vendredi 27 juillet 2012

Inquisitio






Depuis toujours (ou presque), j’ai été attirée par les sagas, notamment celles de l’été qui permettent de passer, en général, des soirées agréables.

Certes, la dernière en date, "La maison des Rocheville", était un nanar que j’avais même proposé d’adopter mais comme je n’ai pas dit "Fontaine – enfin saga de l’été – je ne boirai plus de ton eau" je suis repartie en ce mois de juillet avec la saga proposée par France 2 : "Inquisitio".
A noter que j’étais déjà repartie dans les sagas en suivant "Rani", l’Angélique des Indes, cet hiver.

Pour situer le contexte, l’histoire se passe au Moyen-Âge (dans les années 1370), en France, en Avignon plus précisément, au moment du Grand Schisme d’Occident avec deux papes à la tête de la Chétienneté : l’un à Rome et l’autre à Avignon ; mais également au moment de l’Inquisition.
Il y a quelques années, la peste noire a décimé une bonne partie de la population européenne, à commencer par la France, et c’est avec crainte que les habitants redoutent le mal noir.

C’est sûr, j’ai un peu grincé des dents en regardant le premier épisode vu les libertés historiques prises (la Sainte Catherine de Sienne n’est tout de même pas transformée en putain mais en fanatique religieuse n’hésitant pas à s’allier avec le Démon pour parvenir à ses fins), mais au final j’ai fini par en prendre mon parti, en me disant qu’il s’agissait d’une fiction et qu’il avait, de toute façon, bien fallu arranger certaines choses pour faire cadrer l’histoire.
Et surtout, je n’ai pas compris le déchaînement médiatique et sur internet des Catholiques, qui frisaient voire dépassaient les bornes de l’intégrisme religieux, en dénonçant cette série, disant qu’il s’agissait d’un brûlot anti-catholique.
Là c’est clairement du grand n’importe quoi et ne même plus arriver à distinguer la réalité de la fiction c’est franchement malheureux, en plus d’être inquiétant.
Cela voudrait donc dire qu’en France on rejette viscéralement l’imaginaire et la fiction ?
Il ne faudrait donc faire que des séries constituées exclusivement de faits véridiques, prouvés, en gros, des documentaires ?
Et bien, c’est malheureux tout ça, qu’en France on ne sache plus ce qu’est une fiction et qu’on ne le comprenne plus.
Il est temps de réapprendre la fiction.
A ce sujet il y a un article très intéressant du site A-Suivre  - Le Village sur ce sujet : http://www.a-suivre.org/levillage/polemique-apres-inquisitio-france-et-fiction-le-divorce.html

Pour en revenir à Inquisitio, cette série contient tous les ingrédients d’une saga de l’été : une famille divisée avec un secret, une maison de famille, une sorcière (rousse, certes ça fait un peu cliché mais toujours moins que Rani-la-belle-jeune-femme-en-détresse), une histoire d’amour (très légère pour le coup), des méchants, un évènement (ici la peste), de la magie, quelques pouvoirs surnaturels (don de prescience), et un couple (plus qu’) improbable où je suis quelque peu frustrée par la fin.
Ah non, le dernier point ne fait pas partie des ingrédients d’une saga de l’été, c’est juste mon ingrédient personnel qui sert à alimenter ma frustration permanente et ma propension plus qu’inquiétante à m’attacher/imaginer des couples improbables (pourtant là j’aurai vraiment aimé le voir, je peux même rédiger une thèse sur le sujet s’il le faut ! D’ailleurs s’il y a une saison 2, je peux écrire un courrier pour justifier mon point de vue, ou simplement satisfaire mon imagination débordante. Et si je pensais à un scénario ?).
Du côté des personnages ils sont tous attachants, si, si, même les méchants (car, je vais y venir plus loin, le méchant n’est pas celui que l’on croit).
La famille De Naples est particulièrement attachante, avec une relation forte entre le père, Samuel, et sa fille, Aurore, la mère étant morte en la mettant au monde, mais également avec David, le grand-père d’Aurore.
Tandis que son autre grand-père, rabbin, reproche toujours à Samuel et à Aurore la mort de sa fille unique.
C’est une grande douleur qui habite ce personnage et Samuel n’en prendra la mesure qu’à la fin.
Le personnage du grand Inquisiteur, le redoutable Guillermo Barnal, apparaît comme le méchant de l’histoire.
En fait, il n’en est rien et c’est presque le personnage le plus attachant car il condense à lui seul toute la complexité humaine : il est sûr de ses convictions et a voué sa vie à Dieu mais dans le même temps il est rongé par une faute qu’il porte depuis petit et pour laquelle il s’est mutilé en se crevant un œil, en guise de punition et pour ne pas oublier.
Et c’est un homme qui détient un grand savoir et qui s’y connaît en science.
Même s’il s’oppose à Samuel de Naples qui défend une forme de science et la médecine, il est lui-même un homme de science, dans une autre mesure.
Et si la relation père/fille chez les de Naples est forte, je trouve que celle entre l’Inquisiteur et Silas, son novice, l’est tout autant mais dans une autre dimension.


Si le spectateur développe une empathie immédiate pour le personnage de Samuel de Naples, elle se développe sur la durée pour celui de Guillermo Barnal, c’est là l’une des réussites des scénaristes.
Le vrai méchant de l’histoire, c’est Turenne, et même si on déteste le personnage, il faut bien avouer que l’histoire serait un peu creuse sans lui. Et dans les deux derniers épisodes, il a des remarques amusantes, il apporte une légère touche d’humour à une série sombre.
Quant à Madeleine, la sorcière, je ne dirai pas que je n’ai pas aimé le personnage, au contraire il apporte un quelque chose à l’histoire, et sa relation avec Aurore est intéressante : sans enfant elle lui transmet son savoir car cette dernière a un don de voyance ; mais j’ai une légère impression que ce personnage n’a pas été exploité à fond, ou alors trop tardivement.


Ce qui m’a intéressé avec ce personnage, comme pour celui d’Aurore d’ailleurs, c’est que ce sont deux femmes en avance sur leur temps, qui veulent être traitées à égalité des hommes et qui ne comprennent pas pourquoi elles n’ont pas les mêmes droits (à l’époque elles n’en ont même pas beaucoup voire pas). Elles ne se laissent pas dicter leur conduite par les hommes, c’est vrai pour Madeleine et on sent bien que cela sera aussi le cas pour Aurore, qui d’ailleurs malgré son jeune âge comprend très bien des notions de trahison ou de rejet et qui un père plutôt compréhensif, l’absence de mère y étant sans doute aussi pour quelque chose dans cette relative liberté qui lui est accordée.


Cette série permet de montrer à la fois le monde Chrétien divisé avec deux papes, et le quartier Juif de Carpentras, la Carrière.


Le réalisateur de la série le reconnaît lui-même, il présente une version du Moyen-Age telle qu’il l’a imaginée, c’est-à-dire un mélange entre l’historique, la science-fiction et le jeu vidéo.
Dis comme cela, ça pourrait faire peur mais au final, le résultat visuel est plus que réussi et ça ne choque pas outre mesure, d’autant plus que c’est complètement assumé par Nicolas Cuche.
Il se dégage de l'histoire des relents du "Nom de la rose" mais j'ai interprété ça comme un hommage, ça fait clin d'oeil plutôt que pâle copie.
Du point de vue de la mise en scène c’est très bien fait, il y a mêmes de très jolies scènes qui n’ont rien à envier aux séries américaines, notamment une de mise à nu de Barnal dans une Eglise face au Dieu qu’il sert.
Et puis le réalisateur a su créer une ambiance, c’est une histoire relativement sombre et brumeuse, qui se passe souvent de nuit et/ou en forêt.
L’un des atouts est un tournage exclusif en décors réels et non en studio, et de surcroît uniquement dans des sites français.
A l’heure où les séries ou films partent tourner à l’étranger des histoires se passant en France, il est bon de le souligner.
Certes, on voit un peu trop de rats pendant les premiers épisodes, inutile d’en montrer tout le temps, tout d’abord car nous ne sommes pas à Fort Boyard et surtout on sait très bien que la peste va finir par arriver.
Quelques rats une ou deux fois, le message est tout aussi clair.
Le prologue peut apparaître long mais il est nécessaire pour comprendre la suite de l'histoire.


Du point de vue des dialogues, je reconnais que certains peuvent être catalogués en "culte" tant ils sont prévisibles et téléphonés.
Ils sont aussi parfois un peu trop modernes.
Mais le scénario se tient et se déroule au fil des épisodes.
Je viendrai vous parler d’ici quelques temps du livre, histoire de comparer et de donner mes impressions.
Les acteurs sont tous bien choisis, Aurélien Wiik attire tout de suite la sympathie, Hubert Saint-Macary campe un David de Naples patriarche et protecteur, Annelise Hesme a enfin un premier grand rôle sur mesure, mais LA révélation de cette série, c’est Vladislav Galard interprétant Guillermo Barnal.
Totalement inconnu jusqu’à alors, il explose littéralement l’écran et je pense que l’on reverra cet acteur, en tout cas je le souhaite vraiment car il joue particulièrement bien et s’est approprié le personnage d’une façon intelligente pour le retranscrire à l’écran, ce qui n’était pas gagné d’avance.
Du côté des jeunes, ça fonctionne bien aussi pour Lula Cotton-Frapier (Aurore) et Quentin Merabet (Silas), premiers rôles importants et prestations toujours justes.
Ca détonne un tantinet avec Anne Brochet, j'adore cette actrice et je ne remets pas en cause la qualité de son jeu, elle n'a juste absolument pas l'âge de Catherine de Sienne (mais comme d'un autre côté il n'y a aps grand chose à voir avec la vraie ça n'est pas si grave).
Pour finir, je dirai quelques mots sur la bande son, particulièrement soignée de Christophe La Pinta.
Elle est à la fois classique/religieuse et moderne avec des guitares électriques, elle se marie à merveille avec les images, je n’ai rien à dire de ce côté-là.

"Inquisitio", c’est fini, mais cette série fut une découverte intéressante, j’ai pris du plaisir à la regarder, loin des polémiques et des déchaînements d’une minorité.
A l’origine tout de même, je tiens à le préciser, cette série n’était pas prévue pur une diffusion durant l’été, son thème ne se prêtant pas vraiment à cette période de l’année.
Maintenant ça va me manquer de ne plus avoir ma petite dose de tortures hebdomadaires, promise que j’étais au bûcher … .
A revoir ou à découvrir pour passer un agréable moment.

jeudi 26 juillet 2012

Les aventures de Tintin - Au pays de l'or noir de Hergé


Partout dans le monde, des moteurs d’autos explosent : l’essence doit être trafiquée! Une crise pétrolière menace. Au Moyen Orient, le cheik Bab El Ehr tente de renverser Ben Kalish Ezab, et ce conflit local peut dégénérer en une guerre générale. C’est bien assez pour inciter Tintin à se rendre, toutes affaires cessantes, au Pays de l’Or noir (1950). (Casterman)

"Boum ! Quand vot'moteur fait Boum !", telle est la publicité d'une société de dépannage, le problème, c'est que tous les moteurs font réellement "boum" car l'essence est trafiquée et une crise pétrolière menace.

L'une des caractéristiques de cet album de Tintin est son ancrage dans la réalité.
En effet, publié entre les deux guerres, c'est sans doute l'album de Tintin le plus réaliste par rapport au contexte historique.
Il y est question de sabotage d'essence, d'une guerre sur le point d'être déclarée, d'un méchant répondant au nom de Docteur Müller (nom à consonance allemande).
Le contexte n'est donc pas très gai et pourtant, Hergé a réussi à distiller de nombreuses touches d'humour dans cet album, par le biais de Milou mais également par celui des Dupondt qui ne cessent de se perdre dans le désert et de voir des mirages :"Moi, faire un rivage pour un stupide rimage ? ... Euh ... Un rivage pour un mirage ... Non, un mirage pour un virage ... euh ... Enfin, jamais de la vie : je continue tout droit."
Là aussi, j'ai noté qu'il était question du rapport de Tintin par rapport à la violence et aux armes à feu :"Je n'aime pas beaucoup ces jouets-là, mais, dans ces cas-ci, il vaut mieux être armé."
Ce personnage oscille d'un point de vue à l'autre, mais il se refuse toujours à toute violence et l'arme n'est qu'un moyen de dissuasion.
Le capitaine Haddock est peu présent dans cet album, il est esquissé et d'ailleurs le lecteur ne connaît pas le fin mot de l'histoire à la fin.
Quant au Professeur Tournesol, c'est de Moulinsart qu'il aidera pour trouver un remède à l'étrange mal des Dupondt.
Mais cet album est aussi l'occasion de faire la connaissance de ce "charmant" petit Abdallah, qui a toujours une mauvaise blague dans sa musette.
C'est un petit garçon exaspérant mais il apporte une touche de fraîcheur dans cette histoire plutôt sombre.
Il s'agit d'une histoire sur plusieurs niveaux, relativement complexe, en tout cas plus que dans d'autres albums.

"Tintin au pays de l'or noir" est un album intéressant à lire avec une histoire plus complexe que dans d'autres tomes, fortement ancré dans le contexte historique au moment de sa rédaction et qui finalement l'est toujours dans celui d'aujourd'hui, dans une moindre mesure.
Une aventure de Tintin qui se lit avec plaisir, riche en aventures et avec quelques touches d'humour.

mardi 24 juillet 2012

Les racines du yucca de Koulsy Lamko


Un écrivain africain vivant à Mexico est atteint d’un incroyable mal : une allergie au papier… Son étiopathe lui conseille de voyager, de retrouver la nature. Il part donc dans le Yucatan animer des ateliers d’écriture dans un village de réfugiés de la guerre du Guatemala des années quatre-vingt. Une de ses stagiaires, Teresa, lui présente son journal des années de guerre. Fasciné par ce texte, l’écrivain décide de l’aider à le rédiger jusqu’au bout. Il va amener Teresa à accoucher des démons qui sommeillaient dans sa mémoire. Mais il va aussi réveiller les siens… Généreux et ambitieux, ce roman tisse des liens solides entre l’imaginaire latino-amérindien et celui d’une Afrique confrontée aux affres des guerres, des trahisons multiples, des errements de politiques suicidaires. Avec Les racines du yucca, Koulsy Lamko propose un regard croisé riche de ses multiples errances, et jette un pont entre deux continents qui feignent de s’ignorer alors que tout les rapproche. Il construit ainsi une parole poétique engagée et sereine : celle des espérances têtues. Comme celles du yucca, cette plante tenace, rebelle à la destruction, dont toute tige ou racine arrachée revit au contact de la terre… (Philippe Rey)

"Processus de zombification quasi irréversible", tel est le diagnostic du médecin sur l'étrange mal qui ronge le narrateur de l'histoire, en lui précisant : "En ce moment précis où je vous parle, vous êtes vide de tout : un mort en sursis, un vrai mort puisque vous donnez l'impression d'être de ce monde alors que vous avez amorcé le voyage vers l'autre rive."

Cette maladie mystérieuse, qui aurait pu être intéressante et avoir un rôle dans l'histoire est reléguée au second plan et n'est jamais exploitée par la suite, ce qui est dommage. Pour essayer de l'éradiquer, le médecin conseille à son patient de voyager : il n'y avait pas besoin d'une telle maladie pour le lui suggérer.
Et c'est une impression de rendez-vous manque qui m'a poursuivie tout au long de ma lecture de ce livre.
Je voulais lire une certaine histoire et c'est une autre que l'auteur a écrit.
Ainsi, j'aurais aimé lire celle de Teresa et au final elle n'est que légèrement esquissée, ou alors celle de Léa, mais là aussi, l'histoire reste en surface sans chercher à aller plus loin.
Quant à celle du narrateur, je n'ai ressenti aucune empathie et je suis restée étrangère à lui, d'autant plus que je n'ai pas réellement apprécié son style littéraire ni le découpage du récit.
Ce livre est constitué d'histoires alléchantes qui éveillent un moment la curiosité du lecteur et qui au final flottent en surface sans jamais connaître ni développement ni conclusion.
Il n'y a pas que les histoires qui sont effleurées, même les trames de fond que sont les imaginaires latino-amérindien et africain ne sont jamais développées.
Ce livre croise sans doute trop d'histoires pour que l'auteur ait réussi à en mener une à son terme.

Comme le yucca, je suis restée tenace à la lecture, mais elle fut laborieuse et je suis restée absolument hermétique à l'histoire développée dans ce roman.

Livre lu dans le cadre du Prix Océans




Malta Hanina de Daniel Rondeau


Après Tanger, Alexandrie, Istanbul et Carthage, Daniel Ron-deau pose ses valises à Malte. Et poursuit ainsi son pèlerinage méditerranéen. Des années qu’il explore, au hasard de ses pas-sions, les côtes ensoleillées. Si, chaque fois, ces villes ont une saveur particulière, l’île de Malte est de ces lieux sans équi-valence, à l’aura renversante. Elle est l’autre terre élue. Il faut dire que l’auteur y a occupé le poste d’Ambassadeur de France. Il a été, pendant deux ans, le témoin privilégié de ce patrimoine d’exception. Au fil d’une promenade éclairée, nourrie d’art, de religion, de littérature, de paysages, et de destins d’hommes, il restitue, par une prose à la beauté classique, l’irrémédiable charme maltais. Dans un jeu entre passé et présent, il parvient à dresser de l’île un portrait exhaustif et nuancé. Un tableau vivant gravé dans la roche et tourné vers l’avenir. (Grasset)

"Une chaleur africaine pèse sur l'aéroport.", telle est la première impression de Daniel Rondeau lorsqu'il arrive à Malte après avoir accepté le poste proposé par le gouvernement français.
De Malte, l'auteur ne connaît rien ou si peu, mais cette île lui rappelle Tanger où il a tenu un poste quelques années auparavant.
Il va s'attacher à découvrir cette île entre Orient et Occident, son histoire : "Malte est gravée dans une histoire et une géographie à la fois européennes et méditerranéennes.", ses personnages célèbres, son passé et son présent : "Découvrir Malte, c'est entrer dans le jardin secret de la Méditerranée."

A travers "Malta Hanina", l'auteur brosse un portrait de Malte au rythme des saisons, avec les paysages qui peuplent l'île mais également l'histoire de son essor au Moyen-Âge avec la formation de l'Ordre des Chevaliers de Malte jusqu'au présent en évoquant le Printemps Arabe en Tunisie, en Egypte et en Libye avec son lot de réfugiés au sort souvent funeste qui partent en quête d'un Eldorado ailleurs, loin de leur pays et des dictatures.
Il s'agit de tableaux plutôt que d'un récit suivi, ce livre fait office de guide pour découvrir Malte et donne en tout cas envie de découvrir cette île.
Le style narratif est proche du lecteur et l'entraîne dans les pas de l'auteur.
Dans ce livre, il n'est pas non plus question que de Malte, mais également de la France, de l'Europe, de la vie d'écrivain de Daniel Rondeau et de ses rencontres, comme si Malte avait servi de catalyseur pour qu'il dresse son propre portrait d'homme et qu'il revienne sur ses expériences passées et ce qu'elles lui ont apporté dans sa vie.

"Malte a tenu ses promesses.", c'est ainsi que conclut Daniel Rondeau sur son expérience professionnelle dans cette île et sa découverte géographique, culturelle et historique.
Ce qui, tout naturellement, m'amène à conclure que "Malta Hanina" a tenu ses promesses et qu'à partir d'un ensemble de tableaux, Daniel Rondeau a réussi à dépeindre Malte, à en saisir le caractère authentique et toute sa richesse et à transmettre toutes ces émotions au lecteur qui, une fois le livre refermé, n'a plus qu'une envie : partir à la découverte de Malte.

Livre lu dans le cadre du Prix Océans



lundi 23 juillet 2012

Les aventures de Tintin - Le crabe aux pinces d'or de Hergé


"Le Crabe aux pinces d'or" (1941) renoue avec l'aventure exotique. Enquêtant sur un trafic de fausse monnaie, Tintin se retrouve emprisonné sur un navire, le Karaboudjan. A son bord, il fait la connaissance du Capitaine Haddock, marin alcoolique, et découvre l'existence d'un trafic d'opium, dissimulé dans des boîtes de crabe. Réussissant à s'enfuir avec Haddock et se réfugiant au Maroc, Tintin finira par démasquer la bande de malfaiteurs. (Casterman)

"Le crabe aux pinces d’or" est la neuvième aventure de Tintin prépubliée en noir et blanc entre octobre 1940 et octobre 1941 et parue en version couleur en 1944.
La prépublication intervenant pendant la Seconde Guerre Mondiale et la Belgique étant occupée par les Allemands, Hergé n’était pas libre dans les thèmes abordés et se devait de rester neutre.

Néanmoins, cet album se démarque sur certains aspects et revêt un caractère important car il met en scène un personnage qui deviendra récurrent par la suite : le capitaine Haddock.
En effet, le capitaine est introduit dans l’univers de Tintin avec cette histoire et la vision qui en est donnée est moins lissée et « politiquement correct » que dans les autres albums.
Tintin va faire sa rencontre sur le cargo dont il est le capitaine, le Karaboudjan, qui en réalité sert au lieutenant Allan à faire du trafic d’opium.
C’est un capitaine sans aucun panache ni emprise sur son équipage qui y apparaît, avec un fort penchant pour l’alcool et passant la majorité de son temps saoul.
Il est par la suite montré très souvent avec une bouteille à la main ou bien fantasmant et transformant les personnes en bouteille de champagne ou de vin.
Le pire moment pour ce personnage étant sans doute la traversée du désert marocain : "Le pays de la soif !"
Les ravages de l’alcool étant ce qu’ils sont, il ne réfléchit pas et met à plusieurs reprises sa vie et celle de Tintin en jeu, agissant sur le coup de l’impulsion et réalisant après coup qu’il n’aurait pas dû agir ainsi.
Ce qui aurait pu rendre le personnage définitivement pathétique va au contraire le servir et l’ancrer à jamais dans la mémoire collective de l’univers de Tintin car en agissant ainsi, le capitaine Haddock va apporter une touche d’humour à l’histoire, tandis que les Dupondt y apportent de la loufoquerie.
De plus, j’ai toujours trouvé intéressant le point de vue de Hergé sur la relation entre Tintin et les armes à feu.
Ainsi, ce dernier n’a rien contre leur utilisation, mais il ne les utilise jamais et ne s’en sert que pour se défendre.
Cet album en est une belle illustration : Tintin va sortir un pistolet pour intimider les méchants mais il le perdra très vite par la faute du capitaine au profit de ces derniers.
Il utilise aussi l'intimidation et le mensonge au besoin : "Et moi, je dois aller sans tarder à l'Institut Pasteur ... car je viens d'être mordu par ce chien enragé !"
Mais, comme dans les autres aventures de Tintin, Hergé n'est jamais moralisateur, même lorsqu'il aborde l'alcoolisme ou le trafic d'opium, et c'est l'un des atouts de cette série.
L’autre point flagrant dans cet album, sans doute plus que dans les autres, c’est l’opposition entre Tintin, héros quasi angélique sans aucun défaut et ne doutant jamais ; et le capitaine Haddock condensant à lui seul les interrogations, les faiblesses, les rechutes, les maladresses, les actes irréfléchis.
Ces deux personnages sont tellement différents l'un de l'autre que leur entente, et par la suite leur amitié, n'en est que plus originale et inattendue.

"Le crabe aux pinces d'or" est une aventure de Tintin particulièrement plaisante à lire, d'autant qu'elle marque la rencontre entre Tintin et le capitaine Haddock, que Milou y apporte une touche comique des plus plaisantes et qu'elle a lieu dans un contexte exotique.

J'ai pas pleuré d'Ida Grinspan et Bertrand Poirot-Delpech


Déportée à 14 ans, rescapée d'Auschwitz, Ida Grinspan nous livre son témoignage sur l'horreur des camps de concentration. Dans un dialogue tout en pudeur, sa voix se mêle à celle de Bertrand Poirot-Delpech. Elle lui raconte l'indicible : la faim, la peur, la mort qui rôde. Ensemble, ils relatent également les difficultés de " l'après ", ce douloureux retour à la vie et à l'espoir. A lire pour ne pas oublier " l'oubli serait aussi intolérable que les faits eux-mêmes ". (Pocket Jeunesse)

Avec ce livre, Ida Grinspan aidée de Bertrand Poirot-Delpech, revient sur sa jeunesse durant la Seconde Guerre Mondiale brusquement interrompue par son arrestation par les gendarmes français sur dénonciation et sa déportation à l'âge de 14 ans à Auschwitz.
Elle échappera à la mort lors de la sélection grâce à son allure, à une coiffure qui la vieillissait.
Par la suite, sur les conseils d'une déportée française, elle dira systématiquement qu'elle a 16 ans, ce qui la sauvera, entre autres, d'une mort certaine.

Découpé en trois parties : la vie dans le Poitou où ses parents l'ont cachée dès le début de la guerre jusqu'à l'arrestation, la survie à Auschwitz et la "marche de la mort" et enfin l'après, Ida Grinspan se livre et se raconte à travers de courts chapitres, parfois guidée par des questions bien précises, avec comme volonté de faire connaître ce qu'elle a vécu :"Je n'oublie pas que j'ai reçu une mission sacrée. Je revois les femmes qui me l'ont confiée, en partant pour le Revier, antichambre de la mort : "Si vous rentrez, il faudra leur dire. Ils ne vous croiront pas, mais il faudraleurdire".", malheureusement elle le constatera elle-même ainsi que d'autres déporté(e)s :"Après la guerre, nous avons cru que le nazisme et ses méthodes étaient anéantis à jamais. Quand nous avons appris, plus tard, les massacres au Cambodge et au Rwanda, nous avons dû admettre que la leçon d'Auschwitz n'avait pas été tirée."
Ida Grinspan passera deux hivers à Auschwitz, elle reviendra malade et orpheline, parfois elle craquera mais jamais devant les gendarmes, les kapos, la faim, la mort, elle le dit elle-même : "J'ai pas pleuré".

Avec ce livre, elle ne fait pas que livrer son histoire mais partage aussi ses réflexions, ses pensées :"C'est simple : je pense qu'on ne revient jamais complètement d'Auschwitz. J'y ai laissé une partie de moi-même, la "petite Ida".", également ses doutes :"En me relisant, je ne suis pas certaine d'avoir insisté sur la déshumanisation des camps. N'être qu'un numéro, ne rien posséder de personnel qu'une gamelle et une cuillère, avoir constamment faim, toujours froid durant les longs hivers, être épuisée, battue et craindre le pire à chaque instant ..."
Ida Grinspan porte un regard juste et sans haine sur son passé et ce qu'elle a vécu pendant ces deux années, elle reconnaît que l'amitié y a joué pour beaucoup dans sa survie à Auschwitz-Birkenau : "Ida ne perd jamais de vue que l'amitié était leur planche de salut.", mais également des chances : une fragilité touchante au camp, une infirmière polonaise qui se battra pour la soigner et qu'elle ne reverra alors que celle-ci est sur le point de mourir.
C'est cette somme de tout et une immense fraternité entre déportées qui font qu'Ida a réussi à survivre et qu'elle est revenue des camps, ou en tout cas qu'une partie d'elle est revenue, l'autre y restant à jamais.
Ce témoignage est intéressant à plus d'un titre, tout d'abord Ida Grinspan était relativement jeune lorsqu'elle a été déportée, sa jeunesse a été brutalement interrompue et n'a jamais repris son cours, ensuite elle évoque la vie dans le camp de façon détaillée : les appels interminables, la faim, le froid, la soupe claire, la maladie, le travail dans les kommandos, les kapos, mais revient également sur des épisodes moins connus comme l'explosion d'un crématoire par une révolte des sonderkommandos et un qui m'a particulièrement touchée : Mala, une jeune femme très courageuse qui le paya de sa vie.
Le passage narrant la "marche de la mort" et l'arrivée à Ravensbrück est tout aussi intéressant et très poignant avec le dévouement de Wanda, cette infirmière polonaise qui luttât pour qu'Ida vive.
Mais l'intérêt de ce témoignage réside aussi dans la troisième partie où l'auteur revient sur "l'après", sa convalescence en Suisse en compagnie d'autres déportées, notamment Charlotte Delbo qui a elle aussi témoigné dans des livres de sa déportation, où elle découvre la Résistance, mais ce qui prévaut par dessus tout, c'est sa volonté de vivre, de fonder une famille et d'avoir des enfants.
Son plus grand regret est de ne pas avoir pu faire d'études, alors qu'elle était très bonne élève la déportation lui a ôté toute chance de faire des études supérieures pour avoir un bon métier, quand elle est revenue de convalescence elle n'a pas pu reprendre.
A notre époque faire des études supérieures est devenu une chose plutôt courante, cela m'a d'autant plus touchée et bouleversée, car c'est là l'un des regrets d'Ida, comme elle dit clairement dans son récit.

Il ne faut pas se méprendre, si Ida Grinspan témoigne de son histoire avec ce livre, ce n'est pas pour une thérapie personnelle mais bien parce qu'elle s'en est fait la promesse, et en cela je la remercie, car son témoignage est particulièrement touchant, sans aucune haine ni violence mais avec de la clairvoyance.
"J'ai pas pleuré" est un livre qu'il faut livre pour ne pas oublier, pour savoir "ce que des hommes ont été capables de faire à d'autres hommes, uniquement parce qu'ils étaient nés" et aussi pour qu'un jour, enfin, cela ne se reproduise plus.

Martin Niemöller, pasteur, 1945 : "Lorsque les Nazis vinrent chercher les communistes, je me suis tu : je n'étais pas communiste. Lorsqu'ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je me suis tu : je n'étais pas social-démocrate. Lorsqu'ils sont venus chercher les Juifs, je me suis tu : je n'étais pas Juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je me suis tu : je n'étais pas catholique. Et quand ils sont venus me chercher, il n'y avait plus personne pour protester."

mercredi 18 juillet 2012

Penelope Green Tome 1 La chanson des enfants perdus de Béatrice Bottet


Londres, années 1880, James Alec Green, surnommé JAG ou le jaguar, journaliste au Early Morning News, meurt après être tombé dans les eaux glaçées de la Tamise au cours de l'une de ses enquêtes. Mais au préalable, il a fait le nécessaire pour que sa fille unique, Penelope, 17 ans, puisse vivre seule en toute indépendance et sans souci financier. Il lui a aussi légué la passion du journalisme. Afin de faire ses preuves, Penelope choisit d'enquêter sur un dossier mystérieux qui semblait beaucoup préoccuper son père: l'affaire du 21 Foxglove Court. (Casterman)


Béatrice Bottet, auteur de la série du "Grimoire au rubis", entame une nouvelle série mettant en scène Penelope Green, 17 ans, vivant à Londres dans les années 1880, récemment orpheline à la suite du décès de son père et bien décidée à suivre les pas de ce dernier en devant journaliste au Early Morning News : "Le Early Morning News était un journal qui tenait une place fort honorable parmi ses confrères, c'était entendu. Pour n'importe quel journaliste, c'était un honneur d'y voir ses articles publiés, surtout ses articles d'investigation.".
Pour sa première enquête, Penelope a d’ailleurs décidé de reprendre un dossier qui préoccupait son père : l’affaire du 21 Foxglove Court émaillée d’une complainte, la chanson des enfants perdus, clé de ce roman.

Béatrice Bottet avait déjà démontré avec le "Grimoire au rubis" une aisance à créer des histoires se greffant sur l’Histoire au sens large peuplées de personnages aussi divers que variés et tous très attachants.
Avec Penelope Green, il en va de même et c’est non seulement avec facilité mais également avec plaisir que le lecteur découvre cette héroïne, s’y attache et suit ses aventures trépidantes dans le Londres de la fin du 19ème siècle.
Bien qu’elle s’en défende, Penelope est féministe avant l’heure en souhaitant exercer un métier d’homme, en voulant vivre libre, selon ses choix et indépendante, repoussant soupirants et demandes en mariage : "Elle ne serait jamais une femme rangée. Elle serait journaliste.".
Il faut bien reconnaître qu’elle peut se le permettre, son père l’ayant laissé à l’abri du besoin, et puis il s’agit d’une héroïne de roman, quelques digressions par rapport à la réalité sont donc permises.
Certes, l’enquête est facilitée par un nombre de suspects restreints, je n’ai donc pas eu de réelle surprise à l’annonce du coupable à la fin du livre, ayant déjà ma petite idée depuis un moment.
Il n’en reste pas moins que ce premier tome des aventures de Penelope est écrit dans un style fluide et agréable à lire, que l’histoire est bien construite et se suit avec plaisir, d’autant plus que Béatrice Bottet s’est attachée à retranscrire le plus fidèlement possible les différents quartiers de Londres à cette époque et qu’elle y promène son lecteur d’une main experte.
Les deux personnages principaux, Penelope et Cyprien, sont aussi attachants l'un que l'autre bien qu'ils aient des caractères opposés.
Ce duo et cette amitié fonctionnent bien, quoi qu'il apparaisse que cette amitié pourrait bien se transformer en un autre sentiment d'ici les prochaines aventures de Penelope à travers le monde.
Ce livre est plutôt destiné à un jeune public mais je trouve qu'il peut se lire à tout âge, d'autant que l'auteur n'épargne pas à son héroïne quelques passages difficiles et de cruauté à son égard.

La nouvelle série de Béatrice Bottet se révèle aussi bien écrite que celle du "Grimoire au rubis", avec les mêmes ingrédients qui ont fait son succès : des aventures sur une trame historique, des personnages attachants, une intrigue captivante, quelques pincées d'humour, le tout saupoudré de suspens dans les quartiers populaires de Londres en cette fin de 19ème siècle.
"La chanson des enfants perdus" est un livre rafraîchissant qui se lit avec plaisir et qui propulse Penelope Green dans la liste des héroïnes dont le lecteur a envie de suivre les aventures.

lundi 16 juillet 2012

Borgia Tome 4 Tout est vanité de Milo Manara et Alexandro Jodorowsky


Un scénariste légendaire, un dessinateur non moins illustre, une famille qui a marqué son époque d’une empreinte de stupre et de sang… et voilà Borgia, un must de la bande dessinée contemporaine, dont Tout est vanité constitue l’ultime tome. La famille Borgia a défrayé la chronique au XVe siècle, en donnant à l’Italie et au monde chrétien deux papes d’une sulfureuse renommée. Les Borgia furent accusés entre autres de simonie, d’empoisonnement, de fratricide et d’inceste… ils incarnent les plus flamboyants symboles de la décadence de l’Église à la fin du Moyen Âge et, par bien des aspects, en tenant Rome et la chrétienté sous leur joug, sont les premiers parrains de l’Histoire. Violence, luxure, manipulation et conspirations au Vatican forment la trame de cette épopée historique, transcendée par l’écriture paroxystique de Jodorowsky et la séduction trouble du trait de Manara qui, une fois n’est pas coutume, travaille en couleurs directes. (Drugstore)

De gloire il n’y a plus, ne reste que la décadence de cette famille si puissante dans ce quatrième et dernier tome de la série s’attachant aux Borgia.

A trop vouloir dominer le monde, tous s’y sont brûlés les ailes et lourde est la chute.
Dans ce quatrième et dernier tome de la saga Borgia, leur puissance et leur gloire ne sont plus qu’un souvenir passé et c’est leur inéluctable chute qui se dessine sous les yeux des lecteurs.
Lucrèce, la sulfureuse et doublement incestueuse meurt en couches, d’un enfant qualifiable de monstre, avec deux têtes, l’une ressemblant à son frère César et l’autre à son père :"Un de ses visages ... ressemble à ... mon père ... l'autre est celui ... de mon frère ... tuez-le !".
Si Rodrigo Borgia rejette pendant un temps son fils César, avide de pouvoir : "L'Italie toute entière sera mienne !", lui préférant son cadet, il va devoir revoir sa position à la mort de ce dernier.
Rodrigo Borgia meurt, laissant la place à César, qui travaillera pendant un temps avec Leonardo da Vinci.
Au final, il sera lui aussi assassiné et ainsi disparaîtra la lignée des Borgia.
Il ne restera que l’homme de main des Borgia, qui retournera voir sa vieille mère pour lui raconter la chute de cette si puissante famille et qui se pendra avec elle pour mettre fin à leur vie dans ce monde.

Dans ce dernier tome, l’histoire s’éloigne définitivement de la réalité et même de la légende des Borgia pour finir dans de l’hystérie collective.
Tout va vite, très vite et sans doute trop vite.
Mais voilà, le scénario d’Alexandro Jodorowsky exerce une fascination certaine sur le lecteur, et même s’il est très éloigné de la réalité j’ai relativement apprécié cette lecture et je trouve que cela constitue une parfaite conclusion à cette série en quatre volumes.
Je pars du principe qu’il s’agit d’une libre adaptation et que c’est aussi un choix de la part des auteurs de nous présenter cette histoire sous la forme d’une bande dessinée.
Les dessins de Milo Manara sont toujours aussi agréables à regarder, mais à réserver tout de même pour un public averti car rien n’est épargné dans ce dernier tome particulièrement sanglant et horrible.
Pour une fois, Milo Manara travaille en couleurs directes et le résultat est plus que satisfaisant et réussi.

"Tout est vanité", tel est le sous-titre de ce quatrième et dernier volume de la série Borgia.
Vaniteux, ils l’ont sans aucun doute été et ils l’ont très chèrement payé.
Je suis partagée sur ce dernier volume, conquise par les traits et les couleurs de Milo Manara mais dérangée par les trop grandes libertés historiques d’Alexandro Jodorowsky.
Ce cycle des Borgia constitue une adaptation libre de la légende des Borgia qui mérite toutefois d’être découverte. 

Livre lu dans le cadre du challenge Il Viaggio


Borgia Tome 3 Les flammes du bûcher de Milo Manara et Alexandro Jodorowsky


Rome n'est plus une ville sainte, mais un chaos sans foi ni loi. La mafia Borgia, les premiers parrains de l'histoire, en sont les maîtres. (Vent des Savanes)

Pour fêter Pâques et la résurrection du Christ, le pape Borgia a décidé d'offrir une orgie à Rome, avec pour seul mot d'ordre de profiter de la fête mais de n'ôter à aucun prix son masque.
Ainsi, "Dans la plus grande solitude, la solitude de la fête, un roi cherche sa reine idéale, sans espoir de jamais la trouver.".
Le problème c'est que le roi va trouver sa reine, et c'est ainsi que Lucrèce va coucher avec son propre père.
Comme si un inceste ne suffisait pas, voici que ce troisième tome en amène un deuxième.
Et comme Rodrigo Borgia ne peut prendre sa fille pour maîtresse, celle-ci va l'emmener délivrer du couvent sa cousine Julia Farnese afin de l'offrir à son père.

Ce troisième tome porte bien son nom, "Les flammes du bûcher" ne sont pas loin et guettent les Borgia, attendant patiemment de les brûler l'un après l'autre, eux qui ont usé et abusé de la vie, des poisons, des manipulations, dans le seul but d'accéder au pouvoir et de le conserver.
Dans le même temps, à Florence, Savonarole prêche la bonne parole et a dressé un feu pour y brûler tout ce qu'il y a de luxure (bijoux, tableaux ...).
Le feu est sans nul doute l'élément central de ce troisième tome, qu'il s'agisse du feu du bûcher ou du feu des corps qui habitent les Borgia et les poussent à se vautrer encore plus dans la luxure et le goût de la chair ou encore du feu de la cheminée chez une sorcière qui sert à cuire un poison, le préféré de Rodrigo Borgia.
Ce tome est plus fortement orienté que les deux autres vers la débauche et le sexe, à tel point qu'il intéresse le lecteur tout en le maintenant extérieur à l'histoire, comme si les auteurs avaient réussi à créer une barrière entre leur histoire sombrant dans la luxure la plus complète et le lecteur, et d'un certain côté heureusement, car ce tome est vraiment à réserver pour un public averti.
Du côté historique, les auteurs continuent de prendre des libertés avec l'Histoire mais pour l'instant cela arrive encore à se tenir.
Charles VIII est un peu trop poussé à l'extrême et a tendance à sombrer dans le caricatural, mais la fin est un joli pied de nez et prouve que les Borgia ont encore plus d'un tour dans leur sac, avec la fuite de César pourtant offert par son père en échange de sa maîtresse Julia Farnese : "Fumier, traître, pédé, lâche ! Maudits soient les Borgia !"
Je dirai qu'il n'y a pas de réelle évolution dans ce tome, mais il s'en dégage un point culminant de l'ascension des Borgia et leur chute ne saurait tarder.

Avec ce troisième tome, les flammes du bûcher guettent les Borgia et sonnent leur déclin à venir.
La fête et la débauche ont en effet assez duré, et ce troisième tome est une apothéose de leur règne dont la chute devrait survenir dans le quatrième et dernier volume de cette série.

Livre lu dans le cadre du challenge Il Viaggio


1942–2012 – Les 70 ans de la Rafle dite du Vel’ d’Hiv’


Ces 16 et 17 juillet 2012 vont marquer une commémoration importante : les 70 ans de la plus grande rafle de Juifs en France.
Baptisée "Opération Vent Printanier", elle restera dans l’histoire sous le nom de Rafle du Vel’ d’Hiv’ pour l’un des lieux de détention qui sera le Vélodrome d’Hiver à Paris.

Bien trop souvent balayée et expédiée dans les cours d’histoire sous la forme d’une rafle de Juifs enfermés au Vel’ d’Hiv’ avant d’être déportés, il s’agit surtout d’une des pages les plus sombres de l’Histoire de France pendant la Seconde Guerre Mondiale.

La Rafle du Vel’ d’Hiv’, c’est quoi exactement ?

Cette rafle a été préparée depuis longtemps et fait suite à des premières rafles en 1941 mais qui n’avaient concerné que des hommes.
Au préalable, depuis 1940 tous les Juifs français étaient légalement fichés.


Rafle d’août 1941

Depuis la Conférence de Wannsee en janvier 1942, Adolf Eichmann organise des convois de déportation dans toute l’Europe. Il sollicite les représentants nazis des territoires occupés pour exécuter des rafles et organiser des convois vers Auschwitz.
En France, c’est le  SS Obersturmfüher Danneker, chef du service juif du SD en France occupée de fin juin 1940 à juillet 1942, sous les ordres du général Oberg, chef des SS et de la police allemande en France, qui est chargé d’organiser la rafle.
Le 4 juillet a lieu au siège de la Gestapo à Paris une première rencontre entre les colonel et capitaine SS Knochen et Dannecker, René Bousquet, secrétaire général de police nationale accompagné de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives.
Ainsi, Dannecker négocie avec la police française qui accepte de collaborer et d’organiser seule la rafle.
Une deuxième rencontre se tient le 7 juillet en compagnie de Jean Leguay, adjoint de Bousquet, accompagné, entre autres, du directeur de la police générale, d’Emile Hennequin,  directeur de la police municipale, d’André Tulard, chargé des questions juives à la préfecture.
La rafle est prévue pour le 13 juillet 1942, des dérogations sont prévues pour les femmes en état avancé de grossesse ou allaitant de jeunes enfants, les enfants de moins de 15 ou 16 ans seront confiés à l’UGIF – Union Générale des Israélites de France, tout cela après un tri organisé dans les centres de rassemblement pour ne pas perdre de temps.
Le 10 juillet 1942, le SS Dannecker s’entretient avec Adolf Eichmann, tandis qu’une réunion se tient le même jour au siège du Commissariat Général aux Questions Juives – CGQJ, en compagnie des SS Dannecker, Röthke, Ernst Heinrichsohn, de Jean Leguay, Pierre Gallien, adjoint de Darquier de Pellepoix, quelques cadres de la préfecture de police ainsi que des représentants de la SNCF et de l’Assistance Publique.
La rafle vise les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchèques, russes, et les indéterminés de tous âges.
Du retard est pris et malgré le fait que la fête nationale du 14 juillet ne soit pas célébrée en zone occupée, les autorités allemandes la décalent au 16 juillet 1942 pour ne pas s’attirer la vindicte populaire.

Des rumeurs circulant depuis quelques jours et les précédentes rafles n’ayant concerné que les hommes, certains se cachent pour éviter la rafle, pensant que leur femme et leur(s) enfant(s) ne risquent rien.

A partir du 16 juillet 1942 de bonne heure le matin, la police française et les gendarmes français débarquent chez les juifs visés par la rafle dont des listes ont été établies à partir du recensement (les fichiers) et arrêtent indifféremment hommes, femmes, enfants, y compris les malades, pour les conduire dans un premier temps dans des centres de rassemblement.

Cette rafle dura 2 jours dans Paris et la proche banlieue.

La machine infernale de mise à  mort était en route.

Et après les arrestations, que s’est-il passé ?

Dans les centres de rassemblement, une sélection s’opère.
Pour procéder aux acheminements après la sélection, une cinquantaine d’autobus de la compagnie du métropolitain ont été réquisitionnés avec leurs conducteurs.

Les hommes, femmes, en couple sans enfant ou célibataires sont envoyés dans le camp de transit de Drancy.
Ils y resteront jusqu’à leur départ en déportation à Auschwitz dans les jours suivants de leur arrivée.
Cela concerne 1 989 hommes et 3 003 femmes.

Le camp d’internement de Drancy, dans le quartier d’habitation HBM dite la « cité de la Muette », est en fonctionnement depuis août 1941 et sera la plaque tournante de la déportation vers les camps de la mort jusqu’en août 1944.
A partir de 1942, Drancy passe de camp d’internement à camp de transit.
L’édifice dans lequel le camp fut établi était en cours de construction, seul le gros œuvre était achevé.
Comportant 4 étages, il était bâti autour d’une cour d’environ 200 mètres de long et 40 mètres de large. La forme du bâtiment, surnommé le « fer à cheval », se prêta facilement à sa transformation en camp d’internement : des miradors furent installés aux quatre coins de la bâtisse, dès lors entourée de barbelés, tandis que le sol de la cour fut tapissée de mâchefer.


Camp de Drancy

Quant aux hommes, femmes, en couple avec enfant(s), ils sont acheminés au Vélodrome d’Hiver et resteront parqués dans son enceinte pendant plusieurs jours (presqu’une semaine).
Cela concerne 1 129 hommes, 2 916 femmes et 4 115 enfants.

Le Vélodrome d’Hiver n’est pas une nouveauté comme lieu d’internement de personnes raflées puisque le 15 mai 1940 a lieu une rafle perpétrée sous la IIIe République de femmes citées comme « indésirables » dans les décrets du 12 octobre 1938.
Il s’agit essentiellement de femmes juives allemandes antinazies, qui ont fui les persécutions du nazisme dans les années 30 et sont venues trouver asile en France.
Le Vélodrome est conçu pour accueillir des manifestations sportives, notamment des courses cyclistes, et non pas des familles entières.
Pour resituer le contexte, il fait très chaud en ces 16 et 17 juillet 1942, le Vélodrome a une coupole de verre en toiture, ce qui le transforme en serre, les toilettes sont rapidement bouchées et c’est une odeur pestilentielle qui se répand très vite dans ce lieu au vacarme incessant (enfants qui jouent ou pleurent, personnes à la recherche d’un proche, appels dans les interphones …).
C’est dans ces conditions que vont vivre plus de 8 000 personnes durant cinq jours, sans nourriture et avec un seul point d’eau.
Bien entendu il y eut des déclenchements d’épidémies chez les enfants et au moins une centaine de prisonniers se suicidèrent.



Unique photo de la Rafle : les bus devant le Vélodrome d'Hiver

Au total, la rafle a concerné 3 118 hommes, 5 919 femmes et 4 115 enfants, soit 13 152 personnes (source : Mémorial de la Shoah).
Ce nombre est inférieur aux prévisions des autorités, un nombre indéterminé, prévenu par la Résistance ou bénéficiant du manque de zèle de certains policiers, ayant réussi à échapper à cette rafle.
Si certains policiers et gendarmes ont fermé les yeux, d’autres ont par contre été particulièrement zélés et sans pitié pour arrêter les familles juives, notamment en ce qui concerne les enfants.

L’internement dans les camps de concentration français du Loiret : Pithiviers et Beaune-la-Rolande

Après 5 jours passés dans l’enfer du Vélodrome, les familles sont amenées à la gare d’Austerlitz et transportées dans des wagons à bestiau dans les camps de concentration du Loiret : Beaune-la-Rolande et Pithiviers (à noter que le 3ème camp du Loiret, Jargeau, abritait des familles Tziganes, des prostituées et des prisonniers politiques) entre les 18 et 22 juillet.

Beaune-la-Rolande a été construit en 1939 dans l’optique d’y enfermer les futurs prisonniers de guerre allemands.
Ce camp servit aux allemands pour y regrouper les prisonniers de guerre français avant leur envoi en Allemagne.
Dès le 14 mai 1941, le camp accueille des Juifs polonais arrêtés en France.
Le camp a été fermé le 4 août 1943 par Alois Brunner (qui fut le dernier chef du camp de Drancy).


Camp de Beaune-la-Rolande en 1941
Pithiviers a été construit dans la même période et avec le même but que Beaune-la-Rolande.
Il fut évacué en octobre 1943 pour être transformé en camp de concentration pour détenus politiques.


Camp de Pithiviers

Quelques jours avant le transfert, les camps ont été vidés pour laisser la place aux internés du Vél’ d’Hiv’.

Les conditions de vie dans les camps du Loiret sont déplorables et des épidémies se déclenchent parmi les enfants, chacun de ces camps étant conçus pour accueillir de 1 500 à 1 800 prisonniers hommes (et non plus de 4 000 personnes dans chaque camp).
Les hommes sont séparés des femmes et des enfants.

La déportation à Auschwitz des parents

Environ une semaine après leur arrivée, les hommes sont transférés à Drancy, puis de là à Auschwitz.
Entre le 1er et le 15 août 1942, c’est le tour des femmes.
Pour cela, les gardiens de ces deux camps, qui étaient français, utilisèrent la force et la violence pour séparer les femmes de leurs enfants de moins de 12 ans (en effet, les enfants de plus de 12 ans doivent partir avec les adultes).

La déportation à Auschwitz des enfants

Dans les camps du Loiret, il ne reste plus que les enfants de moins de 12 ans et quelques femmes pour s’occuper d’eux.

Et c’est là que la cruauté infinie du gouvernement de Pétain se révèlera au grand jour.
Les Allemands n’avaient pas encore envisagé de déporter les enfants, c’est Pierre Laval, ministre de Pétain, qui le demanda aux autorités allemandes, invoquant une mesure « humanitaire » pour ne pas séparer les familles.
Le gouvernement de Pétain ne souhaitait pas non plus s’encombrer de ces orphelins ou quasi orphelins.
Les Allemands ont donné leur accord le 13 août 1942 (la construction débutée en 1942 des quatre complexes de chambres à gaz-crématoires d’Auschwitz-Birkenau est en voie d’achèvement à ce moment-là), et à partir du 17 août ont lieu les déportations en masse des enfants, dans un premier temps vers Drancy, où ils sont brassés et mélangés avec des adultes pour donner l’illusion qu’il ne s’agit pas que de convois d’enfants, puis dans un deuxième temps à Auschwitz où ils sont gazés dès leur arrivée.

Les rares rescapés

Sur les 13 152 personnes raflées, seuls 25 adultes et quelques enfants ont survécu.

Peu d’adultes sont revenus de déportation et aucun des enfants déportés n’est revenu (les enfants ayant survécu s’expliquent par quelques rares évasions ou des combines ayant réussi à les faire sortir des camps d’internement du Loiret ou de Drancy).

Pour les rares adultes revenus de déportation, lorsqu’ils sont rentrés ils ne subsistaient plus rien de leur ancienne vie : leur famille avait bien souvent été exterminée dans les camps, leur logement avait été attribué à d’autres et leurs possessions avaient été pillées, parfois par des concierges bien heureux(ses) de leur arrestation.
Leur logement ne leur a pas été réattribué, les autorités jugeant qu’ils n’avaient plus besoin d’autant d’espace puisqu’ils étaient seuls et sans famille désormais.

Ils sont alors tombés dans un profond anonymat et ont gardé le silence pendant près ou plus de 20 ans sur ce qu’ils avaient vécu avant de pouvoir en parler.
Il faudra attendre tout ce temps pour que la France soit enfin prête à écouter et à entendre ce que les déportés avaient vécu.

La reconnaissance de la responsabilité de la France

Il faudra attendre le 16 juillet 1995 pour que le Président Jacques Chirac reconnaisse la responsabilité de la France dans la Rafle et dans la Shoah.

Extraits de son discours:
«Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 4 500 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
(…)
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.»

La mémoire de la Rafle

Le vélodrome d’Hiver rue Nélaton n’existe plus, il a été détruit en 1959 et abrite aujourd’hui, ironie de l’Histoire, un site du Ministère de l’Intérieur.
Une plaque commémorative se trouve rue Nélaton.


La date du 16 juillet a été choisie en 1993 pour instituer la "journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite de « gouvernement de l’Etat français » (1940-1944)".
En 2000 elle devient la "journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat Français et d’hommage aux « Justes » de France".

Le 17 juillet 1994 est inauguré en bordure du quai de Grenelle sur une promenade nommée square des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver un monument commémoratif de la Rafle.


Le 20 juillet 2008, une plaque commémorative à la mémoire des victimes de la rafle a été apposée au métro Bir Hakeim.


Le 27 janvier 2011 à Orléans, Jacques Chirac en présence de Simone Veil a inauguré le musée des enfants du Vel’ d’Hiv’, installé dans le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret – CERCIL.

Concernant les camps de transit, les bâtiments de la « cité de la muette » à Drancy existent toujours et sont aujourd’hui des HLM.
Un mémorial et un wagon témoin sont présents à Drancy à proximité du site.
Les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers n’existent plus et seule une plaque commémorative discrète rappelle qu’ils ont existé.
Pour information, le quatrième camp de transit non utilisé pour cette rafle mais pour l’internement et la déportation de juin 1941 à août 1944 est celui de Royallieu à Compiègne.

Pour aller plus loin

Il s’agit d’une bibliographie non exhaustive, j’ai choisi de retenir les ouvrages principaux traitant de cette rafle, mais il en existe bien sûr d’autres, qu’il s’agisse de témoignages ou de fictions, sur cette rafle ou sur la déportation et les camps de transit.

"La Grande Rafle du Vel’ d’Hiv’" de Claude Lévy et Paul Tillard, Edition Tallandier, Collection Texto
"La Rafle du Vel’ d’Hiv’" de Maurice Rajsfus, Editions PUF
"Jeudi noir" de Maurice Rajsfus, Editions L’Harmattan
"Après la rafle" de Joseph Weismann, Edition Michel Lafon (ayant inspiré le film "La rafle")
"Evadée du Vel’ d’Hiv’" d’Anna Traube, Editions Le Manuscrit
"La petite fille du Vel’ d’Hiv’" d’Annette Muller, Editions du Cercil
"Les guichets du Louvre" de Roger Boussinot, Editions Gaïa (existe aussi en film du même nom)
"Je vous écris du Vél’ d’Hiv’ : les lettres retrouvées" de Karen Taieb, Edition Robert Laffont

jeudi 12 juillet 2012

Notre-Dame du Nil de Scholastique Mukasonga


Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d'altitude, près des sources du grand fleuve égyptien. Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d'accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l'intérêt du lignage. Les transgressions menacent au cœur de cette puissante et belle nature où par ailleurs un rigoureux quota " ethnique " limite à 10 % le nombre des élèves tutsi. Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un " vieux Blanc ", peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresques les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d'insoumises reines de Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires. Non sans risques pour la jeune vie de l'héroïne, et pour bien d'autres filles Prélude exemplaire au génocide rwandais, le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, fonctionne comme un microcosme existentiel fascinant de vérité, décrit d'une écriture directe et sans faille. Scholastique Mukasonga, rescapée du massacre des Tutsi, nous donne ici son premier roman, où des jeunes filles à mains nues tentent d'échapper à l'Histoire monstrueuse qui a décimé sa propre famille. (Gallimard)


Notre-Dame du Nil, c’est un internat situé au Rwanda, proche de la source du Nil, tenu par des religieuses et réservé aux jeunes filles de l’élite d’un pays qui vient d’acquérir son indépendance avec un quota "ethnique" rigoureux limitant à 10% le nombre d’élèves Tutsi.
C’est le quotidien de cet internat sur une année que Scholastique Mukasonga propose au lecteur de suivre dans ce roman.

J’ai doublement été touchée lors de la lecture de ce roman.

Tout d’abord l’histoire est d’un propos simple mais elle revêt une beauté et une forme de pudeur touchantes et envoûtantes.
Les jeunes filles dont il est question sont toutes attachantes, émouvantes, différentes les unes des autres.
Ainsi il y a celle qui tombera enceinte d’un diplomate zaïrois, celle qui se prêtera à la folie d’un "vieux blanc" croyant que les Tutsis sont les descendants des pharaons noirs, celle qui fille d’un politicien nourrit des ambitions politiques ou bien celles issues de familles plutôt modestes qui espèrent avoir un bel avenir.

Et puis j’ai appris un certain nombre de choses sur la société rwandaise et son mode de fonctionnement.
J’aime qu’un livre réveille ma curiosité et me donne envie d’en connaître plus sur un sujet.
Avec celui-là ce fut le cas, puisqu’il m’a permis de me rendre compte que je n’avais qu’une vision sommaire de ce que fut le génocide au Rwanda, une vision étriquée sans avoir toutes les cartes en main pour en comprendre les tenants et les aboutissants.

J’ai été frappée par le fait que l’auteur a su garder de la distance par rapport à son récit mais paradoxalement, à certains moments j’aurais aimé qu’elle s’engage dans ses écrits et brise cette distance pour laisser éclater son ressenti.
L’auteur casse régulièrement le rythme de son récit, en partant sur une histoire somme toute banale elle y fait intervenir brusquement le drame, et c’est là sans nul doute la plus grande réussite de l’écriture de Scholastique Mukasonga.
La haine, la violence, les prémices de l’épuration ethnique de 1994 sont présents à chaque page du livre, à chaque moment du récit, dans chacune des paroles de certaines jeunes filles.
Il n’y a pas de réel repère spatio-temporel mais l’aboutissement était inéluctable et l’on comprend, à la lecture de ce livre, que le génocide rwandais avait pris ses racines plusieurs dizaines d’années auparavant, se nourrissant dans un terreau de haine des Hutus envers les Tutsis alors que ces derniers avaient été à la tête du pays auparavant lorsque le pays était une colonie allemande : "Tu vois, Modesta, rien n'empêchera jamais les Tutsi de faire du trafic : même quand ils conduisent leurs filles pour la rentrée, il faut que ça leur rapporte.".
En ce sens, comme si la claque que représente l’ensemble du livre ne suffisait pas, la fin vient assommer le lecteur tant elle est criante de vérité, avec un désespoir clairement exprimé et annonciateur du massacre qui aura lieu quelques années plus tard mais également avec une lueur d’espoir, d’apaisement, de retour à la paix : "Je ne veux plus rester dans ce pays. Le Rwanda, c'est le pays de la Mort. [...] La Mort a établi son règne sur notre pauvre Rwanda. [...] Je reviendrai quand le soleil de la vie brillera à nouveau sur notre Rwanda. J'espère que je t'y reverrai.".

"Notre-Dame du Nil" est un livre qui démontre clairement qu’au-delà de l’ordinaire, de la banalité d’une vie de pensionnat de jeunes filles, l’indicible et l’horreur ne sont jamais loin, tapis dans l’ombre et prêts à surgir au nom de soi-disant idéaux ethniques.
C’est aussi une formidable ouverture sur l’Afrique, la complexité de ce continent, à travers le prisme d’un pays : le Rwanda.
"Notre-Dame du Nil" est une lecture que je ne suis pas prête d’oublier et qui marque les esprits de façon permanente.


Livre lu dans le cadre du Prix Océans


mercredi 11 juillet 2012

Dix petits nègres de François Rivière et Franck Leclerq


Dix personnes que tout oppose se rendent en vacances sur l'île de Negre. Une à une, elles disparaissent. Faudra-t-il attendre qu'il n'en reste plus qu'une seule pour découvrir l'auteur des macabres mises en scène entourant les meurtres successifs ? Un huit clos terrible et pervers. (Emmanuel Proust)


Dans "Dix petits nègres" de François Rivière et Franck Leclerq on prend les mêmes et on recommence le jeu de massacre sur l’île du Nègre : "Ils trouveront sur l'île du Nègre, dix cadavres et un problème insoluble."

Il s’agit d’une transcription du roman policier d’Agatha Christie sous forme de bande dessinée.
Du point de vue des dessins, du choix des couleurs et des représentations des différents personnages je n’ai absolument rien à dire.
C’est beau d’un point de vue esthétique et agréable à regarder et à lire.
Les personnages sont conformes à l’idée que je m’en faisais.
Je trouve par contre que le contexte (meubles …) est un peu trop moderne par rapport à l’époque où se situe l’histoire.
J’ai eu l’impression qu’ils dataient de l’après Seconde Guerre Mondiale plutôt qu’avant.
Mais là où j’ai été déçue, c’est dans l’histoire et son passage de la forme de roman à celle de bande dessinée pourtant réalisée par le spécialiste français d'Agatha Christie : François Rivière.
Il y a beaucoup trop de raccourcis qui ont été pris et des ellipses à des moments mal choisis qui déséquilibrent l’histoire et finissent par lui faire perdre de sa puissance et de son suspens.
Par exemple pour le passé de Miss Brent, il est annoncé de façon brusque qu’elle a poussé au suicide une jeune fille à son service qui était enceinte.
Je me demande bien d’où cela sort puisqu’à aucun moment il n’est montré Miss Brent se confiant à qui que ce soit sur son passé.
Quant à la folie du Général MacArthur elle est totalement mise de côté.
Il aurait été plus judicieux selon moi de faire une bande dessinée plus conséquente, quitte à en faire deux tomes, plutôt qu’un seul volume d’à peine 50 pages.
Les auteurs s’appesantissent trop au début et accélèrent trop à la fin, alors que tout l’intérêt de cette énigme réside dans les meurtres et le casse-tête apparaissant comme irrésoluble à la fin.
La conclusion vient un peu comme un cheveu sur la soupe sans laisser mariner le lecteur et j’ai regretté que les auteurs ne consacrent pas plus de temps aux différents meurtres, certains étant liquidés en une image.
Le dernier meurtre est d’ailleurs expédié beaucoup trop rapidement, il n’y a pas le basculement dans la folie que le personnage de Vera Claythorne connaît dans le livre.
Elle revient dans sa chambre et se pend directement, alors que dans le livre elle est plus surprise d’y voir une corde et bascule progressivement dans la folie.
De plus, les auteurs ont choisi d’utiliser une autre traduction française de la comptine par rapport à celle du livre et je le regrette car je la trouve moins subtile sur certains aspects.

Visuellement réussie et de lecture facile, cette adaptation en bande dessinée de "Dix petits nègres" m’a toutefois déçue quant à l’adaptation de l’histoire et du scénario.
A lire en complément, mais cette bande dessinée n'affranchit pas de la lecture de l’œuvre originale d’Agatha Christie.


Livre lu en complément de la lecture commune organisée par isallysun

Dix petits nègres d'Agatha Christie


En a-t-on parlé de l’Île du Nègre! Elle avait, selon certains, été achetée par une star de Hollywood.Des journaux avaient insinué que l’Amirauté britannique s’y livrait à des expériences ultrasecrètes. Bref, quand ils reçurent –sans savoir de qui– cette invitation à passer des vacances à l’Île du Nègre, tous les dix accoururent. (Le Livre de Poche)


Agatha Christie est la reine incontestée du policier et "Dix petits nègres" est l’une des œuvres majeures de l’auteur et du genre policier du fait de son énigme casse-tête apparaissant comme irrésoluble.

Dans les années 1940, au mois d’août, dix personnes se retrouvent sur l’île du Nègre, dont huit ont été invitées par Mr ou Mrs O’Nyme ou par des relations.
Ces dix personnes ne se connaissent pas, elles n’ont rien en commun, jusqu’à ce qu’elles retrouvent toutes accusées d’un crime (direct ou indirect) par un enregistrement diffusé sur un gramophone.

Ce roman d’Agatha Christie est un huis clos se déroulant sur une île, plus précisément dans la seule maison présente.
Les hôtes sont absents et revêtent un caractère mystérieux, seuls Mr et Mrs Rogers, les intendants, sont présents sur l’île pour accueillir les hôtes, et même eux n’ont jamais rencontré le nouveau propriétaire de l’île.

Le thème principal de ce livre est bien entendu le crime.
Dès la première soirée un meurtre aura lieu et les crimes s’enchaîneront ainsi jusqu’à la toute fin du livre, créant ainsi une ambiance où l’angoisse monte crescendo et une intrigue qui jamais ne retombe.
Les crimes sont variés : empoisonnement, par balle, crâne fracassé, noyade, pour n’en citer que quelques uns, et sont tous élaborés consciencieusement, obéissant à un déroulement bien précis.
Leur point de départ est une comptine affichée dans chaque chambre et qui décrit de façon précise ce qui arrive à dix petits nègres.
Dans le salon se trouvent d’ailleurs des statues qui disparaîtront au fur et à mesure des meurtres.
Le sentiment d’angoisse est également bien exploité, montant crescendo et se faisant de plus en plus présent, créant une psychose parmi les personnages.

L’intrigue est menée de main de maître par Agatha Christie qui ballade le lecteur de supposition en supposition pour finir par le laisser pantois tant cette intrigue semble irrésoluble : "Dix cadavres et un problème insoluble, voilà ce qu'ils trouveront sur l'île du Nègre."
J’ai eu beaucoup de soupçons mais au final j’ai été surprise par le dénouement, d’autant que rien, ou si peu, ne laisse présager du coupable.
L’histoire est très prenante et même si je l’avais lue il y a plusieurs années je ne me souvenais que de certaines choses.
Il n’y a aucun temps mort, l’intrigue est truffée de rebondissements, la galerie de personnages est extrêmement diversifiée et, comme bien souvent chez Agatha Christie, reflète à peu près toutes les facettes de la société anglaise de l’époque.
Lire ce jeu de massacre sur une île est un agréable moment de lecture, d’autant plus que le lieu de l’action renforce l’atmosphère angoissante et la sensation que la mort rôde, prête à surgir à n’importe quel instant.
Et puis l'auteur a su saupoudrer son histoire d'une petite touche d'humour qui est le bienvenu : "Il n'y a que dans les romans que les gens promènent un revolver à tout bout de champ."

"Dix petits nègres" d’Agatha Christie est un classique du roman policier et s’est avec beaucoup de plaisir que je me suis lancée dans la redécouverte de cette œuvre.
Une intrigue puissante, beaucoup de suspens, une galerie de personnages haute en couleur, un style narratif incisif, autant de bonnes raisons de lire ou de relire ce roman.


Livre lu dans le cadre d'une lecture commune organisée par isallysun