mercredi 6 décembre 2017

L'ordre du jour d'Eric Vuillard


L’Allemagne nazie a sa légende. On y voit une armée rapide, moderne, dont le triomphe parait inexorable. Mais si au fondement de ses premiers exploits se découvraient plutôt des marchandages, de vulgaires combinaisons d’intérêts ? Et si les glorieuses images de la Wehrmacht entrant triomphalement en Autriche dissimulaient un immense embouteillage de panzers ? Une simple panne ! (Actes Sud)

Ouverture du récit : 20 février 1933, vingt-quatre patrons Allemands sont présents au Reichstag et attendent Adolf Hitler qui va demander de le soutenir : "Et les vingt-quatre bonshommes présents au palais du président du Reichstag, ce 20 février, ne sont rien d'autre que leurs mandataires, le clergé de la grande industrie; ce sont les prêtres de Ptah. Et ils se tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer aux protes de l'Enfer.".
Comme quoi "Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.".
Fin du récit : 20 février 1933, vingt-quatre patrons Allemands acceptent de soutenir Adolf Hitler.
Entre les deux, un récit sur l'Anschluss à travers plusieurs passages dont certains méconnus de l'Histoire (la fameuse panne des panzers Allemands une fois la frontière Autrichienne franchie).

J'ai découvert Eric Vuillard et son style avec "Tristesse de la terre", c'est avec plaisir que je l'ai retrouvé dans ce roman lu juste après qu'il ait obtenu, à la surprise, le prix Goncourt 2017.
Non seulement le sujet est loin d'être inintéressant mais au niveau du style ça envoie du lourd, du très lourd.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un Goncourt aussi bien écrit, et pour être franche cela faisait aussi ben longtemps que je n'avais pas dû chercher le sens de certains mots dans un dictionnaire.
Merci Eric Vuillard, la langue Française n'est donc point morte et peut s'élever au-dessus du débat sur la féminisation du genre et l'écriture inclusive !
L'idée de départ est excellente, et Eric Vuillard décortique bien certains événements dans son récit, permettant de donner un sens à l'Histoire et comment des personnes ont pu accepter aussi facilement de suivre une idéologie : "La vraie pensée est toujours secrète, depuis l'origine du monde. On pense par apocope, en apnée. Dessous, la vie s'écoule comme une sève, lente, souterraine.".
C'est un peu cela en somme, Adolf Hitler avait une idée bien précise en tête, il la distillait subtilement et menait son jeu d'une main de maître en laissant la vie s'écouler, alors que tout cela n'avait qu'un but bien précis : construire un Reich de 100 ans et anéantir tous les Juifs.
L'autre chose qu'Eric Vuillard montre bien, c'est comment ces chefs d'entreprises ont accepté de le suivre, puis retourné leur veste à la fin de la guerre, et leurs affaires ont continué à prospérer : "On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi.".
Ils allaient où le vent les menait, inacceptable d'un point de vue moral mais tristement humain.
J'ai beaucoup apprécié les courts récits constituant l'ensemble, d'autant que certaines anecdotes sont méconnues, et prêtes même à sourire aujourd'hui, comme celle du dîner à Londres où Ribbentrop abuse de la politesse du Premier Ministre Britannique Neville Chamberlain dans l'unique but de retarder la réponse de ce pays à l'Anschluss.
Le tout est finement analysé et cela permet de découvrir ce pan de l'Histoire d'une autre façon, avec un regard neuf.
La construction de ce roman peut déstabiliser, j'ai longtemps cherché à en comprendre le sens, il faut attendre la fin pour ce faire, même si ma lecture achevée je m'interroge encore sur la raison d'être de ce roman.
Enfin, en partie.
Il m'a manqué un petit quelque chose au cours de ma lecture, difficile de le décrire exactement, et c'est bien ce reproche que je ferai à ce livre, le seul, et finalement pas si important de cela au regard de la qualité qui s'en dégage.

Avec "L'ordre du jour" Eric Vuillard dépoussière les prémices et le début du IIIème Reich dans un style sublime qui méritait amplement d'être récompensé par un prix littéraire.

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