«La guerre de Troie n'aura pas lieu», dit Andromaque quand le rideau s'ouvre sur la terrasse du palais de Priam. Pâris n'aime plus Hélène et Hélène a perdu le goût de Pâris, mais Troie ne rendra pas la captive car pour tous les hommes de la ville «il n'y a plus que le pas d'Hélène, la coudée d'Hélène, la portée du regard ou de la voix d'Hélène », et les augures eux-mêmes refusent de la laisser partir. Hector, pour Troie, et Ulysse, pour la Grèce, tentent à tout prix de sauver la paix. Mais la guerre est l'affaire de la Fatalité et non de la volonté des hommes. La guerre de Troie aura lieu. Pièce en deux actes, La guerre de Troie n'aura pas lieu a été représentée pour la première fois le 22 novembre 1935 au Théâtre de l'Athénée, sous la direction de Louis Jouvet. Son succès fut éclatant et immédiat et ne s'est jamais démenti depuis. (Le Livre de poche)
Jouée pour la première fois en 1935, "La guerre de Troie n’aura pas lieu" est une pièce de théâtre bâtie sur le
paradoxe et dont le titre même est paradoxal.
Les années 30/40 ont d’ailleurs été propices
à la revisitation moderne de pièces de théâtre de l’antiquité grecque par
plusieurs auteurs : Jean Giraudoux, Jean Cocteau, pour ce citer qu’eux.
A travers cette pièce de théâtre,
Jean Giraudoux dénonce tout d’abord la guerre, ayant lui-même été blessé à deux
reprises lors de la Première Guerre Mondiale il est un fervent défenseur de la
paix, mais il évoque également la crise de 1929 qui continue à se faire sentir
et la montée des extrémismes dans les pays européens, à l’aube de la Seconde
Guerre Mondiale.
Il dénonce la bêtise des hommes, leur
entêtement et établit un parallèle très intéressant entre la situation en
Europe où tous les pays sentent venir la guerre mais où aucun ne fait rien pour
l’arrêter et celle de l’Antiquité avec la guerre de Troie.
La pièce de théâtre est découpée en
deux actes et les personnages eux-mêmes sont découpés en deux clans : ceux
pour la paix (Andromaque, Hector, Cassandre notamment) et ceux pour la guerre
(Pâris, Priam, Démokos entre autres) avec au centre Hélène, qui ne sait pas ce
qu’elle veut et se laisse porter au gré des évènements.
Ne souhaitant pas se contenter de
traiter d’un sujet tragique, Jean Giraudoux y mêle également le registre de la
comédie, n’hésitant pas à mettre certaines scènes modernes et anachroniques (la
prise de la photo d’Hélène par exemple).
Pour le côté comique, j’aime
énormément les scènes avec les vieillards qui acclament Hélène et louent sa
beauté, mais uniquement avec des mots sans "r" puisqu’ils n’ont plus de dents.
C’est non seulement l’un des aspects
novateurs de cette pièce, mais c’est aussi l’un des atouts qui fait que je
l’apprécie énormément, avec également les jeux de scène que se permet l’auteur,
avec le rideau commençant à tomber à la fin pour se relever et laisser voir
Hélène et Troïlus s’embrassant derrière les Portes de la Guerre.
En arrière fond, la notion de destin
est toujours présente et c’est une bien malheureuse conclusion qu’en tire
l’auteur : c’est une force contre laquelle l’homme ne peut agir, et qui
résonne comme un écho prémonitoire pour l’embrasement à venir des pays
européens dans une guerre qui surpassera en horreur toutes les précédentes.
L’autre atout indéniable de cette
pièce de théâtre, c’est le nouvel éclairage qu’apporte Jean Giraudoux sur les
personnages.
Ainsi, Hector est un fervent
défenseur de la paix, n’hésitant pas à se laisser gifler par un Grec pour
éviter la guerre. Il est loin de l’image du guerrier que l’on peut sans faire.
Quant à Ulysse, ses intentions ne
sont pas claires.
Les femmes ne sont pas effacées et,
au contraire, n’hésitent pas à exprimer leur opinion et à chercher à influencer
les décisions des hommes.
C'est ainsi qu'Hécube dira cette phrase très juste : "Ce ne sont pas ceux qui font l'amour ou ceux qui sont la beauté qui ont à les comprendre."
Même les Dieux ne sont pas épargnés,
ils sont ridiculisés, l’un demandant qu’Hélène soit rendue aux Grecs sinon il y
aura la guerre et l’autre qu’Hélène ne soit pas rendue car sinon il y aura la
guerre, le summum étant atteint avec Iris, la messagère des Dieux qui oublie
son écharpe en partant.
Quant à la Paix, c’est malade qu’elle
apparaît à la fin du premier acte.
Cassandre est sans doute le personnage
le plus clairvoyant, au-delà de sa malédiction de s’exprimer par phrases
uniquement négatives elle sait bien que les dés sont jetés et que la guerre
aura bien lieu.
Elle représente en quelque sorte la
conscience de chacun.
Mais le personnage le plus
énigmatique est sans nul doute Hélène, à la fois frivole et incertaine, à la
limite écervelée, c’est la belle qui ne réfléchit pas par elle-même et obéit
aveuglément lorsqu’on lui demande de dire ou de faire quelque chose, qui dit
des hommes : "Je ne les déteste pas. C'est agréable de les frotter contre soi comme de grands savons. On en est toute pure ..." et de son amour pour Pâris : "Je suis aussi à l'aise dans cet amour qu'une étoile dans sa constellation.", mais finalement tout cela
n’est qu’apparence, elle est avec Cassandre le personnage ayant le plus
conscience de l’inéluctabilité de la guerre et a de belles phrases très justes : "L'humanité doit autant à ses vedettes qu'à ses martyrs."
Se clôturant sur le réplique suivante
de Cassandre : "Le poète troyen est mort ... La parole est au poète grec.", "La guerre de
Troie n’aura pas lieu" est une
pièce de théâtre résolument moderne et indémodable, riche d’anachronismes, de
mises en scène, d’un mélange savamment dosé entre tragédie et comique, dotée
d’une lecture à plusieurs niveaux et j’ai pris beaucoup de plaisir à la relire
et à la redécouvrir, cette fois-ci sous un œil moins académique que lors de mon
baccalauréat de français.
bienvenue au club pour le baccalauréat : je l'avais aussi à lire et j'ai relu cette pièce bien des années plus tard avec toujours autant de plaisir .
RépondreSupprimer@ Marie : j'avais aussi "Electre", "La machibe infernale" ..., d'ailleurs je suis allée rechercher toutes ces pièces pour les relire.
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