jeudi 8 novembre 2018

L'écart d'Amy Liptrot


Grande, fine, intrépide et avide de passion, elle vacille, tel un petit navire dans la tempête, elle hésite entre deux destins : se laisser emporter vers le sud, vers ce Londres qui brille, dans la nuit violente qui fait oublier le jour où l’on est trop seul, où tout est trop cher, où le travail manque. 
Ou se fracasser contre les falaises de l’île natale, dans cet archipel des Orcades battu des vents dont la vie rude lui semble vide et lui fait peur. 
Elle l’ignore encore mais il existe une troisième voie : écouter résonner l’appel qui la hante, qui vient toucher cette part d’elle assoiffée de grand large, de grand air, de grande beauté. Non pas rester mais revenir. Choisir. 
Troquer la bouteille assassine contre une thermos de café fort, troquer l’observation narquoise et éperdue de la faune des nuits de fêtes tristes pour la contemplation des étoiles et des nuages, et l’inventaire des derniers spécimens de râle des genêts, un oiseau nocturne comme elle, menacé comme elle, farouche comme elle. 
Sa voie s’appelle l’écart. C’est l’humble nom d’une bande côtière où les animaux sauvages et domestiques peuvent se côtoyer loin des regards, où folâtrent des elfes ivres d’embruns. (Editions Globe)

Un archipel balayé par le vent, loin de tout; une narratrice ravagée par l'alcool, loin de son archipel natal.
Tel est le tableau de ce roman où les deux éléments, la terre et l'humain, sont étroitement liés.
Pour poursuivre ses études et son rêve de vie dans la grande ville (Londres), la narratrice a quitté l'archipel des Orcades qui l'a vu naître.
Mais loin du rêve c'est une triste et dure réalité qui s'impose à elle : celle d'une ville impitoyable où la vie et le logement sont chers, où les personnes débarquées comme elle sont légion avec leurs rêves de gloire.
Alors elle sombre dans un travers qu'elle connaît depuis sa jeunesse, l'alcool : "Je me déconstruisais, verre après verre.", quitte à s'oublier, à tout perdre, à ne faire que décevoir les autres et à voir son rêve filer entre ses doigts.
Et puis un beau jour, la réalité s'impose, la jeune femme se souvient qui elle est et d'où elle vient : "Grandir dans un lieu balayé par les vents vous rend fort, souple et ingénieux : nul ne sait mieux que vous où et comment s'abriter des rafales.", décide de se prendre en main, de suivre une cure, et de revenir dans les Orcades, chez elle, pour se reconstruire, en même temps qu'elle reconstruit le domaine familial : "Je répare ces murets en pierres sèches en même temps que je rassemble les morceaux de moi-même pour me reconstruire. Je reconstitue mes défenses.".

Elle est belle cette narratrice, elle est forte, et pourtant elle a souffert, mais ne dit-on pas que c'est ce qui rend plus fort ?
Elle est douée cette autrice, et pourtant il s'agit de son premier roman.
Difficile de rester insensible à la beauté de l'écriture, du personnage qui décrit ses tourments, des paysages sauvages de l'archipel des Orcades, véritable invitation au voyage.
Il y a le cheminement intérieur du personnage, et puis il y a celui extérieur des éléments naturels.
Les deux sont liés, l'un ne va pas sans l'autre, et c'est là que réside toute la beauté de ce texte : un savant mélange entre l'intime et le sauvage, l'humain et la nature.
J'ai été touchée par le personnage et son histoire, son parcours, la façon dont elle se livre au lecteur, avec, il me semble, une telle justesse de propos que c'est à se demander s'il n'y aurait pas un soupçon d'autobiographie là-dedans.
Il y a aussi la ville de Londres, tel qu'on peut l'appréhender en tant que touriste mais aussi la façon dont elle se vit au quotidien pour ses habitants.
Et puis cet archipel des Orcades, tellement bien imagé que j'ai eu la sensation d'entendre le vent et la mer au cours de ma lecture.
Il faut aussi reconnaître à ce roman la qualité d'être une invitation au voyage : Londres dans un premier temps, puis la découverte de cet archipel (et les photographies que j'ai pu en voir donnent envie d'aller à la rencontre de cette nature qui semble fort heureusement encore bien protégée).
Si le style d'Amy Liptrot a su me séduire, je suis également agréablement surprise de ma découverte de cette maison d'édition que je ne connaissais pas jusqu'à présent.
Et je me dis que si les autres publications sont du même niveau que ce roman je vais de ce pas m'en aller les découvrir.
Après un détour par l’archipel des Orcades, bien évidemment.

"L'écart" d'Amy Liptrot est un fort beau roman de cette rentrée littéraire 2018, une belle découverte et une invitation au voyage vers des contrées lointaines et sauvages, balayées par les vents et les embruns.

"L'écart" Amy Liptrot #MRL18 #Rakuten

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