dimanche 19 novembre 2017

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer


Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l’Allemagne nazie. L’ambitieuse s’est hissée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu’elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s’enfonce dans l’abîme, avec ses secrets. Au même moment, des centaines de femmes et d’hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s’accrochant à ce qu’il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l’enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d’une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d’un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d’un homme et le silence d’une femme : sa fille. 
Elle aurait pu le sauver. 
Elle s’appelle Magda Goebbels. (Editions de l'Observatoire)

Nous sommes à quelques jours de la chute de Hitler et son IIIè Reich, Magda vit avec son époux, leurs enfants, Hitler et sa compagne, ainsi que les dernières personnes encore présentes, terrés dans le bunker tandis que Berlin est détruite par les bombardements : "Les immeubles de la ville dégoulinent de fuites. Les toits laissent passer tout ce qui tombe du ciel. Berlin n'a plus de cinémas, ni de théâtres, ni de salons cossus. La ville est ciblée par les bombes au phosphore et les vols en rase-mottes, toujours plus près du centre, de sa maison, de sa chambre, de son oreiller qu'elle enroule autour de sa tête pour gommer les bruits qui tombent du ciel.".
Le temps pour Magda de faire le point sur sa vie, ses décisions, dont l'une l'a conduite à séduire et se faire épouser par Joseph Gooebbels, tandis que l'autre l'a poussée à renier son passé et l'homme qui l'a élevée, Richard Friedländer, un juif aujourd'hui déporté dans un camp et ce par décision de Magda.
Justement, ce même Richard est encore à peu près en vie et il marche, pris dans les terribles et meurtrières marches de la mort, portant avec lui les lettres écrites à sa fille.
C'est une petite fille, Ava, qui se retrouve dépositaire de ce rouleau de cuir et qui va porter avec elle le lourd secret de Magda et, peut-être si elle survit, le faire connaître au monde.

Magda Goebbels, c'est cette femme qui n'a pas hésité à tuer ses six enfants dans le bunker de Hitler au moment de la chute de ce dernier, avant de se suicider avec son mari, l'antisémite et antichrétien Joseph Goebbels.
C'est surtout cela que l'Histoire retient d'elle, pourtant qui était-elle, quel a été son parcours, comment et pourquoi en est-elle arrivée à de telles extrémités ?
C'est ce que propose à travers un roman chorale que Sébastien Spitzer, journaliste, dans ce qui est son premier roman, une réussite pour tout dire.
De Magda Goebbels, je ne connaissais finalement, comme la plupart du monde, que son geste d’assassiner ses enfants, avec cette lancinante question : comment une mère peut-elle en arriver à tuer sa progéniture ?
Il y avait tant de choses que je ne connaissais pas, comme cette enfance avec son père d'adoption qu'elle reniera car il est de confession juive et que cela est très mal vu dans les années 30 en Allemagne, ou encore son premier mariage et le fils qui en est issu (et qu'elle n'a pas tué car il était soldat et sur le front au moment de la chute du IIIè Reich), et que dire de son premier grand amour, Victor Arlosorff, qui deviendra une des grandes figures du sionisme en Palestine.
Je ne m'attendais pas à y découvrir cette Magda Goebbels, une femme égoïste, narcissique, préoccupée par son image et son statut : "Quelle image laissera-t-elle dans la mémoire du siècle ? Elle n'a jamais blessé personne. Elle n'a jamais haussé la voix. Elle a été à la hauteur. Elle s'est battue. Elle a menti. Elle a collé au personnage qu'on avait voulu faire d'elle. Digne de son rôle.".
Cette femme est infecte et pourtant je ne l'ai pas détestée, j'ai juste été spectatrice de sa déchéance, aussi profonde que le fut son ascension.
Sébastien Spitzer ne cherche ni à l'excuser ni à la clouer au pilori en place publique, il dresse minutieusement son portrait, fouille sa psychologie et émet des phrases qu'elle aurait pu penser, qu'elle a sans doute pensé.
En quelque sorte, il dé-diabolise cette femme en la faisant apparaître comme humaine aux yeux du lecteur, et pourtant il est sans concession vis-à-vis d'elle.
Hormis elle-même, cette femme ne devait aimer que son fils aîné Harald, et peut-être un peu son premier amour en la personne de Victor Arlosoroff, au-delà personne ne trouve vraiment grâce à ses yeux et certainement pas son mari : "Toujours ensemble. Le nabot et l'hystérique, le tremblant et le boiteux. Pour ce qui est de sa danseuse, Eva Braun, c'est de la pacotille, une mauvaise poudre aux yeux qui s'éparpille à la moindre brise. Magda prime. Elle le sait.".
Assez parlé de Magda, ce que j'ai beaucoup apprécié dans cette lecture, c'est la construction du roman, les parallèles sont intéressants entre cette femme qui vit sous terre et ces déportés qui vivent à l'air libre mais sous le joug des coups, de la peur, des massacres et de la mort.
Au lieu de casser la narration ce découpage le renforce au contraire et permet d'alterner les personnages.
J'ai apprécié le style de l'auteur dont c'est le premier roman et qui pourtant n'y ressemble pas tant je n'y ai pas vu les maladresses habituellement rencontrées.
J'ai par la même occasion découvert les éditions de l'observatoire et je trouve la couverture particulièrement bien choisie.

"Ces rêves qu'on piétine" est un très bon roman sur la chute d'une femme née Behrend, adoptée comme Friedländer, légitimée par Ritschel, mariée en Quandt et que l'Histoire a retenu sous le nom de Magda Goebbels, épouse du Gauleiter Goebbels et meurtrière de ses enfants.

2 commentaires:

  1. En dépit de ton enthousiasme, je passe.
    Les figures de mère assassine, je ne supporte pas... et ce depuis Médée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je comprends très bien que ce thème ne plaise pas à tout le monde.
      Belle découverte en tout cas pour ma part avec ce livre.

      Supprimer