mardi 19 juin 2012

Arria Marcella de Théophile Gautier


" Elle était brune et pâle ; ses cheveux ondés et crêpelés, noirs comme ceux de la Nuit, se relevaient légèrement vers les tempes à la mode grecque, et dans son visage d'un ton mat brillaient des yeux sombres et doux, chargés d'une indéfinissable expression de tristesse voluptueuse et d'ennui passionné ; sa bouche, dédaigneusement arquée à ses coins, protestait par l'ardeur vivace de sa pourpre enflammée contre la blancheur tranquille du masque ; son col présentait ces belles lignes pures qu'on ne retrouve à présent que dans les statues. Ses bras étaient nus jusqu'à l'épaule, et de la pointe de ses seins orgueilleux, soulevant sa tunique d'un rose mauve, partaient deux plis qu'on aurait pu croire fouillés dans le marbre par Phidias ou Cléomène. En regardant cette tête si calme et si passionnée, si froide et si ardente, si morte et si vivace, il comprit qu'il avait devant lui son premier et son dernier amour, sa coupe d'ivresse suprême. " (Le Livre de Poche)

Publiée pour la première fois en 1852 et sous-titrée "Souvenir de Pompéi", "Arria Marcella" est une nouvelle fantastique dont l'histoire se déroule en Campanie, dans la ville de Pompéi.

Trois amis sont en vacances en Italie et lors d'une visite au musée de Naples, suivie de celle de la citéde Pompéi, Octavien tombe amoureux d'une jeune femme en voyant sa silhouette, particulièrement le galbe de son sein, prisonnière à jamais de la cendre.
Car oui, cette femme est morte depuis très longtemps, elle a péri dans l'éruption du Vésuve de 79 après Jésus Christ.
Après un dîner bien arrosé, Octavien retourne en fraude sur le site pour y passer la nuit, c'est alors qu'il traverse le temps pour se retrouver en 79 après JC, quelques temps avant l'éruption.

Théophile Gautier a choisi d'ancrer sa nouvelle fantastique dans le réel, le vérifiable.
La villa d'Arrius Diomèdes existe bel et bien, par contre elle ne se visite plus (en tout cas pour ma part elle était fermée et non accessible au public, juste visible à travers les grilles de la porte), comme d'ailleurs la majorité des plus belles villas de Pompéi, elle se situe en périphérie de la ville, juste avant la célèbre Villa des Mystères et 18 corps y ont été retrouvés.


La villa entre 1812 et 1834

Mais ce récit est avant tout une nouvelle fantastique, et cela se ressent rien qu'au champ lexical utilisé par l'auteur tout au long du récit et ce dès le début : "Il faisait une de ces heureuses journées si communes à Naples, où par l'éclat du soleil et la transparence de l'air les objets prennent des couleurs qui semblent fabuleuses dans le Nord, et paraissent appartenir plutôt au monde du rêve qu'à celui de la réalité."
Le basculement dans le fantastique se fait à la faveur de la nuit et Octavien se retrouve alors dans une Pompéi entièrement de bout et qui s'anime.
A partir de ce moment, il vit son rêve, se mêle à la population, assiste à une pièce de théâtre, rencontre la fameuse femme dont il est tombé amoureux et suit son esclave pour la rejoindre dans sa villa le plus simplement du monde et sans poser aucune question :"Ma maîtresse vous aime, suivez-moi."
Octavien se laisse complètement porter par les évènements et ne maîtrise plus rien. Pour expliquer cette situation et son retour à la vie, Arria Marcella lui déclare :"Ton désir m'a ramenée à la vie", ponctuée d'autres déclarations au caractère fort romantique : "la croyance fait le dieu, et l'amour fait la femme", ou encore : "Rien ne meurt, tout existe toujours; nulle force ne peut anéantir ce qui fut une fois."
J'ai été frappée par l'obéissance aveugle d'Octavien à cette femme, il est littéralement sous son charme, ne pense plus et se laisse entièrement happée par cette femme d'un autre siècle (et morte, ne l'oublions pas).
Durant une scène de repas entre ces deux personnages, le côté fantastique laisse place à un côté romantique.
Et puis, comme bien souvent dans le genre fantastique, l'auteur se rappelle au souvenir du lecteur en introduisant la peur, car si Octavien semble avoir oublié, le lecteur lui se souvient que cette femme est morte et s'interroge sur les motivations qui la poussent à agir ainsi.
J'ai trouvé qu'il se dégageait du personnage d'Arria Marcella un côté sombre et inquiétant, comme si elle allait brusquement se transformer en serpent et avaler tout cru Octavien.
C'est là que de façon très intelligente Théophile Gautier réintroduit le fantastique, cette fois-ci par le biais du père d'Arria Marcella, et de façon plus crue : "Arria, Arria, dit le personnage austère sur un ton de reproche, le temps de ta vie n'a-t-il pas suffi à tes déportements, et faut-il que tes infâmes amours empiètent sur les siècles qui ne t'appartiennent pas ? Ne peux-tu laisser les vivants dans leurs sphères ? Ta cendre n'est donc pas encore refroidie depuis le jour où tu mourus sans repentir sous la pluie de feu du volcan ? eux mille ans de mort ne t'ont donc pas calmée, et tes bras voraces attirent sur ta poitrine de marbre, vide de coeur, les pauvres insensés enivrés par tes philtres."
C'est dit très clairement, Arria Marcella est morte, lui-même est mort, et ce moment de romantisme revêt alors la forme d'un piège.
Puis c'est le retour à la réalité, soit par le biais d'Arrius Diomèdes et de sa déclaration soit par le biais du son de cloche, cela n'est pas défini clairement mais l'enchantement est brisé.


Théophile Gautier maîtrise de bout en bout le fantastique ce qui donne une nouvelle des plus agréables.
C'est non seulement très bien écrit, mais c'est aussi très maîtrisé et bien défini, que ce soit les paysages, les lieux de l'action ou les personnages avec leurs caractères différents.
J'ai beaucoup apprécié cette maîtrise et j'ai littéralement dévoré cette nouvelle.
En plus, je trouve l'histoire originale et intéressante, tout comme le lieu de l'action.
Revenant d'ailleurs il y a peu de Campanie, et ayant bien entendu été à Pompéi (deux fois plutôt qu'une), j'ai retrouvé lors de cette lecture certaines de mes impressions et de mon ressenti de la ville mais de façon plus générale des paysages de la Campanie et du Golfe de Naples : "Quiconque a vu une fois cette lumière d'or et d'azur en emporte au fond de sa brume une incurable nostalgie.", ce que je ne peux que confirmer.


"Arria Marcella" réunit tous les ingrédients d'une bonne histoire fantastique mêlée d'un soupçon de peur et de romantisme.
Cette nouvelle est extrêmement agréable à lire, pour le style narratif de Théophile Gautier mais aussi pour s'imaginer ou revivre Pompéi, cité ensevelie qui a traversé les siècles et ne cesse, aujourd'hui encore, de fasciner les esprits.

Livre lu dans le cadre du challenge Il Viaggio


8 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas cette nouvelle mais comme Gautier est à mon programme, c'est une parfaite découverte ! Quel auteur brillant, j'ai hâte de m'y mettre... merci pour ce billet !

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  2. @ nathalie : cette nouvelle est libre de droit et se trouve gratuitement sur le net en plus !

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  3. A quelle époque se déroule ce récit ? MERCI d'avance !!
    Anonyme

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    1. Elle se déroule au XIX e siècle car les musée d'archéologie ne sont apparut qu'a cette époque.

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  4. @ Anonyme : Cette nouvelle a été publiée en 1852, tout laisse à penser qu'elle se déroule à peu près à cette même époque pour la partie contemporaine, pour le retour dans le passé il s'agit bien entendu de 79 après Jésus Christ.

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  5. ce récit est intéressent mais trop descriptif pour des collégiens
    a quel âge est il destiné?

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    1. Je pense pour des terminal mais surtout pas pour des collégiens

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