50 ans qu'il vit ici, sur ce caillou, dans son vaisseau de granit. Bateau immobile qui ne l'emmène nulle part et qui ne rejoindra jamais aucun port... Et pourquoi quitter ce lieu alors que le monde au-delà de cette satanée ligne d'horizon fait si peur ? Où s'évader lorsqu'on n’a nulle part où aller ? Comment combattre la solitude et empêcher que ce silence perpétuel ne devienne assourdissant ?... Des années passées sur son rocher, avec l'imagination comme seule compagne... (Vents d'Ouest)
Lire "Tout seul" de Chabouté, c'est plutôt regarder les dessins qui expriment à eux seuls une histoire, car il n'y a quasiment aucun dialogue et peu de personnages.
Lire "Tout seul" de Chabouté, c'est découvrir une bande dessinée qui présente des sentiments forts telle que la tendresse, ainsi que de l'humour avec peu de dialogues, chapeau l'artiste !
Lire "Tout seul" de Chabouté, c'est découvrir la routine du quotidien sublimé par des moments de rêverie intense.
Lire "Tout seul" de Chabouté, c'est découvrir un homme renfermé qui sort de prison et vient de s'engager sur un chalutier avec un patron exigeant et bavard : "Tu as beau être nouveau dans la région, n'oublie pas qu'à bord c'est moi qui donne les ordres !! Et que si tu tiens à garder ce boulot va falloir que tu apprennes à écouter ce que je te dis !", et qui se met à s'intéresser à l'intrigant habitant du phare que personne n'a jamais vu et qui pourtant récupère chaque semaine les vivres déposés par le chalutier.
Lire "Tout seul" de Chabouté, c'est apprendre toute la beauté qu'il peut y avoir dans le silence et que parfois les questions sont inutiles : "Ici, on ne s'occupe pas des affaires des autres et on aime encore moins ceux qui posent trop de questions.".
Mais surtout, lire "Tout seul" de Chabouté, c'est découvrir un personnage qui n'a rien connu d'autre de sa vie que le phare dans lequel il est né et vécu toute sa vie : "Il n'a jamais connu autre chose que sa tour de pierre et la ligne d'horizon !".
Elle est très étonnante, je l'ai ouverte sans aucun a priori et j'ai été frappée par toutes les émotions qu'elle véhicule, par son côté extrêmement visuel et vivant, je pense notamment aux nombreux dessins de la mouette qui tournoie autour du phare et qui permet au lecteur de le découvrir sous tous les angles, il est presque difficile d'en parler tant les dessins contiennent des messages subliminaux.
Mais il me semble que le message fort qui se dégage de l'ensemble est qu'il en faut peu pour être heureux et que bien souvent nous sommes superficiels à nous arrêter à des gadgets sans voir les beautés qui nous entourent, c'est assez bien illsutré avec l'arrivée de touristes sur le phare et où l'homme largue la fille après une énième dispute et finit par venir la récupérer en fin de journée pour aussitôt commencer à se disputer, c'est l'arrivée de la futilité dans le monde pur, vierge et préservé de cet homme qui a passé son existence dans le phare en se contentant de peu et des trésors ramenés avec sa canne à pêche.
La solitude de ce personnage se ressent extrêmement bien, tout comme son cheminement intérieur qui va le pousser à découvrir autrui et ailleurs, à aller plus loin que la ligne d'horizon de son phare qui reste immuable en place : "Un navire de pierre immobile ... un bateau de granit qui ne tangue pas ... il ne nous emmène nulle part ... il n'accoste jamais ... à bord d'un phare, on ne rejoint jamais aucun port.".
Je l'ai trouvé touchant et ce n'est peut-être pas plus mal que l'auteur ait ménagé le lecteur en attendant longtemps avant de lui montrer physiquement cet homme que l'on ne fait que deviner et apercevoir.
J'aime aussi le suspens que l'auteur a su créer en représentant le phare la nuit avec un bruit dont le lecteur ne découvre l'origine que plusieurs dizaines de pages après.
L'explication, qui est d'ailleurs la réponse à la question posée par le matelot, à savoir ce qu'il peut bien faire de ses journées, en est à la fois simple, belle et de grande portée : ouvrir un dictionnaire au hasard, lire la définition d'un mot lui aussi choisi au hasard et l'imaginer.
Du côté des dessins, les planches alternent gros plans et plans éloignés, j'ai énormément apprécié cette mise en oeuvre très théâtrale et cinématographique.
Les dessins pourraient apparaître comme simplistes mais ils sont en fait très travaillés, et l'utilisation uniquement du noir et blanc renforce la beauté et la portée de cette oeuvre.
J'ai découvert un auteur et j'ai surtout découvert un univers, ce fut une très belle rencontre et un très bon moment littéraire.
Je n'aurais jamais cru découvrir en bande dessinée le savant mélange de Quasimodo habitant dans une tour en reclus telle Raiponce, et que le conte de fée ait une fin heureuse, c'est pourtant ce tour de force que réalise Christophe Chabouté avec ce très joli roman graphique que je vous invite à lire de toute urgence.
Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices 2015