Bernard Valcourt, journaliste revenu de tout, de la famine en Éthiopie à la guerre au Liban, se rend au Rwanda pour une bien futile et utopique mission, mettre sur pied un service de télévision libre. Il y découvre un pays ravagé par la misère, la corruption, le sida, et l'amour au travers de Gentille, une Hutue aux traits fins de Tutsie. Et, tandis que la petite colonie occidentale se détend au bord de la piscine à Kigali, un peuple sombre dans la folie exterminatrice. (Folio)
Bernard Valcourt est un journaliste québécois expatrié au Rwanda pour y monter un service de télévision libre.
C'est un homme qui est revenu de tout, il a couvert la famine en Ethiopie, la guerre au Liban, il a connu quelques échecs sentimentaux et c'est d'un œil à la fois lointain et critique qu'il observe les expatriés se réunissant au bord de la piscine de l'hôtel des Mille Collines à Kigali.
Il observe et il n'en pense pas moins, et il suit du regard la belle et douce Gentille qui porte à ravir son prénom.
Gentille a le physique d'une Tutsie alors qu'elle est Hutue, et dans le Rwanda de 1994 il ne fait pas bon être ou ressembler à une Tutsie, car le grand massacre se prépare, la Radio des Mille Collines a commencé depuis des mois à appeler aux massacres des Tutsis, des "cafards" comme ils les appellent ou encore des "grands arbres", la haine a été exacerbée et portée à son paroxysme.
Tous les Rwandais le sentent et le savent, une extermination de grande ampleur se prépare : "Ici, nous allons tuer dans un grand excès de folie, de bière, de mari, dans un déferlement de haine et de mépris qui dépasse ta capacité de comprendre, et la mienne aussi. Je dis "nous" parce que je suis rwandais et parce que les Tutsis le feront aussi quand ils en auront l'occasion. Je dis "nous" parce que nous sommes tous devenus fous.", la Communauté Internationale est alertée mais elle va commettre l'une de ses plus grandes fautes : celle de choisir de ne pas voir, de ne pas entendre, d'ignorer et de minimiser ce qui va se passer au Rwanda.
C'est dans ce climat de tension que Valcourt et Gentille vont s'aimer, tel des Roméo et Juliette africains, en gardant toujours à l'esprit le côté dramatique de leur relation : "Chaque moment qu'on vole à la peur est un paradis.".
Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas reçu une claque littéraire, ce livre en est une.
En y regardant de plus près, peu de livres traitent du génocide au Rwanda en 1994 : trop proche ou bien parce que les français, les canadiens, les américains, le monde en général a mauvaise conscience d'avoir choisi de fermer les yeux sur le massacre qui se préparait plutôt que de l'enrayer ?
Sans doute un peu de tout cela, et avec ce premier roman, l'écrivain québécois francophone et journaliste Gil Courtemanche a frappé fort.
Pour comprendre comment ce pays en est arrivé à une telle situation, il faut revenir au début du 20ème siècle, retourner à l'époque où les Tutsis étaient majoritaires et dominaient les Hutus, puis à la domination Belge qui a discrédité les Tutsis et portés les Hutus au pouvoir.
Tutsis, Hutus, deux mots pour classifier des personnes selon leur origine ethnique, jusqu'à en oublier qu'ils étaient tous Rwandais, tout simplement.
Ce roman a le mérite de présenter de façon claire et précise les origines du génocide, en donnant la parole à des Rwandais clairvoyants sur la situation de leur pays et sur la folie dans laquelle il est en train de basculer : "Ici, les rumeurs tuent. Ensuite, on les vérifie.".
Il a également le mérite de dresser le portrait sans concession d'un pays meurtri par les guerres civiles, la pauvreté et le SIDA qui ravage la population, en mettant en exergue les croyances africaines qui rendent la tâche encore plus compliquée aux médecins et aux infirmières pour faire passer les messages de prévention et les bons gestes à adopter.
Ce qui fait toute la puissance de ce roman, c'est qu'hormis le personnage de Valcourt, encore que dans une certaine mesure il représente en partie Gil Courtemanche ayant lui-même été correspondant en Afrique, toutes les personnes nommées et tous les événements ont réellement eu lieu, hormis l'histoire d'amour avec Gentille.
Ce n'en est que plus effrayant quand à la lecture on a l'impression d'être face à une bombe amorcée et que le décompte avant l'explosion a déjà commencé.
Ce roman ne brille pas par une plume extraordinaire et inoubliable, j'ai clairement délaissé la forme, somme toute banale et sans surprise, pour le fond et je me suis laissée prendre par le destin de toutes ces personnes.
Gil Courtemanche est très critique vis-à-vis de la position internationale et se positionne comme un Africain plus que comme un Occidental, c'est ce qui contribue sans doute à rendre cette histoire si proche du lecteur, en ne se contentant pas de s'arrêter au génocide mais en évoquant également l'après : la vie qui reprend, un peuple qui se reconstruit, panse ses plaies, pardonne et fonde un espoir dans l'avenir : "Si l'on veut continuer à vivre, pensait Valcourt en longeant le marché qui reprenait ses anciennes couleurs, il faut croire à des choses aussi simples et évidentes : frères, sœurs, amis, voisins, espoir, respect, solidarité.".
A titre personnel, jusqu'à il y a quelques années je ne savais que peu de choses sur ce génocide, d'autant que j'étais jeune en 1994 (ceci n'étant pas complètement une excuse puisque des enfants du même âge que moi étaient massacrés à cette époque) : j'en gardais des images atroces de cadavres sur les routes, de crânes, et le souvenir de l'épidémie de choléra qui s'était déclenchée dans les camps de réfugiés (j'en avais même rêvé la nuit) ainsi que le mot de "machette" dont je n'avais qu'une vague idée de ce que cela était.
Aujourd'hui je suis un peu moins ignorante sur le sujet et je ne peux que me rendre compte de toute l'horreur que cela a été, et de me poser de nombreuses questions dont : pourquoi rien n'a-t-il été fait ? Pourquoi le monde a choisi de fermer les yeux plutôt que d'agir ? Ce n'est pas comme si c'était la première fois que cela arrivait, j'ai d'ailleurs apprécié à la lecture de ce roman les parallèles qui sont faits par les Africains eux-mêmes de cette extermination massive qui se prépare par rapport à celle des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.
En 1994, les machettes ont remplacé les chambres à gaz et les crématoires, puisque l'Humain semble incapable de stopper l'impensable, la question pourrait presque se poser de savoir ce que sera le prochain massacre de masse, quand et comment sera-t-il organisé.
"Un dimanche à la piscine à Kigali" est un roman fort et difficile de Gil Courtemanche et offre une vision d'ensemble du génocide Rwandais glaciale dans toute son étendue et son horreur, à lire absolument pour éveiller les consciences et ne jamais oublier.
Il me tarde désormais de voir l'adaptation cinématographique faite de ce roman.