samedi 28 mars 2015

Le bal d'Irène Némirovsky


Antoinette vient d'avoir quatorze ans ; elle rêve de participer au bal qu'organisent ses parents, les Kampf, pour faire étalage de leur fortune récemment acquise. Mais sa mère, plus pressée de jouir enfin de cette opulence tant attendue que de faire entrer sa fille dans le monde, refuse de convier Antoinette au bal. La vengeance d'Antoinette, aussi terrible qu'inattendue, tombera comme un couperet, révélant le vrai visage de chacun. (Hachette)

Antoinette Kampf a quatorze ans, ses parents sont des nouveaux riches qui tirent leur fortune de placements judicieux à la bourse il y a quelques années, et qui rêvent depuis d'entrer dans le monde, d'être reconnus et acceptés par leurs pairs.
C'est pourquoi ils décident d'organiser un bal.
Antoinette aussi rêve de faire son entrée dans le monde, à son âge elle est romantique, rêve d'amour et d'un beau mariage et surtout, de pouvoir participer au bal organisé par ses parents : "Oh ! mon Dieu, danser une fois, une seule fois, avec une jolie robe, comme une vraie jeune fille, serrée dans des bras d'homme ...".
Mais c'est sans compter sur l'avidité de sa mère qui s'est transformée en monstre d'égoïsme et ne pense qu'à profiter de cette richesse et asseoir sa réputation, sans se soucier désormais du bonheur de son enfant : "Apprends, ma petite, que je commence seulement à vivre, moi, tu entends, moi, et que je n'ai pas l'intention de m'embarrasser de sitôt d'une fille à marier.".

Antoinette illustre à la perfection les émois de l'adolescence, elle s'accroche ardemment à la chose qu'elle désire, ici participer au bal, rêve au grand amour, à son premier baiser, à être prise dans les bras d'un homme pour la première fois et être serrée à lui, tout en ressentant un grand sentiment d'injustice à l'égard de sa personne et en se disant incomprise de tout le monde, mal voire pas aimée, et considérée encore comme une enfant alors qu'elle s'estime désormais mâture et adulte : "Personne ne l'aimait ... pas une âme au monde. Mais ils ne voyaient donc pas, aveugles, imbéciles, qu'elle était mille fois plus intelligente, plus précieuse, plus profonde qu'eux tous, ces gens qui osaient l'élever, l'instruire ... Des nouveaux riches grossiers, incultes ... Ah ! comme elle avait ri d'eux toute la soirée, et ils n'avaient rien vu, naturellement ... elle pouvait pleurer ou rire sous leurs yeux, ils ne daignaient rien voir ... une enfant de quatorze ans, une gamine, c'est quelque chose de méprisable et de bas comme un chien ... de quel droit ils l'envoyaient se coucher, la punissaient, l'injuriaient ?".
Difficile en lisant l'histoire de cette jeune fille abandonnée par sa famille de ne pas penser à la jeunesse d'Irène Némirovsky, romancée dans son roman "Le vin de solitude" et où elle dressait un portrait sans concession d'une mère monstre d'égoïsme.
Tout comme le personnage d'Hélène dans ce roman, Antoinette est ici un double romanesque de l'auteur.
Il est donc question de l'espérance du personnage d'Antoinette, mais son côté sombre est également montré, avec la vengeance qu'elle met en place et qui permet de révéler la véritable nature de chacun.
Tout comme Hélène dans "Le vin de solitude" qui se venge de cette mère si peu aimante et maternelle.
Par sa brièveté, ce texte pourrait s'apparenter à une nouvelle, j'en parle bien au conditionnel car il s'agit plutôt d'un court roman centré sur un personnage, une technique d'écriture littéraire très en vogue à l'époque des Années Folles où il a été rédigé.
Il mêle également un côté très traditionnel : l'importance de la richesse, l'organisation d’événements mondains pour asseoir sa place dans monde; à un autre de révolte illustré par le personnage d'Antoinette.
La plume d'Irène Némirovsky est comme à son habitude sans concession et très riche, n'hésitant pas à impliquer le lecteur au ressenti et aux émotions de la jeune Antoinette, notamment à travers les monologues intérieurs qu'elle tient.
Et au-delà de l'espérance, de la vengeance, des tourments de l'enfance, ce texte véhicule surtout un message fort caractéristique des années 20-30 : l'important c'est de s'amuser, de chasser les souvenirs de la guerre, de s'étourdir dans des fêtes somptueuses où les démonstrations de richesse sont nombreuses, comme le fait Gatsby dans l'oeuvre de Francis Scott Fitzgerald, et surtout de vivre.

Lire une oeuvre d'Irène Némirovsky, c'est la promesse à coup sûr d'un instant de cruauté sans pareil doublé de beauté fulgurante, et d'une justesse d'analyse du caractère humain à glacer le sang.
"Le bal" ne fait pas exception à la règle : rêvez, tournez, valsez, et fuyez vite quand minuit sonne et que les masques tombent, car la douce Cendrillon n'est qu'un mythe.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2015 pour PAL en danger / Chute de PAL


2 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé ce petit roman moi aussi, ce mélange de légèreté et d'amertume.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Irène Némirovsky ne m'a jamais déçue jusqu'à présent !

      Supprimer