jeudi 23 février 2012

Naissance d'un pont de Maylis de Kerangal


«À l’aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent, perpendiculaires à la surface du fleuve, c’est un autre homme qui sort des bois, c’est un homme hors de lui, c’est un meurtrier en puissance. Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d’acier, irise les nappes d’hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dans la lumière, dessinent une mâchoire ouverte.»
Ce livre part d’une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d’un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d’une dizaine d’hommes et femmes, tous employés du gigantesque chantier. Un roman-fleuve, «à l’américaine», qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court. (Gallimard - Folio)


"C'est le premier jour du pont, le premier matin."

Maylis de Kerangal propose au lecteur à travers son livre de vivre une aventure formidable : la construction d'un pont dans une ville fictive des Etats-Unis, du premier jour jusqu'à son inauguration.
C'est aussi l'occasion de croiser tout un melting pot de personnages qui vont graviter autour de ce chantier, du plus simple ouvrier à l'ingénieur spécialiste du béton et au responsable des opérations tout en croisant les indiens plutôt hostiles à ce chantier.

Plutôt que de laisser tous ces personnages venant de pays ou de cultures différentes noyés dans la masse, l'auteur a choisi de s'intéresser à certains personnages en particulier et à les faire apparaître et interagir dans son histoire à intervalles réguliers.
Il y a ainsi une française, Summer Diamentis, ingénieur spécialiste en béton, qui se sent seule et est incomprise dans cet univers essentiellement masculin; Katherine Thoreau, une américaine qui tire le diable par la queue pour finir les fins de mois; Diderot qui coordonne tout le chantier et veille à faire respecter les délais; ou encore Sanche Cameron suivant le chantier du haut de sa grue.
J'ai particulièrement aimé le choix de ces personnages et le travail de l'auteur sur eux, l'alternance ne m'a d'ailleurs absolument pas gênée car le livre est construit de façon intelligente.

Il n'y a pas de chapitre à proprement parler, mais plus des parties qui coïncident avec l'état d'avancement du chantier.
Le parallèle est intéressant à faire entre la construction du livre et la construction du pont.
J'ai eu l'impression au fil de ma lecture que l'auteur avait pensé son livre comme un projet industriel, c'est en tout cas ce qui en ressort.
De plus, je trouve qu'il y a un côté très réaliste à ce récit, avec les aléas de chantier, les retards, la pression du siège ou du maire de la ville, les revendications salariales, les accidents.
C'est concret et bien ancré dans la réalité, et puis ce n'est pas un hasard si le maire de Coca se fait appeler le Boa, car ce pont va finir par engloutir Coca et Edgefront.
J'ai d'ailleurs trouvé une critique quelque peu sous-jacente des Etats-Unis dans ce livre, déjà le nom de la ville est l'un des produits emblématiques de ce pays, et puis cette ville n'est pas sans rappeler San Franciso.
L'auteur y montre quelques travers de ce pays qui n'est pas l'Eldorado comme il nous est si souvent présenté.

Ce qui peut dérouter pendant les premières pages, c'est le style narratif de l'auteur qui emploie un vocabulaire très riche et fait souvent de très grandes phrases.
Certains signes de ponctuation sont volontairement oubliés, sans doute pour renforcer la côté grandiose et foisonnant de ce chantier; tout comme certains dialogues ne sont pas écrits de façon traditionnelle, mais là aussi, c'est sans doute pour appuyer la déshumanisation d'un tel chantier où personne ne peut connaître tout le monde et où chacun s'attelle à sa tâche quotidienne.
L'auteur dissèque l'histoire plus qu'elle ne la raconte, je n'ai pas l'habitude de ce style narratif mais j'ai été conquise.

J'ai apprécié l'originalité du sujet, la précision avec laquelle l'auteur le traite, son style narratif, d'autant qu'il n'y a aucun temps mort même si parfois la lecture peut paraître lente.
Si je n'avais qu'un reproche à lui faire, cela concernerait la fin que je trouve bâclée et qui ne termine pas vraiment une histoire qui avait pourtant si bien commencé.
Le pont est achevé mais pas l'histoire de Maylis de Kerangal, c'est un peu dommage et cela vient quelque peu ternir ma bonne impression générale sur ce roman.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard - Folio (maison d'édition d'origine : Verticales Phase Deux) pour ce livre reçu dans le cadre de l'opération Masse critique

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire