vendredi 22 décembre 2017

120 battements par minute de Robin Campillo

       
     

Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean. (AlloCiné) 


Très vite après sa projection à Cannes, la rumeur enflait : premier film à réveiller les festivaliers, premier film dont le nom revenait sur toutes les lèvres, premier film quasi assuré d’avoir un Prix, mais lequel. Puis, quelques heures avant l’annonce du Palmarès, il se murmurait de plus en plus fort que la Palme pourrait bien lui revenir.
Au final, Cannes cette année aura décernée deux Palmes d’or : celle du jury à "The Square" et celle du cœur à 120 battements par minute.
Une Palme du cœur loin, très loin d’être usurpée tant ce film éveille et/ou réveille des sentiments, des émotions, l’envie d’arpenter le pavé le cœur soulevé par la révolte et de scander ses idéaux.
Et pourtant, quand j’ai entendu parler de ce film je me demandais bien de quoi il en retournait, car Act Up ça ne me parlait pas beaucoup, le virus du SIDA malheureusement beaucoup plus.


"120 battements par minute" propose de revenir sur Act Up, cette association de lutte contre le SIDA et dont Robin Campillo, le réalisateur, a fait partie dans les années 90.
Act Up, je me souvenais de quelques-unes de leurs actions, dont la plus marquante est le préservatif sur l’Obélisque, et puis ça s’arrêtait là.
J’étais plutôt jeune dans le début des années 90, j’étais loin de ces préoccupations, mais cela n’excuse pas tout, car je crois qu’à cette période une bonne partie de la population passait à côté de ces sujets sans en saisir toute l’importance, d’ailleurs c’est sans doute encore le cas aujourd’hui.
Robin Campillo s’attache à montrer la vie au sein d’Act Up, les réunions et leur fonctionnement (avec le claquement de doigts pour approuver une décision ou une parole), la préparation des opérations et le débrief ensuite, c’est d’ailleurs le propos de la scène d’ouverture où les membres parlent d’une opération qui a eu lieu sur un plateau télévisé et qui ont des ressentis et des avis très différents.
Une bonne façon aussi d’introduire les protagonistes et de comprendre que tous ne partagent pas la même opinion, et que cela contribue à la richesse et à la diversité d’Act Up.
Il faut se remettre dans le contexte : à cette époque il n’y a pas de téléphone portable, pas d’internet, pas de réseaux sociaux, pour se faire entendre, être médiatisé et attirer des membres, il faut utiliser d’autres canaux, agir différemment.
D’où des actions coup de poing, à forte portée médiatique, et qui aujourd’hui ne seraient plus possibles, pour cause de sécurité ou que sais-je d’autres.
Robin Campillo a choisi de filmer les scènes dans les amphis avec plusieurs caméras afin de recréer l’ambiance et surtout permettre aux figurants de prendre leur place au milieu des acteurs.
Non seulement le rendu est parfait à l’image mais il est impossible de distinguer les comédiens des figurants tant on a l’impression de faire partie du groupe en les regardant évoluer.


Robin Campillo n’a que peu de films à son actif mais il a soigné la mise en scène de celui-ci, c’est un projet qui a longtemps mûri et le rendu est très travaillé, parfois même intrigant, surprenant, mais toujours juste, beau et sensible.
Ainsi, le réalisateur séquence l’histoire et les moments forts en plaçant les personnages en boîte de nuit, moment de relâchement pour tous rythmé par la house music de l’époque, qui est aussi à l’origine du titre du film.
J’ai été longtemps intriguée par l’apparition de poussières à l’écran, au début pour retranscrire l’ambiance dans les boites de nuit avec la musique, les projecteurs, les jeux de lumière, puis j’ai fini par comprendre que cette poussière n’en était pas une mais une représentation du SIDA et de son évolution dans le corps des malades, annonçant une mort prochaine.
Et parlons aussi de la poésie de certaines images, du plan aérien sur les militants allongés par terre dans les rues de Paris.
Cette mise en scène, elle est chic et choc.
J’ai été bluffée par cette maîtrise et la mise en scène, c’est l’un des films les plus aboutis techniquement que j’ai pu voir en cette année 2017, comme quoi les effets spéciaux sont loin de tout faire.
Evidemment que l’histoire m’a touchée en plein cœur, encore une fois il faut se remettre dans le contexte de l’époque : le silence autour de la maladie, notamment des pouvoirs publics, les gens meurent dans l’indifférence la plus totale, les traitements sont lourds, les effets secondaires nombreux et dévastateurs (cauchemars etc.), la stigmatisation des malades mais plus généralement du virus (en somme, si tu n’es pas homo aucun risque de l’attraper), les avancées lentes dans le domaine thérapeutique et des laboratoires pas si pressés que cela de mettre à disposition des résultats sur l’avancée des médicaments.
Et pendant ce temps-là des gens sont malades, des gens souffrent, des gens meurent.
Si je n’ai pas une connaissance nulle du SIDA, je dois dire que j’ai découvert plusieurs aspects de ce virus dans le film, j’ai aussi réalisé combien mon esprit était étriqué en pensant à cette maladie.
Oui il y a la transmission par relations sexuelles, par le sang contaminé, par les seringues, mais qui aurait pu penser à la contagion dans les prisons, les effets des médicaments sur les trans, pour ne citer que quelques cas.
Décidément aujourd’hui encore on ne parle de ce virus que par le petit bout de la lorgnette.
Depuis je me suis documentée, j’ai écouté d’autres émissions, et j’ai appris d’autres choses, histoire d’élargir mon horizon personnel (et tant que j’y suis, je suis favorable, et je crois qu’il est plus que temps, à la création d’un fonds d’archive en France sur le VIH).


Il y a toute une galerie de personnages dans ce film, mais les centraux sont Sean, aux positions radicales et inspiré de Cleews Vellay, Nathan, un jeune militant qui va être bouleversé par Sean, Thibault, Président d’Act Up et inspiré de Didier Lestrade, dont les positions s’opposent à celles de Sean, et Sophie, une militante.
Et puis il y a deux personnages qui m’ont tout particulièrement touchée, une mère et son fils, ce dernier ayant été contaminé par des transfusions sanguines car il est hémophile.
A bien y penser c’est tout ce qu’il y a de plus horrible, une mère pense soigner son enfant sur avis de médecins et au contraire il se retrouve encore plus malade.
 Quelque chose de très vrai est dit au début du film aux nouveaux arrivants : ils vont être mis au ban de la société, parce qu’ils militent à Act Up ils sont forcément gays et séropositifs.
Ce film a aussi le mérite de mettre cet aspect de la vie des militants en lumière : ces personnes ont donné beaucoup pour faire bouger la société tandis qu’ils se retrouvaient marginalisés. Ils le sont toujours d’ailleurs.
J’ai aimé tous ces personnages différents les uns des autres qui arrivent à s’unir pour une action commune.
Et puis il n’y a pas que du militantisme, il y a de l’amour, de la baise, des joies, des peines, des morts. "120 battements par minute" c’est aussi un film qui raconte cela : la vie, la mort, l’amour, la peine, le chagrin, l’espoir, l’urgence de vivre et d’agir.
Cela aurait pu être un film noir, c’est au contraire un film lumineux, porteur d’espoir, rappelant à chaque instant combien la vie est précieuse et qu’il faut en profiter (enfin, pas n’importe comment).
Si Adèle Haenel commence à être un visage bien connu, vu plusieurs fois au cinéma en 2017 , c’est Arnaud Valois qui fait son retour dans le rôle de Nathan, après avoir arrêté son métier de comédien, lassé d’attendre que le téléphone sonne, et qui s’est reconverti en masseur-sophrologue, sans doute l’une des révélations de cette année 2017.
Mais celui qui crève l’écran, c’est Nahuel Perez Biscayart, formidable dans le rôle de Sean, énorme révélation 2017 et dont je ne comprendrai même pas qu’une récompense (au moins) lui échappe.
Il transcende le film de Robin Campillo, qui n’avait même pas besoin de cela tant tout le reste se suffit à lui-même, et il en est de même dans "Au revoir là-haut" d’Albert Dupontel.


"120 battements par minute", c’est une fureur de vivre moderne portée par le spectre de la maladie, de la mort, mais aussi de l’amour et de la vie, l’une des plus grandes claques cinématographiques de 2017, si ce n’est la plus grande.


       
     

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