dimanche 22 juin 2014

Rue des voleurs de Mathias Enard


C’est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d’épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d’espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l’âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C’est avec elle qu’il va “fauter”, une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi. 
Commence alors une dérive qui l’amènera à servir les textes – et les morts – de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l’amour et les projets d’exil. 
Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l’auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l’heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s’embrase, l’Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l’énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d’un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d’improbables apaisements, dans un avenir d’avance confisqué, qu’éclairent pourtant la compagnie des livres, l’amour de l’écrit et l’affirmation d’un humanisme arabe. (Actes Sud)

"Rue des voleurs" est un roman de l'urgence, saisi par le vif et écrit ainsi, dont l'histoire est ancrée en plein cœur d'une actualité encore récente : le Printemps arabe.
Le style de Mathias Enard est percutant et dépouillé de toute fioriture, ainsi dès les premiers mots le ton est donné et le lecteur entre dans le vif du sujet : "Les hommes sont des chiens, ils se frottent les uns aux autres dans la misère, ils se roulent dans la crasse sans pouvoir en sortir, se lèchent le poil et le sexe à longueur de journée, allongés dans la poussière prêts à tout pour le bout de barbaque ou l'os pourri qu'on voudra bien leur lancer, et moi tout comme eux, je suis un être humain, donc un détritus vicieux esclave de ses instincts, un chien, un chien qui mord quand il a peur et cherche les caresses.".
La narration est faite du point de vue d'un jeune Marocain de Tanger qui, pour avoir fauté une seule fois avec sa cousine Meryem, va être chassé de chez lui, se retrouver à la rue pendant de longs mois avant d'être accueilli par une communauté religieuse qu'il quittera plus tard pour de nouveau errer dans Tanger avant de partir pour l'Espagne.
Cette histoire est profondément d'actualité et Mathias Enard a su retranscrire tous les espoirs et rêves mais aussi toutes les frustrations et les misères de cette jeunesse marocaine et plus généralement des pays arabes de la Méditerranée.
Si à nos yeux la faute du narrateur relève de l'inceste, cette frustration sexuelle se retrouve notamment en Egypte où les agressions contre les femmes sont de plus en plus nombreuses.
La raison : les hommes sont de plus en plus pauvres et ne peuvent se marier que de plus en plus tard.
Attention, je ne dis pas que cela excuse en quoi que ce soit ces agressions sexuelles, mais j'ai été frappée par la justesse des propos de Mathias Enard qui a su les retranscrire parfaitement.
Il a réussi à décrire sans porter de jugement toutes les frustrations d'une génération qui rêve d'ailleurs : de l'Europe, un Eldorado à leurs yeux qui se révèle finalement peu généreux, que ce soit en Espagne qui traverse une grave crise qu'en France ou en Italie.
Il est aussi question de l'embrigadement religieux de toute une jeunesse sans avenir qui trouve refuge dans la religion, une foi poussée à l'extrême et qui finit par commettre l'irréparable.
Il en est de même pour le narrateur qui trouve un temps refuge dans l'Islam : "J'avais l'impression de me réparer, de me défaire des souillures de mes mois d'errance.", tout en gardant son refuge initial : la lecture.
Ceci est un autre point fort de ce roman, le parallèle qui est fait entre la noirceur du quotidien vécu par Lakhdar et les romans noirs français qu'il prend plaisir à lire et à collectionner, qui le font rêver à la France, notamment à Marseille.
Au final, Lakhdar est un jeune homme tombé trop tôt dans le chaos de la vie et qui, quoi qu'il fasse, est impitoyablement broyé par les événements qui le ballottent d'un endroit à un autre pour toujours l'entraîner dans les ennuis : "L'inconscient n'existe pas; il n'y a que des miettes d'information, des lambeaux de mémoire pas assez importants pour être traités, des bribes comme autrefois ces bandes perforées dont se nourrissaient les ordinateurs; mes souvenirs sont ces bouts de papier, découpés et jetés en l'air, mélangés, rafistolés, dont j'ignorais qu'ils allaient bientôt se remettre bout à bout dans un sens nouveau.".

"Rue des voleurs" de Mathias Enard est le roman d'une jeunesse désenchantée et d'un Printemps arabe plein de promesses avortées dans l’œuf, un anti-conte oriental bouleversant qui ne peut que percuter le lecteur et le renvoyer face à lui-même.

Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices 2014


Livre lu dans le cadre du Plan Orsec 2014 pour PAL en danger


2 commentaires:

  1. J'ai particulièrement aimé cette lecture, la plus belle de toute la sélection.

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    1. Je n'ai pas encore tout lu donc je ne me prononce pas, mais j'ai beaucoup aimé ce livre et je vais le faire circuler autour de moi.

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