samedi 7 décembre 2013

Les locataires de l'été de Charles Simmons


Cet auteur rare (un livre tous les huit ans depuis 1964), que la critique a comparé à J. D. Salinger, n’était connu jusqu’ici chez nous que par l’extraordinaire Wrinkles (Rides), publié il y a plus de vingt ans. Les Locataires de l’été confirme son ambition de toujours : creuser l’apparence anodine jusqu’à faire surgir entre les lignes le dessin (le dessein) secret de la vie. Un adolescent passe la belle saison au bord de la mer, tombe amoureux de la petite voisine, découvre que son père est lui aussi tourmenté par le désir, se trouve confronté à la mort... Simmons s’emploie à révéler tout ce qui dans la vie fait défaut : tout ce qui manque à l’amour, à l’amitié, à la tendre complicité entre un père et un fils pour désarmer ce qu’il faut bien appeler le malheur. (Phébus)

Comme le dit la chanson qui vient à l'esprit à la lecture de cette quatrième de couverture : "Quand vient la fin de l'été, sur la plage/Il faut alors se quitter/Peut-être pour toujours/Oublier cette plage/Et nos baisers".
Mais il n'est pas question d'oublier quoi que ce soit de cet été-là pour Michael, le narrateur de l'histoire, la première phrase est d'ailleurs lapidaire et annonciatrice de la suite : "C'est pendant l'été de 1968 que je tombai amoureux et que mon père se noya.".
Le ton est donné, le drame est latent durant tout le roman et va crescendo jusqu'à son paroxysme.
Mais il serait trompeur de s'arrêter à la simplicité apparente de l'histoire, il faut gratter le vernis pour que surgisse entre les lignes la vérité : celle d'une histoire cruelle sur la vie, l'amour, la mort.
C'est également un roman d'apprentissage, celui de Michael qui pour la première fois de sa vie va aimer, va souffrir, va se trouver en compétition avec d'autres garçons et va surtout découvrir que son père est lui-même habité par les même désirs que lui.
Un apprentissage rude de la vie : "Ce qu'on est, on n'y peut rien.", il faut faire avec et essayer en permanence de repousser le malheur pour vivre dans un semblant de bonheur.
Zina est un peu plus âgée que Michael, plus sage que lui, en tout cas c'est l'apparence qu'elle donne, elle va elle aussi le former d'une certaine manière, en lui apprenant des choses sur les femmes : "Une femme, pour faire l'amour avec un homme, il faut qu'elle soit amoureuse, vois-tu. C'est son exigence sacrée à elle.", et plus généralement sur l'Amour : "L'être aimé a une responsabilité à l'égard de qui l'aime.".
Michael va sortir de son cercle familial, se confronter à d'autres personnes venant d'univers différents du sien, mais c'est en s'ouvrant et en se frottant aux autres que l'on grandit, que l'on apprend des choses sur la vie et sur soi-même, tout en gardant une part d'innocence et de mystère comme le montre la dernière phrase : "J'ai maintenant l'âge qu'avait mon père lorsqu'il se noya. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours l'impression d'être un enfant."
Dans ce roman, il y a beaucoup d'amour, de désir, et tout ce qui avec à commencer par la jalousie, des hommes qui se laissent guider par leurs sentiments et leurs envies sexuelles, l'un n'allant pas forcément de pair avec l'autre, et des femmes indolentes qui se laissent porter par la tiédeur de l'été vers des hommes tandis que d'autres cherchent à défendre bec et ongles leur petit bonheur apparent; mais au final tout ce qui compte, c'est de sauver les apparences et de garder la face haute.
Il y a aussi des personnages finement élaborés, une tension qui monte et qui prend aux tripes le lecteur, difficile d'être à l'aise dans un tel climat mais difficile aussi de lâcher le livre avant la fin tant le lecteur est pris dans cette atmosphère et le drame qui s'y joue.
Durant cette lecture, une image s'est imposée à mon esprit : celle de Charlotte Rampling dans "Sous le sable" qui regarde désespérément vers la mer à la recherche de son mari disparu, emporté par les vagues.
Et au final, outre la très belle performance littéraire de Charles Simmons, je me suis fait comme réflexion que cette image que j'avais gardée à l'esprit durant toute ma lecture n'était finalement pas si éloignée que cela de l'esprit du roman.
D'ailleurs, il pourrait tout à fait être adapté par François Ozon tant l'histoire et le climat sont proches de l'univers de ce réalisateur qui ne manquerait pas, j'en suis sûre, de sublimer par l'image toute la grandeur et la beauté de ce récit.

"Les locataires de l'été" fait partie de ces livres petits par la taille mais grands par leur histoire, un récit porté par la beauté de la plume subtile de Charles Simmons, un auteur apparemment aussi rare que talentueux.
En tout cas, une très belle découverte littéraire qui ne peut laisser personne indifférent et qui m'a beaucoup touchée.

Livre lu dans le cadre du Prix des Lectrices 2014


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