samedi 3 mai 2014

Le journal de mon père de Jirô Taniguchi


Moi qui n'étais pas revenu dans ma ville natale depuis plus de dix ans, je découvrais peu à peu des facettes de mon père qui m'étaient inconnues. Je prenais conscience du fossé que j'avais creusé pour échapper à tout dialogue avec lui. De retour dans sa ville natale pour les obsèques de son père, Yoichi se remémore son enfance. Dans ce récit intimiste, Taniguchi nous restitue toute la profondeur des sentiments et des émotions d'un homme qui plonge dans ses souvenirs. C'est avec beaucoup de finesse et de pudeur que l'auteur de Quartier Lointain nous convie à cette magnifique introspection. (Casterman)

Yochan revient dans sa ville natale pour les obsèques de son père qu'il n'a plus vu ni parlé depuis plusieurs années, il est certes triste mais ce retour aux racines ravive en lui les souvenirs de son enfance : "J'étais saisi par une émotion étrange, comme si je retournais dans le passé.".
Après une enfance heureuse entourée de son père, de sa mère et de sa sœur, un incendie ravage la ville et vient détruire l'équilibre la maison mais également la cellule familiale qui vole en éclat : "Je n'envisageais même pas que cet incendie avait pu défaire les liens qui unissaient mon père et ma mère, en plus d'avoir anéanti notre maison.".
C'est un chemin vers le passé qu'emprunte Yochan et ce qu'il va y découvrir va le surprendre, c'est une toute autre vision de son père qu'il aura et avec qui il ne pourra malheureusement pas la partager : "Mon père rendu muet par la mort m'a parlé.".
Yochan a bâti sa vie sur un rejet de ce père à qui il reproche sans doute le départ de sa mère, trop jeune qu'il était pour comprendre la liaison adultérine qu'elle entretenait avec un professeur et pour qui elle a tout quitté, et avec qui les liens se sont distendus le jour où il s'est remarié.
Très vite il a quitté le domicile pour faire des études à Tokyo, y laissant son père, sa belle-mère et également le chien qu'il aimait tant et qu'il ne reverra pas vivant : "A cette époque, je ne pouvais absolument pas comprendre les sentiments de mon père et de ma belle-mère.".
Mais au-delà des souvenirs, c'est une profonde mélancolie et des regrets infinis qui se dégagent de ce récit : "Mon père ... depuis l'enfance j'ai toujours gardé au fond de moi un ressentiment à son égard et maintenant il est mort.".
C'est en parlant avec d'autres membres de la famille à la veillée funèbre que Yochan va enfin comprendre son père et surtout se rendre compte que tout ce qu'il a fait, c'était par amour pour lui : "Maintenant qu'avec sa mort, le véritable visage de mon père m'était apparu je connaissais sa gentillesse. Je regrettais d'avoir coupé court à tout dialogue avec lui depuis son divorce avec ma mère. Je m'en voulais d'avoir quitté mon village, ma famille et de n'avoir pas essayé de comprendre la tristesse de mon père et sa douleur.".
Yochan est sans doute un fils égoïste qui a choisi la ville à sa famille et qui pour diverses raisons ne venait plus depuis des années.
Aujourd'hui ce sont les regrets qu'il va connaître, et c'est un poison bien plus perfide qui va envahir son âme et le laisser avec ses remords et d'une certaine façon libéré.
En plongeant son personnage dans ses souvenirs d'enfance : le salon de coiffure de son père, sa mère, le grand incendie, le divorce de ses parents, Jirö Taniguchi porte un regard juste et sans concession sur son personnage, une forme de double de lui-même puisqu'il s'est en partie inspiré de son propre vécu pour créer cette histoire.
Yochan a idéalisé sa mère avec son regard de petit garçon, il s'est détaché de son père et de sa belle-mère pour de mauvaises raisons.
Cette histoire contient des sentiments très violents, particulièrement en ce qui concerne l'ingratitude de ce fils et son aveuglement.
Cela nous renvoie en nous-même et nous fait également nous interroger sur notre comportement vis-à-vis de nos proches.
Il ressort aussi de ce texte toute la nostalgie du pays natal, avec une dimension intimiste puisque l'auteur lui-même a vécu une situation à peu près similaire.
L'histoire est construite par chapitres qui reviennent sur les périodes marquantes de la jeunesse de Yochan, et comme c'est signé Jirö Taniguchi, c'est quasiment un pléonasme de dire que les graphismes sont de grande qualité, les dessins de toute beauté.
En plus, cela offre la possibilité au lecteur occidental de vivre tout un pan de l'histoire du Japon.

"Le journal de mon père" de Jirô Taniguchi est une très belle histoire remplie d'émotions qui étreint le cœur du lecteur et le bouscule dans le fond de son âme, en venant lui rappeler que l'important est de profiter des gens tant qu'ils sont encore vivants, une fois qu'ils sont morts il est trop tard et il ne reste alors que les regrets.

Livre lu dans le cadre de Un samedi par mois, c'est manga


2 commentaires:

  1. Cela donne envie... D'autant plus que j'avais adoré Quartier Lointain!

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    1. J'ai énormément aimé ces 2 romans graphiques, je ne peux que te le conseiller !

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