jeudi 2 juillet 2015

Réparer les vivants de Maylis de Kerangal


«Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps.» Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour. (Verticales)

"Réparer les vivants", c'est à la fois le roman d'une vie mais aussi d'une mort, le roman d'une renaissance en quelque sorte.
Simon est jeune, il profite de la vie et du surf avec ses amis, mais c'est l'accident, l'hôpital, le coma, celui dont on ne se réveille pas, ses parents à son chevet qui se retrouvent à devoir prendre une décision vite, très vite : acceptent-ils que les organes de leur fils soient prélevés pour être transplantés et permettre à d'autres personnes de continuer à vivre ?
En somme, acceptent-ils d'achever leur fils pour permettre à des inconnus de continuer à vivre ?

"Enterrer les morts et réparer les vivants.", voilà l'idée centrale autour de laquelle est bâtie ce roman choral, ce roman sur la transplantation d'un cœur.
C'est le parcours de ce cœur que nous propose de suivre Maylis de Kerangal, avec ses mots à elle mais surtout ses recherches et le temps qu'elle a passé auprès de médecins pour apprendre, savoir comment cela se passe, et retranscrire toutes les émotions qui habitent et agitent les différents protagonistes.
Et en cela, elle y arrive à merveille.
Elle parle de Simon, puis de ses parents, de cette mère qui ne comprend pas tout de suite que l'attitude de sommeil de son fils cache en réalité une mort certaine et inéluctable : "Le crâne de Simon est couronné d'une bande, la face est intacte, oui, mais son visage est-il toujours là ? La question l'assaille tandis qu'elle examine le front de son enfant, la côte de l'arcade, le tracé des sourcils, la forme des yeux sous les paupières - le petit espace de peau dans le coin intérieur de l’œil, lisse et concave - tandis qu'elle reconnaît le nez fort, les lèvres ourlées, charnues, le creusé des joues, le menton bardé d'une barbe fine, oui tout cela est présent, mais le visage de Simon, tout ce qui vit et pense en lui, tout ce qui l'anime, tout cela va-t-il revenir ?", qui espère et qui finit par se résigner.
Elle parle beaucoup des parents, des idées qui leur traversent l'esprit au moment de prendre une décision, sans doute la plus grave et la plus importante de toute leur vie, de cette incompréhension qu'ils ont face à un Simon endormi, sans séquelles apparentes et qui pourtant ne se réveillera plus : "Comment pourraient-ils seulement penser la mort de leur enfant quand ce qui était un pur absolu - la mort, l'absolu le plus pur justement - s'est reformé, recomposé, en différents états du corps ?", comment des parents peuvent-ils envisager la mort de leur enfant ? Y faire face ?
Ce n'est pas dans l'ordre des choses, et j'ai trouvé que Maylis de Kerangal traitaient assez justement de toutes les questions qui agitent leur esprit; et qu'elle n'ignorait pas non plus le point de vue du receveur, cette femme à des milliers de kilomètres qui s'apprêtent à recevoir un cœur pour pouvoir continuer à vivre, qui a attendu la mort d'une personne qui lui demeurera à jamais inconnue pour sa vie à elle puisse se poursuivre : "Ce qui la tourmente, c'est l'idée de ce nouveau cœur, et que quelqu'un soit mort aujourd'hui pour que tout cela ait lieu, et qu'il puisse l'envahir et la transformer, la convertir - histoires de greffes, de boutures, faune et flore.".
Avec la mort on peut donner la vie, c'est en quelque sorte le message qui se dégage de ce très beau roman.
J'ai souvenir que ce thème a été abordé au cinéma par Pedro Almodovar, mais pas en littérature.
Il fallait sans doute toute la justesse et la beauté de la plume de Maylis de Kerangal pour y parvenir.
J'ai découvert cette auteur avec "Naissance d'un pont" depuis, c'est toujours avec grand plaisir que je lis ces romans avec son style reconnaissable mais toujours juste.
A croire d'ailleurs qu'elle aime écrire du roman choral, c'est en tout cas un style qui lui réussit.

Que dire d'autres sur ce roman ?
Rien, à part qu'il est beau, qu'il est vivant, qu'il transporte, qu'il ne tombe jamais dans le voyeurisme et le tragique, qu'il mérite toutes les louanges et les prix reçus, et qu'il serait vraiment dommage de passer à côté d'une si belle tranche de littérature.

4 commentaires:

  1. Visiblement cette lecture n'était pas pour moi , j'ai abandonné, ce qui est très très rare pour moi.

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    1. Peut-être que ce n'était pas le bon moment non plus, cela arrive parfois.

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  2. Je suis moins enthousiaste que toi comme tu l'as lu ;)
    Mais cela ne m'empêchera pas de continuer à suivre Maylis de Kerangal.

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    1. J'ai réussi à rentrer dedans, ce n'était peut-être pas évident je le reconnais. J'avais été un peu déroutée par "Naissance d'un pont", ma première lecture de cette auteur.

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