lundi 16 juillet 2012

1942–2012 – Les 70 ans de la Rafle dite du Vel’ d’Hiv’


Ces 16 et 17 juillet 2012 vont marquer une commémoration importante : les 70 ans de la plus grande rafle de Juifs en France.
Baptisée "Opération Vent Printanier", elle restera dans l’histoire sous le nom de Rafle du Vel’ d’Hiv’ pour l’un des lieux de détention qui sera le Vélodrome d’Hiver à Paris.

Bien trop souvent balayée et expédiée dans les cours d’histoire sous la forme d’une rafle de Juifs enfermés au Vel’ d’Hiv’ avant d’être déportés, il s’agit surtout d’une des pages les plus sombres de l’Histoire de France pendant la Seconde Guerre Mondiale.

La Rafle du Vel’ d’Hiv’, c’est quoi exactement ?

Cette rafle a été préparée depuis longtemps et fait suite à des premières rafles en 1941 mais qui n’avaient concerné que des hommes.
Au préalable, depuis 1940 tous les Juifs français étaient légalement fichés.


Rafle d’août 1941

Depuis la Conférence de Wannsee en janvier 1942, Adolf Eichmann organise des convois de déportation dans toute l’Europe. Il sollicite les représentants nazis des territoires occupés pour exécuter des rafles et organiser des convois vers Auschwitz.
En France, c’est le  SS Obersturmfüher Danneker, chef du service juif du SD en France occupée de fin juin 1940 à juillet 1942, sous les ordres du général Oberg, chef des SS et de la police allemande en France, qui est chargé d’organiser la rafle.
Le 4 juillet a lieu au siège de la Gestapo à Paris une première rencontre entre les colonel et capitaine SS Knochen et Dannecker, René Bousquet, secrétaire général de police nationale accompagné de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives.
Ainsi, Dannecker négocie avec la police française qui accepte de collaborer et d’organiser seule la rafle.
Une deuxième rencontre se tient le 7 juillet en compagnie de Jean Leguay, adjoint de Bousquet, accompagné, entre autres, du directeur de la police générale, d’Emile Hennequin,  directeur de la police municipale, d’André Tulard, chargé des questions juives à la préfecture.
La rafle est prévue pour le 13 juillet 1942, des dérogations sont prévues pour les femmes en état avancé de grossesse ou allaitant de jeunes enfants, les enfants de moins de 15 ou 16 ans seront confiés à l’UGIF – Union Générale des Israélites de France, tout cela après un tri organisé dans les centres de rassemblement pour ne pas perdre de temps.
Le 10 juillet 1942, le SS Dannecker s’entretient avec Adolf Eichmann, tandis qu’une réunion se tient le même jour au siège du Commissariat Général aux Questions Juives – CGQJ, en compagnie des SS Dannecker, Röthke, Ernst Heinrichsohn, de Jean Leguay, Pierre Gallien, adjoint de Darquier de Pellepoix, quelques cadres de la préfecture de police ainsi que des représentants de la SNCF et de l’Assistance Publique.
La rafle vise les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchèques, russes, et les indéterminés de tous âges.
Du retard est pris et malgré le fait que la fête nationale du 14 juillet ne soit pas célébrée en zone occupée, les autorités allemandes la décalent au 16 juillet 1942 pour ne pas s’attirer la vindicte populaire.

Des rumeurs circulant depuis quelques jours et les précédentes rafles n’ayant concerné que les hommes, certains se cachent pour éviter la rafle, pensant que leur femme et leur(s) enfant(s) ne risquent rien.

A partir du 16 juillet 1942 de bonne heure le matin, la police française et les gendarmes français débarquent chez les juifs visés par la rafle dont des listes ont été établies à partir du recensement (les fichiers) et arrêtent indifféremment hommes, femmes, enfants, y compris les malades, pour les conduire dans un premier temps dans des centres de rassemblement.

Cette rafle dura 2 jours dans Paris et la proche banlieue.

La machine infernale de mise à  mort était en route.

Et après les arrestations, que s’est-il passé ?

Dans les centres de rassemblement, une sélection s’opère.
Pour procéder aux acheminements après la sélection, une cinquantaine d’autobus de la compagnie du métropolitain ont été réquisitionnés avec leurs conducteurs.

Les hommes, femmes, en couple sans enfant ou célibataires sont envoyés dans le camp de transit de Drancy.
Ils y resteront jusqu’à leur départ en déportation à Auschwitz dans les jours suivants de leur arrivée.
Cela concerne 1 989 hommes et 3 003 femmes.

Le camp d’internement de Drancy, dans le quartier d’habitation HBM dite la « cité de la Muette », est en fonctionnement depuis août 1941 et sera la plaque tournante de la déportation vers les camps de la mort jusqu’en août 1944.
A partir de 1942, Drancy passe de camp d’internement à camp de transit.
L’édifice dans lequel le camp fut établi était en cours de construction, seul le gros œuvre était achevé.
Comportant 4 étages, il était bâti autour d’une cour d’environ 200 mètres de long et 40 mètres de large. La forme du bâtiment, surnommé le « fer à cheval », se prêta facilement à sa transformation en camp d’internement : des miradors furent installés aux quatre coins de la bâtisse, dès lors entourée de barbelés, tandis que le sol de la cour fut tapissée de mâchefer.


Camp de Drancy

Quant aux hommes, femmes, en couple avec enfant(s), ils sont acheminés au Vélodrome d’Hiver et resteront parqués dans son enceinte pendant plusieurs jours (presqu’une semaine).
Cela concerne 1 129 hommes, 2 916 femmes et 4 115 enfants.

Le Vélodrome d’Hiver n’est pas une nouveauté comme lieu d’internement de personnes raflées puisque le 15 mai 1940 a lieu une rafle perpétrée sous la IIIe République de femmes citées comme « indésirables » dans les décrets du 12 octobre 1938.
Il s’agit essentiellement de femmes juives allemandes antinazies, qui ont fui les persécutions du nazisme dans les années 30 et sont venues trouver asile en France.
Le Vélodrome est conçu pour accueillir des manifestations sportives, notamment des courses cyclistes, et non pas des familles entières.
Pour resituer le contexte, il fait très chaud en ces 16 et 17 juillet 1942, le Vélodrome a une coupole de verre en toiture, ce qui le transforme en serre, les toilettes sont rapidement bouchées et c’est une odeur pestilentielle qui se répand très vite dans ce lieu au vacarme incessant (enfants qui jouent ou pleurent, personnes à la recherche d’un proche, appels dans les interphones …).
C’est dans ces conditions que vont vivre plus de 8 000 personnes durant cinq jours, sans nourriture et avec un seul point d’eau.
Bien entendu il y eut des déclenchements d’épidémies chez les enfants et au moins une centaine de prisonniers se suicidèrent.



Unique photo de la Rafle : les bus devant le Vélodrome d'Hiver

Au total, la rafle a concerné 3 118 hommes, 5 919 femmes et 4 115 enfants, soit 13 152 personnes (source : Mémorial de la Shoah).
Ce nombre est inférieur aux prévisions des autorités, un nombre indéterminé, prévenu par la Résistance ou bénéficiant du manque de zèle de certains policiers, ayant réussi à échapper à cette rafle.
Si certains policiers et gendarmes ont fermé les yeux, d’autres ont par contre été particulièrement zélés et sans pitié pour arrêter les familles juives, notamment en ce qui concerne les enfants.

L’internement dans les camps de concentration français du Loiret : Pithiviers et Beaune-la-Rolande

Après 5 jours passés dans l’enfer du Vélodrome, les familles sont amenées à la gare d’Austerlitz et transportées dans des wagons à bestiau dans les camps de concentration du Loiret : Beaune-la-Rolande et Pithiviers (à noter que le 3ème camp du Loiret, Jargeau, abritait des familles Tziganes, des prostituées et des prisonniers politiques) entre les 18 et 22 juillet.

Beaune-la-Rolande a été construit en 1939 dans l’optique d’y enfermer les futurs prisonniers de guerre allemands.
Ce camp servit aux allemands pour y regrouper les prisonniers de guerre français avant leur envoi en Allemagne.
Dès le 14 mai 1941, le camp accueille des Juifs polonais arrêtés en France.
Le camp a été fermé le 4 août 1943 par Alois Brunner (qui fut le dernier chef du camp de Drancy).


Camp de Beaune-la-Rolande en 1941
Pithiviers a été construit dans la même période et avec le même but que Beaune-la-Rolande.
Il fut évacué en octobre 1943 pour être transformé en camp de concentration pour détenus politiques.


Camp de Pithiviers

Quelques jours avant le transfert, les camps ont été vidés pour laisser la place aux internés du Vél’ d’Hiv’.

Les conditions de vie dans les camps du Loiret sont déplorables et des épidémies se déclenchent parmi les enfants, chacun de ces camps étant conçus pour accueillir de 1 500 à 1 800 prisonniers hommes (et non plus de 4 000 personnes dans chaque camp).
Les hommes sont séparés des femmes et des enfants.

La déportation à Auschwitz des parents

Environ une semaine après leur arrivée, les hommes sont transférés à Drancy, puis de là à Auschwitz.
Entre le 1er et le 15 août 1942, c’est le tour des femmes.
Pour cela, les gardiens de ces deux camps, qui étaient français, utilisèrent la force et la violence pour séparer les femmes de leurs enfants de moins de 12 ans (en effet, les enfants de plus de 12 ans doivent partir avec les adultes).

La déportation à Auschwitz des enfants

Dans les camps du Loiret, il ne reste plus que les enfants de moins de 12 ans et quelques femmes pour s’occuper d’eux.

Et c’est là que la cruauté infinie du gouvernement de Pétain se révèlera au grand jour.
Les Allemands n’avaient pas encore envisagé de déporter les enfants, c’est Pierre Laval, ministre de Pétain, qui le demanda aux autorités allemandes, invoquant une mesure « humanitaire » pour ne pas séparer les familles.
Le gouvernement de Pétain ne souhaitait pas non plus s’encombrer de ces orphelins ou quasi orphelins.
Les Allemands ont donné leur accord le 13 août 1942 (la construction débutée en 1942 des quatre complexes de chambres à gaz-crématoires d’Auschwitz-Birkenau est en voie d’achèvement à ce moment-là), et à partir du 17 août ont lieu les déportations en masse des enfants, dans un premier temps vers Drancy, où ils sont brassés et mélangés avec des adultes pour donner l’illusion qu’il ne s’agit pas que de convois d’enfants, puis dans un deuxième temps à Auschwitz où ils sont gazés dès leur arrivée.

Les rares rescapés

Sur les 13 152 personnes raflées, seuls 25 adultes et quelques enfants ont survécu.

Peu d’adultes sont revenus de déportation et aucun des enfants déportés n’est revenu (les enfants ayant survécu s’expliquent par quelques rares évasions ou des combines ayant réussi à les faire sortir des camps d’internement du Loiret ou de Drancy).

Pour les rares adultes revenus de déportation, lorsqu’ils sont rentrés ils ne subsistaient plus rien de leur ancienne vie : leur famille avait bien souvent été exterminée dans les camps, leur logement avait été attribué à d’autres et leurs possessions avaient été pillées, parfois par des concierges bien heureux(ses) de leur arrestation.
Leur logement ne leur a pas été réattribué, les autorités jugeant qu’ils n’avaient plus besoin d’autant d’espace puisqu’ils étaient seuls et sans famille désormais.

Ils sont alors tombés dans un profond anonymat et ont gardé le silence pendant près ou plus de 20 ans sur ce qu’ils avaient vécu avant de pouvoir en parler.
Il faudra attendre tout ce temps pour que la France soit enfin prête à écouter et à entendre ce que les déportés avaient vécu.

La reconnaissance de la responsabilité de la France

Il faudra attendre le 16 juillet 1995 pour que le Président Jacques Chirac reconnaisse la responsabilité de la France dans la Rafle et dans la Shoah.

Extraits de son discours:
«Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 4 500 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
(…)
La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.»

La mémoire de la Rafle

Le vélodrome d’Hiver rue Nélaton n’existe plus, il a été détruit en 1959 et abrite aujourd’hui, ironie de l’Histoire, un site du Ministère de l’Intérieur.
Une plaque commémorative se trouve rue Nélaton.


La date du 16 juillet a été choisie en 1993 pour instituer la "journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite de « gouvernement de l’Etat français » (1940-1944)".
En 2000 elle devient la "journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat Français et d’hommage aux « Justes » de France".

Le 17 juillet 1994 est inauguré en bordure du quai de Grenelle sur une promenade nommée square des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver un monument commémoratif de la Rafle.


Le 20 juillet 2008, une plaque commémorative à la mémoire des victimes de la rafle a été apposée au métro Bir Hakeim.


Le 27 janvier 2011 à Orléans, Jacques Chirac en présence de Simone Veil a inauguré le musée des enfants du Vel’ d’Hiv’, installé dans le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret – CERCIL.

Concernant les camps de transit, les bâtiments de la « cité de la muette » à Drancy existent toujours et sont aujourd’hui des HLM.
Un mémorial et un wagon témoin sont présents à Drancy à proximité du site.
Les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers n’existent plus et seule une plaque commémorative discrète rappelle qu’ils ont existé.
Pour information, le quatrième camp de transit non utilisé pour cette rafle mais pour l’internement et la déportation de juin 1941 à août 1944 est celui de Royallieu à Compiègne.

Pour aller plus loin

Il s’agit d’une bibliographie non exhaustive, j’ai choisi de retenir les ouvrages principaux traitant de cette rafle, mais il en existe bien sûr d’autres, qu’il s’agisse de témoignages ou de fictions, sur cette rafle ou sur la déportation et les camps de transit.

"La Grande Rafle du Vel’ d’Hiv’" de Claude Lévy et Paul Tillard, Edition Tallandier, Collection Texto
"La Rafle du Vel’ d’Hiv’" de Maurice Rajsfus, Editions PUF
"Jeudi noir" de Maurice Rajsfus, Editions L’Harmattan
"Après la rafle" de Joseph Weismann, Edition Michel Lafon (ayant inspiré le film "La rafle")
"Evadée du Vel’ d’Hiv’" d’Anna Traube, Editions Le Manuscrit
"La petite fille du Vel’ d’Hiv’" d’Annette Muller, Editions du Cercil
"Les guichets du Louvre" de Roger Boussinot, Editions Gaïa (existe aussi en film du même nom)
"Je vous écris du Vél’ d’Hiv’ : les lettres retrouvées" de Karen Taieb, Edition Robert Laffont

4 commentaires:

  1. de par mes origines je connais cette sordide histoire mais c'est trés bien que tu le rappelles car il y a tellement de gens et aussi de jeunes qui ne sont pas informés.
    Il ne faut pas que ça tombe dans l'oubli et qu'est pour ça qu'il est essentiel de le redire ausi souvent que possible .
    tu as fait du bon travail et l'insertion des photos est interessante .
    merci pour cet article
    bisous
    marie

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  2. @ Marie : de rien, et je crois que j'ai eu d'autant plus raison de le faire que j'ai entendu ce matin que 60% des jeunes ne connaissaient même pas cet évènement ! Le pourcentage diminue dans la tranche 30/45 ans, par contre c'est élevé chez les plus de 60 ans (potentiellement des gens qui ont vécu à cette époque).
    Je me demande ce que font certains professeurs d'histoire ... (je passerai le sondage sur les jeunes dont certains répondaient que ça s'était passé à Marseille ... là ça sent le cerveau court-circuité par le foot ! Vélodrome = foot)

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  3. oui j'ai vu ça que les jeunes n'étaient pas au courant je suis outrée !

    il y a des adultes qui ne sont pas non plus au courant il n'y a que les gens qui ont vécu à cette époque on qui sont concernés par un de leur proche qui a été déporté dans un camp quel qu'il soit .

    je me demande aussi ce que font les profs d'histoire si l'histoire ce reproduit eh bien l'homme l'aura chercher mais ça me navre .

    Marseille euh à marseille il n'y a pas que le foot si la culture s'arrete là on est mal pour les futures générations et ils se sont trompés d'endroit en prime .

    les bras m'en tombent : je sais je n'ai pas fini de les ramasser mais est ce que ça vaut le coup de les ramasser vu qu'ils vont bientot retomber suite à une autre sottise que je vais entendre

    enfin merci vraiment pour ton article il est d'utilité publique

    bisous

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  4. @ Marie : d'utilité publique je ne sais pas si on peut aller jusque là ...

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