que
de dérouler son film par rapport à une trame bien établie il a au contraire
choisi de le bâtir par des scènes de la vie quotidienne de Thierry :
l’entretien à Pôle Emploi et la colère de Thierry face à une formation de
grutier qui n’a servi à rien car il fallait pour cela avoir travaillé sur chantier
au préalable, l’entretien avec la banquière qui propose des solutions
déconnectées de la réalité (vendre l’appartement alors qu’il ne reste que 5 ans
de crédit ou souscrire une assurance décès), l’entretien via Skype avec un
employeur qui ne l’embauchera pas de toute façon, la vente du mobil-home, le
cours de rock avec sa femme, le bain donné à son fils.
Ainsi, il
positionne le spectateur dans la tête de Thierry et c’est réussi, en tout cas
j’ai beaucoup aimé cette mise en scène par plans.
Mais cette
façon de filmer ne serait pas aussi grandiose sans l’interprétation magistrale
de Vincent Lindon.
Jamais il ne
se plaint, jamais il n’est montré comme un miséreux ou un pauvre bougre
supportant tant bien que mal sa vie, mais toujours il a le mot juste et toujours
il se bat sans baisser les bras et sans se plaindre.
Vincent
Lindon est entouré d’anonymes, de personnes dont le métier n’est pas acteur, il
a su se fondre dans la masse et devenir Thierry, gommer définitivement Vincent
Lindon l’acteur tout en faisant passer des émotions à l’image, belle
performance, qui méritait largement une récompense.
Et que l’on
arrête de dire que le cinéma Français ne sait pas/ne veut pas s’intéresser à la
réalité sociale, car ce film en est bien la preuve d’autant plus qu’il sort
quelques semaines après "Jamais de la vie" de Pierre Jolivet, autre
film largement ancré dans la réalité du monde du travail.
Je
terminerai en parlant de la scène qui m’a sans doute le plus marquée et
révoltée, celle où le DRH du groupe vient expliquer aux employés du supermarché
que le suicide sur son ancien lieu de travail d’une employée qui venait d’être
licenciée n’est en rien lié à cela ou au personnel ou au groupe, qu’il répète
cela tel un mantra pour en persuader son auditoire ainsi que lui-même.
Je ne peux
m’empêcher de me demander comment cette personne croit à ce qu’elle raconte, et
surtout qu’elle ose le faire, parce que c’est ce qui se passe dans la vie de
tous les jours, je me dis alors que décidément en ce moment le D de DRH
signifie Déshumanisation et non Direction.
"La loi
du marché" de Stéphane Brizé fait partie de ces films qui n’ont rien de
sexy à la base et qui pourtant marquent le cinéma, c’est en tout cas un des
films les plus poignants de cette année 2015 qui a le mérite de montrer la
vérité crue du monde du travail d'aujourd’hui et qui pose une question à
laquelle il est bien difficile de répondre.
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