Paris, 1980. Alors qu’il “accompagne” sa belle-fille dans sa lutte contre un cancer, le narrateur se souvient de Stéphane, son ami de jeunesse, qui au début de la guerre l’avait initié à l’escalade et au dépassement de la peur. Entré dans la Résistance, puis capturé par un officier nazi – le colonel Shadow –, il est mort dans des circonstances jamais vraiment élucidées.
Mais Shadow, à la fin de la guerre, s’est fait connaître du narrateur. Son intangible présence demeure en lui, elle laisse affleurer les instants ultimes, la mort courageuse – héroïque, peut-être – de Stéphane. Et la réalité contemporaine (les visites à l’hôpital, l’anxiété des proches, les minuscules désastres de la vie ordinaire) reçoit de ce passé un écho d’incertitude et pourtant d’espérance…
L’ombre portée de la mort en soi, telle est sans doute l’énigme dont Henry Bauchau interroge les manifestations conscientes et inconscientes, dans ce captivant roman qui semble affirmer, jusqu’à sa plus ultime mise à nu, l’amour de la vie mystérieusement éveillée à sa condition mortelle. (Actes Sud)
Ce récit exclusivement porté par la
voix d’un narrateur qui restera sans nom est un roman à tiroirs.
En effet, au début le narrateur
accompagne sa belle-fille dans sa lutte contre le cancer qui la ronge.
C’est le premier tiroir ouvert, avec
les souvenirs du narrateur sur sa rencontre avec sa belle-fille et la façon
dont ces deux là se sont apprivoisés et comment lui-même a apprivoisé son
petit-fils Win.
A travers des visites quotidiennes à
l’hôpital, ponctuées de longs trajets via le boulevard périphérique ou le RER
et le bus, il lui raconte son enfance et en vient ainsi à se remémorer Stéphane : "A ce moment je comprends que ce qui survit en moi de Stéphane ce n'est pas ma vision incertaine, l'identité confuse dont je me souviens encore, c'est sa légèreté, oui, cette légèreté enfantine qu'il avait gardée dans ce grand corps musclé.",
son ami de jeunesse qui l’a initié à l’escalade mort durant la Seconde Guerre
Mondiale après être entré en Résistance et avoir été arrêté par un terrible
officier nazi : le colonel Shadow, dont la devise est "Régner par la terreur, c'est régner sur des intestins.".
C’est un deuxième tiroir qui s’ouvre
et qui sera présent pendant la première moitié du récit puis, ce deuxième
tiroir entraîne l’ouverture d’un troisième, avec les souvenirs des visites faites
par le narrateur au colonel Shadow alors que celui-ci est emprisonné et mourant.
Cet homme cruel va lui raconter, dans
la mesure de ce qu’il veut bien lui dire, l’emprisonnement de Stéphane, sa
résistance physique et mentale aux tortures et les circonstances de sa mort.
Mais chaque tiroir est lui-même
composé de sous-tiroirs, ainsi le narrateur se remémore son apprentissage de
l’escalade et les périples effectués avec Stéphane, la Guerre et les
difficultés de vivre durant cette période ainsi que les personnes qui se
cachaient pour échapper au travail obligatoire ou à la déportation, ainsi que
sa propre vie et les métiers exercés.
Cette histoire est complexe et
nécessite une attention particulière pour entrer dedans et en saisir toutes les
nuances.
Mais le meuble accueillant tous ces
tiroirs est sans nul doute une réflexion sur la mort, sur la façon dont elle
est appréhendée ou perçue par chacun, sur la présence plus ou moins importante
qu’elle occupe en chacun, ainsi le narrateur parle de sa première vraie discussion avec Paule sous un angle différent : "Il y avait alors quelque chose qui menaçait en elle. Quelque chose qu'aujourd'hui on appelle le cancer parce que nous savons ce qui a suivi. Je l'ignorais.".
La mort est sous jacente durant tout
le récit, qu’il s’agisse de celle probable de Paule ou de celles de Stéphane,
de Shadow et celle à venir un jour du narrateur : "Je n'avais jamais vraiment pensé à la vieillesse et voilà qu'elle approchait. La mort, utile aux autres, ne me faisait pas peur, du moins je le croyais, mais le vrai courage, la vraie lutte, celle contre l'affaiblissement, la diminution physique, la perte de mémoire, les maladies de l'âge, cela je ne l'avais pas envisagé et voici que c'était là à ma porte.", elle est omniprésente et prend
même une place de plus en plus importante.
L’auteur est psychanalyste et
présente donc une réflexion sur ce thème sans jamais toutefois tomber dans l’analyse
ou en essayant d’imposer son point de vue.
Il permet au lecteur de s’ouvrir
posément à cette notion et c’est pour cela que je conseille de lire ce roman avec
un esprit apaisé, posé et sans plaie à vif sur le thème douloureux de la
maladie et particulièrement du cancer.
Et même alors que je croyais la plaie
quasiment cicatrisée, la fin excessivement poignante est venue raviver des
démons et des images d’un passé pas si lointain que cela.
Autant dire que cette lecture a fini
par me remuer intérieurement et que je suis restée quelques heures sans lire
une fois le livre refermé pour me remettre les idées en place et commencer une
nouvelle lecture.
Quant au style, j’ai trouvé la plume
de Henry Bauchau belle à lire bien que dense et nécessitant une vigilance
permanente.
"Le boulevard périphérique" de Henry
Bauchau est une lecture exigeant une attention de chaque instant, mais bien que
la mort soit omniprésente le récit s’ouvre surtout sur l’espérance et la lumière
et nous rappelle que la vie n’est qu’un sursis dont il faut savoir savourer
chaque moment, même le plus infime.
Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices