samedi 7 janvier 2012
Les New-Yorkaises d'Edith Wharton
"Les programmes de Mrs Manford étaient immuables.
On en venait à douter que la maladie, ou même la mort, puisse les désorganiser. Tenter de modifier la mosaïque complexe de ses rendez-vous aurait été comme chercher à démolir la pyramide de Khéops... "
Prise dans le tourbillon de la vie New-Yorkaise, Pauline ne s'épargne pas. Guérisseurs, assistantes sociales, gourous et marchands d'art s'arrachent le temps de cette femme exemplaire qui préfère s'adonner aux exercices d'élévation de l'âme plutôt que de se plier aux aspirations intimes de son époux. Rien d'étonnant à ce que celui-ci soit sensible à l'extrême légèreté de Lita, sa belle-fille, à son profil d'ange primitif, voire à ses extravagances.
Mais ce besoin d'évasion annonce un drame... (J'ai lu)
Edith Wharton propose au lecteur dans ce livre une plongée dans le New-York des années folles, dans une opulente famille : les Manford.
Évoluant au milieu d'un monde où s'affrontent le puritanisme et le cynisme, Pauline Manford, épouse, mère et maîtresse de maison exemplaire, passe ses journées entre rituels domestiques, réceptions mondaines, tactiques conjugales, séances de méditation et associations caritatives.
Plus elle s'étourdit et se perd dans ses activités, plus elle a l'impression de servir à quelque chose et de contribuer à la grandeur des Etats-Unis; et plus elle s'oblige à penser positivement moins elle voit la réalité en face.
Ainsi, elle ne se rend pas compte, ou plutôt refuse de voir, que son ancien mari a replongé dans l'alcoolisme, que sa fille est rongée par un mal-être et des blessures intimes, que sa belle-fille est complètement inconséquente et immature.
Car le plus important, pour Pauline Manford, c'est de maintenir les apparences et de ne surtout pas apparaître en photo dans la presse à scandale.
Le fond de ce livre, ce n'est sans doute pas l'histoire qui n'a rien d'originale et est conventionnelle, mais les personnages et le style d'écriture de l'auteur.
J'ai beaucoup aimé les portraits de femmes dressées par Edith Wharton, car les hommes sont mis au second plan, ils apparaissent comme faibles et dominés par les femmes, c'est un point de vue original et peu conventionnel.
Mon personnage préféré est sans nul doute Nona, c'est la plus humaine et la plus réaliste de tous ("Elle ne voulait pourtant pas vraiment faire comme eux"), et je pense d'ailleurs que l'auteur s'est identifiée à ce personnage.
C'est elle qui sans cesse intervient entre les personnages, elle joue le rôle que sa mère ne fait pas, elle a sans doute peur du lendemain et se cache derrière un certain cynisme parfois, et pour cela, se noie dans un tourbillon de jazz et de danse pour essayer d'oublier.
Elle n'est pas comprise par les autres, le seul qui la comprend ("Ils ne veulent pas de vous") et partage ses opinions, c'est Stan Heuston, l'homme qu'elle aime mais déjà marié. Elle ira toutefois jusqu'à refuser de lui écrire pour le faire revenir après sa fuite avec une femme, parce qu'elle ne veut pas agir pour les bienfaits de l'épouse délaissée.
Je trouve que l'auteur a fait preuve d'une réelle finesse sur la psychologie humaine, ce passage en étant sans doute la meilleure illustration.
Et puis, le lecteur finit par découvrir que tout le monde se méprend sur Nona. Sa mère la prend pour une cynique et ne lui souhaite que de se marier, tout le monde est persuadé qu'elle s'entend parfaitement bien avec sa belle-soeur, Lita, mais en réalité il n'en est rien. Elle déteste ces gens qui ne font finalement que venir voir "encore et toujours le même spectacle" tout ça parce qu'"Il n'y a rien qu'ils détestent autant que la nouveauté ... ils en sont tellement gavés, de nouveauté !", comme le lui fait remarquer Stan Heuston.
Elle qui essaie de faire le bien autour d'elle, de souder les gens entre eux, finira pourtant l'histoire abandonnée de tous, qui ne songent qu'à partir en voyage et s'amuser.
Bien souvent comme dans la vraie vie, c'est la plus méritante qui souffre le plus, et si j'ai été triste du sort de Nona j'ai aimé la clairvoyance de l'auteur sur ce sujet.
L'autre personnage fort est Pauline Manford, la mère de Nona. Elle est la parfaite illustration de la femme insouciante, qui perd son temps dans des futilités et fait des choses pour pouvoir s'en vanter derrière (des oeuvres caritatives par exemple).
Et avec cela, elle a l'impression de remplir le vide de son existence, tout en éprouvant régulièrement le besoin "d'un nouveau stimulant moral" (guérisseurs et autres charlatans).
Si elle peut paraître ainsi irritante, l'auteur arrive à la rendre à peu près agréable au lecteur.
Le personnage franchement irritant et que l'auteur n'épargne nullement, c'est Lita.
Elle est totalement insouciante, fait le mal autour d'elle par son inconséquence et ses propos, elle dit des méchancetés sans même s'en rendre compte et sans jamais s'excuser.
Alors elle s'ennuie, elle veut faire du cinéma, elle veut divorcer, elle veut danser toute la nuit, elle séduit son beau-père, en somme, elle va rendre tout le monde malheureux.
Et lorsque Pauline essaye de lui parler, de lui faire comprendre qu'en divorçant c'est à son mari Jim qu'elle va faire du mal, qu'elle y réfléchisse à deux fois avant de faire quoi que ce soit, elle lui répond en toute simplicité : "Ne faudrait-il pas plutôt tenir compte du fait qu'il ne m'intéresse plus ?"
S'agit-il d'un caricature ?
Pour moi absolument pas, elle canalise tout ce que l'auteur a cherché à dénoncer en écrivant ce livre.
Outre l'intelligence des propos et la finesse psychologique des personnages, j'ai également apprécié ce livre pour le style d'écriture de l'auteur.
C'était ma première lecture d'Edith Wharton et j'ai assez aimé son style.
Elle est parfois cynique, parfois drôle, mais elle arrive à captiver le lecteur par son style et à dérouler une histoire sans même qu'il se rende compte que la fin est déjà proche.
Et même si plusieurs dizaines d'années séparent cette histoire de notre époque, il y a toujours un fond de vérité et les propos développés par l'auteur sont toujours d'actualité.
Finalement, c'est ce qui fait le charme de ce livre et surtout, le rend intemporel.
Ce livre a été lu dans le cadre du challenge New-York en littérature 2012
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Tes remarques sont très vraies, et je te rejoins à 100% dans tes analyses! En lisant ton billet je me dis que j'ai oublié de parler de certaines choses...
RépondreSupprimerCa arrive à tout le monde, moi la première de me rendre compte que j'ai oublié de parler de certaines choses.
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