mercredi 29 mai 2013

Le passé d'Asghar Farhadi



Après quatre années de séparation, Ahmad arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé. (AlloCiné)

J’ai vu ce film avant son sacre à Cannes (car oui, un prix d’interprétation pour Bérénice Bejo est un sacre) et il fait partie de ces films dont il est difficile de parler "à chaud", en tout cas pour ma part.

D’Asghar Farhadi j’avais vu le très beau "Une séparation" et il était à craindre une redite de son précédent film, le sujet comportant des similitudes : un divorce, un couple qui se déchire, des enfants au milieu de tout cela.
Malgré une base commune, ce film propose une histoire et des personnages totalement différents, preuve qu’à partir d’un même thème plusieurs variations sont possibles.




J’ai eu la sensation tout au long du film d’évoluer entre deux couples sans jamais pouvoir me fixer : celui de Marie et d’Ahmad, le spectateur sentant clairement que leur histoire n’est pas tout à fait finie et que chacun au sein de ce couple connaît parfaitement l’autre ; celui de Marie et de Samir, un couple encore jeune, qui cherche à se construire et en est à ses balbutiements.
Une femme, deux hommes : hormis ce trio et le tourbillon de la vie la comparaison avec "Jules et Jim" s’arrête là.
J’en viens à me dire que le spectateur est en quelque sorte le personnage de Marie, ballotée entre ces deux hommes, gérant les problèmes au quotidien de la vie de famille et de ses relations tendues avec sa fille Lucie.
D’ailleurs, Marie aurait très bien pu être infirmière, elle est finalement pharmacienne : une femme qui donne aux autres les médicaments pour se soigner mais qui ne sait que prendre quand c’est pour elle.
Les symboliques dans la façon de filmer d’Asghar Farhadi sont toujours très présentes et fortes.
Il y a ainsi la très belle première scène à l’aéroport, où Marie vient chercher Ahmad et où ils se parlent à travers une vitre sans s’entendre.
Inutile, chacun lit sur les lèvres de l’autre, ils se connaissent par cœur et malgré une séparation de quatre ans se retrouvent comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.
Ou alors cette maison habitée par Marie et Samir, en chantier, comme leur couple d’ailleurs.
Ou encore les scènes filmées dans le pressing de Samir, avec une image toujours encombrée par un objet : une lessiveuse, un meuble ouvert, donnant ainsi une sensation d’étroitesse et de chaleur à la limite de l’étouffement, sans doute ce qu’a dû ressentir Céline, la femme de Samir, à force de vivre dans cet univers.


Malgré une histoire lente, il n’y a pas d’ennui dans ce film tant le réalisateur ponctue son histoire de rebondissements.
Sa construction narrative n’est pas sans me rappeler un opéra : une entrée en matière, chaque personnage se présente, puis ils interagissent ensemble et s’enflamment lyriquement pour finir par conclure l’histoire.
Le rythme du film évolue lentement mais sûrement et les dialogues s’affirment de plus en plus, tout comme les personnages.
Certaines scènes sont à la limite de l’hystérie, notamment pour le personnage de Marie qui finit par éclater avant de revenir à la raison.
Les dialogues sont ciselés et précis, comme une bonne partition, et très vite une tension dramatique s’installe.
Il faut dire que c’est une vision sombre de la vie qui est présentée dans ce film : une banlieue grise, une maison près du RER, la routine quotidienne et des personnages qui tirent le diable par la queue pour s’en sortir.
Ici, le réalisateur s’est attaché aux relations humaines : les conflits familiaux, les disputes, le divorce, pour ne citer que ceux-là, sans doute ce qui se fait de plus dramatique dans le registre.
Mais c’est dans ce domaine qu’il excelle et qu’il livre le meilleur de son cinéma.


Pour son premier film tourné en France, Asghar Farhadi s’est entouré d’Ali Mosaffa, un acteur iranien inconnu mais qui interprète avec brio le posé mais torturé Ahmad, qui dégage indubitablement un petit quelque chose qui attire forcément l’empathie du spectateur sur lui ; de Tahar Rahim, démontrant ainsi qu’il a mûri depuis un prophète et qu’il est en mesure de jouer des personnages forts ; de Bérénice Bejo, très loin de "Meilleur espoir féminin" car elle a depuis longtemps concrétisé son statut d’actrice et absolument formidable et époustouflante dans ce rôle de femme oscillant entre deux hommes et de mère vivant une relation conflictuelle avec sa fille aînée.
D’ailleurs, j’ai particulièrement apprécié la prestation de la jeune Pauline Burlet dans le rôle de Lucie, un rôle pivot difficile à tenir et dont elle se sort bien.
L’alchimie entre ces acteurs fonctionne, les scènes sont un régal à suivre et je ne peux qu’approuver la Palme attribuée à Bérénice Bejo pour ce rôle, c’est amplement mérité et justifié, elle illumine le film par sa présence. 


"Le passé" est sans nul doute une nouvelle pépite d'Asghar Farhadi qui prend le spectateur aux tripes pour son histoire mais également pour l'interprétation magistrale des acteurs.
A voir de toute urgence.




Ce film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2013.
Bérénice Bejo a obtenu la Palme pour le Prix d'Interprétation Féminine au Festival de Cannes 2013.

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