lundi 16 juin 2014
Un été à Cold Spring de Richard Yates
Long Island, fin des années 1930. Fils d'un officier en retraite et d'une mère neurasthénique, le très séduisant Evan Shepard n'a pas dix-huit ans quand il se marie avec Mary, une lycéenne " provocante ", tombée enceinte peu après une soirée au drive-in. S'il se révèle un mécanicien prometteur, il est parfaitement dénué d'ambition tandis que Mary, elle, prépare son entrée à l'université dès la naissance de leur fille : elle veut devenir un " être à part entière ". Rapidement, c'est l'échec du couple, puis le divorce.
Quelques années plus tard, une deuxième chance s'offre à Evan en la personne de Rachel Drake. Etonnamment douce, vertueuse et effacée, parfaite antithèse de Mary, elle est la fille de Gloria, une hystérique en mal d'amour et la sœur de Phil, un adolescent brillant, chétif et complexé. Evan et Rachel se rapprochent, se fréquentent, s'émoustillent et se marient pour, enfin, assouvir leur désir réciproque.
Désargentés mais heureux, ils louent un appartement confortable loin de leurs familles respectives. Evan envisage même de reprendre ses études pour devenir ingénieur. Mais leur insouciance n'a qu'un temps : l'écho de Pearl Harbor se propage bientôt jusqu'à eux, la guerre éclate, l'armée recrute et, comble de malchance, Rachel tombe enceinte. *
C'est l'heure des compromis. Sous prétexte de quelques économies, Gloria propose bientôt aux jeunes mariés de partager ensemble une maison à Cold Spring, petite bourgade cossue où se côtoient paisibles parvenus et vieilles familles bourgeoises.
C'est aussi là qu'habitent, fort opportunément, leur belle-famille, Grace et Charles Shepard, pour lequel Gloria ne peut cacher une violente inclination. Au cours d'un été, en 1942, toute cette assemblée de personnalités mal assorties et bien alcoolisées va cohabiter dans la grande demeure humide, amenée à devenir le théâtre des désillusions individuelles et collectives de ses hôtes. (Robert Laffont)
Ce roman pourrait être sous-titré "Portraits des familles Shepard et Drake".
Evan Shepard commence sa vie d'adulte par un mariage raté : trop jeunes, lui et sa femme Mary ne vont pas tarder à découvrir l'envers du décors : "L'amour n'était peut-être pas tout dans la vie, mais ni l'un ni l'autre n'eurent le temps d'envisager cette éventualité avant le mariage.".
Quelques années plus tard, le hasard et une panne de voiture le fera sonner chez Gloria Drake, c'est là qu'il rencontrera Rachel, qui deviendra sa seconde femme.
Roman sur le besoin d'amour, les compromis, il met en lumière les extrêmes de l'âme humaine : Gloria Drake, femme hystérique et désespérément seule, s'amourache de Charles, le père d'Evan, sauf que comme le dit l'auteur : "En réalité, il n'y a jamais rien de risible chez une femme assoiffée d'amour."; ou encore le jeune Phil mal à l'aise dans cette famille et dans sa peau qui se cherche.
Etrange cercle familial que forment les Shepard et les Drake, entre la femme névrosée de l'un et l'autre qui s'accroche à ses enfants et rêve à une autre vie avec le mari de la première : "Notre petite Rachel - ou notre grosse Rachel, devrais-je dire - qui descend et qui nous déclare : "Je vous aime, vous tous." Savez-vous ce que j'aurais aimé, Evan ? J'aurais aimé que votre père soit ici, ce matin, pour partager cet instant avec nous.".
Et au milieu de tout ce cirque émotionnel, il y a Evan, le cœur entre deux femmes et l'esprit tourné vers l'horizon et la fuite en avant : "Un été, après la guerre, quand l'essence se remettrait à couler à flots, il roulerait jusqu'à la côte ouest - en prenant son temps et en admirant tout ce qui mériterait de l'être. Il lui sembla que c'était une bonne idée, une idée claire et libératrice, même s'il ne pourrait pas en faire grand chose tant qu'il n'aurait pas répondu à cette question embuée par la bière : qui serait assis avec lui dans la voiture ? Rachel et le bébé ? ou Mary et Kathleen ?".
Après les époux Wheeler de "La fenêtre panoramique" et les soeurs Grimes d' "Easter Parade", Richard Yates dresse ici le portrait de deux familles dans l'Amérique post dépression et en plein conflit mondial puisque l'histoire se passe en 1942 après l'attaque de Pearl Harbor.
Roman particulièrement concis, tout comme l'histoire qui se déroule sur un été, il a la marque de fabrication des œuvres de Richard Yates : portraits sans concession, une histoire triste, une vérité qui peut faire mal à lire mais qui frappe toujours juste.
Le lecteur assiste une fois de plus à un drame familial, mais quelle virtuosité dans la narration !
C'est rapide et haletant tout en étant indolent, c'est dépeint avec une justesse qui frappe et c'est surtout très révélateur du climat d'une époque.
La plume de l'auteur est vivante car à travers les mots le lecteur ressent le climat chaud de cet été, une forme de moiteur et d'indolence dans lesquelles les personnages s'engluent.
J'ai été transportée comme spectatrice de cette histoire, et si je n'avais qu'un rôle passif d'observatrice ce n'est pas pour autant que je n'ai pas pris de plaisir à suivre les démêlés de ces deux familles.
On y retrouve des thèmes chers à Richard Yates : la faiblesse des hommes face aux femmes qui les amènent à commettre des erreurs, une forme de patriotisme exalté ici porté par l'engagement volontaire dans le conflit de 1939-1945, une recherche constante de l'ascension sociale et le poids des traditions qui pèse sur les personnages, et comme d'ordinaire, c'est toujours aussi bien écrit et aussi jouissif à lire.
Il est à regretter que l'écriture de Richard Yates ait mis autant de temps à nous parvenir tant son oeuvre est emblématique d'une époque et frappe toujours juste avec une précision redoutable.
D'où la raison pour laquelle je prends mon temps pour la découvrir.
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