dimanche 17 mars 2013

Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB de Jacques Tardi


Avec Moi, René Tardi, prisonnier de guerre - Stalag IIB, Jacques Tardi concrétise un projet mûri de très longue date : transposer en bande dessinée les carnets de son propre père, rédigés des années durant sur des cahiers d’écolier, où celui-ci tient par le menu la chronique de sa jeunesse, en grande partie centrée sur ses années de guerre et de captivité en Allemagne. Après avoir, comme on le sait, énormément travaillé sur la guerre de 14 – 18, c’est la première fois que Tardi se penche d’aussi près sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Ce faisant, il développe également un projet profondément personnel : en mettant en images l’histoire de son père militaire, Tardi explore rien moins que les racines, les origines et les ressorts de sa propre vie. Ce « roman familial » prend des accents d’autant plus intimes que Tardi a associé au projet deux de ses propres enfants, Rachel (qui assure la mise en couleur) et Oscar (documentation et recherches iconographiques). (Casterman)

Jacques Tardi est plutôt connu pour ses bandes dessinées portant sur la guerre de 14-18 et sa série des aventures d'Adèle Blanc-Sec, c'est donc la première fois qu'il se penche sur la Seconde Guerre Mondiale mais en ayant ciblé l'histoire qu'il allait raconter : celle de son père, prisonnier de guerre au Stalag IIB.
C'est à partir des carnets rédigés par son père que Jacques Tardi bâtit son histoire, qui n'est pas que l'histoire de son père mais tout simplement l'histoire de sa famille.
Du temps où son père était encore vivant, l'auteur ne lui a jamais trop posé de questions sur cette période de sa vie, ce qui fait que parfois des questions restent sans réponse, mais l'ensemble est non seulement cohérent mais documenté avec précision.
L'une des originalités de ce récit, c'est que Jacques Tardi s'est représenté enfant aux côtés de son père durant tout le récit, n'hésitant pas à l'interrompre, à lui poser des questions ou à lui faire part de ses opinions ou à faire de l'ironisation, et cela plonge tout de suite le lecteur dans l'histoire en tant que spectateur.
Il n'est d'ailleurs pas toujours très tendre avec son père : "Quand je pense que tu t'es engagé ! Tu me fais honte !".
Ce dernier lui explique, sans doute comme l'auteur aurait aimé que son père lui parle lorsqu'il était plus jeune, les raisons de son engagement, la mentalité de l'époque en France : "A l'école, on ne cessait de nous répéter que dans tous les domaines nous étions les plus balèzes. Nous avions eu Descartes, Boileau, etc., etc., donc nous étions les plus forts et personne n'aurait l'outrecuidance de venir nous chatouiller. Voilà ce qu'on inculquait aux Français de l'époque.", tout ce qui peut expliquer le comportement des français et de l'armée et surtout sa déroute rapide face à l'armée allemande bien mieux organisée et préparée que celle française : "Comment était-ce possible ? La meilleure armée du monde ! ... Avec à sa tête, les chefs les plus intelligents qui soient ... L'armée française, l'armée du pays des superlatifs, du pays du bon goût, où tout est mieux et meilleur qu'ailleurs ! Que s'était-il passé ? Comment ces sinistres bouffeurs de choucroute mal dégrossis avaient-ils pu nous infliger une telle déculottée ? ... à nous ?! C'est te dire à quel point nous nous pensions supérieurs et invincibles.".
Je trouve que René Tardi porte un regard lucide et sans concession sur l'état d'esprit de cette époque, et là où je n'ai pu m'empêcher de sourire c'est que, malheureusement, cette mentalité n'a pas forcément beaucoup évolué en plus de cinquante ans et que nous, français, avons toujours un peu trop tendance à nous croire supérieurs et invincibles.
Le récit est posé et prend le temps de se construire, certains passages sont appuyés par le narrateur car ils ont été importants dans cette période de sa vie, je pense notamment au côté de déshumanisation qui régnait dans le Stalag : "Je venais de perdre mon identité au profit d'un numéro matricule. Je n'étais plus qu'un "stück" de viande, pris dans la toile de l'administration nazie de ce putain de camp.", une autre forme de déshumanisation par rapport à celle que connaîtront les déportés en camps de concentration ou d'extermination (René Tardi précise d'ailleurs à son fils qu'ils ont eu connaissance de ce qui se passait dans d'autres camps et que c'était l'une des raisons pour lesquelles ils cachaient le statut des Juifs du camp), ainsi que le manque de nourriture omniprésent durant un peu plus de quatre ans et qui a très vite travaillé l'esprit et le corps de René Tardi.
C'est un récit rempli d'émotions, il ne faut pas se fier aux dialogues entre le père et le fils qui pourraient être considérés comme du simple badinage ou une joute verbale, en réalité il n'en est rien et parfois cela accentue même plus la dureté de l'histoire, du passé et du ressenti de René Tardi : "J'ai franchi la porte du Stalag sans me retourner. Je venais d'y passer quatre ans et huit mois - 1680 jours ! - dans ce cul-de-basse-fosse poméranien et j'en voulais à la terre entière ... à nos chefs, à l'Armée, à la France ! J'avais des envies de meurtre !".
Je n'ai jamais caché que la Seconde Guerre Mondiale est une période de l'histoire qui m'intéresse vivement, particulièrement tout ce qui est relatif à la déportation, j'ai grandement apprécié cette oeuvre de Jacques Tardi car elle a le mérite d'éclairer et de mettre en avant un aspect peu développé voire médiatisé de cette guerre : l'internement dans des camps, les stalags, des prisonniers de guerre français, mais également russes, anglais, italiens, américains.
Si la dimension de la guerre était mondiale, celle de l'internement également, d'autant plus qu'elle a revêtu différentes formes : l'extermination de masse, le travail forcé.
A la fin de la guerre tous ces hommes n'ont pas pu parler pour raconter ce qu'ils avaient vécu, et lorsqu'ils essayaient de le faire le silence leur était aussitôt imposé car après tout, la guerre, la "vraie" en référence à celle de 14-18, ils ne l'avaient pas vraiment connue ni faite.
Ce livre permet de rendre hommage aux prisonniers de guerre et de mettre, enfin, leur histoire dans la lumière.
J'ai également aimé les détails sur les conditions de vie dans le camp, c'est précis et j'ai senti qu'outre les cahiers du père de Jacques Tardi des recherches documentaires avaient été faites, ici par Oscar, le fils de Jacques Tardi.
Le travail en famille ne s'est pas arrêté là puisque c'est sa fille Rachel qui s'est chargée de la mise en couleurs de la bande dessinée et je dois reconnaître que c'est une réussite et que cela contribue à sublimer le récit et à rendre les émotions à l'état pur.
Rachel Tardi a essentiellement travaillé sur les nuances de gris.
Loin d'être lassant j'ai trouvé que cela conférait une forme de beauté à la bande dessinée, tout comme la couleur rouge qu'elle utilisera à quelques moments pour illustrer des choses bien précises : le ciel de la défaite ou le drapeau nazi.
Quant aux dessins de Jacques Tardi, je les trouve particulièrement réussis, illustrant de façon véridique et sincère le récit de son père.
Il a réussi à transcrire dans le dessin les émotions, les conditions de vie dans ses moindres détails, ainsi que les conditions météorologiques : le froid et la pluie présents dans une bonne partie du récit.
Ainsi, l'émotion ne se dégage pas que de l'histoire mais également des dessins, d'autant plus que j'ai l'impression que ce n'est pas qu'avec son stylo que Jacques Tardi a dessiné mais aussi avec son coeur, j'ai donc trouvé ce récit doublement émotionnel et ce n'est pas qu'avec un oeil de lectrice que je l'ai lu mais également avec celui de l'amour qu'un enfant ressent envers son père et d'une façon plus générale d'une personne qui cherche à comprendre le passé et cette période si noire de l'Histoire.

Jacques Tardi livre avec "Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB" sa bande dessinée la plus personnelle dans laquelle il n'a pas mis que son talent de dessinateur mais aussi son coeur et cela ne trompe pas le lecteur.
Une réussite tant sur le plan de l'histoire que du graphisme et dont il me tarde de connaître la suite.

Si je devais mettre une note à ce livre : 19/20

Je remercie Price Minister et les éditions Casterman pour l'envoi de cette bande dessinée dans le cadre de "La BD fait son festival" organisé par Price Minister.

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