dimanche 15 janvier 2012

La nuit d'Elie Wiesel


Né en 1928 à Sighet en Transylvanie, Elie Wiesel était un adolescent lorsqu’en 1944 il fut déporté avec sa famille à Auschwitz puis à Birkenau.

La Nuit est le récit des souvenirs qu’Elie Wiesel conserve de la séparation d’avec sa mère et sa petite sœur qu’il ne reverra plus jamais et du camp où avec son père il partage la faim, le froid, les coups, les tortures… et la honte de perdre sa dignité d’homme quand il ne répondra pas à son père mourant.

« La Nuit, écrivait Elie Wiesel en 1983 est un récit, un écrit à part, mais il est la source de tout ce que j’ai écrit par la suite. Le véritable thème de La Nuit est celui du sacrifice d’Isaac, le thème fondateur de l’histoire juive. Abraham veut tuer Isaac, le père veut tuer son fils, et selon une tradition légendaire le père tue en effet son fils. L’expérience de notre génération est, à l’inverse, celle du fils qui tue le père, ou plutôt qui survit au père. La Nuit est l’histoire de cette expérience. »

Cet ouvrage est paru en 1958 aux Editions de Minuit et c’est le premier ouvrage d’Elie Wiesel qui est, depuis, l’auteur de plus de quarante œuvres de fiction et non-fiction. Prix Nobel de la paix en 1986, il est titulaire d’une chaire à l’université de Boston.

La Nuit a fait l’objet d’une nouvelle traduction aux Etats-Unis, en janvier 2006, avec une préface d’Elie Wiesel, et cette édition connaît un succès considérable. (Minuit)


"Je suis l'un d'eux", telle est la phrase lâchée par Elie Wiesel, jeune journaliste, à François Mauriac, lors d'un entretien.
François Mauriac a devant lui pour la première "l'un d'eux", l'un de ces enfants juifs entassés dans des wagons en partance pour les camps d'extermination.
Elie Wiesel va alors coucher par écrit son adolescence passée dans le camp d'Auschwitz-Birkenau avec son père, séparé de sa mère et de ses soeurs, puis la terrible "marche de la mort" et l'arrivée au camp de Buchenwald, jusqu'à sa libération.
Le manuscrit, écrit en yiddish sous le titre "Et le monde se taisait", traduit en français d'abord puis en anglais, fut rejeté par tous les grands éditeurs parisiens et américains, malgré les efforts de François Mauriac, jusqu'au jour où la maison d'édition "Les éditions de Minuit" acceptât de le publier.

Bien plus qu'une autobiographie, qu'en essai ou qu'un récit, "La Nuit" est un texte à part, sans nul doute fondateur de ce qu'écrira par la suite Elie Wiesel mais également une petite clé, un aperçu de ce qu'a pu être la déportation et la survie dans les camps de la mort.
Bien que ce récit soit très dur et très réaliste, fondé sur les souvenirs d'Elie Wiesel, sur son ressenti, il n'est pas possible pour moi de savoir et de comprendre intégralement ce que les déportés ont vécu.
On ne peut qu'essayer d'aller vers Auschwitz-Birkenau, de tendre vers l'enfer sur terre que ce camp, comme tant d'autres, représentait.

J'ai été, et resterai, marquée par ce livre pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, c'est l'un des premiers récits sur la vie dans les camps d'extermination que je lisais et j'ai été prise par cette lecture, mais surtout surprise par le fait que l'auteur ait réussi à mettre des mots sur ce qu'il a vécu, même si ces mots ne reflètent pas toujours bien sa pensée ou ce qu'il a vécu (et qui pourrait lui en vouloir).
Il s'est écoulé peu de temps entre son retour à la vie et la rédaction de ce manuscrit, cela n'en est que plus admirable.

Tout commence dans sa ville natale à Sighet, où malgré les mises en garde de Moshé : "Juifs, écoutez-moi ! C'est tout ce que je vous demande. Pas d'argent, pas de pitié. Mais que vous m'écoutiez !", survivant miraculeux d'une tuerie mobile, les habitants se croient à l'abri et que rien ne leur arrivera :"Je ne tiens plus à la vie. Je suis seul. Mais j'ai voulu revenir, et vous avertir. Et voilà : personne ne m'écoute ...".
Mais voilà, l'histoire finit par les rattraper et après les ghettos c'est le regroupement et le départ pour une destination inconnue : "Un sifflement prolongé perça l'air. Les roues se mirent à grincer. Nous étions en route."
Cette destination, c'est Auschwitz-Birkenau, précédée d'un terrible voyage en train.
Lors de ce voyage, une personne du wagon, Madame Schächter, qui n'a sans doute plus toute sa raison ne cesse de les mettre en garde, comme si elle devenait ce qu'il allait advenir d'eux : "Un feu ! Je vois un feu ! Je vois un feu ! ". Et si personne ne la croit, la vérité s'imposera d'elle-même à leur arrivée : "nous vîmes cette fois des flammes sortir d'une haute cheminée, dans le ciel noir."
L'auteur raconte ensuite la sélection à l'arrivée : "Quelqu'un se mit à réciter le Kaddich, la prière des morts. Je ne sais pas s'il est déjà arrivé, dans la longue histoire du peuple juif, que les hommes récitent la prière des morts sur eux-mêmes."", les mises en garde des détenus, la chance (si l'on peut dire) qui l'a fait passer de la file des condamnés à la chambre à gaz et aux crématoires à la sélection pour le camp de Monowitz-Buna.
Il y raconte ensuite son quotidien, le travail difficile, le manque de nourriture, le froid, la peur de la sélection, jusqu'à l'évacuation du camp et la terrible marche de la mort jusqu'au camp de Buchenwald et sa libération.
Mais l'Elie Wiesel rescapé n'a plus rien à voir avec l'adolescent déporté de Sighet : "Du fond du miroir un cadavre me contemplait. Son regard dans mes yeux ne me quitte plus."
L'auteur a bien su retranscrire ses pensées, y compris certaines scènes très difficiles, pour ne pas dire humainement insoutenables.

Ensuite, le ton employé par Elie Wiesel ne contient aucune haine, aucune rancune.
Il ne juge pas, il raconte ce qu'il a vécu adolescent avec son père, la faim, les privations, les coups, la peur, la sélection, le travail et par dessus tout la déshumanisation : "Je devins A-7713. Je n'eux plus désormais d'autre nom." et la perte de la dignité humaine, qui le poussera à laisser son père mourant alors que celui-ci l'appelle à son chevet.
Il a aussi une profonde réflexion concernant la religion et Dieu.
Avant ces évènements, Elie Wiesel était très croyant et étudiait la religion juive, particulièrement la Kabbale.
Ce qu'il a vécu dans ce camp aura eu raison de sa croyance en Dieu, c'est d'ailleurs une réflexion parfois rapportée par des rescapés et qui pose des questions sur la religion, son sens réel et la place de Dieu.
Lors d'une exécution, un détenu demande : " Où donc est Dieu ?", intérieurement Elie Wiesel lui répond ceci : "Où il est ? Le voici - il est pendu ici, à cette potence...".
Mais outre sa révolte contre Dieu, c'est aussi contre l'humanité qu'il se révolte, car toutes les valeurs sont inversées (les enfants frappent les adultes, et même le coeur le plus tendre se transforme en pierre, dans le seul but de survivre. Plus personne ne pense en masse, chacun pense à soi.
Pour écrire cela, Elie Wiesel utilise un style narratif fragmenté, comme s'il devait écrire dans l'urgence car il peut disparaître à tout instant, et change régulièrement de points de vue.
Je n'ai absolument pas été gênée par ce style narratif, au contraire je trouve qu'il sert même la fluidité de la lecture de ce récit.

S'il était encore besoin de démontrer que ce n'est pas le nombre de pages d'un livre qui en fait sa qualité, ce récit d'Elie Wiesel d'un peu plus d'une centaine de pages en est la parfaite illustration.
A travers ce récit, Elie Wiesel livre au lecteur de tout âge, de toute nationalité, de toute religion, un formidable, émouvant et poignant témoignage de la vie en déportation.
C'est un livre qui m'a profondément marquée, c'est la déposition d'Elie Wiesel sur une partie de sa vie et l'une des pages les plus sombres de l'histoire de l'Humanité.
C'est un livre unique qui restera dans l'Histoire.
Je n'ai, me semble-t-il, pas encore à ce jour fait ceci, mais je tiens à remercier Elie Wiesel d'avoir écrit ce livre, d'en avoir eu la force et le courage.
Non seulement je n'oublierai pas ce récit, mais je n'oublierai pas non plus l'homme derrière ces lignes.

En conclusion de cette longue critique, je citerai le passage concernant la première nuit au camp, passage qui, selon moi, concentre tous les thèmes de ce récit :
"Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n'oublierai cette fumée.
Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi.
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais."

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