samedi 10 juin 2017

La servante écarlate de Margaret Atwood


La « servante écarlate », c'est Defred, une entreprise de salubrité publique à elle seule. 
En ces temps de dénatalité galopante, elle doit mettre au service de la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, son attribut le plus précieux : sa matrice. 
Vêtue de rouge écarlate, elle accomplit sa tâche comme une somnambule, et le soir, en regagnant sa chambre à l'austérité monacale, elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, d'échanger des confidences, de dépenser de l'argent, d'avoir un travail, un nom, des amants... 
Defred doit-elle céder à la révolte et tenter de corrompre le système ? (Robert Laffont) 

A quoi reconnaît-on un bon roman ? Un coup de cœur ?
A l’écho du livre après sa lecture.
Et "La servante écarlate" est un roman qui résonne encore en moi des semaines après sa lecture. Pénétrant est un adjectif qui qualifie à merveille ce roman, auquel on peut y adjoindre les qualificatifs de lugubre, féroce, engagé, féministe et paradoxalement le terme sensé.
"La servante écarlate", c’est tout d’abord une utopie : dans un futur plus ou moins proche l’ordre des choses tel que nous le connaissons n’existe plus, c’est la république de Gilead qui gouverne, il faut entendre par là que c’est la religion qui gouverne la politique dans une coalition totalitaire.
Suite à une grave pollution, la fertilité a fortement diminué, si bien que les femmes sont en quelque sorte une espèce en voie de disparition (particulièrement celles susceptibles d’enfanter) et se classent selon trois catégories : les Epouses, celles qui détiennent le pouvoir en étant mariées à des personnages importants de la république de Gilead ; les Marthas, celles qui entretiennent les maisons, font la cuisine, le ménage ; et les Servantes écarlates dont le rôle est la reproduction.
L’héroïne du roman, rebaptisée Defred, appartient à cette troisième catégorie : "Notre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n’est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d’autre ; l’amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c’est tout : vases sacrés, calices ambulants.".
C’est elle qui raconte aux lecteurs des bribes de sa vie présente, ainsi que de sa vie passée, lorsqu’elle se remémore son mari Luke, leur fille, sa mère, sa meilleure amie Moira : "Cela m’arrive, ces attaques du passé, comme une faiblesse, une vague qui me déferle par-dessus la tête. Parfois c’est à peine supportable. Que faire, que faire ? Il n’y a rien à faire.".
Mais Defred pourrait aussi choisir de se révolter et de se rebeller contre le système.

Ce roman de science-fiction a l’énorme qualité de mettre mal à l’aise le lecteur.
Car oui, je considère bien cela comme une qualité.
Bien plus qu’une simple utopie, celle-ci est négative et tient aisément la comparaison avec d’autres du même genre à l’image de "1984" de George Orwell ou "Le meilleur des mondes" d’Aldous Huxley.
Le malaise se ressent très vite, par les propos de la narratrice à travers les scènes qu’elle décrit. J’ai tout bonnement halluciné en lisant la scène du coït mensuel entre Defred (nom marquant qu’elle est la propriété de Fred et qui changera lorsqu’elle quittera cette maison pour une autre), son maître et la femme de ce dernier, c’est à la limite du viol et c’est d’autant plus insupportable que toutes les Servantes écarlates ont été conditionnées à leur rôle.
La religion est omni-présente, c’est elle qui, soit-disant, guide les préceptes de cette République, la religion est surtout le prétexte à bien des comportements inadmissibles.
Une autre scène complètement hallucinante est celle de l’accouchement d’une Servante écarlate, avec toutes les autres en communiant dans la même pièce qu’elle et sa maîtresse mimant les souffrances de l’accouchement, comme si c’était elle qui subissait le travail.
Sans doute que dans d’autres circonstances de telles scènes prêteraient à sourire, voire à rire, mais l’ambiance du roman est tel que c’est une angoisse sans fin qui s’empare du lecteur.
Et c’est sans parler des scènes d’exécution publiques et du mur où sont affichés les cadavres des traîtres au régime. Defred est un personnage particulièrement difficile à saisir, sans doute parce qu’elle se livre de façon quasi déshumanisée, auquel le lecteur s’attache pourtant car c’est dans les moments où elle est le plus vulnérable, en se remémorant son passé, qu’elle devient accessible et sort de sa tenue de Servante écarlate pour enfin être vue du lecteur telle qu’elle est véritablement, et non comme un utérus sur pattes.
Si vous vous posez la question de savoir ce que sont devenues les autres femmes (comprendre : celles incapables d’avoir des enfants ou trop vieilles ou malades), elles sont tout simplement envoyées dans les Colonies, des endroits très "sympathiques" où elles manipulent des déchets toxiques.
Comme dans ce type de régime, il y a bien évidemment une certaine forme de résistance qui voit le jour, mais à l’image du reste de l’histoire, tout cela n’est qu’effleuré.
Car c’est un roman frustrant, il y a des choses dites mais le fond reste inexpliqué, il y a énormément de suppositions et c’est un roman ouvert à l’imagination du lecteur, et je crois bien que tout dépend de l’humeur dans laquelle on le lit car on peut faire des suppositions aussi bien positives que négatives.
La postface du roman est particulièrement éclairante sur certains aspects de l’histoire, mais pour ma part elle a également un côté frustrant qui fait que je continue encore de penser au roman.
J’ai également trouvé que c’était un roman féministe, mais pas au sens classique du terme.
La république de Gilead est en quelque sorte issue d’une dérive du féminisme : puisque les femmes étaient en danger, se faisaient agresser etc. il a été décidé de les ranger par caste et de créer des Servantes écarlates dont le visage est caché au monde par un système de cornette, habillées uniformément et qui ne doivent ni ressentir ni inspirer un quelconque sentiment.
En uniformisant les femmes, certaines personnes ont cru que tous les problèmes allaient se résoudre, sauf qu’intérieurement la plupart de ces femmes continuent de vivre, de penser par elles-mêmes.
On a beau les emprisonner elles n’en demeurent pas moins des êtres humains doués de sentiments et de pensées, et c’est sans doute toute la force de ce roman de dépeindre tout cela à travers le personnage de Defred.
L’histoire montre aussi l’échec de l’héritage féministe, entre la mère de Defred, militante engagée, qui se désole de voir le peu d’intérêt montré par sa fille dans ce combat.
Cette nouvelle génération s’étant en quelque sorte endormie sur les lauriers de la précédente se trouve vite dépouillée de tous droits par le nouveau régime en place : comptes en banque, travail, etc.
Ce roman est un savant mélange de puritanisme Américain, de régime Stalinien et de chasse aux sorcières à Salem.
Une véritable claque littéraire salvatrice et qui, malheureusement, ne se démode pas et reste d’actualité.

"La servante écarlate" est un sublime roman de science-fiction féministe signé Margaret Atwoot qui connaît aujourd’hui un regain de ventes Outre-Atlantique et dont la phrase clé à retenir est sans nul doute : Nolites te salopardes exterminorum.

6 commentaires:

  1. Tellement génial ! Et je ne trouve pas qu'il soit malheureux que ce texte ne se démode pas. Tant qu'on aura besoin de rappels, il faut que ce texte vive.

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    1. Il connaît un regain de vente aux Etats-Unis depuis l'élection de Donald Trump et les tatouages avec la phrase en latin sont en pleine expansion.
      Il me reste à découvrir le film et la série.

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    2. Je suis en plein dans la série. Chaque épisode est une merveille, entre horreur et espoir.

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    3. J'ai regardé le film hier soir : très bonne adaptation, je vais me lancer dans la série dans pas longtemps.

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  2. J'ai encore des frissons en lisant ta chronique. J'en parle très bientôt sur mon blog, c'est un énorme coup de coeur pour moi aussi. Et Orwell et Huxley furent les deux références qui virent au libraire quand je lui parlais de ce livre qu'il n'avait pas lu ce matin ! ;-)

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    1. Cela fait quelques semaines que je l'ai lu et j'en frissonne encore !
      Il me reste à voir le film et la série.
      Hâte de lire ton avis !

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