Il faut bien le reconnaître, la
saison 1 d’"Un village français" a servi à planter le décor,
présenter les personnages, en quelque sorte, une phase de test.
La saison 2 est venue renforcer et
créer de façon définitive une addiction des spectateurs à cette série. La
montée en puissance était achevée, et c’est donc tout logiquement qu’une
troisième saison a eu lieu.
Cette troisième saison couvre, comme
la deuxième, l’année 1941, la période de septembre à novembre.
Changement complet de la part des
scénaristes, cette fois-ci la saison comporte 12 épisodes et non plus 6, elle
s’attache à couvrir une période serrée et définie de l’Histoire et surtout, il
y a de véritables cliffhangers finals permettant ainsi d’ouvrir l’histoire vers
une quatrième saison, ce qui faisait quelque peu défaut à la fin de la deuxième
saison.
La seule erreur vient de la
programmation un dimanche soir, une faute de goût de la part de France
Télévisions qui malheureusement fera perdre en audience cette série.
C’est d’ailleurs l’un des points
reprochés au cours des trois premières saisons : l’impossibilité des
programmateurs à s’entendre sur une date de diffusion : première saison le
jeudi soir, deuxième le mardi, troisième le dimanche.
Il y a de quoi perdre des
téléspectateurs avec une diffusion aussi aléatoire.
Cette troisième saison est remarquable
sur bien des niveaux.
Tout d’abord il y a eu un changement
dans le scénario et cette fois-ci presque chaque fin d’épisode comporte un suspens qui donne immédiatement
envie d’enchaîner sur l’épisode suivant.
Et puis, à la fin de la deuxième
saison, les scénaristes se sont attachés les services de Violaine Bellet,
spécialiste de la psychologie appliquée aux créations de fiction, et autant le
dire, les personnages y ont fortement gagné en dimension psychologique.
Cette troisième saison met l’accent
sur 2 points historiques importants : le maire, Daniel Larcher, se
retrouve à devoir gérer une situation d’otages, à savoir qu’il doit lui-même
fournir la liste des otages qui seront exécutés si le "terroriste"
communiste préparant un attentat sur Villeneuve n’est pas démasqué ; les
épisodes s’attachent à montrer le fonctionnement d’une cellule communiste de
l’intérieur, où les membres vont devoir suivre la ligne du Parti, à savoir tuer
des officiers allemands.
Ce deuxième point est relativement
intéressant et offre les quelques touches d’humour de cette série, car
certaines situations en deviennent cocasses (dans le bon sens), mais
paradoxalement, il offre aussi les quelques scènes un peu trop longues.
Mais il faut le reconnaître, il y a
un manque d’objectivité de la part d’un des scénaristes puisque celui-ci a été
élevé dans une famille communiste, ce qui explique la part belle faite à ces
personnes et la quasi absence du curé du village.
Du côté des personnages, cette saison
offre la part belle à celui de Marcel Larcher, présent dans tous les épisodes
et détenant l’un des rôles principaux de la saison. Les scénaristes l’ont même
transporté, l’espace d’un épisode avec son frère Daniel, en dehors de
Villeneuve pour voir leur père mourant.
Certains sont mis en retrait,
notamment Marie Germain ou De Kervern, mais c’est logique et normal car ils ont
manqué de se faire prendre en fin de deuxième saison et ils ont plutôt intérêt
à se faire discret pendant un moment avant de reprendre leurs activités de
résistance.
D’autres par contre explosent
littéralement l’écran et prennent une toute autre dimension, je pense notamment
à Hortense Larcher ou à celui de Heinrich Müller qui de personnage secondaire
devient non seulement personnage principal mais en prime réussit à s’attirer la
sympathie des téléspectateurs ; ou encore Jeannine Schwartz qui commence,
enfin, à s’imposer dans la population et à faire entendre sa voix (il faut dire
que de modérer sa descente d’alcool lui permet aussi d’être plus présente voire
présentable).
Certains se font désirer, comme Jean
Marchetti, mais c’est voulu et son retour en milieu de saison est plus que
bienvenu, d’autres prennent de l’envergure, comme Jules Bériot et certains font
leur apparition : Albert Crémieux qui sera "aryanisé" par
Raymond Schwartz et dont on sent qu’il y a du potentiel pour la prochaine
saison tandis que d’autres restent fidèles à eux-mêmes, notamment Lucienne
l’institutrice ou Daniel Larcher, le médecin et maire de Villeneuve.
Cette troisième saison, c’est aussi
celle où explosent les sentiments amoureux et les relations, certaines plus
improbables que d’autres.
L’un des fils principal est la
relation se nouant entre Suzanne et Marcel, Suzanne en quête perpétuelle d’un
petit geste gentil, d’une attention. Elle quémande, elle ment un peu parfois
mais ça fait son charme, toutefois on sent que cette relation ne pourra pas
durer, déjà parce que c’est contraire à la ligne du Parti et aussi parce que le
mari de Suzanne est prisonnier de guerre, une relation adultère était très mal
vue à cette époque.
Il y a aussi en toile de fond les
amours que je qualifierai de champêtres entre Raymond Schwartz et sa métayère
Marie Germain.
A travers deux relations amoureuses,
les scénaristes ont mis en avant les relations sentimentales de femmes avec l’Occupant.
Il y a tout d’abord Lucienne
l’institutrice avec Kurt, un soldat de la Wehrmacht, dont elle attendra un
enfant, permettant ainsi aux scénaristes d’aborder les enfants nés des amours
franco-allemand. Cette relation est la plus fleur bleue qui soit, dans le sens
où il s’agit de deux très jeunes gens qui tombent amoureux l’un de l’autre
durant cette période troublée, alors que ni l’un ni l’autre n’avait demandé
quoi que ce soit pour y être mêlé. Il faut bien le reconnaître, cette histoire
a séduit toutes les midinettes qui sommeillaient dans les téléspectatrices. Et
cela a aussi été l’occasion d’évoquer la réalité de l’avortement dans les
années 1940, car Lucienne cherchera dans un premier temps à se débarrasser de
cet enfant.
Et surtout, il y a la relation
amoureuse (car oui, pour moi c’en est bien une) entre Hortense Larcher et
Heinrich Müller. Notre femme de médecin, malheureuse dans son mariage avec un
homme plus âgé qu’elle qui l’infantilise, en manque d’enfant comblé par
l’adoption de "Tequiero", est en dépression, il n’y a pas d’autre
mot.
De plus, elle est imprévisible, elle
agit sur l’instinct du moment, sans jamais penser à mal. Elle n’est pas
calculatrice, elle a une forme d’adolescence, elle a des rêves et des envies
qui ont sans doute été bridés depuis toujours et là elle peut enfin s’exprimer
et vivre des choses.
Elle est entière : quand elle
est avec son amant elle se donne à 100%, pareil quand elle est avec son enfant,
son geste final prouvant d’ailleurs la fragilité psychologique du
personnage : c’est une cocotte-minute prête à exploser à tout instant, et
elle ne fait pas les choses à demi-mesure.
Elle est malheureuse dans sa vie (et
son mari est plutôt mou et indécis, c’est un humaniste et elle l’admire pour
cela, il fait figure d’un père pour tous à commencer par elle, mais il n’est
clairement pas fait pour elle), alors elle avait pris comme amant Jean
Marchetti la saison dernière, mais là c’est vers un homme beaucoup plus
dangereux qu’elle ira : Heinrich Müller, un SS chef du SD (le service de
renseignement), un homme puissant, cultivé, qui la fascine certainement autant
qu’il l’effraye.
Entre les deux, c’est plutôt enflammé
et ce dès le premier épisode, il n’y a qu’à voir cette formidable scène du
dîner entre notables où Heinrich Müller dévore des yeux Hortense, où celle-ci
sans complexe lui demande de raconter sa blessure de guerre et où ce dernier
s’exécute.
Ce qui fera demander au sous-préfet
Servier à Daniel Larcher si tous les deux se connaissaient avant le repas tant
ils semblent proches.
Car Heinrich Müller ne respecte pas
vraiment le savoir-vivre, en tout cas il est libre, il dit ce qu’il pense sans
détour que ce soit pour ce qu’il veut ou ce qu’il va faire.
Il offre à Hortense tout ce que
Daniel est incapable de lui proposer, il ne l’infantilise pas, il n’est pas du
tout dans une relation paternelle avec elle, au contraire il vit avec elle un
amour passionné car il la voit femme avec ses yeux et Hortense le ressent ainsi,
sans doute trop puisqu’il finit par la torturer pour essayer de lui soutirer
des informations et que j’ai ressenti comme un regret lorsqu’il est muté sur le
front de l’Est à la fin de la saison.
C’est là un tour de force des
scénaristes, ce personnage avait tout pour être détestable : c’est un nazi
convaincu, il est chef du renseignement et pratique la torture pour obtenir des
informations.
Certes, il présentait une faiblesse
en deuxième saison ainsi qu’en début de troisième : il est dépendant de la
morphine suite à une blessure de guerre qui le fait souffrir par moment ;
mais là les scénaristes ont humanisé ce personnage et c’est presque plus dur de
penser que même derrière les nazis ou les bourreaux il n’y a que des hommes que
de les détester tout simplement.
Je trouve ce personnage fascinant, il
prend un côté humain car les scénaristes le confrontent à un sentiment inconnu
de lui jusque là : il va être amoureux d’une femme, lui qui se croyait
sans doute insensible et immunisé à tout il se retrouve en quelque sorte
désarmé et subit cet amour qui l’enverra, en partie, sur le front de l’Est.
Cela n’enlève rien à sa perversité,
mais cela a créé une empathie avec le téléspectateur à tel point que chacun
espère qu’il va revenir la saison prochaine.
Au-delà de ces personnages
extrêmement travaillés psychologiquement, il y a des acteurs formidables, au
jeu toujours juste.
Audrey Fleurot explose en Hortense
Larcher, elle montre toutes les subtilités de son personnage, quant à Richard
Sammel il est tout simplement génial dans sa prestation de Heinrich Müller et
les scènes entre ces deux acteurs fonctionnent à merveille.
Emmanuelle Bach est plus vraie que
nature dans le rôle de cette pétainiste convaincue, François Loriquet prend de
l’envergure avec le personnage de Bériot, quant à Marie Kremer elle arrive
toujours à jouer juste le personnage de Lucienne pourtant pas si évident (elle
est apathique et passe bien souvent pour une idiote).
Nicolas Gob campe un Jean Marchetti
que l’on aime à détester et à traiter d’ordure, la fraternité à l’écran entre
Robin Renucci et Fabrizio Rongione transparaît bien, Nade Dieu prête toujours
aussi bien ses traits à Marie Germain ainsi que Thierry Godard à son amant.
Sans doute le fait que la plupart de
ces acteurs sont issus du théâtre n’est pas étranger au fait que leur jeu est
plaisant à regarder et toujours sans faute.
Cette troisième saison offre des
scènes remarques et délicieuses à regarder, ne serait-ce que dans le premier
épisode avec ce dîner de notables.
Il y a de très belles scènes, de
magnifiques confrontations entre les personnages, le point d’orgue étant, entre
autres, le dialogue entre Sarah emprisonnée et Daniel Larcher pour qui elle
travaillait comme servante. Son discours est d’une vérité troublante et ouvrira
en partie les yeux de Daniel Larcher, mais ce n’est pas non plus pour cela
qu’il changera quelque chose à son attitude. Il s’enfonce dans une
collaboration un peu poussé par les évènements, sans trop chercher à se
révolter, à agir ou à faire évoluer les choses.
Mais c’est en cela qu’ "Un
village français" est une série puissante, elle ne cherche pas à montrer
exclusivement des héros et des salauds, elle montre juste des gens ordinaires
confrontés à des choix et fait s’interroger tout le monde sur la façon dont on
aurait agi.
Rien n’est aussi tranché ou aussi
facile, rien non plus n’est décidé à l’avance, d’ailleurs Raymond et Hortense
survivront-ils ?
Les thèmes abordés dans cette saison
le sont toujours de façon intelligente, bien documentée et tout en nuance, et
cela fait d’"Un village français" une série ambitieuse et extrêmement
plaisante à regarder.
Détail des épisodes
1) Le
temps des secrets (28 septembre 1941)
2) Notre
père (17 octobre 1941)
3) La
planque (19 octobre 1941)
4) Si
j'étais libre (20 octobre 1941)
5) Le
choix des armes (23 octobre 1941)
6) La
java bleue (25 octobre 1941)
7) Une
chance sur deux (26 octobre 1941)
8) Le
choix (27 octobre 1941)
9) Quel
est votre nom ? (28 octobre 1941)
10) Par
amour (29 octobre 1941)
11) Le
traître (31 octobre 1941)
12) Règlements
de comptes (1er novembre 1941)
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