mardi 1 mai 2012
Les guichets du Louvre de Roger Boussinot
Paris, 16 juillet 1942. Un jeune étudiant provincial s'apprête à quitter Paris pour rejoindre la maison familiale. Mais la visite d'un camarade de classe va tout changer. On lui propose une mission. La marche à suivre semble simple. Agir, au nom d'un idéal. Mettre à l'abri le maximum de femmes et d'enfants juifs, les convaincre d'arracher leur étoile jaune ; les faire passer sur la rive gauche : simplement franchir les guichets du métro Louvre. En toute humilité, Roger Boussinot raconte sa propre histoire. Il se souvient comme il était difficile d'aborder une inconnue dans la rue, comme il était impossible d'expliquer qu'il ne fallait pas se fier à la police française. Il se souvient qu'il plut, un peu avant quatorze heures, ce jour-là. Et que ses vacances n'auront finalement attendu que quelques heures, le temps qu'ait eu lieu ce qu'on appellera plus tard la "Rafle du Vel d'Hiv". (Gaïa)
"Madame, je suis étudiant, je ne suis pas juif, et je peux vous aider à passer les barrages : ils ne demandent pas leurs papiers aux femmes accompagnées. Voulez-vous ? ..."
C'est l'une des accroches auxquelles Roger Boussinot a réfléchi en ce matin du 16 juillet 1942 afin d'essayer de sauver ne serait-ce qu'une personne de la grande rafle en cours sous Paris désignée par le nom de code "Vent printanier" mais que l'Histoire a retenu sous celui de "Rafle du Vel d'Hiv".
Parce que l'une de ses connaissances est venu chez lui en ce matin du 16 juillet 1942 et lui a demandé de l'aider, Roger Boussinot décide d'ajourner son départ pour la maison familiale.
Sa mission est d'essayer de sauver un maximum de gens possibles, femmes et enfants notamment, arrêtés en cette journée du 16 juillet 1942 par la police française pour le motif qu'ils sont juifs, et pour cela les faire passer sur la rive gauche en leur faisant franchir les guichets du métro Louvre.
En se préparant, Roger Boussinot envisage différentes phrases qu'il pourra dire pour essayer de convaincre les gens de le le suivre, lui, un parfait inconnu : "La démarche est très simple. Avec un enfant, ce serait plus compliqué : un enfant ne suit pas n'importe qui, à moins qu'il n'ait conscience du danger réel. Je commencerais alors par : "Ecoute, petit ...", mais je n'ai aucune chance s'il n'a pas au moins une dizaine d'années."
Pour lui, "Il me semble que cela serait le plus dur : demander d'enlever l'étoile. Prononcer le mot juif, aussi. C'est-à-dire faire remarquer ce qui pour certains est aujourd'hui une tare, une marque, presque une infirmité."
Mais le plus difficile, ce sera tout cela, mais par dessus tout d'aborder les gens dans la rue, de les mettre en confiance, de leur expliquer ce qui est en train de se passer et qu'il ne faut surtout pas rentrer chez soi, surtout pas se fier à la police française.
Roger Boussinot revient avec "Les guichets du Louvre" sur sa propre histoire qui a croisé celle de la grande Histoire en ce jour de juillet 1942.
De façon très pudique, il raconte cette journée, la façon dont il l'a vécue, et quels sont les sentiments qui l'ont habité tout au long de cette journée et en fonction des évènements qui la jalonneront.
Il sera tenté de tout laisser tomber vers le milieu de la journée, puis il se ressaisira.
Quand enfin il réussira à convaincre une jeune fille de rester avec lui, il n'en pourra plus à la fin de journée : "Eh bien oui, je me l'avouais : qu'elle s'en aille maintenant où elle voudra, qu'elle me laisse. J'en ai marre. Marre d'elle. Marre de décider, de marcher, de discuter, d'avoir peur. Marre de la chaleur, de la police, de me trouver encore à Paris, de n'être pas à l'aise dans ma peau. Marre des Juifs ...", mais il le précisera lui-même : "N'oubliez pas combien nous étions jeunes.", comme si quiconque pourrait lui jeter la pierre d'avoir eu de telles pensées.
C'est l'une des forces de ce témoignage, la franchise de Roger Boussinot.
Il n'a pas peur de mettre des mots sur les pensées qui lui ont traversé l'esprit en ce jour et cela rend cette lecture encore plus humaine et ne fait jamais perdre à l'esprit du lecteur que le narrateur est un homme, un simple homme qui ce jour-là a essayé de faire quelque chose, d'agir au nom d'un idéal.
J'ai apprécié la lecture de ce témoignage qui offre une nouvelle vision sur la première journée de cette rafle.
Ce livre a un petit quelque chose de bien particulier, de bien à lui, sans doute parce qu'il a été écrit par une personne ayant vécu l'évènement de l'intérieur, mais pas avec les yeux de personne victime de cette rafle ou de policier, simplement avec les yeux d'un jeune étudiant qui s'est un peu trouvé malgré lui emmené dans le tourbillon de cette grande rafle.
Le style narratif n'a rien de particulier, il s'agit d'un récit et à aucun moment il n'est possible au lecteur de penser le contraire, puisque l'auteur intervient régulièrement, faisant ainsi part de ses sentiments au moment de la rédaction de son propre vécu.
Il a sans doute eu du mal à coucher sur papier son récit et il ne s'en cache pas.
Tout comme il a eu du mal ce jour-là à aborder des inconnu(e)s dans la rue, car il était à l'époque un jeune homme timide, pas forcément très sûr de lui, et il se retrouvait à devoir trouver en quelques instants les mots nécessaires pour convaincre une personne de le suivre et résumer la criticité de la situation.
A noter la note en post scriptum, très intéressante, de Roger Boussinot qui revient sur la genèse de ce récit et qui rappelle les différentes censures auxquelles a été soumise son histoire : tout d'abord la sienne, celle de revenir sur ce tragique évènement; celle de l'Histoire qui pendant près de deux décennies ne voudra entendre parler de rien; et enfin celle des maisons d'édition pour rééditer cet ouvrage.
Je précise d'ailleurs à cet effet que cela faisait longtemps que j'attendais la réédition de ce livre et je commençais à ne plus trop y croire.
J'ai énormément de mal à concevoir qu'une maison d'édition ne veuille rééditer un récit d'une telle qualité et d'une telle importance.
J'attendais depuis longtemps de pouvoir enfin lire "Les guichets du Louvre", le témoignage de Roger Boussinot sur son action en cette journée du 16 juillet 1942.
Son récit offre une vision nouvelle et intéressante de cet évènement tout en restant très pudique, une vraie réussite et un témoignage rare qu'il est utile de connaître, de lire et de faire connaître.
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