dimanche 10 février 2013

Maus - Un survivant raconte Tome 1 Mon père saigne l'histoire d'Art Spiegelman


Le père de l'auteur, Vladek, juif polonais, rescapé d'Auschwitz, raconte sa vie de 1930 à 1944, date de sa déportation. Ce récit est rapporté sous la forme d'une bande dessinée dont les personnages ont une tête d'animal : les Juifs sont des souris, les Nazis des chats, les Polonais des porcs et les Américains des chiens. (Flammarion)

Non, je n'avais pas encore lu "Maus" pourtant, ce n'est pas faute d'en avoir envie depuis quelques temps déjà.
Et puis les circonstances ont fait qu'enfin j'ai réussi à me procurer cette bande dessinée et alors là, quelle claque !
Des livres sur la Shoah, notamment des témoignages, j'en ai lus mais celui-là, il a un petit quelque chose de plus qui lui confère une autre dimension.
Non seulement Art Spiegelman a reçu le Grand Prix de la Ville d'Angoulême en 2011 mais son oeuvre "Maus" a au préalable reçu un Prix Pulitzer spécial en 1992, en plus d'être acclamée par la critique et les lecteurs et d'avoir été traduite en dix-huit langues.

A travers "Maus", l'auteur raconte la vie de son père, juif polonais tentant de survivre à la guerre en se cachant avec sa famille jusqu'à son arrestation et déportation en 1944 : "Et là, dans le camp de concentration Auschwitz, on est arrivés. Et on savait que de là, on sortirait plus jamais ...".
Ce premier tome couvre les années 1930 jusqu'à 1944 et l'arrivée au camp d'Auschwitz, avec une alternance entre le passé et le présent puisque l'auteur interroge son père qui lui raconte au fur et à mesure son passé, sa rencontre avec sa mère, leur mariage et les premières années de vie commune jusqu'à l'arrivée et la montée du nazisme en Europe : "C'était début 1938 - avant la guerre - et au centre de la ville, un drapeau nazi ... Pour la première fois, là, de mes propres yeux, la croix gammée j'ai vue ...".
L'histoire est particulièrement forte et poignante, servie par un graphisme exclusivement en noir et blanc.
Il se dégage du récit de Vladek Spiegelman une volonté de vivre d'une puissance extrême, une soif de vie et de survie malgré les évènements et les difficultés qui ne font que s'accumuler : "Je ne vais pas mourir et surtout pas ici ! Je veux être traité comme un être humain !".
Néanmoins, dès les premiers dialogues le lecteur perçoit aussi la personnalité de Vladek, un homme dur, notamment avec sa seconde épouse, ne gaspillant rien, avec un rapport plus que particulier vis-à-vis de l'argent.
En somme, un homme qui a été transformé par son vécu, qui n'est plus tout à fait le même qu'avant, une partie de lui est morte là-bas, à Auschwitz, envolée par la cheminée.
Et même si pendant un temps personne ne soupçonnait ce qu'il advenait des Juifs qui disparaissaient : "Ils croyaient qu'à Théresienstadt, ils allaient. Mais à Auschwitz, dans la chambre à gaz, ils ont été.", bien vite ils ont fini par apprendre l'existence des chambres à gaz : "Une chose est sûre. C'est terrible dans le ghetto mais c'est encore pire d'être déporté !".
Le dernier chapitre intitulé "La souricière" porte très bien son nom : c'est une souricière implacable qui finit par se refermer sur la famille Spiegelman qui avait jusque là à peu près réussi à passer entre les mailles du filet bien que certains membres aient déjà été déportés.
Les dessins en noir et blanc accentuent la dureté et l'horreur de ces années, d'autant plus que la forme de bande dessinée pourrait faire oublier le fait qu'il s'agisse d'une histoire vraie, d'un témoignage, et non d'un récit de fiction. Mais avec un tel contenu il est impossible de croire un seul instant à de la fiction, ni même à un dessin animé du fait de la présence d'animaux.
D'ailleurs, l'aspect de déshumanisation du régime nazi a été illustré de façon très intelligente par Art Spiegelman qui, au lieu de donner un aspect humain à ses personnages, les a créés sous forme d'animaux.
Ainsi, les Juifs sont des souris, les Nazis des chats, les Polonais des porcs, à chaque pays ou religion ou régime politique son animal.
Ce parti pris renforce pour moi d'autant plus le caractère original et exceptionnel de cette oeuvre.
Une fois plongée dans l'histoire je n'ai pas pu m'arrêter et c'est d'une traite que j'ai lu ce premier tome pour enchaîner aussitôt avec le second.
Outre l'histoire de son père, Art Spiegelman revient aussi sur un fantôme omniprésent dans le récit : sa mère qui s'est suicidée en 1968.
Elle est certes présente par le récit de son père mais également par le biais d'une des premières bandes dessinées de l'auteur, "Prisonnier sur la planète enfer", qui figure dans l'un des chapitres, le père de l'auteur l'ayant trouvée et lue.
Non seulement Art Spiegelman cherche à survivre à son père et à trouver sa place par rapport à lui, l'écriture de son passé pendant la Seconde Guerre Mondiale en étant une forme, mais il cherche aussi à saisir sa mère et à la comprendre.
En écrivant "Maus", l'auteur cherche à se réconcilier avec ses parents et à finalement trouver sa place dans le monde et à s'accepter tel qu'il est : celui qui est né après la Guerre, celui qui ne l'a pas connue ni les camps d'extermination, celui qui a survécu contrairement à son frère Richieu mort pendant la Guerre.

"Maus" est une bande dessinée sans précédent à l'échelle littéraire planétaire et à ma nettement plus modeste échelle littéraire.
C'est une histoire honnête et authentique mise en scène et illustrée de façon pertinente et intelligente par Art Spiegelman, une histoire dont aucun lecteur ne peut ressortir indemne et indifférent et qui m'a sans doute marquée à vie.

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