lundi 1 juin 2015

La loi du marché de Stéphane Brizé



À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ? (AlloCiné)


J’hésitais à aller voir ce film car le sujet est loin d’être joyeux, mais poussée par la curiosité et le Prix d’Interprétation à Cannes de Vincent Lindon, j’y suis allée.
Je confirme : ce n’est pas joyeux, ce n’est pas drôle, ça parle de la vie d’un homme obligé d’accepter un boulot de merde après 20 mois de chômage car il faut bien payer les factures, les crédits, l’école pour son fils handicapé, mais alors quelle justesse et quelle exactitude dans les situations qui y sont décrites, avec la question sous-jacente : peut-on/doit-on tout accepter pour garder un emploi ?
Car la réalité est bien là : bon nombre de personnes ne vont pas travailler de gaité de cœur tous les matins, ils le font parce qu’il faut ramener de l’argent pour vivre, mais il faut voir aussi ce qu’ils endurent à longueur de journée, notamment les humiliations, et ce qu’ils acceptent de faire pour cela.
La mise en scène de Stéphane Brizé est particulièrement réussie et frôle le documentaire.
Plutôt que de dérouler son film par rapport à une trame bien établie il a au contraire choisi de le bâtir par des scènes de la vie quotidienne de Thierry : l’entretien à Pôle Emploi et la colère de Thierry face à une formation de grutier qui n’a servi à rien car il fallait pour cela avoir travaillé sur chantier au préalable, l’entretien avec la banquière qui propose des solutions déconnectées de la réalité (vendre l’appartement alors qu’il ne reste que 5 ans de crédit ou souscrire une assurance décès), l’entretien via Skype avec un employeur qui ne l’embauchera pas de toute façon, la vente du mobil-home, le cours de rock avec sa femme, le bain donné à son fils.
Ainsi, il positionne le spectateur dans la tête de Thierry et c’est réussi, en tout cas j’ai beaucoup aimé cette mise en scène par plans.
Mais cette façon de filmer ne serait pas aussi grandiose sans l’interprétation magistrale de Vincent Lindon.
Jamais il ne se plaint, jamais il n’est montré comme un miséreux ou un pauvre bougre supportant tant bien que mal sa vie, mais toujours il a le mot juste et toujours il se bat sans baisser les bras et sans se plaindre.
Vincent Lindon est entouré d’anonymes, de personnes dont le métier n’est pas acteur, il a su se fondre dans la masse et devenir Thierry, gommer définitivement Vincent Lindon l’acteur tout en faisant passer des émotions à l’image, belle performance, qui méritait largement une récompense.
Et que l’on arrête de dire que le cinéma Français ne sait pas/ne veut pas s’intéresser à la réalité sociale, car ce film en est bien la preuve d’autant plus qu’il sort quelques semaines après "Jamais de la vie" de Pierre Jolivet, autre film largement ancré dans la réalité du monde du travail.
Je terminerai en parlant de la scène qui m’a sans doute le plus marquée et révoltée, celle où le DRH du groupe vient expliquer aux employés du supermarché que le suicide sur son ancien lieu de travail d’une employée qui venait d’être licenciée n’est en rien lié à cela ou au personnel ou au groupe, qu’il répète cela tel un mantra pour en persuader son auditoire ainsi que lui-même.
Je ne peux m’empêcher de me demander comment cette personne croit à ce qu’elle raconte, et surtout qu’elle ose le faire, parce que c’est ce qui se passe dans la vie de tous les jours, je me dis alors que décidément en ce moment le D de DRH signifie Déshumanisation et non Direction.



"La loi du marché" de Stéphane Brizé fait partie de ces films qui n’ont rien de sexy à la base et qui pourtant marquent le cinéma, c’est en tout cas un des films les plus poignants de cette année 2015 qui a le mérite de montrer la vérité crue du monde du travail d'aujourd’hui et qui pose une question à laquelle il est bien difficile de répondre.



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