dimanche 31 juillet 2016

La terre qui penche de Carole Martinez


Blanche est morte en 1361 à l’âge de douze ans, mais elle a tant vieilli par-delà la mort! La vieille âme qu’elle est devenue aurait tout oublié de sa courte existence si la petite fille qu’elle a été ne la hantait pas. Vieille âme et petite fille partagent la même tombe et leurs récits alternent. L’enfance se raconte au présent et la vieillesse s’émerveille, s’étonne, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l’y attend. Veut-on l’offrir au diable filou pour que les temps de misère cessent, que les récoltes ne pourrissent plus et que le mal noir qui a emporté sa mère en même temps que la moitié du monde ne revienne jamais ? (Gallimard)

J'ai découvert Carole Martinez avec "Du domaine des murmures", dans lequel j'avais pu apprécier sa belle plume poétique.
Ici Carole Martinez reprend un thème qui lui est cher et qu'elle maîtrise à la perfection : le Moyen-Âge, mais à une époque un peu plus avancée que dans son précédent roman.
Là encore, l'héroïne est féminine et refuse de se faire dicter sa vie par son père, pourtant Blanche n'a rien à voir avec Esclarmonde, hormis qu'elle vient vivre au domaine des Murmures car c'est là que réside son promis.
Blanche a onze ans, elle voudrait apprendre à lire et à écrire mais son père refuse : "Il ne veut pas faire de moi une lettrée, la faute au diable qui entre dans les âmes des filles qui savent lire !", à la place il l'a conduit chez le fiancé qu'il lui a choisi puis l'abandonne à son sort.
Mais Blanche va aimer vivre au domaine des Murmures, elle va y apprendre à lire et à écrire, elle va aimer ce petit fiancé sauvage qui se plaît à grimper aux arbres et à communier avec la nature, elle va parler avec l'esprit de la Loue, et elle va ainsi apprendre qui était sa mère.

Ce roman est raconté par deux voix, celle de Blanche petite fille et celle de la vieille âme, une Blanche morte mais qui a tant vieilli depuis des siècles.
La vieille âme se remémore l'enfance, Blanche crie sa révolte et sa volonté de s'émanciper : "Car je suis BLANCHE et je serai mon domaine, mon château, ma maîtresse, nul ne me pliera plus dès que je serai grande et que mes tétons auront poussé, pas même le diable, agile et filou, et je tuerai mon père pour de bon, un jour, je le tuerai, foi de Comtois !".
Blanche a tellement de colère en elle, la vieille âme tellement de sagesse, à elles deux elles arrivent à reconstituer le fil du passé et l'histoire de Blanche.
Le Moyen-Âge fut une époque cruelle, entre les guerres, les épidémies, une période où les femmes n'avaient que peu de valeur et où les hommes étaient maîtres de tout : "Non, les hommes ne sont pas soumis à leur désir : ils en sont les maîtres et l'éteignent aussitôt !".
C'est cela dont parle Carole Martinez, mais aussi de toute autre chose.
Car Carole Martinez est une poétesse, elle travaille les mots, elle les sculpte pour les rendre les plus beaux et les plus aiguisés possibles.
D'un point de vue stylistique c'est sans doute le roman le plus travaillé que j'ai pu lire ces dernières années, d'autant que l'auteur y développe un véritable univers.
Certes, il y a Blanche l'humaine, mais il y a aussi toute une dimension mystique dans cette histoire, il y est question de fée, d'esprit de l'eau, de petites filles mortes qui reviennent sous forme de fantômes, d'un ogre qui rôde dans la forêt.
Ce n'est pas un conte mais cela en a pourtant tout l'air, ce n'est pas non plus un roman d'apprentissage et pourtant.
Car le lecteur aussi bien que Blanche y apprend tellement de choses et en ressort grandi, et puis le style emporte l'espace de la lecture dans cette période si reculée de l'Histoire.
Carole Martinez a une si belle plume et elle parle si bien de cette période que j'aimerai que son prochain roman s'y déroule également, d'un autre côté j'aimerai aussi la voir se mettre en danger et sortir de son champ de confort pour proposer tout autre chose.
Dans un cas comme dans l'autre il y a fort à parier que je le lirai de toute façon.

Si l'histoire d'Esclarmonde vous avait transporté il en sera de même avec celle de Blanche petite fille et vieille âme dans "La terre qui penche", un très beau roman signé par Carole Martinez.


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