mardi 19 février 2019

Grâce à dieu de François Ozon

       
     

Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne. (AlloCiné)


Un film de François Ozon est pour ma part toujours un événement.
Je n’imaginais donc pas ne pas voir celui-ci, encore moins lorsqu’il a été annoncé en avant-première dans le cinéma que je fréquente et, cerise sur le gâteau, suivi d’un débat en présence de François Ozon (là aussi une première).
Autant le dire tout de suite, ce nouveau François Ozon est bel et bien un événement, ne serait-ce que par le sujet du film.
Le film est centré sur la création du collectif La parole libérée et sur le combat d’anciens scouts Lyonnais pour dénoncer les attouchements du père Bernard Preynat dont ils ont été victimes ainsi que le silence et la non-action de la hiérarchie ecclésiastique qui savait toutes ces années.
Au début, François Ozon n’envisageait pas un film mais de réaliser son premier documentaire, il a changé d’avis face à la réaction des membres du collectif et a bâti son film à partir des entretiens qu’il a eus, des témoignages publiés ainsi que des échanges épistolaires (tous ces documents sont disponibles sur le site du collectif).


Comme d’habitude chez François Ozon, et sans doute encore plus cette fois-ci, la mise en scène est particulièrement travaillée.
Ici, elle est bâtie de façon à dérouler l’histoire en suivant trois personnes différentes pour finir par faire un lien entre elles, l’exercice était tout sauf évident.
Car Alexandre est présent pendant les 45 premières minutes du film puis laisse la place à François, qui lui-même cède la sienne à Emmanuel avant que les trois protagonistes ne se rencontrent.
Cela fonctionne très bien à l’écran, il n’y a pas de temps mort et la trame se déroule comme une bobine de film, c’est tout à fait remarquable.
Ces trois personnages sont issus de milieux différents : Alexandre c’est la bourgeoisie, François la classe moyenne et Emmanuel c’est celui qui survit, qui a vu sa vie foutue en l’air par ce qu’il a vécu et qui souffre de problèmes médicaux liés à son traumatisme, preuve que la pédophilie touche n’importe qui dans n’importe quel milieu (et pour le poster de "Spotlight" dans le commissariat c’est réel, le film venait de sortir peu de temps auparavant au cinéma et était affiché sur le mur).
François Ozon c’est aussi un réalisateur qui a pour habitude de mettre en scène des personnages féminins forts, cette fois-ci ils sont masculins mais là aussi ce changement de genre convient très bien au réalisateur.
Et puis il s’entoure de comédiens tous plus excellents les uns que les autres : pour la troisième fois il fait appel au (rare) Melvil Poupaud, mais aussi à Denis Ménochet et Swann Arlaud pour les autres comédiens en tête d’affiche.
Pour résumer, le casting est excellent, et que dire des comédiens qui tiennent les rôles peu évidents du père Preynat et du cardinal Barbarin.


Ce film est un grand moment d’émotions, difficile de ne pas être révoltée face à cette histoire, à ce silence, à ces agissements qui ont perduré pendant des années et qui ont irrémédiablement marqué la vie et le psychisme des victimes.
C’est un film qui interroge beaucoup, sur la foi, sur sa propre foi lorsque l’on est croyant, sur l’attitude que l’on aurait : face à des victimes, face à de tels agissements ; en somme c’est un peu le miroir de l’âme de tout un chacun.
Pour avoir eu le privilège de voir le film en avant-première suivie d’un débat, les échanges m’ont apportée un nouvel éclairage sur le film, sur sa construction, le cheminement du réalisateur mais aussi des comédiens, sur les réactions qu’il a déclenché avant même de sortir en salle, sur la frilosité de certains face à un tel sujet (pour la première fois Canal + ne finance pas un film de François Ozon, c’est dire le courage de certains producteurs …), mais ce que je retiendrai surtout c’est l’émotion ressentie en entendant le témoignage de certaines personnes dans la salle, des mercis qui sont revenus plusieurs fois : merci d’avoir parlé, merci d’avoir créé un collectif parce que l’on aurait aimé que cela existe lorsque l’on s’est retrouvé confronté à ce problème, merci d’avoir retranscrit ce que l’on vit aussi justement dans votre film, mais aussi des excusez-moi parce que les personnes se mettaient à pleurer(alors qu’elles n’avaient certainement pas à s’excuser), et alors se dire que la vie peut être dure mais aussi belle, que l’Humain est fait de telle façon qu’il arrive à se reconstruire tout en ayant vécu des situations douloureuses, et que sa propre vie est loin, très loin d’être triste ou ratée ou terrible face aux parcours écorchés de certains qui chaque jour luttent pour se reconstruire.


"Grâce à dieu" est un très beau film rendant hommage au courage des victimes et à leur famille, sans doute le meilleur à ce jour de François Ozon, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire ?
(Le film sortira bien dans les salles le 20 février, et au passage il est reparti avec l’Ours d’Argent du festival de Berlin)

1 commentaire:

  1. D'accord en tout point avec toi.
    Ce film sera très certainement dans mon top de fin d'année.

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