dimanche 24 février 2013

Park Avenue de Christina Alger


En épousant Merrill par amour, le jeune avocat Paul Ross est entré dans le clan Darling avec son cortège de privilèges : un appartement sur Park Avenue, un job en or, des week-ends dans les Hampton et des soirées avec le tout Manhattan. Mais bientôt Wall Street plonge et les grandes banques menacent de s'effondrer. Un scandale vient éclabousser la famille Darling, la propulsant sous les feux des médias et Paul doit choisir son camp. Sauver sa peau en trahissant sa femme et les siens ou les protéger, coûte que coûte. Issue elle-même d'une grande famille de financiers, ancienne avocate et analyste chez Goldmann Sachs, la jeune Cristina Alger connaît parfaitement le monde qu'elle décrit, cette haute société new-yorkaise, prisonnière de ses succès et de ses richesses. Dans ce Bûcher des Vanités du XXIe siècle, elle pose un regard subtil et implacable sur ces privilégiés dont la crise financière de 2008 va faire voler en éclat les certitudes. Un roman étincelant, drôle et féroce, aussi tendu qu'un thriller, sur lequel plane l'ombre de Madoff. (Albin Michel)

"Plonger, ça n'est pas drôle, mais c'est mille fois mieux que de se noyer.".
Avec "Park Avenue", Cristina Alger propose au lecteur de plonger dans le monde de la finance aux Etats-Unis, en pleine crise financière de 2008, où l'affaire Madoff est encore présente dans tous les esprits et où les scandales financiers ne cessent de s'additionner, entraînant la fermeture d'entreprises financières et laissant des centaines de personnes sans emploi avec peu de perspective pour retrouver un travail dans un milieu si entaché et décrié par la presse du monde entier.
Cristina Alger connaît parfaitement bien la haute société new-yorkaise qu'elle décrit dans son récit, ne serait-ce que parce qu'elle-même en est issue, tout comme du monde des avocats d'affaires spécialisés dans la finance, métier qu'elle a exercé avant de devenir écrivain.
Son roman colle parfaitement à la réalité, c'est l'une de ses caractéristiques qui m'a le plus frappée au cours de ma lecture.
J'y ai trouvé une ville de New-York exerçant une forte attraction sur une partie de la population américaine, notamment chez les plus jeunes qui souhaitent à tout prix y percer mais finissent par se brûler les ailes dans un univers avec ses codes qu'ils ne maîtrisent pas et qu'ils ne maîtriseront jamais, car l'élite new-yorkaise ne voit pas d'un très bon oeil ces jeunes loups et n'aura de cesse de leur rappeler leurs modestes origines.
Un monde à part avec ses lois et ses codes où tous les coups sont permis pour arriver à ses fins, une monde que j'ai déjà effleuré du doigt dans les romans "Gossip Girl" de Cecily von Ziegesar.
New-York serait donc une ville impitoyable ?
C'est ce qui ressort du roman de Cristina Alger, un roman multi-voix offrant la perspective de Paul Ross, jeune avocat entré dans le clan Darling par son mariage avec Merrill et dans l'entreprise familiale suite à son licenciement d'une société financière venant de faire faillite : "Il avait cru que les choses iraient mieux une fois qu'il commencerait à travailler à Delphic. Il avait cru que rien ne pourrait être plus stressant que ce qu'il avait vécu à Howary, surtout après la mise en cause de la boîte.", mais également celle d'Yvonne, la secrétaire de Penzell et Rubicam, les avocats protégeant les intérêts de la société de Carter Darling : Delphic, et du fonds incriminé RCM : "Il y avait tellement de choses qu'elle savait - des choses qu'elle ne devrait pas savoir, des choses qu'elle était censée avoir oubliées, des choses qu'elle n'était, croyait-on, pas suffisamment intelligente pour deviner toute seule. Cela faisait d'elle une menace.", de Marina, une jeune femme qui finit par réaliser que son rêve new-yorkais n'est pas celui auquel elle croyait et que le plus important dans sa vie c'est sa famille, en somme de toute une galerie de personnages qui vont se croiser, échanger, parfois se rencontrer et oeuvrer à un but commun : pour certains préserver Delphic, pour d'autres faire chuter cette société et sauver leur peau.
Ce roman est construit intelligemment, avec une introduction mystérieuse et un épilogue inattendu qui prendra par surprise le lecteur, à tel point qu'il est difficile, voire quasi impossible, de se rendre compte qu'il s'agit du premier roman de l'auteur.
Toutefois, ce livre pourrait sembler ardu à la lecture pour une personne novice à la finance et aux termes parfois barbares employés par l'auteur.
Ce n'était pas mon cas si bien que je comprenais ce dont il était question, néanmoins je me demande quelle en serait la perception par une personne ne connaissant pas grand chose au fonctionnement de la bourse ou aux opérations financières.
Je regrette également la fin, expédiée un peu trop vite et qui laisse certains personnages sur le carreau et le lecteur dans l'incertitude concernant leur avenir.
Il ne manque par grand chose à Cristina Alger pour tenir ses personnages du début à la fin et c'est un peu dommage qu'elle se soit en quelque sorte relâchée sur les dernières pages alors qu'elle les maîtrisait jusque là, mais c'est à mon avis un défaut de débutante qui peut se corriger par la suite.
Je regrette aussi l'absence d'un côté mordant, elle reste finalement gentille avec ses personnages, là où elle aurait sans doute pu se permettre plus de mordant, de coups bas et de méchanceté.
C'est aussi en cela que je trouve la fin moyenne, finalement l'auteur fait le choix de baisser le rideau au moment des mises en accusation et des procès, un peu trop facile et convenue comme façon de terminer le récit de cette famille qui chute de son piédestal pour être traînée dans la boue.
Là où par contre j'ai été déçue voire agacée, c'est par les nombreuses coquilles présentes dans le roman.
Des fautes de frappe, principalement des inversions de lettres, voire même des mots carrément zappés comme dans cette phrase : "Sans doute cela avait-il à voir avec le fait qu'elle se sentait.", fatiguée ? épuisée ? Car la phrase précédente n'a rien à voir avec son odeur corporelle mais plus par rapport à son état physique voire mental.
Il n'y a donc plus de relecture avant impression et publication ?
Voilà ce qui dégrade quelque peu l'image d'une maison d'édition comme Albin Michel, alors que la présentation du livre et la couverture sont réussies.

"Park Avenue" ou l'univers impitoyable de Wall Street, là où l'argent ne dort jamais, est un premier roman marquant avec une bonne maîtrise du sujet et une narration tendue qui ne se relâche qu'aux derniers mots écrits sur le papier.
Une belle découverte et une auteur à suivre qui travaille déjà à son second roman.

Je remercie les éditions Albin Michel et Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre de l'opération Masse critique.

Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre A


Livre lu dans le cadre du challenge New-York en littérature 2013

Olympe de Gouges de Catel Muller et de José-Louis Bocquet


De Montauban en 1748 à l’échafaud parisien en 1793, quarante-cinq ans d’une vie féminine hors normes, et l’invention d’une idée neuve en Europe : la lutte pour les droits des femmes. Née dans une famille bourgeoise de province, sans doute fille adultérine d’un dramaturge à particule, Marie Gouze dit Olympe de Gouges a traversé la seconde moitié du XVIIIe siècle comme peu de femmes l’ont fait. Femme de lettres et polémiste engagée, elle se distingue par son indépendance d’esprit et l’originalité parfois radicale de ses vues, s’engageant pour l’abolition de l’esclavage et surtout pour les droits civils et politiques des femmes. Opposée aux Robespierristes et aux ultras de la Révolution, elle est guillotinée pendant la Terreur. (Casterman)

Marie Gouze dite Olympe de Gouges est l'une de ces femmes qui a été active pendant la Révolution Française mais que l'Histoire n'a pas retenue en tant que personnalité marquante.
Avec cet ouvrage, la dessinatrice Catel Muller et le scénariste José-Louis Bocquet lui rendent ses lettres de noblesse et lui permettent d'être connue d'un public plus large.

Olympe de Gouges aurait pu se contenter d'être une bourgeoise de province rapidement veuve avec un fils à élever, se remarier et mener une vie paisible, mais c'était sans compter sur son caractère.
Après un mariage éclair et peu convaincant, elle fera le choix d'aimer mais de rester libre, de ne plus s'unir à un homme et d'être seule maîtresse de son destin : "Aujourd'hui, j'ai compris l'ordre de la nature humaine qui n'est pas celui de la société. Il ne peut y avoir l'amour conjugal et l'amour passion dans le même corps ...".
C'est ainsi qu'elle arrive à Paris aux débuts des années 1770 avec son fils Pierre et son amant, également le grand amour de sa vie, Jacques Biétrix de Rozières.
Fille née des amours hors mariage de sa mère avec un bourgeois de Montauban écrivain à ses heures, Marie (ou Olympe) a baigné très tôt dans la littérature, à commencer par les philosophes des Lumières tels Voltaire ou Jean-Jacques Rousseau.
A Paris elle va s'épanouir en fréquentant des cercles comme celui de Madame de Montesson, croiser le chemin de Benjamin Franklin ou de Condorcet, et commencera alors à écrire des pièces pour le théâtre.
Elle devra se battre pour que sa première oeuvre finisse par être jouée à la Comédie Française, il faut dire qu'Olympe révolutionnait les idées de son époque en bâtissant sa pièce comme un ode contre l'esclavage.
Elle créera aussi son propre théâtre qu'elle dirigera pendant quelques temps et où son fils Pierre jouera au sein de la petite troupe qu'elle animera dans les années 1780.
Mais c'est surtout à partir de 1789 qu'elle va s'illustrer et faire parler d'elle, en tant que femme de lettres mais surtout comme polémiste engagée aux idées non conformes par rapport à son époque.
Féministe avant l'heure, elle ne cessera de réclamer l'égalité entre hommes et femmes : "Si les femmes sont reconnues responsables et punissables par la justice, alors on doit leur donner l'accès à l'urne et à la tribune.", et puisque sa parole ne sera pas entendue c'est par la plume qu'elle essaiera de faire passer ses idées : "Alors notre combat est loin d'être fini : on a exclu les femmes de tout pouvoir, de tout savoir. Heureusement, on ne s'est pas encore avisé de nous ôter celui d'écrire !".
Elle rédigera la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne mais se heurtera à la position morale des hommes qui, s'ils ont accepté les femmes à leurs côtés pour renverser la monarchie, ne veulent pourtant pas entendre parler de leur indépendance via le droit de vote ou le droit de divorcer : "Voyons mes amis ! Donner le pouvoir aux femmes, c'est demander de changer la société de manière encore plus brutale que de guillotiner le Roi !".
Olympe de Gouges n'est pas une femme qui peut être qualifiée de fine politicienne, bien qu'elle ait une vision aiguisée et précise de la politique : "La politique n'est pas un jeu, Michel. Si un jour mon corps a pratiqué celui de l'amour, c'est du passé. Désormais, seule mon âme est tournée vers l'avenir ... celui de la Nation.", elle s'y brûlera les ailes en s'opposant violemment à Robespierre et en paiera le prix de sa vie : "Je meurs, mon cher fils, victime de mon idolâtrie pour la Patrie et pour le Peuple ...".

Olympe de Gouges était non seulement une femme engagée mais également une femme passionnée.
Elle avait une vraie croyance en la Nation et dans les valeurs de la Révolution Française.
Féministe avant l'heure, elle s'est battue pour faire reconnaître le droit des femmes et leur égalité par rapport aux hommes.
Vaste combat puisqu'il faudra attendre 1944 pour que les femmes aient enfin le droit de vote.
Quant à son combat contre l'esclavage, elle ne connaîtra pas l'abolition de l'esclavage en 1794 qui sera pourtant réinstauré en France avant d'être définitivement aboli en 1848.
C'est tout le parcours de cette femme passionnée que retrace ce très beau roman graphique extrêmement documenté.
Outre son nombre de pages conséquent et peu courant pour un roman graphique voire une bande dessinée (un peu plus de quatre cent pages), ce livre est enrichi d'une belle base documentaire avec une chronologie de la vie d'Olympe de Gouges et des principaux évènements historiques de l'époque et des notices biographiques retraçant la vie des personnages principaux et secondaires ayant croisé le chemin d'Olympe de Gouges.
J'ai trouvé cette lecture très riche et très enrichissante, d'autant plus que je ne connaissais pas grand chose d'Olympe de Gouges avant de m'attaquer à la lecture de ce récit.
Elle fait partie des femmes méconnues qui ont pourtant joué un rôle non négligeable pendant la Révolution Française, une période de l'Histoire qui m'a toujours intéressée, et qui, comme bien d'autres révolutionnaires, n'ont pas survécu à la période noire de la Terreur instaurée par Robespierre.
Le scénario est extrêmement bien élaboré, José-Louis Bocquet ayant su ne retenir que les passages importants de la vie d'Olympe de Gouges et de leur consacrer à chaque fois un chapitre.
Quant au graphisme uniquement en noir et blanc, les dessins sont très beau et très agréables à regarder.
Catel Muller a su donner une vie et une âme à chaque personnage.
Malgré leur multitude, ces derniers sont tout le temps reconnaissables et identifiables par le lecteur, ce qui permet de rendre fluide la lecture.
Ses dessins ont donné vie au scénario de José-Louis Bocquet et les échanges passionnés entre les personnalités de l'époque ne transparaissent pas seulement par les écrits mais également par les dessins.

"Olympe de Gouges" de Catel Muller et José-Louis Bocquet est un roman graphique réussi et intéressant car s'attachant à la vie d'une femme féministe avant l'heure et aux idées allant à l'encontre de celles de son époque, une femme qui s'est battue pour ce en quoi elle croyait, en somme une femme comme je les apprécie dans la vie et dans la littérature.
Une lecture forte qui m'a touchée sur bien des aspects et qui permet de faire connaître et de rendre hommage à cette femme, Olympe de Gouges, qui a été quelque peu oubliée par l'Histoire.

samedi 23 février 2013

Les belles-soeurs de Michel Tremblay


Quinze femmes ordinaires de l'Est de Montréal se réunissent pour un marathon de collage d'un million de timbres-primes. C'est dans la cuisine de la gagnante que se rencontrent et se confrontent sa famille et ses voisines, et bien vite la fête tourne au drame. Dans des tableaux exubérants et tragicomiques, elles font entendre leurs misères, leurs espérances, leur aliénation, leurs frustrations et leurs calomnies dans un délire amer. Créé au Québec en 1968 et jouée depuis en plus de trente langues, Les Belles-Sœurs est une pièce-culte du théâtre francophone. (Actes Sud)

Créée le 28 août 1968 au théâtre du Rideau-Vert à Montréal, la pièce "Les belles-soeurs" s'intéresse à la confrontation entre quinze femmes réunies pour coller un million de timbres-primes.
Cette pièce en deux actes se déroule exclusivement dans la cuisine de la gagnante.
Bien vite, les rivalités vont surgir : la jalousie, les envies des unes et des autres, leurs rancoeurs, à tel point que cette réunion qui se voulait conviviale va tourner au pugilat, parfois aux règlements de compte mais surtout à une joyeuse cacophonie :  "Ah ! faites-la taire un peu, on s'entend pus coller !".
A les entendre parler, elles ont leur opinion sur tout et tout le monde, notamment les hommes et le mariage :  "Qu'une femme soye obligée d'endurer un cochon toute sa vie parce qu'a l'a eu le malheur d'y dire "oui" une fois, c'est pas assez intéressant, ça !", les médecins : "Les docteurs, les docteurs, j'te dis que j'les ai loin, à c't'heure ! Ca pense rien qu'à la piasse, les docteurs ! Ca égorge le pauvre monde, pis ça va passer l'hiver en Califournie !", l'avortement, les fille-mères et même les français ne sont pas épargnés.
Ce qui ressort de tout cela c'est au final une pléthore de sentiments, beaucoup d'envie car aucune de ces femmes n'a vraiment eu de chance dans sa vie ni même beaucoup d'argent : "J'ai-tu l'air de quequ'un qui a déjà gagné quequ'chose ?", envie qui s'accompagne de jalousie, mais aussi de sentiments exacerbés sans doute par la promiscuité dans la cuisine, je retiens notamment l'histoire de ces deux amies ou l'une met leur amitié dans la balance pour que celle qu'elle appelle son amie arrête de sortir le soir dans des clubs pour rencontrer d'autres personnes : "Y faut qu'tu m'promettes, sans ça, j'te parle pus jamais ! Choisis ! C'est l'club, ou c'est moé ! Si tu savais la peine que tu me fais ! Une amie d'toujours !", voilà une drôle de demande émanant de quelqu'un qui se dit son amie.
Les relations mère-fille sont également tendues, tout comme les relations familiales, ainsi Germaine Lauzon n'est pas très tendre avec sa fille Linda, mais elle ne l'est pas plus avec sa soeur Pierrette qui pourtant sera l'une de seules personnes à ne pas la voler et lui tourner le dos.
Cette pièce décortique de façon intelligente les relations humaines, particulièrement celles entre femmes, et propose à chacune des femmes leur moment de gloire sous la forme d'un monologue avec une lumière les éclairant.
Ce sont des passages que j'ai beaucoup appréciés ainsi que la diversité des personnages et de leurs caractères. J'avais déjà remarqué cela dans d'autres livres de Michel Tremblay, mais il peint toujours avec justesse les caractères humains et tisse des relations fortes entre ses personnages.
La lecture de cette pièce est extrêmement visuelle et la mise en scène y a une grande importance.
Mais il serait trop réducteur de dire que cette pièce est en quelque sorte un lavage de linge sale en famille, il y a aussi beaucoup d'humour, des passages très drôles, ainsi l'ode au bingo est un moment follement drôle, et des dialogues savoureux : "Moé j'aime ça l'bingo ! Moé ya rien au monde que j'aime plus que l'bingo !".
Du point de vue de la lecture, j'ai eu un peu de mal au début, ne serait-ce que parce que l'écrit retranscrit le parlé et des expressions dont nous français n'avons pas l'habitude, ainsi que des tournures de phrases particulières, il s'agit en fait du joual, forme populaire du français québécois.
Passé un petit temps d'adaptation la lecture devient agréable et j'ai fini par ne plus me rendre compte de cette grammaire parfois différente.

"Les belles-soeurs" est une pièce de théâtre de Michel Tremblay devenue culte, jouée et traduite dans plusieurs langues et qui dépeint avec justesse la réalité de la vie des femmes dans les années 60 à Montréal, constituant ainsi un éclairage drôle et savoureux sur cette époque.

Livre lu dans le cadre du challenge A la découverte du Québec

Beetlejuice de Tim Burton



Pour avoir voulu sauver un chien, Adam et Barbara Maitland passent tout de go dans l'autre monde. Peu après, occupants invisibles de leur antique demeure ils la voient envahie par une riche et bruyante famille new-yorkaise. Rien à redire jusqu'au jour où cette honorable famille entreprend de donner un cachet plus urbain à la vieille demeure. Adam et Barbara, scandalisés, décident de déloger les intrus. Mais leurs classiques fantômes et autres sortilèges ne font aucun effet. C'est alors qu'ils font appel à un "bio-exorciste" freelance connu sous le sobriquet de Beetlejuice. (AlloCiné)

Bienvenue dans le morbide joyeux où la mort n'est pas une fin mais un commencement !
Pourtant, ça ne partait pas bien pour le couple Maitland qui, pour avoir voulu sauver un chien, s'est retrouvé expédié ad patres et condamné à devoir rester dans leur maison pendant 125 ans.


Mais c'était sans compter sur les nouveaux occupants de la maison, particulièrement leur fille Lydia, et un individu louche, bio-exorciste de son état et répondant au nom de Beetlejuice.
Quant à ce dernier, il ne faut surtout pas prononcer son nom trois fois sous peine de le voir apparaître, disons que ses intentions sont loin d'être louables et qu'il n'utilise pas à bon escient son statut de mort.



Je ne vais pas tourner autour du pot, ce film est un petit bijou d'humour noir et de fantaisie burtonienne.
Le sujet de départ était loin d'être drôle, mais c'était sans compter sur le talent de Tim Burton qui a filmé une comédie horrifique, c'est jouissif sans jamais tomber dans le ridicule ni l'apitoiement.
N'ayant pas lu le résumé je ne savais pas trop dans quoi je me lançais mais je suis satisfaite du résultat, même si la majorité de l'action se situe en intérieur : dans la maison.
Cela tient notamment au fait que les personnages sont charismatiques, à commencer par Barbara et Adam Maitland qui ne peuvent que toucher le spectateur par leur situation : pour une bonne action ils meurent, sachant que dans leur vie de mortels ils espéraient avoir un enfant prochainement.
Ils se retrouvent donc fauchés en pleine jeunesse sans avoir pu profiter pleinement de leur vie de couple.


Mais les Deetz ne sont pas non plus en reste, à commencer par Lydia, une adolescente fascinée par la mort et qui de ce fait n'a aucun mal pour voir les Maitland et parler avec eux.
Son père lui est plus sceptique et sa belle-mère n'y croit pas jusqu'à une scène d'anthologie lors d'un repas où celle-ci se retrouve à chanter "Day-O" de Harry Belafonte.
Cette scène est d'une loufoquerie extrême mais c'est aussi sans doute celle qui m'a fait définitivement adhérer à l'histoire.
Il y a des passages drôles, d'autres plus émouvants, un peu de tension, tous les ingrédients sont présents pour un scénario réussi.


Le casting est un sans faute, les Maitland sont interprétés par Geena Davis et Alec Baldwin, un couple qui passe très bien à l'écran, Lydia est interprétée par la jeune Winona Ryder, toujours juste dans son rôle, l'ignoble Beetlejuice est interprété par le futur Batman de Tim Burton : Michael Keaton, difficilement reconnaissable sous le maquillage et les costumes tous plus fantasques les uns que les autres.
Un dernier mot sur la bande originale du film qui, hormis les chansons déjà existantes, a été confiée pour la partie création à celui qui est désormais devenu le fidèle compositeur des films de Tim Burton :  Danny Elfman.
Elle ne dépareille pas de l'ambiance générale du film et est à ce titre réussie.



"Beetlejuice" est un des premiers films de Tim Burton, un énorme merci à Arte pour avoir fait une master class Tim Burton en décembre, ce qui m'a permis de découvrir ce film jusqu'alors peu connu et peu diffusé de ce réalisateur que j'apprécie toujours beaucoup, en tout cas un film qui mérite d'être vu et connu.

Je ne résiste pas au plaisir de vous mettre ce qui est, à mon avis, devenu un scène d'anthologie : le fameux repas avec la chanson "Day-O".



lundi 18 février 2013

Février et Mars - Rouge ardent Axelle Red et On ne meurt plus d'amour Robi

Dire que j'ai pris un peu de retard pour la chanson de janvier serait un doux euphémisme.
Que pourrais-je bien dire pour justifier ce retard ?
Que le froid avait engourdi mes doigts et mes esgourdes ?
Que je laissais passer janvier morose et la mi-février pour pouvoir respirer enfin et réfléchir calmement à une chanson pour ce mois de février ?
La vérité est que je ne savais pas trop quoi mettre comme chanson, aucune ne sortait vraiment du lot.
J'attendais le coup de coeur mais il ne venait pas tandis que février égrenait ses jours.

Et bien ça y est !
J'ai eu tout d'abord une révélation : Axelle Red sort aujourd'hui, à peine deux ans après son dernier opus, un nouvel album intitulé "Rouge ardent" marquant le retour à ses sources du début (noter que je trouvais son précédent album très réussi).
Ma journée s'illuminait déjà, mais je ne suis pas repartie qu'avec le nouveau CD d'Axelle Red.
Car j'ai déniché une pépite et j'ai eu un coup de coeur : Robi, et une deuxième révélation : "On ne meurt plus d'amour", premier extrait du premier album de ce groupe intitulé "L'hiver et la joie" (et là troisième révélation : l'hiver peut rimer avec joie).
C'est donc pourquoi, petit(e)s veinard(e)s vous allez avoir le droit à deux titres pour couvrir les mois de février et mars !
Sous prétexte de mon retard je trouve ainsi le moyen de justifier de mon incapacité à trancher entre ces deux chansons, sachant que l'une ne resterait qu'à peine quinze jours en écoute.

Je vous laisse en compagnie de ces deux chansons, pendant ce temps je m'en vais écouter les albums et, à mon avis, je reviens très vite vous en parler.

Axelle Red - Rouge ardent

Oh je danse encore de temps en temps 
Dans ma robe bleue à franges 
Les rues murmurent encore ton nom 
Est-ce bien étrange 

As-tu trouvé dans les feux dans les flammes 
Ton idéal rouge ardent 
As-tu froid 
As-tu peur de l'aurore 
Tu disais tout s'évapore 
Tu as eu tort 

Oui je passe encore devant "chez jean" 
Mais je n'ose pas entrer 
Nos amis y sont, je les entends 
Il y a trop de coeurs gravés 

As-tu trouvé 
Loin des villes loin des larmes 
Ton idéal rouge ardent 
As-tu froid 
Trembles-tu quand tu dors 
Tu disais tout s'évapore 
Tu as eu tort 

Corps à corps j'en rêve encore 
Le feu le vent mille volcans 
Rouge ardent quand tu m'embrassais fort 
J'en rêve encore le jour se lève ... encore 

As-tu trouvé 
Dans les feux dans les flammes 
Ton idéal rouge ardent 
As-tu froid 
As-tu peur de l'aurore 

Tu disais tout s'évapore 
As-tu trouvé 
Dans les feux dans les flammes 
Ton idéal rouge ardent 
Tu voulais changer de décor 
Tu as eu tort 
J'en rêve encore





Robi - On ne meurt plus d'amour




dimanche 17 février 2013

Django Unchained de Quentin Tarentino



Dans le sud des États-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession, le Dr King Schultz, un chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut l’aider à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche. Schultz promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle – morts ou vifs. Alors que les deux hommes pistent les dangereux criminels, Django n’oublie pas que son seul but est de retrouver Broomhilda, sa femme, dont il fut séparé à cause du commerce des esclaves… Lorsque Django et Schultz arrivent dans l’immense plantation du puissant Calvin Candie, ils éveillent les soupçons de Stephen, un esclave qui sert Candie et a toute sa confiance. Le moindre de leurs mouvements est désormais épié par une dangereuse organisation de plus en plus proche… Si Django et Schultz veulent espérer s’enfuir avec Broomhilda, ils vont devoir choisir entre l’indépendance et la solidarité, entre le sacrifice et la survie… (AlloCiné)



Quentin Tarentino aime faire des films  violents et sanglants, traitant bien souvent d'une vengeance.
Avec "Django Unchained" il poursuit dans sa lignée et s'offre en plus le plaisir de tourner un western spaghetti, ce qu'il souhaitait faire depuis un petit moment.
Il ne se contente pas de faire un western spaghetti, hommage non déguisé à Sergio Leone, mais il ose placer son histoire en plein pendant la période de l'esclavage dans le Sud des Etats-Unis, l'histoire se déroulant deux ans avant la Guerre de Sécession.
Inutile de tourner autour du pot, Quentin Tarentino a été inspiré pour ce film et le résultat à l'écran est plus que satisfaisant et réussi.



Du point de vue de l'histoire, elle est à rebondissement et sacrément bien ficelée.
Elle aurait sans doute pu s'arrêter plus tôt, mais Quentin Tarentino aime faire des films longs ainsi son Django dure deux heures et quarante cinq minutes, une durée importante mais que le spectateur ne ressent à aucun moment.
Il n'y a pas de lassitude ni de redites, le scénario est construit de façon intelligente et il y a toujours un petit évènement qui fait rebondir et repartir l'histoire.
Le réalisateur arrive à traiter de l'esclavage dans son film, toujours en trame secondaire mais qui du fait de son omniprésence reste en permanence dans l'esprit du spectateur.
Certaines sont très dures et plutôt sérieuses, tandis que d'autres sont plus hilarantes et flirtent parfois avec le ridicule tout en restant du bon côté du fil.
Les dialogues sont finement ciselés et certains resteront à mon avis, tout comme certaines scènes sont à la limite de devenir cultes, je pense notamment à celle dans la ville au début du film avec un Docteur Schultz retournant la situation à son avantage ou à celle montrant les agissements du Ku Klux Klan, mais d'un Ku Klux Klan balbutiant avec des cagoules mal taillées qui empêchent les personnes de voir à travers.
Ce qui pourrait être ridicule chez un autre réalisateur ne l'est pas chez Quentin Tarentino, tout comme les scènes violentes avec de l'hémoglobine à profusion passent très bien et font même parfois sourire.



Mais Quentin Tarentino ne se limite pas à un scénario bien construit, il y a aussi la mise en scène toujours esthétique et travaillée dans le moindre détail.
Quentin Tarentino n'aime pas trop les images de synthèse, c'est pourquoi il tourne en décors naturel, cela se voit à l'écran et c'est l'une des choses que j'apprécie chez cet auteur.
Ici, il a tourné dans une vraie plantation, donnant toute la mesure de ce que c'était de façon bien plus réaliste que ne l'aurait fait un décors reconstitué.
Les scènes de combat sont toujours réglées au millimètre et ont toujours un côté esthétique.
Rien n'est laissé de côté, ainsi j'ai pu remarquer que les couleurs avaient une importance forte par rapport aux personnages.
Si le Docteur Schultz est caractérisé par le gris, Calvin Candie l'est par le rouge bordeaux, couleur qui finira par être récupérée par Django qui abandonnera ainsi sa tenue verte de camouflage.
Tout est soigné dans les décors, qu'il s'agisse des scènes en intérieur ou en extérieur.



Dans cette histoire, il y a deux personnages principaux : le Docteur Schultz, un ancien médecin reconverti en chasseur de primes, et Django, un esclave qu'il affranchira et qui ne souhaite qu'une chose : retrouver sa femme, Broomhilda, et lui rendre la liberté.
Evidemment, sous fond d'esclavage et de racisme il y a une histoire d'amour qui transcende tout.
Les deux personnages principaux sont opposés sur bien des aspects mais cela ne les empêche pas de s'entendre et de s'associer.
A côté de ces deux personnages, il y a beaucoup de personnages secondaires comme Big Daddy mais le plus marquant est sans nul doute l'abominable Calvin Candie.
Sa plantation est connue de tout esclave et son nom est dit avec crainte, il faut dire que le personnage n'a rien de sympathique.
J'ai trouvé très amusant de le baptiser Candie et sa plantation Candyland, il faut bien reconnaître qu'il n'a rien d'un bonbon et que sa plantation est loin d'être un paradis sucré havre de paix.



Pour incarner ces personnages, il y a bien entendu des acteurs et une fois de plus, c'est un casting des plus réussis que nous propose Quentin Tarentino.
Jamie Foxx campe un génial Django, la vedette lui serait presque volée par Christoph Waltz en Docteur King Schultz, quant à Leonardo DiCaprio il incarne un Calvin Candie méchant au possible et ce rôle lui va à merveille. Je précise par ailleurs qu'il s'agit d'un second rôle et qu'il n'intervient pas tout de suite dans le film.
J'avoue ne pas avoir reconnu certains acteurs, particulièrement Samuel L. Jackson, par contre je me suis régalée avec les caméos, notamment celui avec Quentin Tarentino lui-même, mais je n'en dis pas plus pour ne pas dévoiler la surprise.
Comme d'ordinaire, le casting est un sans faute et permet de voir ou de revoir des acteurs tous plus brillants les uns que les autres.



Pour finir, un dernier mot sur la musique qui est toujours soignée par Quentin Tarentino.
Il n'a pas de compositeur attitré mais il préfère aller piocher dans le répertoire et remettre certaines chansons ou musique au goût du jour.
Qui dit western dit forcément Ennio Morricone, mais la bande originale du film est aussi composée de musiques plus récentes comme du rap qui finalement ne font pas anachronistes par rapport à l'époque où se situe l'histoire.
La chanson d'ouverture "Django" interprétée par Luis Bacalov colle parfaitement avec les images, l'histoire et le personnage  je suis toujours frappée chez Quentin Tarentino par la justesse de ses choix musicaux qui contribuent toujours à renforcer l'ambiance de ses films.
Pour "Django Unchained" il en va de même et la bande originale est d'une grande qualité et s'inscrit parfaitement avec les images et l'ambiance générale qui se dégage de cette histoire de vengeance sous fond de romance.



"Django Unchained" déchaîne les passions actuellement au cinéma, c'est à ce jour le plus gros succès du réalisateur en France, et c'est un succès amplement mérité étant donné toutes les qualités qui font partie intégrante de ce film.
Il serait à mon avis dommage de passer à côté de ce western spaghetti signé Quentin Tarentino et je ne peux que vous encourager à aller le voir dans les salles obscures si ce n'est déjà fait.

samedi 16 février 2013

Une vie de chien Tome 1 Tranquille le chien ! de Mark O'Hare


"Une vie de chien" est une bande dessinée en noir et blanc qui s'attache à suivre le quotidien d'un chien et de son maître, mais aussi d'un de ses amis chien et de leur ennemi commun : un chat ou le facteur ou les deux, cela dépend des jours et de l'humeur de chacun.
Cette bande dessinée est résolument orientée vers l'humour mais dans un cadre un peu particulier car le chien   est quelque peu hors norme dans ses dires et sa façon de se comporter.
Ainsi, courir après une balle ne l'amuse absolument pas, il n'apprécie pas toujours le ton sur lequel s'adresse à lui son maître : "Il s'adresse à moi avec une condescendance ! Il me parle comme à son chien. Et "Cherche la baballe" par-ci ! Et "Cherche le journal" par-là ! Et c'est comme ça du matin au soir ! Et ce ton paternaliste !", il commande en italien pour son maître au restaurant, en fait, le chien ne se prend pas vraiment pour un chien mais plutôt pour un être quelque part entre l'animal et l'humain : "Ca y est. Je sais me servir de l'ouvre-boîte ! Alors côté nourriture, je suis à peu près autonome, maintenant. Dès que je saurai lancer la baballe, je n'aurai plus du tout besoin de toi.", d'autant plus qu'il se lance par moment dans des discours à caractère hautement important : "Enterrer un os est une opération délicate consistant à retirer de la terre en fonction d'un emplacement judicieux de l'os. Cela exige une grande minutie et un maniement habile de la pelle.".
C'est un humour caustique qui est manié par l'auteur et certaines scènes sont vraiment désopilantes néanmoins j'ai trouvé que cela manquait un peu de tendresse et d'amour par moment.
Il n'y a pas vraiment d'histoire mais plus des scénettes, j'ai souri par moment sans non plus éclater franchement de rire.
Quant au graphisme, je l'ai trouvé un peu trop simple dans le sens où il n'y a pas de réelle différence de taille entre les animaux et les humains, ni entre les chiens et voire même entre les humains, tous les genres étant faits à partir du même moule, cela manque quelque peu de contraste.

"Tranquille le chien !", premier tome de la série "Une vie de chien", est effectivement une parfaite illustration d'une vie de chien.
Cette bande dessinée, se caractérisant par un humour caustique, se lit avec un certain plaisir et fait sourire par moment mais s'adresse plutôt à un public jeune.

Livre lu dans le cadre du challenge Totem - Chien

vendredi 15 février 2013

Les chroniques de Narnia Tome 2 Le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire Magique de Clive Staples Lewis


Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les raids aériens se succèdent sur Londres. Peter, Edmund, Susan et Lucy ont trouvé refuge chez un vieux professeur quelque peu excentrique. Au cours d'une partie de cache-cache, Lucy pénètre dans une armoire. Elle se dissimule parmi les vêtements qui, insensiblement, deviennent les arbres d'une forêt enneigée. C'est ainsi qu'elle découvre l'extraordinaire pays de Narnia. Narnia… Un royaume condamné à un hiver éternel, un pays qui attend d'être libéré d'une emprise maléfique. L'arrivée miraculeuse des quatre enfants fait renaître l'espoir. S'ils trouvent Aslan, le grand Lion, les pouvoirs de la sorcière Blanche pourraient enfin être anéantis… (Gallimard Jeunesse)

"Mais si le professeur a raison, ce n'est que le début des aventures de Narnia ...", disons plutôt qu'il n'a qu'à moitié raison.
Il s'agit du second volume des "Chroniques de Narnia", ce n'est donc pas une découverte pour tout lecteur ayant déjà lu au moins un livre issu de cette série par contre, c'est bel et bien une première pour les quatre héros de ce tome-ci : Peter, Edmund, Susan et Lucy.
Ils sont frères et soeurs mais ils sont tous différents, la plus attachante étant sans nul doute Lucy, toujours pleine de vie et de bonnes intentions, et le plus étrange Edmund qui ne pense pas pareil que son frère et ses soeurs et qui a d'autres attentes qu'eux.
Certains pourraient dire que c'est une forme de frustration, voire de jalousie, je pense toutefois qu'il n'en est rien, il s'agit juste d'un garçon différent de sa fratrie, qui se cherche et qui a besoin de reconnaissance.

Cette fois-ci, il n'est plus question d'enfiler une bague et de sauter dans les flaques pour atteindre Narnia, il suffit de pénétrer dans une armoire à manteau qui débouche à Narnia, plongé dans un éternel hiver par la cruelle sorcière blanche : "Elle peut changer les gens en pierre et faire toutes sortes d'horribles choses. Elle a jeté un sort, à cause duquel c'est toujours l'hiver à Narnia, toujours l'hiver, mais jamais Noël !".
L'arrivée à Narnia se fait d'ailleurs assez tôt dans le récit et ceci est une bonne chose, car le lecteur est tout de suite plongé dans l'intrigue et dans l'univers merveilleux de Narnia, car celui de la campagne anglaise pendant la Seconde Guerre Mondiale n'est pas, il faut bien le reconnaître, l'attrait premier de ce livre.
Nos quatre jeunes héros se trouvent donc à Narnia, Edmund ayant déjà rencontré la Sorcière Blanche a choisi son camp tandis que des frère et soeurs choisissent de trouver Aslan et de se rallier à sa cause.

Avec C.S. Lewis, les références religieuses ne sont jamais loin : il est toujours question de fils d'Adam et de filles d'Eve pour désigner les êtres humains, et la trahison d'Edmund n'est faite que dans le but de parler du pardon et par conséquent d'amener le lecteur, de préférence jeune, à s'interroger sur le fait de pardonner et les conséquences que peuvent avoir certains actes, notamment la rédemption.
Il est aussi question du Bien et du Mal, le Bien étant représenté par les enfants et Aslan tandis que le Mal est personnifié par la Sorcière Blanche, ainsi que de la lutte entre ces deux genres avec le Bien qui finit par triompher sur le Mal, tel l'archange Saint-Michel terrassant le Diable : "Mais ils savaient tous que c'étaient les sorts jetés par la sorcière qui avaient causé cet hiver interminable; par conséquent ils surent tous, dès que commença ce printemps magique, que quelque chose s'était détérioré  et gravement détérioré, dans ses machinations.".
Néanmoins, j'ai trouvé que dans ce deuxième tome cet aspect était moins flagrant et mis en avant que dans le premier, il faut de toute façon à mon avis passer outre et voir l'histoire au-delà de cet aspect religieux.
L'histoire est efficace et prenante, la lecture de ce roman est facile et l'intrigue se suit avec plaisir, sans doute parce que le décors a déjà été planté par le précédent opus.
Certes, il n'y a pas de réelle surprise et les ficelles sont assez grosses, mais j'ai pris du plaisir pendant cette lecture bien que j'ai trouvé que l'auteur passe trop vite sur certains passages alors qu'ils s'attardent sur d'autres.
Par exemple les scènes de bataille sont peu nombreuses et peu détaillées, l'auteur passe vite dessus et très vite la victoire change de camp, ainsi à peine commencée la bataille est déjà finie.
C'est parfois dommage car ce sont des passages qui m'intéressaient et que j'aurais aimé voir développés de façon plus détaillée.
Les personnages sont attachants bien que je trouve que Peter et Susan manquent un peu de personnalité par rapport aux deux autres, leur présence est moins flagrante sans non plus les éclipser du récit.
Quant aux illustrations de Pauline Baynes, elles sont très belles et agrémentent bien le récit.

"Le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire Magique", deuxième tome des "Chroniques de Narnia", est plus abouti que le premier volume, ne serait-ce que parce que le monde de Narnia a déjà été présenté, et offre au lecteur une belle épopée fantastiques avec quatre personnages attachants, sans oublier Aslan, roi éternel et incontestable de Narnia.
Un livre à découvrir qui se lit avec plaisir à tout âge.

jeudi 14 février 2013

La fenêtre panoramique de Richard Yates


April et Frank Wheeler forment un jeune ménage américain comme il y en a tant : ils s'efforcent de voir la vie à travers la fenêtre panoramique du pavillon qu'ils ont fait construire dans la banlieue new-yorkaise. Frank prend chaque jour le train pour aller travailler à New York dans le service de publicité d'une grande entreprise de machines électroniques mais, comme April, il se persuade qu'il est différent de tous ces petits-bourgeois au milieu desquels ils sont obligés de vivre, certains qu'un jour, leur vie changera... Pourtant les années passent sans leur apporter les satisfactions d'orgueil qu'ils espéraient. S'aiment-ils vraiment ? Jouent-ils à s'aimer ? Se haïssent-ils sans se l'avouer ?... Quand leur échec social devient évident, le drame éclate. (Robert Laffont)

Dans les romans de Richard Yates, et celui-ci ne fait pas exception, il ne faut pas s’attendre à une fin heureuse, à des personnages joyeux et heureux de vivre mais au contraire à des personnages perdant pied dans leur vie, malheureux en amour et parfois aussi dans le travail, le tout sous couvert d’une belle petite vie bien rangée avec la maison en banlieue, le mariage heureux, le travail épanouissant et permettant de gagner confortablement sa vie ; en somme la vie de bourgeois bien conformistes.
Malvina Reynolds en son temps avait très bien illustré cette situation avec sa chanson "Little Boxes", et dans Le Domaine du Mont de la Révolution il en va de même, seul le bonheur a droit de résidence : "Le Domaine du Mont de la Révolution n'avait pas été conçu pour abriter une tragédie.".

Ici nous avons donc April et Frank Wheeler, un couple bien comme il faut, habitant une grande maison dans la banlieue de New-York, parents de deux enfants, Frank travaillant à New-York dans une grande entreprise fabriquant des machines électroniques tandis qu’April est femme au foyer.
Mais passé la fenêtre panoramique de leur maison, ce conte de fées n’est plus qu’apparence : ils sont malheureux tous les deux, se disputent assez souvent et de façon violente, Frank méprise son travail tout comme il méprise par moment sa femme : "Troisièmement, il se trouve que le rôle d'un mari de banlieue muet et insensible ne me convient pas; tu as tenté de me le faire jouer depuis que nous sommes arrivés ici; mais je préférerais crever plutôt que l'assumer." et noie ses désillusions dans l’alcool ; quant à April, n’ayant jamais eu de modèle familial elle ne sait pas toujours comment se comporter avec ses enfants et fait montre d’une psychologie fragile tout en s’ennuyant ferme toute la journée dans sa belle maison de banlieue.
Ce roman n’est pas un pamphlet contre la vie en banlieue, c’est plus un pamphlet contre la volonté de conformisme des individus, de ne surtout pas sortir des sentiers battus et de chercher la sécurité à tout prix : tout le monde se marie, tout le monde a des enfants, tout le monde a sa maison en banlieue et va travailler quotidiennement en ville.
A ce sujet, le titre original "Revolutionary Road" est plus évocateur que la traduction en français puisqu’il fait référence à la révolution de 1776, année de la déclaration d’indépendance aux Etats-Unis.
Ce qui est remarquable dans ce propos, c’est que ce qui était vrai dans les années 50 l’est toujours autant aujourd’hui : gare à celui qui dévie de la norme dans sa vie, une âme bien pensante viendra vite lui signifier qu’il est anormal et qu’il devrait vite retourner sur le droit chemin sous peine de brûler dans les flammes de l’enfer.
Là où il devient amusant, c’est qu’il ne faut surtout pas pour les Wheeler et leur couple d’amis et voisins les Campbell être comme tous ces petits bourgeois qu’ils passent leur temps à critiquer lorsqu’ils se voient.
Ils se croient et se revendiquent différents, ils sont juste exactement comme eux.
La vie est un perpétuel spectacle dans lequel il faut faire bonne figure et choisir le bon costume et le bon masque, ce n’est d’ailleurs pas un hasard que ce livre s’ouvre sur une représentation théâtrale.

Je n’irai pas jusqu’à dire que je me suis attachée aux personnages, Frank est trop orgueilleux pour s’attirer ma sympathie et April trop soupe au lait pour que je puisse envisager un instant de m’identifier à elle.
Néanmoins, le propos sous-jacent à ce roman m’a vivement intéressée et j’ai été interpellée par cette dissection au scalpel de la vie d’un couple.
S’aiment-ils ou jouent-ils à s’aimer : "Prouver, prouver ... Et pour prouver encore, il avait épousé une femme qui s'était plus ou moins arrangée pour le maintenir constamment sur la défensive, qui l'aimait quand il était gentil, qui vivait selon ce qu'elle avait envie de faire, et qui pouvait à n'importe quel moment (c'était bien le comble !) à n'importe quel moment du jour ou de la nuit avoir envie de partir et de le quitter." ? Se détestent-ils et se sont-ils uniquement mis ensemble pour ne pas finir seul ? Frank est-il le plus manipulateur dans le couple : "Il avait triomphé, mais il ne se sentait pas l'âme d'un vainqueur. Il avait dirigé avec succès le cours de sa vie, mais plus que jamais il se sentait victime de l'indifférence du monde. Cela ne lui semblait pas juste." ou bien est-ce l'inverse ?
Autant de questions qui restent sans réponse, les Wheeler me font penser à des enfants qui auraient voulu grandir trop vite ou qui auraient mal grandi.
Ils ont encore des rêves plein la tête et un petit côté égoïste, leur décision de partir en Europe en est un bel exemple, à aucun moment ils ne se sont posés la question de savoir ce qu’il adviendrait de leurs enfants ni comment ils vivraient ce départ.
Néanmoins, il y a aussi quelques vérités dans ce récit : la vie de couple est difficile, il y a des hauts et des bas, mais c’est quelque chose qui se construit à deux, par le dialogue et sur la confiance.
Je n’envie pas ce couple, c’est une certitude, mais je n’ai pas non plus ressenti de dégoût pour eux à la lecture du roman.
Je les voyais se débattre dans une toile d’araignée sans réussir à s’en sortir, plutôt un modèle à ne pas retenir mais pas non plus un modèle que je condamne.
La construction du roman est également intéressante : une pièce de théâtre en ouverture avec une April comédienne ratée, un découpage de l’histoire en parties avec une alternance dans les points de vue : majoritairement celui des Wheeler mais aussi celui des Campbell et des Givings.
Ils ont un petit côté pathétique mais amusant tous ces couples à s’observer derrière la fenêtre, à épier le moindre faux pas du voisin pour se rassurer et se dire que soi-même on est différent et que cela ne pourrait jamais nous arriver.

"La fenêtre panoramique" est un roman mordant comme Richard Yates sait si bien en écrire, découpant et mettant à nu la vie d’un couple pour dénoncer le conformisme des années 50 aux Etats-Unis.
Une œuvre intéressante sur bien des aspects dont je ne m’explique pas pourquoi il aura fallu tant d’années pour qu’elle traverse l’Atlantique.


Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre Y


Livre lu dans le cadre du challenge New-York en littérature 2013

mercredi 13 février 2013

Earl & Mooch Tome 2 Mon maître, ce héros de Patrick McDonnell


Les aventures d'Earl le chien et Mooch le chat, deux bestioles naïves et tendres. Ce volume contient les bandes quotidiennes et les pages du dimanche, du 3 avril 1995 au 29 octobre 1995 publiées dans le New York Times. (Les Humanoïdes associés)

Pour ces nouvelles aventures, Earl le chien et Mooch le chat sortent de l’hiver pour attaquer le printemps et l'été, en compagnie parfois d'un autre camarade de jeu : un oiseau (et non, Mooch ne le rêve jamais en rôti, juste tout le temps ou presque).
Il y a les mêmes ingrédients que dans le premier volume, des réflexions profondes des deux compère : "Les chats n'aiment pas être mouillés. Nous détestons l'eau ! / Alors pourquoi passes-tu ton temps à te laver ? / On aime cha...liver.", des questions existentielles : "Au fond, Mooch, tout ce qu'on fait c'est manger et dormir, dormir et manger, manger et dormir ... Quelle drôle de vie !?! Il y a de quoi se poser des questions ! / Ouiche. Quand est-ce qu'on mange ?", et beaucoup de situations cocasses entraînant le sourire et bien souvent le rire du lecteur.
Encore une fois, j'ai eu l'impression de voir sous forme de bande dessinée des scènes de la vie quotidienne ainsi Earl qui amène en toute circonstance sa balle à son maître pour qu'il la lui lance, y compris alors que ce dernier dort, j'ai le même phénomène à la maison (remplacer la balle par un os en caoutchouc); ou alors le chat restant systématiquement coincé en haut d'un arbre et refusant d'admettre qu'il n'arrive pas à redescendre.
Earl et Mooch ont deux caractères bien distincts, comme un chien et un chat, l'auteur ayant su mettre en avant leurs différences et en jouer pour proposer des situations comiques.
Le plus important, quoi qu'il en soit, c'est que "Là où il y a des genoux, il y a de l'espoir.", et dans ce second volume des aventures d'Earl et Mooch les maîtres sont en quelque sorte au coeur de l'histoire : Ozzie pour Earl et la voisine et son mari pour Mooch.
Chien et chat n'ont pas la même perception des relations les unissant à leurs maîtres (je n'aime pas trop ce terme d'ailleurs), ainsi Earl est rempli d'amour pour son Ozzie et ne peut concevoir la vie sans lui tandis que Mooch est plus indépendant et ne fait même pas attention au mari de sa maîtresse.
Comme l'indique le titre, Earl considère son maître comme un héros, ou tout du moins comme le centre de son monde.
Cette bande dessinée est un concentré d'humour et de tendresse, mais de là à se considérer comme un héros aux yeux de son chien il n'y a qu'un pas que je ne veux pas franchir, c'est pourquoi aujourd'hui, en tant que "maîtresse" d'un chien, je voudrais crier : "Je n'suis pas un héros, faut pas croire ce que dit cette BD, je n'suis pas un héros, un héros" !

"Mon maître, ce héros", deuxième tome des aventures d'Earl et Mooch, est une bande dessinée finement construite et remplie de situations toutes plus cocasses les unes que les autres, un véritable régal à lire et servie par de beaux dessins en noir et blanc, à l'exception de quelques planches colorisées.
Earl et Mooch est décidément une très belle découverte littéraire !

Livre lu dans le cadre du challenge Totem - Chien

dimanche 10 février 2013

Maus - Un survivant raconte Tome 2 Et c'est là que mes ennuis ont commencé d'Art Spiegelman


Avec le tome I du Maus d'Art Spiegelman, les lecteurs avaient fait la connaissance de Vladek Spiegelman, Juif polonais rescapé des camps de la mort, et de son fils, Art, dessinateur aux prises avec son père. Le terrifiant parcours de ce dernier et l'Histoire elle-même s'y conjuguaient déjà. Cette suite tant attendue, toujours en BD, dont les personnages ont des têtes d'animaux - les Juifs sont des souris, les Nazis des chats -, nous conduit des baraquements d'Auschwitz aux bungalows des monts Catskill, dans l'Etat de New York. Bestiaire insolite, qui nous ôte brutalement le plus vague sentiment de familiarité, Maus exprime l'indicible sans sombrer dans le grotesque. En deux temps - les années 75-80, cadre temporel de ses conversations avec Vladek et, en flashback, les années 30-40, époque des événements racontés - Spiegelman dessine la mémoire. Drame en cinq actes, pour une double survie : celle du père, mais aussi celle du fils qui se débat pour survivre au survivant. Une épopée en bulles. (Flammarion)

Plutôt que de continuer directement sur la période de détention à Auschwitz de son père et de sa mère, Art Spiegelman choisit d'exposer dans une première partie ses doutes, ses peurs, ses sentiments les plus profonds vis-à-vis de ses parents : "Je sais que c'est dément, mais d'une certaine manière je voudrais avoir été à Auschwitz avec mes parents; comme ça je pourrais savoir ce qu'ils ont vécu ! Je dois me sentir coupable quelque part d'avoir eu une vie plus facile qu'eux.", ainsi que ses difficultés à retranscrire l'histoire de son père sous forme de bande dessinée : "Je me sens tellement incapable de reconstruire une réalité qui a été pire que mes cauchemars les plus noirs. Et en plus, sous forme de B.D. ! Je me suis embarqué dans un truc qui me dépasse. Peut-être que je devrais tout laisser tomber.".
Les relations tendues avec son père n'étaient que pointées du doigt dans le premier volume ici, elles s'exposent dans toute leur complexité.
Ainsi Françoise, la belle-fille de Vladek, s'indigne devant son refus de prendre un auto-stoppeur sous prétexte qu'il est noir : "C'est scandaleux ! Comment pouvez-vous, surtout vous, être si raciste ! Vous parlez des noirs comme les nazis parlaient des juifs !".
Vladek était déjà un personnage particulier dans le premier tome, il l'est sans doute davantage dans ce second volume et la lectrice que je suis, une fois le livre refermé, n'a pas réussi à cerner cet homme, tout comme l'auteur n'a jamais réussi à vraiment comprendre son père.
Art Spiegelman retient également pendant longtemps sa plume, ayant peur de dessiner Auschwitz, une peur multiple : celle de ne pas réussir à représenter ce lieu dans toute la réalité de son horreur, celle de se tromper, et au final une peur de ne pas réussir à faire passer dans ce qu'il maîtrise le mieux : le dessin, l'histoire de son père qui s'insère dans l'Histoire : "J'veux dire, je n'arrive même pas à comprendre mes relations avec mon père. Comment pourrais-je comprendre Auschwitz ? L'Holocauste ? ... Quand j'étais petit, il m'arrivait de me demander lequel de mes parents j'aurais laissé les nazis emmener aux fours crématoires si je ne pouvais en sauver qu'un seul. D'habitude, je sauvais ma mère, tu crois que c'est normal ?".
Cette exposition des doutes et des interrogations de l'auteur est un aspect qui m'a particulièrement plu, c'est un sujet extrêmement difficile et périlleux dans lequel il s'est lancé et s'il avait passé cette étape sous silence il aurait sans doute manqué quelque chose à cette bande dessinée.

Cet aspect très humain est l'un de ses points forts, l'histoire qui y est racontée est dure et parfois difficilement soutenable, que l'auteur lui-même ait douté est humain, tout comme le lecteur peut aussi avoir des doutes et des appréhensions avant de lire ce livre sur son contenu et la façon dont il est rédigé.
Art Spiegelman ne tombe jamais dans la caricature, même si ses personnages sont dessinés sous la forme d'animaux, ni dans le larmoyant ou l'exagération ou le voyeurisme.
Il s'attache à raconter et illustrer la vérité, même si certains passages sont d'une horreur extrême : "Et pour nous tous il n'y a qu'un seul moyen de sortir ... par ces cheminées.", sans basculer d'un extrême à l'autre ni prendre position.
Il relate les faits, rien d'autre.
De plus, il double le récit de son père de détails précis sur les conditions de détention à Auschwitz et livre une cartographie des différents camps ainsi qu'une explication précise du fonctionnement des chambres à gaz et des fours crématoires.
Il a mis des images sur ce qui n'était jusqu'alors que des mots, ceci étant l'un des avantages offerts par la forme littéraire choisie : la bande dessinée.
Outre les interrogations et les doutes de l'auteur, il aborde aussi la problématique de Richieu, ce frère qu'il n'a jamais connu hormis en photo mais qui est un fantôme le poursuivant depuis sa naissance : "C'est étrange d'être le rival d'un instantané !".
Quant au récit de Vladek, après un premier tome consacré à la vie dans le ghetto, ce second s'attache à la vie dans le camp d'Auschwitz, aux brimades, aux privations, au travail forcé jusqu'à ce que mort s'ensuive, mais également aux terribles marches de la mort vers le camp de Dachau et puis l'errance dans un train jusqu'à la victoire finale, la libération et les retrouvailles avec les quelques survivants.
Et puis il y a toujours ce dessin d'une qualité remarquable et d'une puissance extrême, un noir et blanc dépouillé mais qui laisse transpirer toute l'intensité dramatique du vécu de Vladek, de sa petite histoire qui s'est inscrite dans l'une des pages les plus noires de l'Histoire.
De la famille d'Anja ou de Vladek il ne reste plus grand chose, hormis quelques photos conservées précieusement.
Une vie détruite et une vie à reconstruire, avec un nouveau départ, à New-York.

"Maus" est une référence de la bande dessinée et plus généralement une référence littéraire sur la Shoah.
"Maus" d'Art Spiegelman est l'un des récits sur l'Holocauste les plus intelligents dans sa construction qu'il m'ait été donnée de lire jusqu'à présent, l'un des plus bouleversants et l'un des plus sincères.
A ce titre, "Maus" a toute sa place dans mon Panthéon littéraire et je ne peux que vous encourager à découvrir cette bande dessinée et tout le talent de son auteur.

Maus - Un survivant raconte Tome 1 Mon père saigne l'histoire d'Art Spiegelman


Le père de l'auteur, Vladek, juif polonais, rescapé d'Auschwitz, raconte sa vie de 1930 à 1944, date de sa déportation. Ce récit est rapporté sous la forme d'une bande dessinée dont les personnages ont une tête d'animal : les Juifs sont des souris, les Nazis des chats, les Polonais des porcs et les Américains des chiens. (Flammarion)

Non, je n'avais pas encore lu "Maus" pourtant, ce n'est pas faute d'en avoir envie depuis quelques temps déjà.
Et puis les circonstances ont fait qu'enfin j'ai réussi à me procurer cette bande dessinée et alors là, quelle claque !
Des livres sur la Shoah, notamment des témoignages, j'en ai lus mais celui-là, il a un petit quelque chose de plus qui lui confère une autre dimension.
Non seulement Art Spiegelman a reçu le Grand Prix de la Ville d'Angoulême en 2011 mais son oeuvre "Maus" a au préalable reçu un Prix Pulitzer spécial en 1992, en plus d'être acclamée par la critique et les lecteurs et d'avoir été traduite en dix-huit langues.

A travers "Maus", l'auteur raconte la vie de son père, juif polonais tentant de survivre à la guerre en se cachant avec sa famille jusqu'à son arrestation et déportation en 1944 : "Et là, dans le camp de concentration Auschwitz, on est arrivés. Et on savait que de là, on sortirait plus jamais ...".
Ce premier tome couvre les années 1930 jusqu'à 1944 et l'arrivée au camp d'Auschwitz, avec une alternance entre le passé et le présent puisque l'auteur interroge son père qui lui raconte au fur et à mesure son passé, sa rencontre avec sa mère, leur mariage et les premières années de vie commune jusqu'à l'arrivée et la montée du nazisme en Europe : "C'était début 1938 - avant la guerre - et au centre de la ville, un drapeau nazi ... Pour la première fois, là, de mes propres yeux, la croix gammée j'ai vue ...".
L'histoire est particulièrement forte et poignante, servie par un graphisme exclusivement en noir et blanc.
Il se dégage du récit de Vladek Spiegelman une volonté de vivre d'une puissance extrême, une soif de vie et de survie malgré les évènements et les difficultés qui ne font que s'accumuler : "Je ne vais pas mourir et surtout pas ici ! Je veux être traité comme un être humain !".
Néanmoins, dès les premiers dialogues le lecteur perçoit aussi la personnalité de Vladek, un homme dur, notamment avec sa seconde épouse, ne gaspillant rien, avec un rapport plus que particulier vis-à-vis de l'argent.
En somme, un homme qui a été transformé par son vécu, qui n'est plus tout à fait le même qu'avant, une partie de lui est morte là-bas, à Auschwitz, envolée par la cheminée.
Et même si pendant un temps personne ne soupçonnait ce qu'il advenait des Juifs qui disparaissaient : "Ils croyaient qu'à Théresienstadt, ils allaient. Mais à Auschwitz, dans la chambre à gaz, ils ont été.", bien vite ils ont fini par apprendre l'existence des chambres à gaz : "Une chose est sûre. C'est terrible dans le ghetto mais c'est encore pire d'être déporté !".
Le dernier chapitre intitulé "La souricière" porte très bien son nom : c'est une souricière implacable qui finit par se refermer sur la famille Spiegelman qui avait jusque là à peu près réussi à passer entre les mailles du filet bien que certains membres aient déjà été déportés.
Les dessins en noir et blanc accentuent la dureté et l'horreur de ces années, d'autant plus que la forme de bande dessinée pourrait faire oublier le fait qu'il s'agisse d'une histoire vraie, d'un témoignage, et non d'un récit de fiction. Mais avec un tel contenu il est impossible de croire un seul instant à de la fiction, ni même à un dessin animé du fait de la présence d'animaux.
D'ailleurs, l'aspect de déshumanisation du régime nazi a été illustré de façon très intelligente par Art Spiegelman qui, au lieu de donner un aspect humain à ses personnages, les a créés sous forme d'animaux.
Ainsi, les Juifs sont des souris, les Nazis des chats, les Polonais des porcs, à chaque pays ou religion ou régime politique son animal.
Ce parti pris renforce pour moi d'autant plus le caractère original et exceptionnel de cette oeuvre.
Une fois plongée dans l'histoire je n'ai pas pu m'arrêter et c'est d'une traite que j'ai lu ce premier tome pour enchaîner aussitôt avec le second.
Outre l'histoire de son père, Art Spiegelman revient aussi sur un fantôme omniprésent dans le récit : sa mère qui s'est suicidée en 1968.
Elle est certes présente par le récit de son père mais également par le biais d'une des premières bandes dessinées de l'auteur, "Prisonnier sur la planète enfer", qui figure dans l'un des chapitres, le père de l'auteur l'ayant trouvée et lue.
Non seulement Art Spiegelman cherche à survivre à son père et à trouver sa place par rapport à lui, l'écriture de son passé pendant la Seconde Guerre Mondiale en étant une forme, mais il cherche aussi à saisir sa mère et à la comprendre.
En écrivant "Maus", l'auteur cherche à se réconcilier avec ses parents et à finalement trouver sa place dans le monde et à s'accepter tel qu'il est : celui qui est né après la Guerre, celui qui ne l'a pas connue ni les camps d'extermination, celui qui a survécu contrairement à son frère Richieu mort pendant la Guerre.

"Maus" est une bande dessinée sans précédent à l'échelle littéraire planétaire et à ma nettement plus modeste échelle littéraire.
C'est une histoire honnête et authentique mise en scène et illustrée de façon pertinente et intelligente par Art Spiegelman, une histoire dont aucun lecteur ne peut ressortir indemne et indifférent et qui m'a sans doute marquée à vie.

samedi 9 février 2013

Le Prix des Lectrices - Club des Lectrices


Le Club des Lectrices a décidé de créer son Prix littéraire, récompensant l'un des livres "coup de coeur" 2012 des membres de ce club.

Les livres sélectionnés sont lus par chacune des lectrices afin de décerner en novembre 2013 le Prix des Lectrices.
Ce Prix est également ouvert à d'autres lecteurs-blogueurs et prend alors la forme du Prix des Lectrices Amies.

Voici la sélection :
- Claire "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" de Jonas Jonasson
- Lili Galipette "La folie du roi Marc" de Clara Dupont-Monod
- George "Lira bien qui lira le dernier" de Bubert Nyssen
- Accalia "Suite française" d'Irène Némirovsky
- Delphine "Le boulevard périphérique" de Henry Bauchau
- Marjolaine "Du domaine des murmures" de Carole Martinez
- Violette "Certaines n'avaent jamais vu la mer" de Julie Otsuka
- MissBouquinaix 'Entre ciel et terre" de Jon Kalman Stefansson

Vous pouvez retrouver les avis des Lectrices et des Lectrices Amies sur la page dédiée à ce Prix, et si vous souhaitez vous inscrire c'est ici.

Ayant rejoint récemment le Club des Lectrices j'ai également rejoint cette opération.
J'ai déjà lu trois des romans, il me reste à en découvrir quatre et à relire "Suite française", livre lu au moment de sa sortie, donc avant l'existence de ce blog, mais que j'ai grande envie de redécouvrir.

Voici un récapitulatif de mes avis :
- "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire"
- "La folie du roi Marc"
- "Lira bien qui lira le dernier"
- "Suite française"
- "Le boulevard périphérique"
- "Du domaine des murmures"
- "Certaines n'avaient jamais vu la mer"
- "Entre ciel et terre"

Earl & Mooch Tome 1 La nuit des chasseurs de Patrick McDonnell


Earl le chien et Mooch le chat sont des animaux de compagnie comme on aimerait en adopter. Calculatrices, profiteuses du moment qui passe, philosophes, ces adorables petites bêtes nous font partager des situations ordinaires récapitulées sous forme de strips monochromes parus dans la presse américaine dans les années 90. (Les Humanoïdes associés)

Earl est un chien, Mooch un chat, tout les sépare et pourtant ces deux-là vont finir bons amis, toujours prêts à reluquer l'étale "Aux délices du gros Snax" ou à partir en vadrouille.
Cette belle amitié aurait pu pourtant ne jamais exister, pour Earl : "Je me demande ce que fait ce crétin de chat.", quant à Mooch : "Je me demande ce que fait cet imbécile de chien.", après une présentation servie par des grands sourires de bienvenue (tous crocs dehors) ils se découvrent des affinités et ne se quittent plus, pour le plus grand plaisir du lecteur, à commencer par le mien.
Servie par des planches quasi exclusivement en noir et blanc, cette bande dessinée est bourrée d'humour et de situations toutes plus cocasses les unes que les autres.
Non seulement j'ai souri, mais j'ai aussi franchement éclaté de rire devant certaines situations, d'autant plus qu'elles collent parfaitement à la réalité.
Ainsi, lorsque Earl fait son petit couplet sur le chien avec le besoin permanent d'une présence : "Je suis seul au monde. Tout seul. Personne ne m'aime. Les chiens ne sont pas faits pour vivre seuls.", je ne peux qu'approuver pour avoir le même phénomène à quatre pattes à la maison.
L'attitude d'Earl vis-à-vis de son maître, son Ozzie, est pleine d'amour et d'admiration, il trouve ainsi qu'il est un grand chasseur pour réussir à lui apporter une gamelle tous les jours, ceci est la parfaite illustration de l'amour qui unit un chien à son maître, d'ailleurs le terme juste serait ami.
Il en va de même pour le chat sauf qu'il a un côté plus indépendant et moins expansif : "Dis donc Earl, tu t'es regardé ? Ta queue est un vrai sémaphore ! On lit en toi comme dans un livre ouvert. Aucun secret, aucun mystère ! Ne leur laisse jamais voir ce que tu penses. Moins tu en montres, plus ils te gâtent.".
Entre la visite régulière des poubelles, les yeux désespérés pour un morceau de nourriture, les galopades dans la neige et les coups de langue pas toujours désirés, autant de situations quotidiennes qui non seulement sont drôles mais surtout le parfait reflet de la réalité, le tout transcris sous forme de bande dessinée, sans oublier le chat-lapin, petit clin d'oeil personnel.

"La nuit des chasseurs", premier tome des aventures d'Earl et Mooch, est extrêmement agréable à lire et d'une drôlerie à se rouler de rire par terre, Patrick McDonnell ayant réussi à retranscrire à la perfection la vie quotidienne avec un chat et/ou un chien.
Une très belle découverte littéraire que je vais continuer avec grand plaisir !




Livre lu dans le cadre du challenge Totem - Chien

dimanche 3 février 2013

Alix - La griffe noire de Jacques Martin


Une série d'attentats mystérieux secoue la ville de Pompéi lors de la visite de nos héros. Les victimes des attentats sont retrouvées paralysées et couvertes d'étranges meurtrissures. Alix parvient à suivre la piste d'un des agresseurs et découvre qu'ils sont menés par un mage aux grands pouvoirs hypnotiques. C'est dans le passé tragique des victimes que se trouve la raison de ces agressions... Et c'est dans l'Afrique lointaine que Alix et Enak pourront trouver l'antidote permettant aux victimes de reprendre vie. (Casterman)

"Au premier siècle avant J.C., Pompéi rassemble tout ce que les romains ont pu construire d'harmonieux en accord avec une nature prestigieuse.", ainsi commence cette aventure d'Alix dont une partie majoritaire de l'action se situe en Italie, à Pompéi, et trouve son dénouement en Afrique.
De l'action il va y en avoir, étant donné que des notables de Pompéi sont victimes d'attentats et se retrouvent paralysés.
Alix va enquêter sur cette affaire qui ressemble fortement à une vengeance et sera amené à sillonner les mers et l'Afrique pour trouver un antidote.
Du point de vue du scénario, c'est plutôt bien écrit avec des rebondissements, l'intrigue se suit avec un certain plaisir et même si les coupables sont connus avant la fin cela n'a pas amoindri mon intérêt pour l'histoire.
Alix est un personnage que je qualifierai de héros, dans le sens où il se sort systématiquement des situations les plus compliquées sans trop d'égratignures et où je ne lui ai vu aucun défaut mais que des qualités, ce qui en fait à mes yeux un personnage un peu trop lisse et manquant de relief, le rendant trop personnage de la littérature et non avec un côté humain proche du lecteur.
Ce sentiment est certainement dû au fait que j'ai découvert ce personnage avec des yeux adultes, plus jeune je ne me serai pas attachée aux mêmes choses.
Les graphismes sont plaisants tout comme la palette de couleurs utilisée, les paysages sont assez bien représentatifs néanmoins, j'ai eu du mal à reconnaître Pompéi, il n'y a que dans les derniers dessins où je retrouvais les reproductions de ce qu'était cette cité, dans les premières pages je ne me retrouvais pas, il est question des plus belles propriétés sur les hauteurs, la ville est plutôt plate et les belles demeures sont excentrées mais aucunement sur les hauteurs.
J'ai relevé quelques incohérences qui sont un peu venues gâcher ma lecture, la première concerne le Vésuve :  "Et, dominant le tout, l'imposante masse du Vésuve, dont plus personne n'écoute les grondements parfois si menaçants.", et la deuxième des hommes "statufiés" ou pétrifiés en Afrique : "Des hommes de pierre ! Probablement une troupe de guerriers surpris par une pluie de cendres, lors d'une éruption du volcan ...".
Concernant la première, il n'existait déjà pas de mot pour désigner un volcan donc les habitants de Pompéi ne savaient pas ce qu'était cette montagne proche d'eux, ensuite que le Vésuve gronde de façon menaçante n'est pas possible, déjà ce n'est pas un chat ronronnant (ou alors je n'ai pas assez tendu l'oreille lorsque j'étais à son sommet), et quand il se réveille il part d'un coup étant précédé de tremblements de terre, d'assèchements des sources d'eau et de rien d'autre (sinon en dehors de ses éruptions dévastatrices il est calme), sans parler du fait qu'à l'époque où se situe l'histoire cela fait quelques centaines d'année qu'il dort (certes d'un oeil, mais il dort).
Mais le plus remarquable vient d'Alix, véritable puits de science, qui détermine que les "hommes de pierre" ont probablement été surpris par une pluie de cendre lors de l'éruption d'un volcan.
Il est très fort Alix, mais très peu de romains à cette époque savait ce qu'était un volcan et ses conséquences, hormis s'il a déjà assisté à une éruption de l'Etna mais il y a peu de chance.
Quant à l'explication de l'état des statues par la pluie de cendre, je n’enterai pas dans les détails techniques mais les moulages de corps obtenus à Pompéi l'ont été par une technique mise au point par Giuseppe Fiorelli au dix-neuvième siècle, il n'est donc pas possible que ces personnes aient été figées ainsi par une pluie de cendre.
Je sais que l'auteur s'est documenté pour créer cette série, d'ailleurs cela se ressent à la lecture, mais je lui reprocherai d'avoir négligé certains petits détails que je n'aurai pas forcément relevés si je ne m'intéressais pas autant à cette région d'Italie et à l'histoire de Pompéi.

"La griffe noire" est une aventure d'Alix assez bien menée et globalement agréable à lire qui marque ma première incursion dans cette série.
Certes, j'ai relevé quelques petites incohérences et le personnage d'Alix est un peu trop parfait à mon goût, néanmoins je lirai d'autres aventures de ce personnage car il y a un travail sérieux derrière cette bande dessinée qui est intéressante à parcourir et à découvrir.

Livre lu dans le cadre du challenge Il Viaggio

samedi 2 février 2013

L'insomnie des étoiles de Marc Dugain


Automne 1945, alors que les Alliés se sont entendus pour occuper Berlin et le reste de l’Allemagne, une compagnie de militaires français emmenée par le capitaine Louyre investit le sud du pays. En approchant de la ville où ils doivent prendre leurs quartiers, une ferme isolée attire leur attention. Les soldats y font une double découverte : une adolescente hirsute, qui vit là seule comme une sauvage, et le corps calciné d’un homme. Incapable de fournir une explication sur les raisons de son abandon et la présence de ce cadavre, la jeune fille est mise aux arrêts. Contre l’avis de sa hiérarchie, le capitaine Louyre va s’acharner à connaître la vérité sur cette affaire mineure, au regard des désastres de la guerre, car il pressent qu’elle lui révélera un secret autrement plus capital. Il ne se trompe pas : au fil de son enquête, il va découvrir une autre « solution finale », antérieure à la Shoah, et qui en est à la fois le prologue et la répétition générale. À savoir l’extermination par les procédés les plus barbares des malades mentaux – et de tout individu classé comme tel, car considéré comme « inadapté » au régime nazi. (Gallimard)

L'histoire de base de ce récit était intéressante, l'auteur avait en effet choisi de traiter un aspect de la Seconde Guerre Mondiale plutôt méconnu et rarement abordé en littérature : celui de l'extermination par les nazis des handicapés et malades mentaux, prémice du massacre de masse des Juifs et des Tsiganes dans les camps d'extermination.
Pour cela, il aborde cette histoire par le petit bout de la lorgnette, en s'intéressant tout d'abord à Maria, une jeune fille vivant seule dans la ferme familiale car son père est parti au front et sa mère est morte, qui reçoit la visite de deux policiers pas très clairs, puis de militaires français, chargés d'occuper la zone et de traquer des criminels nazis.
Arrêtée pour la découverte d'un cadavre carbonisé chez elle, elle finit par être prise sous l'aile du capitaine Louyre qui se met en tête dans un premier temps de résoudre l'énigme du cadavre calciné, puis dans un deuxième temps occulte totalement cet aspect pour se concentrer sur la maison de repos aujourd'hui désaffectée et dont le médecin a été mis à la retraite, et se met alors à enquêter sur les évènements qui s'y sont produits.
Mais voilà, l'histoire est assez inégale, ne serait-ce déjà que par le traitement que l'auteur en fait en donnant plusieurs os à ronger à son personnage du capitaine Louyre, qui finit par délaisser son idée première pour en suivre une autre qui constitue le coeur de l'intrigue.
Pourquoi dans ce cas ne pas l'avoir lancé tout de suite sur cette piste ?
Si ce récit est bien écrit, les chapitres sont inégaux, ceci allant de pair avec le traitement de l'intrigue.
Ainsi, certains chapitres sont courts, certains composés quasi exclusivement de dialogues tandis que d'autres sont longs et denses du point de vue de la narration.
Cela se traduit par des passages très beaux et captivants et sur d'autres qui tiennent plus de l'argumentaire et du raisonnable, cherchant à rattacher l'histoire au réel, au possible.
Au final, il n'y a pas de réelle surprise pour le lecteur qui a deviné depuis longtemps ce dont il était question, sans doute car la quatrième de couverture en dévoile trop, de plus, il n'y a pas non plus de réelle conséquence.
Quel était alors le but recherché par l'auteur ? Juste présenter les faits et s'arrêter ainsi en plein vol ?
Pourtant, l'horreur de la réalité est là, elle se dévoile dans la confession du médecin et apparaît dans toute sa nudité horrible : "L'espèce humaine porte en elle-même les germes de sa propre destruction, à l'inverse des espèces animales qui vivent un cycle préétabli selon des règles propres à chacune d'elles.".
Les personnages gardent aussi une certaine distance avec le lecteur, cela se ressent plus particulièrement sur le personnage du capitaine Louyre, qui, sous des phrases pleines de profondeur : "Les nouvelles c'est un peu comme le poisson : des jours de transport sans glace, ça ne leur donne pas l'oeil vif.", ne se dévoilent à aucun moment et restent une énigme pour tout le monde : les hommes de son unité, Maria mais également le lecteur.
Quant à Maria, son rôle est plus important dans la première partie, dans la deuxième elle est éclipsée par l'enquête menée par le capitaine Louyre.
Elle se retrouve pourtant la seule femme dans un milieu d'hommes, attirant la convoitise et revêtant un aspect de fantasme : "Il ressentait juste une sorte de précaution jalouse où elle tenait un rôle indéfinissable à mi-chemin entre le passe-temps et le fantasme.".
Là où je m'attendais à un peu de zizanie dans cette population masculine, il n'en est rien, l'auteur la relègue au second plan car son utilité est moindre que dans la première partie qui lançait l'intrigue.
Je ne peux m'empêcher de ressentir un sentiment d'inachevé par rapport à ce personnage.
Enfin, le titre reste un mystère complet pour moi, je ne vois pas la relation entre l'histoire et le titre, ou alors de très loin et uniquement par rapport au personnage du capitaine Louyre.

"L'insomnie des étoiles" est un livre moins fort que "La chambre des officiers" du même auteur, ne serait-ce que par le fait que Marc Dugain s'est moins attaché à ses personnages, gardant toujours une distance vis-à-vis d'eux, distance que ressent aussi le lecteur à la lecture de ce récit.
Pourtant, je ne condamne pas non plus ce livre, le thème abordé l'est de façon délicate et habilement menée, il y a de très beaux passages forts dans ce récit, me laissant ainsi en équilibre et sans avis tranché dans un sens ou dans l'autre.

Livre lu dans le cadre du challenge ABC Critiques 2012/2013 - Lettre D