mardi 12 juin 2012

La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux


«La guerre de Troie n'aura pas lieu», dit Andromaque quand le rideau s'ouvre sur la terrasse du palais de Priam. Pâris n'aime plus Hélène et Hélène a perdu le goût de Pâris, mais Troie ne rendra pas la captive car pour tous les hommes de la ville «il n'y a plus que le pas d'Hélène, la coudée d'Hélène, la portée du regard ou de la voix d'Hélène », et les augures eux-mêmes refusent de la laisser partir. Hector, pour Troie, et Ulysse, pour la Grèce, tentent à tout prix de sauver la paix. Mais la guerre est l'affaire de la Fatalité et non de la volonté des hommes. La guerre de Troie aura lieu. Pièce en deux actes, La guerre de Troie n'aura pas lieu a été représentée pour la première fois le 22 novembre 1935 au Théâtre de l'Athénée, sous la direction de Louis Jouvet. Son succès fut éclatant et immédiat et ne s'est jamais démenti depuis. (Le Livre de poche)


Jouée pour la première fois en 1935, "La guerre de Troie n’aura pas lieu" est une pièce de théâtre bâtie sur le paradoxe et dont le titre même est paradoxal.
Les années 30/40 ont d’ailleurs été propices à la revisitation moderne de pièces de théâtre de l’antiquité grecque par plusieurs auteurs : Jean Giraudoux, Jean Cocteau, pour ce citer qu’eux.

A travers cette pièce de théâtre, Jean Giraudoux dénonce tout d’abord la guerre, ayant lui-même été blessé à deux reprises lors de la Première Guerre Mondiale il est un fervent défenseur de la paix, mais il évoque également la crise de 1929 qui continue à se faire sentir et la montée des extrémismes dans les pays européens, à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale.
Il dénonce la bêtise des hommes, leur entêtement et établit un parallèle très intéressant entre la situation en Europe où tous les pays sentent venir la guerre mais où aucun ne fait rien pour l’arrêter et celle de l’Antiquité avec la guerre de Troie.

La pièce de théâtre est découpée en deux actes et les personnages eux-mêmes sont découpés en deux clans : ceux pour la paix (Andromaque, Hector, Cassandre notamment) et ceux pour la guerre (Pâris, Priam, Démokos entre autres) avec au centre Hélène, qui ne sait pas ce qu’elle veut et se laisse porter au gré des évènements.
Ne souhaitant pas se contenter de traiter d’un sujet tragique, Jean Giraudoux y mêle également le registre de la comédie, n’hésitant pas à mettre certaines scènes modernes et anachroniques (la prise de la photo d’Hélène par exemple).
Pour le côté comique, j’aime énormément les scènes avec les vieillards qui acclament Hélène et louent sa beauté, mais uniquement avec des mots sans "r" puisqu’ils n’ont plus de dents.
C’est non seulement l’un des aspects novateurs de cette pièce, mais c’est aussi l’un des atouts qui fait que je l’apprécie énormément, avec également les jeux de scène que se permet l’auteur, avec le rideau commençant à tomber à la fin pour se relever et laisser voir Hélène et Troïlus s’embrassant derrière les Portes de la Guerre.
En arrière fond, la notion de destin est toujours présente et c’est une bien malheureuse conclusion qu’en tire l’auteur : c’est une force contre laquelle l’homme ne peut agir, et qui résonne comme un écho prémonitoire pour l’embrasement à venir des pays européens dans une guerre qui surpassera en horreur toutes les précédentes.

L’autre atout indéniable de cette pièce de théâtre, c’est le nouvel éclairage qu’apporte Jean Giraudoux sur les personnages.
Ainsi, Hector est un fervent défenseur de la paix, n’hésitant pas à se laisser gifler par un Grec pour éviter la guerre. Il est loin de l’image du guerrier que l’on peut sans faire.
Quant à Ulysse, ses intentions ne sont pas claires.
Les femmes ne sont pas effacées et, au contraire, n’hésitent pas à exprimer leur opinion et à chercher à influencer les décisions des hommes.
C'est ainsi qu'Hécube dira cette phrase très juste : "Ce ne sont pas ceux qui font l'amour ou ceux qui sont la beauté qui ont à les comprendre."
Même les Dieux ne sont pas épargnés, ils sont ridiculisés, l’un demandant qu’Hélène soit rendue aux Grecs sinon il y aura la guerre et l’autre qu’Hélène ne soit pas rendue car sinon il y aura la guerre, le summum étant atteint avec Iris, la messagère des Dieux qui oublie son écharpe en partant.
Quant à la Paix, c’est malade qu’elle apparaît à la fin du premier acte.
Cassandre est sans doute le personnage le plus clairvoyant, au-delà de sa malédiction de s’exprimer par phrases uniquement négatives elle sait bien que les dés sont jetés et que la guerre aura bien lieu.
Elle représente en quelque sorte la conscience de chacun.
Mais le personnage le plus énigmatique est sans nul doute Hélène, à la fois frivole et incertaine, à la limite écervelée, c’est la belle qui ne réfléchit pas par elle-même et obéit aveuglément lorsqu’on lui demande de dire ou de faire quelque chose, qui dit des hommes : "Je ne les déteste pas. C'est agréable de les frotter contre soi comme de grands savons. On en est toute pure ..." et de son amour pour Pâris : "Je suis aussi à l'aise dans cet amour qu'une étoile dans sa constellation.", mais finalement tout cela n’est qu’apparence, elle est avec Cassandre le personnage ayant le plus conscience de l’inéluctabilité de la guerre et a de belles phrases très justes : "L'humanité doit autant à ses vedettes qu'à ses martyrs."

Se clôturant sur le réplique suivante de Cassandre : "Le poète troyen est mort ... La parole est au poète grec.", "La guerre de Troie n’aura pas lieu" est une pièce de théâtre résolument moderne et indémodable, riche d’anachronismes, de mises en scène, d’un mélange savamment dosé entre tragédie et comique, dotée d’une lecture à plusieurs niveaux et j’ai pris beaucoup de plaisir à la relire et à la redécouvrir, cette fois-ci sous un œil moins académique que lors de mon baccalauréat de français.

2 commentaires:

  1. bienvenue au club pour le baccalauréat : je l'avais aussi à lire et j'ai relu cette pièce bien des années plus tard avec toujours autant de plaisir .

    RépondreSupprimer
  2. @ Marie : j'avais aussi "Electre", "La machibe infernale" ..., d'ailleurs je suis allée rechercher toutes ces pièces pour les relire.

    RépondreSupprimer