dimanche 31 décembre 2017
C'est le coeur qui lâche en dernier de Margaret Atwood
Stan et Charmaine ont été touchés de plein fouet par la crise économique qui consume les États-Unis. Tous deux survivent grâce aux maigres pourboires que gagne Charmaine dans un bar sordide et se voient contraints de loger dans leur voiture... Aussi, lorsqu'ils découvrent à la télévision une publicité pour une ville qui leur promet un toit au-dessus de leurs têtes, ils signent sans réfléchir : ils n'ont plus rien à perdre. À Consilience, chacun a un travail, avec la satisfaction d'oeuvrer pour la communauté, et une maison. Un mois sur deux. Le reste du temps, les habitants le passent en prison... ou ils sont également logés et nourris ! Le bonheur.
Mais le système veut que pendant leur absence, un autre couple s'installe chez eux avant d'être incarcéré à son tour.
Et Stan tombe bientôt sur un mot qui va le rendre fou de désir pour celle qui se glisse entre ses draps quand lui n'y est pas : « Je suis affamée de toi. » (Robert Laffont)
Depuis que j'ai découvert Margaret Atwood avec "La petite poule rouge vide son cœur" et la lecture cette année de "La servante écarlate", je n'arrête plus avec cette auteur, raison pour laquelle je me suis littéralement jetée sur sa dernière parution au titre une nouvelle fois intrigant : "C'est le cœur qui lâche en dernier".
Margaret Atwood excelle décidément dans la dystopie, ce nouveau roman en étant une, sauf que celui-ci est plus déjanté et moins sérieux dans sa noirceur que "La servante écarlate".
La côte Est des Etats-Unis connaît une grave crise économique, Charmaine et Stan se retrouvent sans emploi, sans maison, obligés de vivre dans leur voiture, de fouiller les poubelles pour se nourrir et d'exercer un boulot minable.
Ça, c'était jusqu'à ce qu'ils découvrent l'existence du projet Consilience : "Travaillez avec des gens qui partagent votre façon de voir ! Contribuez à résoudre les problèmes de la nation en matière de chômage et de criminalité tout en réglant les vôtres ! Mettez l'accent sur le positif !", où le principe est simple : chacun travaille et habite une jolie maison un mois puis passe un mois en prison tout en y exerçant une activité utile à la communauté.
Et ça marche ... ou pas.
Margaret Atwood est honnête : il y a forcément au moins un loup derrière ce vernis et le sourire affiché pourrait se fissurer lorsque l'on cherche à creuser, comme Charmaine le fait : "Quand bien même elle pourrait en parler à quelqu'un, quand bien même on la croirait, ils feraient semblant que non, parce que, pour eux, la vérité, c'est du botulisme. Ils auraient peur de la contamination. Elle est seule.", puis ensuite Stan.
Si une telle communauté pouvait fonctionner, ça se saurait, ai-je envie de dire.
Mais plutôt que de sombrer dans la noirceur, Margaret Atwood livre ici une jouissive et déjantée dystopie, où Elvis et les nounours bleus ne sont jamais loin.
J'ai beaucoup souri au cours de cette lecture, j'ai même rigolé à quelques moments, car c'est drôle, même si l'on se doute que les personnages vont avoir des problèmes, et rien n'est tout noir ou tout blanc.
Stan va découvrir un autre visage de Charmaine, et va s'embraser pour une mystérieuse Jasmine et son rouge-à-lèvres, tandis que Charmaine va découvrir les joies du libertinage tout en se posant des questions sur l'une de ses activités au sein de Consilience, activité qui a inspiré le titre du roman : "Si on commet de mauvaises actions pour des raisons dont on vous a dit qu'elles étaient bonnes, est-ce que ça fait de vous quelqu'un de mauvais ?".
Je suis agréablement surprise de voir à quel point Margaret Atwood maîtrise les genres, elle est aussi excellente dans un registre grave que dans un plus drôle, à l'humour grinçant il faut bien le reconnaître.
J'aime décidément beaucoup son style, sa façon de raconter une histoire ainsi que les personnages qu'elle créée.
Voilà une auteur que je ne suis pas prête d'abandonner dont le plaisir de lecture est à chaque fois renouvelé.
"C'est le cœur qui lâche en dernier" est une grinçante dystopie à l'humour noir, encore une perle littéraire signée Margaret Atwood à découvrir de toute urgence.
samedi 30 décembre 2017
Lucky de John Carroll Lynch
Lucky est un vieux cow-boy solitaire. Il fume, fait des mots croisés et déambule dans une petite ville perdue au milieu du désert. Il passe ses journées à refaire le monde avec les habitants du coin. Il se rebelle contre tout et surtout contre le temps qui passe. Ses 90 ans passés l'entraînent dans une véritable quête spirituelle et poétique. (AlloCiné)
Lucky se lève, allume une cigarette, fait quelques exercices, se prépare un café et une nouvelle cigarette, part au café y faire des mots croisés, déambule dans la ville et rentre chez lui.
Lucky se lève, allume une cigarette, fait quelques exercices, se prépare un café et une nouvelle cigarette, part …
Ainsi va le quotidien de Lucky, nonagénaire habitant une ville perdue au milieu du désert, au gré des rencontres qu’il y fait et des discussions qu’il tient avec les autres habitués et habitants de cette petite ville.
Le scénario ne brille pas par son originalité, ni la mise en scène au passage.
Très vite j’ai été gagnée par une certaine torpeur et mes paupières étaient lourdes, très lourdes … .
Il ne se passe pas grand-chose dans la vie de Lucky, pas même la disparition de la tortue Roosevelt d’une de ses connaissances ne vient y mettre un tantinet de piment. Lucky tient quelques beaux discours, il est toujours en révolte contre quelque chose mais particulièrement le vieillissement, sauf qu’il ne se passe pas grand-chose non plus à l’écran.
Je me suis ennuyée pendant ce film, je savais que ce n’était pas un film d’action mais j’attendais au moins que quelque chose arrive dans la vie de Lucky, mais non, rien.
John Carroll Lynch s’est inspiré de la vie de son comédien Harry Dean Stanton pour créer le personnage de Lucky et réaliser son premier film.
Tout cela part d’un beau sentiment mais la déception est à la hauteur de l'ennui.
Il ne suffit pas d'apprécier une personne pour bâtir un personnage et un film, il faut aussi de la consistance que je cherche encore dans le scénario.
Ce personnage de Lucky n'a pas su me toucher dans sa routine et son quotidien, pas même les rencontres qui émaillent son parcours, sauf peut-être celle avec un vétéran de la guerre du Pacifique, le moment le plus touchant du film avec son discours dans le bar juste avant d'y fumer.
Et j'allais oublier la chanson lors de la fête d'anniversaire, finalement le passage que j'ai trouvé le plus beau et le moins inintéressant de l'ensemble.
Cela ne suffit pas à mes yeux pour relever le niveau du film.
La prestation de Harry Dean Stanton n'est pas mauvaise, elle n'est pas géniale non plus, petit plaisir de voir David Lynch à l'écran cependant.
J'ai connu mieux dans le cinéma indépendant Américain, et je connaîtrai mieux.
Je vais plutôt tâcher d'oublier rapidement ce film.
Loin de me rendre joyeuse "Lucky" m'a plutôt plongée dans l'ennui, un rendez-vous raté de cette fin d'année au cinéma.
La chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams
Naufragés des tempêtes matrimoniales, Brick et Margaret semblent avoir touché le fond. Véritable « scandale vivant », Brick éteint ses angoisses à coups de whisky… Comme une chatte sur un toit brûlant, Margaret tente de ranimer leur couple… Mais le fantôme de Skipper, ami défunt de Brick et amant malheureux de Margaret, persiste à semer la discorde. (10/18)
J'ai vu il y a longtemps le film de Richard Brooks, j'avais depuis très envie de lire cette pièce de théâtre.
Brick et Margaret sont un couple à la dérive, lui est devenu alcoolique suite à la mort de son meilleur ami et refuse de toucher à sa femme à qui il reproche plusieurs choses, dont une en rapport avec Skipper, cet ami défunt : "Tu n'es plus qu'un scandale vivant, Brick.".
Margaret, elle, cherche la confrontation et une explication à travers une sensualité débordante, se comparant à une chatte sur un toit brûlant : "Et quelle est la victoire d'une chatte sur un toit brûlant ? Peut-être d'y rester jusqu'au-delà du possible.".
Mais elle n'arrive à rien avec Brick, il reste emmuré dans sa douleur à noyer son chagrin et ses regrets dans l'alcool : "Tu ne vis pas avec moi, tu loges dans la même cage.".
Et puis dans le même temps, il y a le père de Brick qui est mourant et souhaite léguer la plantation à ce dernier, tandis que son autre frère cherche à s'attirer les bonnes grâces du père avec sa femme et leur nombreuse progéniture.
Il y a toute la chaleur et la sensualité du Sud des Etats-Unis dans cette pièce, qui se lit d'ailleurs aussi bien qu'un roman et qui se prête tout autant à la mise en scène.
La galerie de personnages est vraiment belle, j'aime tout autant Big Daddy que la sensuelle Margaret, et Gooper et sa progéniture m'énervent autant qu'eux.
Le thème principal de cette histoire est le mensonge, personne ne dit la vérité à personne dans cette maison, sauf peut-être Brick mais cela ne lui réussit pas, il faut bien le reconnaître.
Chacun dissimule quelque chose aux autres, comment une telle famille pourrait bien s'entendre, ce n'est donc pas étonnant qu'ils se déchirent entre eux.
Dans le même temps, les deux frères sont en compétition pour l'amour de leur père et surtout l'héritage à venir de la plantation.
Décidément, l'homme est un loup pour l'homme et c'est bien toute la noirceur de l'âme humaine qui ressort au travers des personnages : "L'homme est le seul animal qui sache qu'il doit mourir, mais ça ne le rend pas plus doux, ni plus pitoyable.".
Le personnage de Margaret est sans doute celui qui m'a le plus touchée, c'est une femme délaissée qui quémande l'amour de son mari, même un petit geste à son attention, tout en souffrant de ne pouvoir avoir d'enfant tandis que sa belle-sœur enchaîne les grossesses.
C'est une femme désespérée, prête à tout pour avoir ne serait-ce qu'une explication qui lui est refusée.
Tennessee Williams arrive joliment à se mettre à la place de ce personnage et à écrire avec son cœur et ses sentiments, pour un homme il a donc su capter précisément les sentiments d'une femme que l'on accuse de beaucoup de maux et qui n'y est peut-être pas pour grand chose au final.
C'est une histoire cruelle qui se joue sous les yeux du lecteur, mais quelle plume magnifique de Tennessee Williams !
"Ah ! Vous autres, hommes faibles et merveilleux qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu ! Il suffit qu'une main, posée sur votre épaule, vous pousse vers la vie .", je conclurai sur les mêmes mots que Margaret, reflétant à eux seuls toute la poésie et la sensualité de cette pièce de théâtre.
vendredi 29 décembre 2017
Sat Wars VIII - Les derniers Jedi de Rian Johnson
Les héros du Réveil de la force rejoignent les figures légendaires de la galaxie dans une aventure épique qui révèle des secrets ancestraux sur la Force et entraîne de surprenantes révélations sur le passé. (AlloCiné)
Si après coup "Le réveil de la force" sorti il y a deux ans m'avait laissée mitigée, surtout après le très bon "Rogue One", j'ai été déçue par ce nouvel opus.
A aucun moment je n'ai été scotchée dans mon siège, limite je sentais le temps passer en me demandant quand est-ce qu'enfin l'intrigue allait décoller et les personnages bouger.
Ce film est très, trop statique.
Rey passe un certain temps à essayer de convaincre Luke de bouger ses fesses et sa cape pour voler au secours de sa sœur; le même Luke a diamétralement changé et tient un discours qui va en surprendre plus d'un.
Que je sois claire, ce ne sont pas les libertés prises par rapport à cette franchise que je reproche au film, j'ai beaucoup aimé le revirement du personnage de Luke, tout comme les traits d'humour avec une Leia (Regrettée Carrie Fisher) et sa vice-amiral Holdo (Laura Dern) sur la fameuse phrase "Que la force soit avec toi", c'est bien le manque de souffle dans le scénario, de véritables révélations, et de personnages en demi-teinte alors que j'attendais plus dévolution de leur part.
Le réalisateur a apporté quelques touches d'humour, pourquoi pas, mais les petits animaux sur l'île où Luke habite ne servent à rien, à part vendre des produits dérivés de la franchise.
Pas de vraies scènes de combats spaciaux.
Et alors côté originalité, on repassera : aucune idée nouvelle, une pâle copie de l'opus V et qui plus est un retour sur la planète de ce précédent film.
Sérieux ?
Les neurones étaient au repos pendant l'écriture du scénario ?
J'ai été déçue par le manque d'évolution de la majorité des personnages.
Si les femmes sont toujours fortes, les hommes en prennent ici pour leur grade, un Poe Dameron qui n'est qu'une tête brûlée et se prend une magistrale gifle de Leia, un Finn plus aussi pas très fin et à foncer sans réfléchir, un Leader Suprême Snoke dont j'attendais certainement plus, et une Rey qui fait du surplace.
J'ai même l'impression que le seul qui a travaillé son personnage c'est Adam Driver, Kylo Ren est sans nul doute le personnage le plus intéressant du film.
J'aime tout particulièrement la dualité de ce personnage et la complémentarité avec Rey, par contre j'estime que le scénario aurait dû aller beaucoup plus loin et ne pas rester aussi sage.
Après tout ce fut bien le cas avec "Rogue One", c'était le moment d'oser des choses et de trancher l'opposition entre le Bien et le Mal, la Force et le Côté obscur.
Je fais sans doute partie des rares personnes qui souhaitent voir Rey basculer du côté obscur, il y a quelque chose de sombre en elle et il serait largement de l'exploiter et de le dire explicitement (tout comme Kylo Ren n'est pas le mal incarné).
Mais non, cela reste encore bien trop lisse, dommage car il y avait quelque chose à gratter de ce côté-là du scénario.
Je me demande sincèrement comme le réalisateur va s'en sortir pour le prochain opus avec la mort de Carrie Fisher, car ce personnage est loin d'être devenu inutile.
Toujours une musique signée John Williams, des thèmes connus et sûrs, là aussi j'aimerai bien un tantinet de renouveau.
Le dernier opus de Star Wars "Les derniers Jedi" m'a donc déçue et quelque peu ennuyée, j'espère sincèrement que cette saga va retrouver un nouveau souffle en dehors des spin-off qui pour l'instant s'avèrent être de meilleure facture que la plupart des films de la saga.
jeudi 28 décembre 2017
Les trois jours de Pompéi d'Alberto Angela
Tout à la fois archéologue et homme de télévision, l'Italien Alberto Angela reprend la formule du "docufiction sur papier", qui a fait le succès d'Empire (Payot, 2016), pour nous offrir un reportage au coeur du quotidien de Pompéi durant les deux jours ayant précédé le réveil du Vésuve, en 79 de notre ère, puis pour nous décrire la colère destructrice du volcan dans un film catastrophe qui durera l'équivalent d"une troisième journée. Un livre d'histoire qui brise bien des idées reçues à partir des dernières découvertes scientifiques (la catastrophe aurait eu lieu à l'automne et non en août), mais qui possède aussi un tel souffle romanesque qu'on se croirait embarqués à bord d'un Titanic de l'Antiquité. (Payot)
Dès que je vois Pompéi dans un titre, je deviens toute chose, ce n'est un secret pour personne : j'aime énormément cette histoire et cet endroit d'Italie.
Ce livre d'Alberto Angela est un docufiction, c'est-à-dire qu'il part de faits réels et étayés par des preuves scientifiques et archéologiques ainsi que de personnes ayant vécu à Pompéi dont il extrapole les activités et pour certains leur devenir, tandis que pour d'autres des preuves historiques prouvent qu'ils ont réussi à survivre, d'un moyen ou d'un autre, à l'éruption de 79 après J.C.
Ce livre a même réussi à m'apprendre des choses sur Pompéi et à briser une ou deux croyances, la première concernant le Vésuve, qui à l'époque n'avait ni le même nom ni la même forme qu'aujourd'hui : "Contrairement à ce que disent les guides touristiques, les films, les documentaires et les romans, il n'existait pas encore à cette date ! Dans ce cas, me direz-vous, qu'est-ce qui détruisit Pompéi, Terzigno, Herculanum, Boscoreale, Oplontis et Stabies ? Tout simplement un autre volcan qui se situait au même endroit, mais beaucoup plus ancien : le Somma.".
Par la suite, nous allons donc parler du Vesuvius, tel qu'il était à l'époque, et situer l'éruption en octobre et non en août, les historiens s'accordant de plus en plus pour dater l'éruption à l'automne et non en été (rapport aux vêtements portés et aux récoltes déjà faites).
Alberto Angela va donc tracer le parcours de plusieurs personnes et faire voyager le lecteur dans le temps et géographiquement, deux jours avant l'éruption et la journée de celle-ci, le tout étayé de documents historiques, archéologiques, scientifiques.
Cela permet de donner une vision assez bonne de la vie quotidienne à cette époque, des événements rythmant la journée, de l'organisation d'une ville telle que Pompéi.
Si comme moi vous vous êtes extasié à Pompéi devant les ornières creusées dans les pierres, sachez qu'elles n'ont pas été faites par le passage des charrettes mais volontairement pour permettre à celles-ci de circuler de nuit, car la ville de Pompéi étant interdite à tout engin roulant à partir du matin.
Comme quoi, on a rien inventé à notre époque en limitant l'accès des centres villes aux voitures.
J'ai eu quelques fois l'impression de me coucher moins bête, j'ai aussi voyagé dans Pompéi, marché dans des rues connues, pénétrée dans des lieux visités, et j'ai aussi eu une furieuse envie de'y retourner pour voir des détails m'ayant échappé la première fois.
Tout en narrant la vie quotidienne, l'auteur amène doucement mais sûrement l'éruption à venir, dont des signes avant-coureurs n'auraient pas dû tromper la population si celle-ci savait ce qui l'attendait.
Mais peu de monde se doutait de la réelle nature du Vesuvius, ni que son réveil allait être soudain et destructeur : "Les vulcanologues ayant étudié les différentes phases de l'éruption de 79 après J.-C. ont réussi à déterminer le laps de temps qui a fait la différence entre la vie et la mort à Pompéi : les habitants qui ont choisi de fuir dans les deux ou trois premières heures ont eu la possibilité de s'en sortir, mais tous ceux qui ont tergiversé ou ont préféré attendre en ville que le volcan se calme étaient voués à une mort certaine.".
En somme, ceux qui n'ont pas fui tout de suite se sont trouvés pris au piège, et c'est l'hébétude qui a saisi les habitants de Pompéi, Herculanum, Oplontis, Stabies, Boscoreale et Terzigno : "Au pied du volcan, la peur et l'inquiétude ont gagné la cité, mais pas autant qu'à Herculanum, directement menacée. A Pompéi, le danger semble proche mais pas encore imminent : la nuée de débris volcaniques retombe en effet à une certaine distance. Les Pompéiens ne le savent pas, mais ces déflagrations engendrées par l'interaction de l'eau et du magma ne sont qu'un prélude. Elles signifient que le bouchon obstruant la cheminée pétrifiée de l'antique Vesuvius s'apprête à sauter.".
Alors quand le bouchon saute, là non plus ils ne comprennent pas que le ciel leur tombe sur la tête, littéralement parlant : "C'est ce silence, associé à l'ampleur de l'éruption, qui déconcerte le plus les Pompéiens.", encore une fois impossible de les traiter d'imbéciles, ils n'avaient aucune idée qu'ils habitaient à côté d'un volcan.
Si Pompéi est pris sous une pluie de cendres et de pierres volcaniques, à Herculanum le destin sera tragique beaucoup plus rapidement avec une coulée pyroclastique qui rayera la ville de l'horizon : "Pour prendre toute la mesure d'un tel drame, à Herculanum comme à Saint-Pierre, il faut savoir que lors du passage d'une coulée pyroclastique on a 1 chance sur 14 000 de s'en sortir. Pas plus.".
Comme j'ai dû l'expliquer à certaines personnes, courir vite ne sert à rien, pas plus que se réfugier dans la mer.
J'ai trouvé les parallèles avec l'éruption de la Montagne Pelée intéressants, c'est aussi grâce à cette éruption que les vulcanologues ont pu reconstituer ce qui s'était passé à Pompéi et en apprendre plus sur le déroulement de ce type d'éruption.
Ce récit est particulièrement documenté, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire et à voyager dans des lieux connus.
J'ai même très envie de découvrir "Empire", le précédent roman docufiction de cet auteur, il sait décrire les choses et les rendre compréhensibles de tous, ce n'est pas dû à tout le monde.
L'auteur reconstitue méthodiquement les derniers instants qu'ont connu les personnes en fonction de l'endroit où elles se trouvaient, si cela ne m'était pas inconnu j'ai trouvé que c'était compréhensible pour un public néophyte, et illustré de façon claire : "Le choc thermique entraîne immédiatement la mort. Plus précisément, l'eau présente dans le corps s'évapore instantanément, et le sang laisse une "auréole" rougeâtre dans les cendres autour de la victime à cause du fer contenu dans l'hémoglobine.".
Outre les parallèles avec d'autres éruptions volcaniques, l'auteur fait aussi la comparaison avec une bombe atomique :"On a calculé que l'énergie mécanique et thermique libérée par l'éruption du Vesuvius équivalait à celle de 50 000 bombes atomiques d'Hiroshima, à ceci près qu'une explosion atomique libère son énergie en une fraction de seconde, tandis qu'il faudra beaucoup plus de temps au Vesuvius.", cela fait froid dans le dos quand on constate qu'un élément naturel est toujours plus destructeur que la pire invention de l'Homme.
La Nature s'imposera toujours, ne l'oublions jamais.
Et dois-je rappeler que lorsque vous allez à Pompéi, Herculanum, Oplontis, Boscoreale, ce sont des lieux à respecter où de nombreuses personnes ont péri ?
L'entretien de ces lieux coûte très cher, si l'on veut encore que les générations futures puissent y aller, en profiter et découvrir la vie sous l'Antiquité Romaine comme cela nous a été donné de le faire il faut les protéger et ne pas les dégrader.
"La vie tient parfois à un fil, à un détail insignifiant.", on sait aujourd'hui que la vie des habitants de cette région de la Campanie a tenu en 79 après J.C à un réflexe de fuite pour survivre, pour tous les autres c'était une mort inéluctable et violente qui les attendait.
"Les trois jours de Pompéi" plonge le lecteur de façon saisissante dans le quotidien et le drame qui s'est joué en 79 après J.C, une lecture enrichissante qui donne envie de partir instantanément à Pompéi, Herculanum et Oplontis sur les traces de ces personnes et de ces cités disparues.
mercredi 27 décembre 2017
Gen d'Hiroshima - Tome 3 de Keiji Nakazawa
Une semaine s'est écoulée depuis que la Bombe atomique a ravagé Hiroshima. L'horreur absolue fait progressivement place parmi les rescapés, à réflexes de survie, parfois les moins avouables. Gen, quant à lui, trouve un travail bien particulier qui va le marquer à jamais. (Vertige Graphic)
C'est désormais la colère qui domine chez la mère de Gen : "Bravo, les Japonais ! Ceux qui devaient vaincre se sont moqués de vous et l'empereur vous a tout pris ! J'en ai assez de l'empereur ! S'il savait que nous allions perdre, pourquoi n'a-t-il pas arrêté la guerre plus tôt ?", elle se bat pour trouver à manger pour Gen, pour son bébé, et accessoirement pour elle, tandis que dans le même temps elle endure les pires humiliations de la part de la belle-mère de son amie, seul endroit qu'elle a trouvé pour mettre un toit sur la tête de sa famille, ou ce qu'il en reste.
Chez Gen, cela se manifeste par une rage de vivre, même si pour cela il doit côtoyer l'indicible.
Ce troisième volet de l'autobiographie de Keiji Nagazawa se déroule du 10 au 15 août 1945, avec l'annonce de la reddition du Japon par une allocation à la radio.
Tant de morts auraient pu être évités ... .
C'est d'une façon assez impersonnelle, et avec un message laconique, que les Japonais vont donc apprendre la fin des hostilités.
Mais cela est loin de signifier la fin de leur calvaire : "Au Japon comme à l'étranger, les suites de la guerre ne furent que douleur et tristesse. Il n'y avait plus de rêve ni d'espoir mais un combat sans merci pour survivre.".
En dehors de la survie de la famille de Gen, ce tome met en lumière les orphelins de la bombe, des groupes d'enfants qui vont se regrouper et piller, voler pour se trouver à manger, sans la protection ni le soutien d'adultes.
Gen et sa mère vont d'ailleurs recueillir le jeune Ryûta, le portrait craché de Shinji, le petit frère de Gen.
Comme quoi même démunie de tout, cette famille garde le cœur sur la main et n'hésite pas à venir au secours de son prochain.
Mais ce troisième tome marque un tournant majeur dans la vie de Gen, et par ricochet de Keiji Nagazawa.
Pour gagner un peu d'argent pour nourrir sa famille, il accepte de s'occuper d'un homme gravement brûlé par la bombe qui n'a plus que quelques jours à vivre.
Rejeté par sa famille, il vit dans des conditions déplorables, avec des vers grouillant sur ses plaies et la puanteur de ces dernières.
C'est graphique, mais autant vous dire que cela fait très réel.
Et très dégoûtant.
Et répugnant.
Je pensais avoir vu le pire avec le deuxième volume, j'étais loin du compte.
Avant d'être une loque humaine en sursis, cet homme était peintre, c'est de lui que va venir l'intérêt de Keiji Nagazawa pour le dessin, dont il fera son métier avec le succès qu'on lui connaît désormais.
Et à côté, toujours les cadavres ramassés, brûlés, l'urgence étant de faire disparaître ces corps, tandis que d'autres essayent de survivre dans leurs plaies et leurs souffrances.
Après la surprise et l'abattement vient le réflexe de survie, c'est le cœur de ce troisième volet de "Gen d'Hiroshima", une oeuvre ô combien nécessaire pour saisir toute l'ampleur de cette catastrophe humaine.
mardi 26 décembre 2017
Gen d'Hiroshima - Tome 2 de Keiji Nakazawa
Lors de l'explosion atomique du 6 août 1945, Gen a perdu son père, sa sœur et son jeune frère. Au lendemain de cet holocauste nucléaire, lui et sa mère vont devoir survivre, dans une Hiroshima dévastée où ne subsistent que des visions de cauchemar. (Vertige Graphic)
Ce second volet s'intéresse à la période du 6 au 11 août 1945, soit les premières heures et les premiers jours après la bombe, avant celle du 9 août qui sera larguée sur Nagazaki et avant que les autorités Japonaises ne se décident enfin à capituler.
Hiroshima est en feu : "Le feu appelant le feu créait un ouragan de chaleur. Dans Hiroshima, ville de 400 000 habitants, tout brûlait, les bâtiments comme les hommes.", ceux qui ne sont pas encore morts errent dans les ruines tandis que les premiers effets de la bombe se font ressentir sur les survivants : "La bombe atomique n'avait pas fait que détruire la ville d'Hiroshima. Elle y avait émis des radiations. Les maladies dues à ces radiations, terribles effets secondaires de la bombe, commencèrent à toucher les habitants ignorants du danger.".
C'est ainsi que Gen perd ses cheveux et ressent les premiers effets des radiations, tandis que sa mère accouche d'une petite fille dans ces terribles conditions.
Après cela, vient le temps de trouver à manger et se mettre un toit sur la tête, la mère de Gen va se faire héberger par une amie mais cela se passera mal avec la belle-mère de celle-ci : "Gen, cette bombe est une malédiction. La vie et la mort sont un enfer. Sans elle, nous n'aurions pas à souffrir comme ça.".
Commencent alors de nouvelles souffrances pour Gen et ce qu'il reste de sa famille.
L'apocalypse a eu lieu à Hiroshima, c'est en tout cas ce qui ressort des dessins de Keiji Nakazawa qui n’épargne rien au lecteur des horreurs de la situation.
Si la fin du premier tome était marquante, celui-ci l'est encore plus, avec des hordes de cadavres en décomposition, des brûlés qui hurlent de soif tandis qu'ils agonisent, ceux que l'on essaye d'acheminer vers des hôpitaux, ceux qui ne sont pas encore morts mais dont la peau se décolle des os ou encore dont la peau fond et dont pour certains les viscères pendent misérablement.
Ce récit est difficilement soutenable tant le graphisme est d'un réalisme saisissant, et horrifique.
Je crois que j'étais bien loin d'imaginer toutes les horreurs engendrées par cette bombe, c'est chose faite avec ce récit qui, je le rappelle, est quasi autobiographique, Gen étant l'alter ego de Keiji Nakazawa à l'époque.
Après la mise à l'écart de la société des pacifistes et des Coréens, ce sont désormais les victimes de la bombe qui sont rejetés par le restant de la population : personne ne veut les héberger, personne ne veut les nourrir, ni même leur offrir de la nourriture, et limite personne ne veut les soigner, en partie parce que personne ne sait comment les soigner.
Et dans le même temps, les Américains recommencent à pointer le bout de leur nez pour constater les dégâts de la bombe : "Ça vous amuse de venir voir nos cadavres ?! Descendez de vos avions, saletés d'amerloques ! Venez vous battre !".
On ressent toute la souffrance et la détresse des survivants, des personnes présentes à Hiroshima lors de l'explosion de la bombe et dont le sort n'est pas encore connu du Japon, ni même du reste du monde.
Tandis que Nagazaki ne le sait pas encore, mais le même sort l'attend sous peu.
Seul un témoin direct et un survivant pouvait raconter les événements de façon aussi juste, Keiji Nakazawa ne se contente pas de faire un devoir de mémoire, il est aussi passeur de cette tragédie et permet, à travers son oeuvre, de transmettre le passé doublé d'un message de paix pour que plus jamais cette apocalypse nucléaire ne se reproduise.
"Après la bombe, la vie et la mort furent des enfers ... Beaucoup de survivants parcoururent la région en versant des larmes de douleur.", ainsi se conclut ce deuxième volume de "Gen d'Hiroshima", une oeuvre décidément incontournable et marquante.
lundi 25 décembre 2017
Le sens de la fête d’Eric Toledano et Olivier Nakache
Max est traiteur depuis trente ans. Des fêtes il en a organisé des centaines, il est même un peu au bout du parcours. Aujourd'hui c'est un sublime mariage dans un château du 17ème siècle, un de plus, celui de Pierre et Héléna. Comme d'habitude, Max a tout coordonné : il a recruté sa brigade de serveurs, de cuisiniers, de plongeurs, il a conseillé un photographe, réservé l'orchestre, arrangé la décoration florale, bref tous les ingrédients sont réunis pour que cette fête soit réussie... Mais la loi des séries va venir bouleverser un planning sur le fil où chaque moment de bonheur et d'émotion risque de se transformer en désastre ou en chaos. Des préparatifs jusqu'à l'aube, nous allons vivre les coulisses de cette soirée à travers le regard de ceux qui travaillent et qui devront compter sur leur unique qualité commune : Le sens de la fête. (AlloCiné)
Après "Samba", le nouveau film du duo Eric Toledano et Olivier Nakache était attendu, d’autant qu’il promettait d’être festif en affichant un Jean-Pierre Bacri renfermé sur l’affiche, de quoi intriguer.
Avec cette histoire d’organisation d’une fête de mariage dans un superbe château du 17ème siècle où tout part à vau-l’eau, le duo allait renouer avec des thèmes qui leur sont chers : l’entraide, la convivialité, l’attention envers les autres ; mais aussi des comédiens qui sont apparus dans au moins un de leurs films.
Du côté du scénario, le film fait totalement mouche en prenant un malin plaisir à faire rire le spectateur sur les travers de la société actuelle, travers que le spectateur connaît et applique évidemment.
Une nouvelle fois les réalisateurs déploient toute une galerie de personnages, et une nouvelle fois ils arrivent à donner de l’importance à chacun, et à très vite montrer aux spectateurs les qualités et les défauts de chacun.
Pendant une bonne partie du film c’est un joyeux bordel qui règne dans l’équipe de Max, certains caractères s’affrontent, il y a les têtus, ceux qui suivent le mouvement, ceux qui se sont retrouvés employés là un peu par hasard et qui traînent leur déprime ou leur mal-être, bref, Max n’est franchement pas aidé.
Il faut dire que la vie même de Max est loin d’être un long fleuve tranquille, il n’arrive pas à quitter sa femme pour sa maîtresse, et surtout il commence à en avoir marre de gérer toujours tout seul le bordel, les caractères des uns et des autres, tout en se pliant en quatre pour satisfaire les volontés plus ou moins extravagantes des personnes l’ayant embauché.
Je trouve l’idée de départ, et le développement de celle-ci, franchement excellente, il y a de tout dans ce film et des situations dans lesquelles chacun peut se reconnaître à un moment ou à un autre.
La mise en scène d’Eric Toledano et Olivier Nakache est bien pensée et ne laisse aucun temps mort au spectateur.
Ils ont su profiter de l’intérieur mais aussi de l’extérieur, dans une histoire qui aurait pu se cantonner à être un huis-clos, ils offrent aussi quelques scènes très belles éclairées à la lumière de bougies, l’ensemble est donc maîtrisé.
Le casting est aussi des plus réussis, avec un Jean-Pierre Bacri au somment de son art dans le rôle de Max, cet organisateur de fêtes prêt à rendre son tablier et usé par les travers des uns et des autres.
Le film repose en grande partie sur ses épaules, je ne vois d’ailleurs pas qui d’autre aurait pu incarner ce personnage à l’écran.
J’ai également adoré les prestations de Gilles Lellouche en James, le chanteur limite ringard en charge de l’animation de la soirée et qui croit à fond à son personnage, ainsi que Jean-Paul Rouve dans le rôle de Guy, le photographe et ami de Max que ce dernier fait travailler uniquement par pitié et qui ne se rend compte de rien, lui aussi croyant à fond à son personnage.
La révélation est Eye Haidara dans le rôle d’Adèle, la seconde main de Max qui a un caractère bien trempé et qui va découvrir des choses sur elle-même au cours de cette soirée.
Et puis il y a tellement d’autres acteurs que j’aimerai citer, comme Vincent Macaigne excellent dans ce rôle de dépressif que Max a pris lui aussi en pitié.
Sur ce, je m’en vais vous resservir des feuilletés avec de l’eau gazeuse !
"Le sens de la fête" est un film réussissant à faire rire avec beaucoup d’humanité et de bienveillance vis-à-vis des personnages, ce qui est plutôt rare pour être souligné, et l’un des films les plus festifs de cette année 2017.
dimanche 24 décembre 2017
Dans un recoin de ce monde – Tome 1 de Fumiyo Kouno
Suzu Urano est née à Hiroshima. Après son mariage elle va vivre dans la famille de son mari à Kure, une ville qui dispose d’un port militaire. La guerre s’installe et le quotidien devient de plus en plus difficile pour Suzu. Malgré cela, la jeune femme garde une certaine joie de vivre. Mais en 1945 un bombardement va bouleverser sa vie. (Kana)
Après le dessin animé, je me suis lancée dans la découverte du manga, malheureusement uniquement du premier tome pour l’instant car c’est le seul dont dispose la bibliothèque municipale où je suis inscrite.
Ce premier tome couvre donc la jeunesse de Suzu, dans sa famille à Hiroshima, puis son mariage avec le taciturne Shûzaku qu’elle ne connaissait pas mais avec qui elle va pourtant former un couple aimant et attentionné l’un envers l’autre : "Que vous ayez des goûts différents et que vous vous entendiez bien ou non est une autre question.
Mais je suis vraiment heureuse qu’il n’ait pas choisi une fille bizarre sur un coup de tête.", jusqu’à la fin de l’année 1944.
L’histoire permet de voir les conditions de vie des Japonais durant la guerre, avec des privations, de la nourriture difficilement trouvable, ce qui pousse Suzu à redoubler d’imagination pour la préparation des repas, d’une façon pas toujours heureuse d’un point de vue gustatif. Suzu est un personnage attachant, elle a un côté maladroit qui fait sourire, elle est d’une gentillesse infinie et a un côté rêveuse qui me plaît beaucoup : "Je me demande si ceci est un rêve et si je vais me réveiller.".
En somme, Suzu est une jeune femme attachante, pleine d’innocence, qui se trouve propulsée dans une famille et un village inconnus, en pleine période de guerre.
L’adaptation de Suzu n’est pas évidente, surtout avec sa belle-sœur, cela contribue à rendre son histoire attachante.
Histoire qui comprend à la fois de la poésie, de la nostalgie, des émotions, de la tendresse et de l’amour.
De plus, le graphisme de Fumiyo Kuno est vraiment très beau et réaliste, en termes de personnages mais aussi de paysages.
Ce manga est un régal à lire, je comprends qu’il ait fait l’objet d’une adaptation en dessin animé, l’histoire et le contexte historique s’y prêtent tout à fait.
"Dans un recoin de ce monde" est un manga touchant et plein de sensibilité qui prend le temps de poser l’intrigue et les personnages, le tout sous fond de Seconde Guerre Mondiale au Japon, une très belle découverte.
samedi 23 décembre 2017
Dans un recoin de ce monde de Sunao Katabuchi
La jeune Suzu quitte Hiroshima en 1944, à l'occasion de son mariage, pour vivre dans la famille de son mari à Kure, un port militaire. La guerre rend le quotidien de plus en plus difficile, malgré cela, la jeune femme cultive la joie et l'art de vivre. Mais en 1945, un bombardement va éprouver son courage. (AlloCiné)
Attention merveille !
Ce dessin animé est une adaptation du manga de Fumiyo Kôno et suite la prime enfance de Suzu, son mariage, son départ d’Hiroshima où reste sa famille, et sa vie de femme mariée en période de guerre.
Si le découpage paraît au début quelque peu haché, on ne suit que quelques tranches de vie de Suzu et on passe assez vite dans le temps, l’intérêt de l’histoire réside bien évidemment dans les conditions de vie quotidienne pendant la guerre, jusqu’à la date fatidique du 6 août 1945 et la première bombe atomique larguée sur Hiroshima.
La narration ne cesse de s’accélérer, et les événements de s’enchaîner, jusqu’au défilement des jours en juillet et août 1945, avec une Suzu plus démoralisée que jamais et bien décidée à retourner dans sa famille à Hiroshima.
La spectatrice que je suis c’est à ce moment-là crispée sur son siège, je crois n’avoir jamais été autant angoissée devant un dessin animé car je pensais très fort : "N’y va, pas, bientôt la bombe atomique va être larguée".
C’est terrible en tant que spectatrice de savoir ce qui va se passer, ça l’est d’autant plus que les personnages, tout comme les civils à l’époque, ne se doutent pas de ce qui va bientôt se passer, Hiroshima ayant été épargnée jusque-là par les bombardements.
Le dessin animé a le mérite de montrer les jours suivants ce bombardement et les manifestations des radiations sur les gens, cela a eu le mérite de poquer ma curiosité et m’a poussée à lire d’autres ouvrages sur ce sujet, qui feront l’objet d’articles à venir.
Ce dessin animé contient beaucoup de drame et d’émotions, je le déconseille donc à un public trop jeune.
La majeure partie de l’histoire se passe pendant la guerre, il y a donc des morts, des tragédies, et de quoi traumatiser un public trop jeune.
L’histoire a le mérite de poser un regard neuf sur le Japon de cette époque et de montrer les conditions de vie des civils, alors que bien souvent la première image qui nous vient à l’esprit est celle des kamikazes ou des soldats Japonais.
C’était dur pour la population Européenne, ça l’était aussi pour les Japonais qui n’étaient pas tous derrière l’Empereur et les décisions prises de poursuivre les combats coûte que coûte et qu’importe le prix en pertes humaines à payer.
La vie quotidienne est donc mise en avant et c’est un aspect qui m’a particulièrement plu dans ce dessin animé.
Outre la qualité du graphisme et la beauté de certains décors, il y a eu un gros travail de recherche pour reconstituer Hiroshima à cette époque ainsi que les navires de guerre stationnant dans les ports.
J’ai été particulièrement émue par le destin de Suzu, voilà une héroïne attachante avec ses qualités et ses défauts, sa joie de vivre et les difficultés à surmonter dans une époque troublée.
"Dans un recoin de ce monde" est sans nul doute le plus beau dessin animé qu’il m’ait été donné de voir en cette année 2017, un coup de cœur que je recommande, à noter que je parlerai bientôt du manga à l’origine de celui-ci.
vendredi 22 décembre 2017
120 battements par minute de Robin Campillo
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean. (AlloCiné)
Très vite après sa projection à Cannes, la rumeur enflait : premier film à réveiller les festivaliers, premier film dont le nom revenait sur toutes les lèvres, premier film quasi assuré d’avoir un Prix, mais lequel. Puis, quelques heures avant l’annonce du Palmarès, il se murmurait de plus en plus fort que la Palme pourrait bien lui revenir.
Au final, Cannes cette année aura décernée deux Palmes d’or : celle du jury à "The Square" et celle du cœur à 120 battements par minute.
Une Palme du cœur loin, très loin d’être usurpée tant ce film éveille et/ou réveille des sentiments, des émotions, l’envie d’arpenter le pavé le cœur soulevé par la révolte et de scander ses idéaux.
Et pourtant, quand j’ai entendu parler de ce film je me demandais bien de quoi il en retournait, car Act Up ça ne me parlait pas beaucoup, le virus du SIDA malheureusement beaucoup plus.
"120 battements par minute" propose de revenir sur Act Up, cette association de lutte contre le SIDA et dont Robin Campillo, le réalisateur, a fait partie dans les années 90.
Act Up, je me souvenais de quelques-unes de leurs actions, dont la plus marquante est le préservatif sur l’Obélisque, et puis ça s’arrêtait là.
J’étais plutôt jeune dans le début des années 90, j’étais loin de ces préoccupations, mais cela n’excuse pas tout, car je crois qu’à cette période une bonne partie de la population passait à côté de ces sujets sans en saisir toute l’importance, d’ailleurs c’est sans doute encore le cas aujourd’hui.
Robin Campillo s’attache à montrer la vie au sein d’Act Up, les réunions et leur fonctionnement (avec le claquement de doigts pour approuver une décision ou une parole), la préparation des opérations et le débrief ensuite, c’est d’ailleurs le propos de la scène d’ouverture où les membres parlent d’une opération qui a eu lieu sur un plateau télévisé et qui ont des ressentis et des avis très différents.
Une bonne façon aussi d’introduire les protagonistes et de comprendre que tous ne partagent pas la même opinion, et que cela contribue à la richesse et à la diversité d’Act Up.
Il faut se remettre dans le contexte : à cette époque il n’y a pas de téléphone portable, pas d’internet, pas de réseaux sociaux, pour se faire entendre, être médiatisé et attirer des membres, il faut utiliser d’autres canaux, agir différemment.
D’où des actions coup de poing, à forte portée médiatique, et qui aujourd’hui ne seraient plus possibles, pour cause de sécurité ou que sais-je d’autres.
Robin Campillo a choisi de filmer les scènes dans les amphis avec plusieurs caméras afin de recréer l’ambiance et surtout permettre aux figurants de prendre leur place au milieu des acteurs.
Non seulement le rendu est parfait à l’image mais il est impossible de distinguer les comédiens des figurants tant on a l’impression de faire partie du groupe en les regardant évoluer.
Robin Campillo n’a que peu de films à son actif mais il a soigné la mise en scène de celui-ci, c’est un projet qui a longtemps mûri et le rendu est très travaillé, parfois même intrigant, surprenant, mais toujours juste, beau et sensible.
Ainsi, le réalisateur séquence l’histoire et les moments forts en plaçant les personnages en boîte de nuit, moment de relâchement pour tous rythmé par la house music de l’époque, qui est aussi à l’origine du titre du film.
J’ai été longtemps intriguée par l’apparition de poussières à l’écran, au début pour retranscrire l’ambiance dans les boites de nuit avec la musique, les projecteurs, les jeux de lumière, puis j’ai fini par comprendre que cette poussière n’en était pas une mais une représentation du SIDA et de son évolution dans le corps des malades, annonçant une mort prochaine.
Et parlons aussi de la poésie de certaines images, du plan aérien sur les militants allongés par terre dans les rues de Paris.
Cette mise en scène, elle est chic et choc.
J’ai été bluffée par cette maîtrise et la mise en scène, c’est l’un des films les plus aboutis techniquement que j’ai pu voir en cette année 2017, comme quoi les effets spéciaux sont loin de tout faire.
Evidemment que l’histoire m’a touchée en plein cœur, encore une fois il faut se remettre dans le contexte de l’époque : le silence autour de la maladie, notamment des pouvoirs publics, les gens meurent dans l’indifférence la plus totale, les traitements sont lourds, les effets secondaires nombreux et dévastateurs (cauchemars etc.), la stigmatisation des malades mais plus généralement du virus (en somme, si tu n’es pas homo aucun risque de l’attraper), les avancées lentes dans le domaine thérapeutique et des laboratoires pas si pressés que cela de mettre à disposition des résultats sur l’avancée des médicaments.
Et pendant ce temps-là des gens sont malades, des gens souffrent, des gens meurent.
Si je n’ai pas une connaissance nulle du SIDA, je dois dire que j’ai découvert plusieurs aspects de ce virus dans le film, j’ai aussi réalisé combien mon esprit était étriqué en pensant à cette maladie.
Oui il y a la transmission par relations sexuelles, par le sang contaminé, par les seringues, mais qui aurait pu penser à la contagion dans les prisons, les effets des médicaments sur les trans, pour ne citer que quelques cas.
Décidément aujourd’hui encore on ne parle de ce virus que par le petit bout de la lorgnette.
Depuis je me suis documentée, j’ai écouté d’autres émissions, et j’ai appris d’autres choses, histoire d’élargir mon horizon personnel (et tant que j’y suis, je suis favorable, et je crois qu’il est plus que temps, à la création d’un fonds d’archive en France sur le VIH).
Il y a toute une galerie de personnages dans ce film, mais les centraux sont Sean, aux positions radicales et inspiré de Cleews Vellay, Nathan, un jeune militant qui va être bouleversé par Sean, Thibault, Président d’Act Up et inspiré de Didier Lestrade, dont les positions s’opposent à celles de Sean, et Sophie, une militante.
Et puis il y a deux personnages qui m’ont tout particulièrement touchée, une mère et son fils, ce dernier ayant été contaminé par des transfusions sanguines car il est hémophile.
A bien y penser c’est tout ce qu’il y a de plus horrible, une mère pense soigner son enfant sur avis de médecins et au contraire il se retrouve encore plus malade.
Quelque chose de très vrai est dit au début du film aux nouveaux arrivants : ils vont être mis au ban de la société, parce qu’ils militent à Act Up ils sont forcément gays et séropositifs.
Ce film a aussi le mérite de mettre cet aspect de la vie des militants en lumière : ces personnes ont donné beaucoup pour faire bouger la société tandis qu’ils se retrouvaient marginalisés. Ils le sont toujours d’ailleurs.
J’ai aimé tous ces personnages différents les uns des autres qui arrivent à s’unir pour une action commune.
Et puis il n’y a pas que du militantisme, il y a de l’amour, de la baise, des joies, des peines, des morts. "120 battements par minute" c’est aussi un film qui raconte cela : la vie, la mort, l’amour, la peine, le chagrin, l’espoir, l’urgence de vivre et d’agir.
Cela aurait pu être un film noir, c’est au contraire un film lumineux, porteur d’espoir, rappelant à chaque instant combien la vie est précieuse et qu’il faut en profiter (enfin, pas n’importe comment).
Si Adèle Haenel commence à être un visage bien connu, vu plusieurs fois au cinéma en 2017 , c’est Arnaud Valois qui fait son retour dans le rôle de Nathan, après avoir arrêté son métier de comédien, lassé d’attendre que le téléphone sonne, et qui s’est reconverti en masseur-sophrologue, sans doute l’une des révélations de cette année 2017.
Mais celui qui crève l’écran, c’est Nahuel Perez Biscayart, formidable dans le rôle de Sean, énorme révélation 2017 et dont je ne comprendrai même pas qu’une récompense (au moins) lui échappe.
Il transcende le film de Robin Campillo, qui n’avait même pas besoin de cela tant tout le reste se suffit à lui-même, et il en est de même dans "Au revoir là-haut" d’Albert Dupontel.
"120 battements par minute", c’est une fureur de vivre moderne portée par le spectre de la maladie, de la mort, mais aussi de l’amour et de la vie, l’une des plus grandes claques cinématographiques de 2017, si ce n’est la plus grande.
jeudi 21 décembre 2017
Patti Cake$ de Geremy Jasper
Patricia Dombrowski, alias Patti Cake$, a 23 ans. Elle rêve de devenir la star du hip-hop, rencontrer O-Z, son Dieu du rap et surtout fuir sa petite ville du New Jersey et son job de serveuse dans un bar miteux. Elle doit cependant s’occuper de Nana, sa grand-mère qu’elle adore, et de Barb, sa mère, une chanteuse ratée et totalement instable. Un soir, au cours d’une battle sur un parking, elle révèle tout son talent de slammeuse. Elle s’embarque alors dans une aventure musicale avec Jheri, son meilleur ami et Basterd, un musicien mutique et asocial. (AlloCiné)
Patti (Danielle MacDonald), elle est attachante, elle dégage quelque chose, elle a du chien, un truc à elle. Son truc à elle, c’est le hip-hop, le rap, dont elle rêve de devenir une star, avec son ami Jheri (Siddharth Dhananjay) et Basterd (Mamoudou Athie), un musicien mutique et asocial rencontré au cours d’une soirée.
Mais Patti, elle doit s’occuper de sa grand-mère Nana, de sa mère Barb (Bridget Everett) ancienne chanteuse et cumulant les petits copains désastreux.
Patti habite de l’autre côté, pas du périphérique mais de New York, dans le New Jersey, dans des quartiers populaires et miséreux.
C’est l’envers du décors, du rêve Américain que l’on ne cesse de nous vendre, mais Patti a un rêve, et est bien décidée à le rendre concret.
Danielle MacDonald est époustouflante dans le rôle de Patti, autant annoncer tout de suite la couleur.
Elle donne vie à ce personnage attachant, elle chante, elle slamme, à croire qu’elle a fait ça toute sa vie et bien non !
C’était une première pour elle et elle a travaillé le chant pour ce rôle. Belle performance qui lui permettra sans nul doute de faire parler d’elle dans les années à venir. C’est en tout cas la révélation de ce film.
Pour être honnête, je ne connaissais personne dans le casting mais force est de constater qu’il est des plus justes et que les acteurs collent parfaitement aux personnages qu’ils incarnent.
Il y a une diversité des personnages, c’est un melting pot à l’image des personnes que l’on croise dans les quartiers populaires aux Etats-Unis.
Sur le fond, Patti Cake$ est ce que l’on qualifie un feel good movie, et c’est un très bon film de ce genre.
J’ai beaucoup aimé l’histoire, tout en étant simple et assez prévisible elle met en lumière des valeurs, et surtout que la différence ne doit pas être rejetée mais acceptée, car bien souvent elle est source de création.
Le film véhicule un message positif, c’est toujours quelque chose que j’apprécie d’autant que les personnages sortent clairement des stéréotypes habituels.
Outre le casting, l’autre atout indéniable de ce film, c’est sa bande originale et les chansons qui ponctuent la vie des personnages et le déroulement du scénario.
Je ne suis pas fan à la base du rap ou du hip-hop, mais là j’ai clairement adoré les chansons, toute la mise en scène qui les accompagne. Dès les premières images et le réveil de Patti, le ton est donné.
Il y a un fossé entre l’univers chic et glamour de O-Z, le dieu du rap que Patti rêve de rencontrer et d’en faire son mentor, et le choc et le glauque de la réalité quotidienne de Patti.
J’aime aussi la relation entre Patti et sa grand-mère, il n’y a que des femmes dans cette famille, l’image des hommes a d’ailleurs tendance à en prendre un sale coup, mais elles sont soudées entre elles et se soutiennent.
C’est émouvant, d’autant qu’elles ont sans doute plus d’affinités entre elles qu’elles ne le soupçonnent au début.
De la musique, de l’émotion, un message indiquant que suivre ses rêves est essentiel, "Patti Cake$" est un bon film de la rentrée 2017 qui se regarde avec plaisir.
Gen d'Hiroshima - Tome 1 de Keiji Nakazawa
Dans le Japon en guerre, le jeune Gen Nakaoka et sa famille survivent, tant bien que mal, entre la faim et les persécutions dues au pacifisme militant du père, dans une ville curieusement épargnée par les bombardements, jusqu'au matin du 06 août 1945, lorsque l'enfer nucléaire se déchaîne soudain sur Hiroshima. (Vertige Graphic)
Nous sommes au Japon en 1945.
Le jeune Gen Nakaoka vit à Hiroshima avec sa famille, son père étant un pacifiste ils sont rejetés par leurs voisins et méprisés, car au Japon à cette époque il est très mal vu d'être contre la guerre, et donc contre l'empereur : "La guerre avait appris aux japonais que mourir pour l'empereur était un honneur. De ce fait, ils n'avaient plus peur de la mort.".
Victime de brimades, la famille Nakaoka a du mal à trouver de quoi se nourrir, et se divise, l'un des garçons décidant de s'enrôler dans l'armée.
Cette division dans la famille Nakaoka n'est que le reflet du Japon à cette époque : "Il faut que les japonais, tous autant qu'ils sont, se respectent. Sinon, la guerre ne finira pas.".
Et ce que Gen et sa famille ne soupçonnent pas, c'est que bientôt, le 6 août précisément, va s'abattre du ciel la première bombe atomique de l'Histoire : "Pour la ville d'Hiroshima où vivaient Gen et les siens, le compte à rebours du moment fatal avait commencé.".
"Gen d'Hiroshima" est l'oeuvre la plus connue de Keiji Nakazawa et également une autobiographie, l'auteur ayant perdu son père, un frère et sa sœur dans l'explosion de la bombe à Hiroshima.
Il a donc créé son alter ego en la personne de Gen pour raconter l'avant bombe et l'après bombe dans une oeuvre aujourd'hui majeure de la littérature Japonaise, et sans doute l'une des plus précises sur ce que les Japonais ont vécu.
Trop facilement vient à l'esprit l'image des Japonais kamikazes, prêts à tout pour gagner la guerre, mais on a tendance à oublier à oublier la population qui, pour une majorité, soutenait les décisions de l'empereur et du gouvernement mais qui dans le même temps payaient un lourd tribu à la guerre en termes de pertes humaines et de restrictions alimentaires.
Alors les pacifistes comme le père de Gen, n'en parlons pas, et apprenons au passage que les Coréens étaient également mis au ban de la société, ce qui est le cas d'un voisin de la famille Nakaoka.
La majeure partie de ce premier tome est consacré aux quelques jours avant la bombe, période plutôt heureuse pour Gen qui fait les quatre cent coups avec son jeune frère Shinji, et permet de dresser un portrait précis des conditions de vie quotidienne en 1945.
La fin est évidemment consacrée à la bombe : "Ce fut comme le cri fou d'un démon. Le champignon atomique monta jusqu'à 10 000 mètres de hauteur en trois minutes et s'étendit à une vitesse incroyable.", les images de l'explosion sont saisissantes mais celles qui frappent le plus sont celles après, avec des personnes brûlées, dont la chair part en lambeaux et qui se traînent misérablement dans les décombres en agonisant et en mourant dans les minutes qui ont suivi l'explosion : "La chaleur de l'explosion fit fondre la peau de ceux qui étaient dehors. Les gens habillés en noir furent plus gravement brûlés. Les gens se retrouvèrent quasiment nus, le souffle ayant arraché leurs vêtements.".
Je crois bien que c'est la première fois qu'il m'était donné de voir de telles horreurs, car les Américains ont pris soin de préserver les photographies et vidéos ayant été faites à l'époque après les deux bombardements atomiques, mieux valait cacher l'atroce vérité à la face du monde.
Outre ces humains en décomposition, l'image la plus forte de ce récit est un cheval en feu devenu fou qui déambule dans les rues.
Visions d'apocalypse malheureusement réelles, l'horreur a atteint son paroxysme une première fois dans la matinée du 6 août 1945.
Si "Gen d'Hiroshima" est historiquement le premier manga publié en France en 1983 il rencontrera un échec cuisant, tout comme la deuxième tentative de publication en 1990 et il faudra attendre 2003-2007 pour qu'il soit enfin publié dans son intégralité.
Et si le style de Keiji Nakazawa est plutôt simple, c'est sa violence graphique qui a révulsé le public Occidental.
Je crois qu'il était plus que temps que nous autres Occidentaux nous prenions en pleine face ce qui s'est passé au Japon en 1945, toute l'horreur qui en a découlé, la misère, et le rejet des personnes victimes des bombardements atomiques, connues sous le nom d'hibakusha.
La préface de cette oeuvre est signée Art Spiegelman, très marqué par cette histoire publiée avant que lui-même ne sorte son oeuvre majeure : Maus.
"Gen d'Hiroshima" est l'une des œuvres les plus belles et les plus dures de la littérature Japonaise qu'il m'ait été donné de lire, mais une lecture indispensable et ô combien passionnante.
mercredi 20 décembre 2017
Les proies (The Beguilded) de Sofia Coppola
En pleine guerre de Sécession, dans le Sud profond, les pensionnaires d'un internat de jeunes filles recueillent un soldat blessé du camp adverse. Alors qu'elles lui offrent refuge et pansent ses plaies, l'atmosphère se charge de tensions sexuelles et de dangereuses rivalités éclatent. Jusqu'à ce que des événements inattendus ne fassent voler en éclats interdits et tabous. (AlloCiné)
Ce film est clairement conçu dans une ambiance typique à Sofia Coppola, avec un côté très prononcé Sud des Etats-Unis. Assez fidèle à l’image que l’on peut s’en faire d’ailleurs.
Sofia Coppola revient à ses premières amours cinématographiques : des films avec des femmes sur des femmes.
Elle s’interroge une nouvelle fois sur la féminité, les relations hommes-femmes, le désir et l’éveil à la sexualité.
Pour cela, elle part d’une communauté de femmes qui se met à évoluer et à se révéler les unes aux autres lorsqu’un élément perturbateur est introduit : un homme, un soldat blessé du camp adverse qui plus est. L’harmonie se rompt entre les femmes et les pulsions des unes et des autres se réveillent, un peu comme dans "Virgin Suicides".
L’homme lui-même n’est pas très clair, Sofia Coppola joue avec cette ambiguïté tout au long de son film : est-ce lui qui est mauvais et les femmes innocentes ou bien est-il sain d’esprit et ce sont elles qui sont folles ?
La folie est omni-présente dans cette histoire, mais difficile à cerner et à attribuer à quelqu’un en particulier.
Me voilà bien incapable de répondre à cette question, le seul constat est que mon regard de spectatrice a changé sur ces femmes entre le début et la fin du film.
Et je ne mangerai plus de champignons comme auparavant.
Le prix de la mise en scène n’est absolument pas une surprise, c’est même l’aspect le plus intéressant de ce film et qui à mon avis fera date.
Aucune scène n’est totalement ouverte, il y a toujours un obstacle dans le champ de la caméra, comme un arbre lors des scènes en extérieur, ou alors les scènes se passent dans l’univers clos de la maison.
L’image étouffe en permanence le spectateur, un peu comme ce soldat recueilli dans cette maison, et surtout une belle métaphore de ces femmes étouffées par le refoulement de leurs pulsions sexuelles.
Autre belle métaphore relevée, celle d’une toile d’araignée présente sur un arbre, symbolisant le soldat pris dans les mailles du filet de ces femmes et qui n’arrivera plus à s’en extirper.
Dès que les personnages quittent le vase-clos de la maison, il y a de la brume, jamais un ciel complètement dégagé, et si l’on ne voit pas la guerre on l’entend, on la devine proche par le bruit des canons mais ces femmes vivent comme des recluses, hors du temps.
L’image est particulièrement léchée et contribue à l’ambiance générale, c’est du Sofia Coppola craché mais c’est un style que non seulement elle maîtrise mais qui lui va bien.
Le casting de ce film est aussi très bon.
Sofia Coppola retrouve une nouvelle fois Kirsten Dunst, en lui confiant le rôle d’Edwina, l’ingénue bien sage qui fait figure de grande sœur pour toutes ces femmes.
Elle invite Nicole Kidman dans le rôle de Miss Martha, la maîtresse d’orchestre de cette chorale féminine, qui retrouve des rôles à sa hauteur après s’être perdue quelques fois.
Elle confie la troublante
Elle Flanning en lui offrant le personnage d’Alicia la tentatrice, encore une jeune actrice issue du milieu Coppola qui dégage de façon certaine une présence à l’écran.
Et puis je citerai aussi la jeune Oona Laurence dans le rôle d’Amy.
Côté homme, c’est Colin Farrell qui campe le Caporal McBurney, un acteur que j’ai vu peu souvent car il est souvent cantonné dans des films qui ne m’intéressent pas.
Force est de constater ici que quand il a un rôle consistant il dégage quelque chose à l’écran et ne se contente pas de faire la potiche.
Sofia Coppola prête d’ordinaire une attention particulière à la musique, hormis quelques airs en sortant du film j’ai depuis un peu oublié l’ambiance musicale.
Je ne me prononcerai pas sur le film d’origine, je ne l’ai pas vu, je sais juste qu’il offre une vision de l’histoire opposée à celle-ci.
"Les proies" est un film d’ambiance qui ne plaira sans doute pas à tout le monde mais que les aficionados de Sofia Coppola savoureront tant il condense les caractéristiques de mise en scène de cette réalisatrice depuis ses débuts.
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