vendredi 2 juin 2017
Par amour de Valérie Tong Cuong
Valérie Tong Cuong a publié dix romans, dont le très remarqué Atelier des miracles. Avec cette fresque envoûtante qui nous mène du Havre sous l’Occupation à l’Algérie, elle trace les destinées héroïques de gens ordinaires, dont les vies secrètes nous invitent dans la grande Histoire. (J. C. Lattès)
"Par amour", cela aurait pu être le titre d'une chanson.
"Par amour", c'est finalement le titre du dernier roman publié par Valérie Tong Cuong, une auteur découverte avec "Noir dehors", retrouvée avec "L'atelier des miracles" et il y a moins d'un an avec le très beau "Pardonnable, impardonnable".
Dans ce roman, Valérie Tong Cuong traite d'un thème qu'elle affectionne : la famille, mais à l'inverse des trois romans cités plus haut, elle plonge son histoire dans la grande Histoire, en s'intéressant à deux familles de 1940 à 1945, soit la période de la France sous l'occupation, dans la ville du Havre mais aussi en Algérie.
Valérie Tong Cuong affectionne tout particulièrement l'écriture sous forme de roman chorale, un genre qu'elle maîtrise à la perfection, il n'est donc pas étonnant de le voir comme clé de voûte de son roman.
Elle aurait d’ailleurs eu bien tort de s’en priver.
En alternant les voix narratives, elle offre à chacun la possibilité de s’exprimer : les deux sœurs livrent leur point de vue de la Guerre et de l’Occupation, tout comme les enfants ; et ainsi de fournir un panorama de la Guerre vu par les adultes mais aussi par les enfants.
L’autre atout de ce style, c’est qu’il permet à l’auteur des sauts dans le temps afin de couvrir les cinq années entre l’Exode et l’Armistice.
Le roman s’ouvre sur l’Exode de 1940 et voit deux familles, portées par deux sœurs : Emélie mariée à Joffre, concierges d’une école et parents de deux enfants, et Muguette dont le mari est prisonnier de guerre, plutôt insouciante avec deux enfants également, qui sont jetées sur les routes pour fuir Le Havre.
Mais bien vite l’armistice est signée et la vie reprend son cours, ou presque, entre les arrestations et les bombardements : "Il n'y avait plus d'endroit ou d'envers, de tort ou de raison, de bon ou de mauvais côté : tout cela venait de disparaître dans le fracas de la défaite. Désormais, il y aurait seulement la vie et la mort.".
Et la maladie de Muguette.
La tuberculose.
Qui la condamne quasiment à une mort certaine, mais en attendant c’est au sanatorium qu’elle va aller, et en Algérie qu’elle va envoyer ses enfants, pour les protéger de la guerre.
Car oui, pendant la Seconde Guerre Mondiale de nombreux enfants ont été envoyés de France vers les colonies de l’époque pour les protéger des bombardements, un pan de l’histoire plutôt méconnu qui est ici mis en avant.
Outre la maladie, il y a la guerre, cette guerre terrible qui divise les familles : "Un an avait suffi pour que notre famille soit en morceaux. Je me demandais, tandis que nous marchons, quand tout cela finira-t-il ? Combien de temps faudra-t-il pour reconstruire ? Même ceux qui ne sont pas forts en sciences savent que l'on tombe toujours plus vite que l'on ne se relève.", éclate les amitiés ou renforce les liens, cette terrible machine de destruction impitoyable : "La guerre était une immense vague qui nous portait de creux en crêtes, gare à ceux qui quittaient l'écume, ils seraient envoyés par le fond.".
Ce roman s’attache à décortiquer de l’intérieur le quotidien d’une famille durant cette période terrible, entre ceux basculant vers la résistance et ceux se laissant guider par le maréchal Pétain, entre les moments tristes et les quelques éclaircies de bonheur, les heures sombres, les bombardements, les arrestations, la mort qui rôde en permanence.
Valérie Tong Cuong fait dire à l’un de ses personnages la phrase suivante : "Le monde est une roue qui tourne vite, à peine es-tu en haut, que te voilà déjà en bas.", c’est d’autant plus vrai en période troublée.
Et c’est une véritable roue d’émotions que fait vivre l’auteur à ses lecteurs, il y a des moments tendres, d’autres durs, des incompréhensions mais toujours de l’amour, beaucoup d’amour et rien que de l’amour.
Certaines villes ont été fortement touchées par les bombardements, pour ne pas dire totalement détruites.
Ce fut le cas de la ville du Havre qui a particulièrement souffert, ce roman permet de s’en rappeler et de rendre hommage à ses habitants.
De façon très pudique et très humble, sans voyeurisme ou exagération.
J’ai été touchée par cette histoire, parce qu’elle se passe dans un contexte historique qui m’intéresse, mais aussi parce qu’elle traite d’une cellule familiale et qu’il n’y a jamais de moralisation ou de vision très manichéenne de cette époque et des choix des personnes.
Décidément, Valérie Tong Cuong a le chic pour explorer l’âme humaine d’un regard scrutateur et évoquer à travers sa plume les émotions qui nous habitent.
Voilà une auteur que j’apprécie à chaque lecture un peu plus, elle sait mettre du baume au cœur et des pansements sur les plaies, en prime elle est tout à fait charmante et abordable avec ses lecteurs.
"Par amour", on peut faire beaucoup de choses, de grandes choses : se surpasser, s'oublier soi pour ne plus penser et vivre que pour l'autre, taire sa vérité pour protéger ceux que l’on aime le plus, les tenir éloignés pour qu’ils souffrent moins ; et comme Valérie Tong Cuong l‘a fait, on peut écrire un beau roman qui touche le cœur et l’appeler ainsi.
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