dimanche 31 janvier 2016

Libération de Sándor Márai


En avril 1945, Budapest est libérée par l’armée russe au terme d’un siège implacable. Cet épisode historique, que Sándor Márai évoquera vingt-cinq ans plus tard dans ses Mémoires de Hongrie, lui inspire, à chaud, ce roman qu’il achève en quelques mois. Pendant les dernières semaines du siège, une centaine de réfugiés se terrent dans les caves d’un immeuble, attendant l’issue d’un combat incertain. Autour de la jeune Élisabeth, fille d’un savant renommé, résistant au nazisme, se rassemblent toutes sortes de gens. Au fil des jours, dans l’atmosphère oppressante de ce huis clos, les caractères se révèlent, les masques tombent. (Le Livre de Poche)

Est-ce parce que je suis allée à Budapest que j'ai autant aimé ce roman ?
Ou bien est-ce parce que j'avais tellement envie de lire, plusieurs mois après y être allée, un auteur Hongrois tel que Sándor Márai ?
Ou alors est-ce parce que le sujet traité se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale, une période de l'Histoire qui m'intéresse tout particulièrement ?
Sans doute tout cela, et bien d'autres choses.
Quoiqu'il en soit, je pense que ce roman conservera à jamais une saveur toute particulière, parce que je me suis trouvée à le lire à un moment particulier de ma vie qui m'a apporté une forme de libération, tout comme le titre et le sentiment qu'éprouve Elizabeth, fille d'un savant renommé, qui se terre dans la cave d'un immeuble avec d'autres personnes en attendant fébrilement l'arrivée de l'armée Soviétique synonyme de défaite du Nazisme, et de libération pour la ville de Budapest.

Le siège de Budapest a été particulièrement rude et sanglant, il a d'ailleurs été comparé du point de vue du nombre de morts aux sièges de Berlin et de Stalingrad, une grande partie de Pest a été détruite, tout comme les ponts sur le Danube reliant cette partie de la ville à Buda qui aura été un peu plus épargnée.
A l'époque où se situe l'histoire, les militaires Hongrois et Allemands se sont retranchés à Buda et l'Armée rouge va entrer dans Pest et continuer les combats jusqu'à la reddition de ces derniers.
Les Juifs de Budapest ont été déportés tardivement au printemps et à l'été 1944, ceux ayant échappé aux déportations vivent dans deux ghettos ils sont aussi des cibles privilégiés pour les Croix fléchées.
Voici le contexte dans lequel se déroule cette histoire, les habitants de Budapest sont a cran, ils savent que leur délivrance est proche mais certains continuent encore à dénoncer des Juifs ou des opposants politiques se cachant : "C'était comme si, dans les ultimes instants de péril, toute une société perdait ce qui lui restait de dignité humaine : les gens dénonçaient en masse, écrivaient des lettres, anonymes ou non; se déplaçaient, en personne, pour donner le nom d'un malheureux qui, dans ce dernier tourbillon de folie meurtrière, s'était traîné, à bout de souffle, dans le coin le plus reculé d'un refuge.".
Les Budapestois sont pour la plupart déshumanisés et cela est parfaitement et lucidement retranscris dans ce récit.
Elizabeth a fait cacher son père dans l'immeuble en face du sien, il est désormais reclus avec d'autres personnes dans une cave emmurée pour assurer au maximum leur protection.
Budapest, un personnage à part entière, attend la délivrance telle une princesse attendant le baiser de son prince pour se réveiller de son long sommeil : "Tout est prêt, les soldats, les canons, les chars, les mines antichars, la gens, la ville toute entière dans ses caves et ses immeubles sans éclairage, tout le monde attend, sans rien pouvoir faire; car enfin, ça y est, ce qui était en gestation est arrivé à terme.".
Elizabeth, quant à elle, a trouvé refuge dans une cave et partage son quotidien avec des inconnus.
Mais un beau jour la soupape de la cocotte-minute explose, événement inévitable dans un tel huis-clos, et les langues se délient, les masques tombent : "C'est comme si les habitants de la cave étaient devenus fous, qu'ils se déshabillaient, brûlés par une chaleur insupportable, comme si un incendie latent embrasait soudain les profondeurs de l'immeuble, comme si on ne pouvait plus attendre ou se préparer; il faut parler, dire ce qu'on a tu, pas seulement la veille, et les dix-huit jours et nuit précédents, mais depuis plus longtemps, pendant des années, pendant toutes les périodes d'infinie souffrance de la vie.".
J'ai particulièrement apprécié l'ambiance qui règne tout au long du récit, Sándor Márai a réussi à retranscrire très justement le côté oppressant et sombre de ces heures terrées sous terre à attendre quelque chose qui va changer l'avenir, mais dans un sens que nul ne sait encore.
Il décrit formidablement la ville de Budapest et lui donne vie de façon spectaculaire, grandiose.
J'y étais, je me revoyais à la fois dans la ville, ses rues, ses ponts, ses places, mais à une autre époque, celle de 1945.
Budapest est un personnage en toile de fond du récit, quasiment un personnage majeur, presque autant que peut l'être celui d'Elizabeth.
Voilà un personnage littéraire fort intéressant, elle raconte sa ville, elle se raconte elle, mais elle parle aussi de ces inconnus qui l'entourent, qui l'ont croisée à un moment donné et dont certains vont jouer un rôle dans sa survie.
Elizabeth s'oublie, sa vie compte finalement moins que celle de son père, elle fait preuve d'une abnégation comme seul l'amour filial peut le faire.
Et que j'aime la façon dont elle envisage l'avenir, elle l'attend, s'interroge sur ce qu'il lui réserve, subit des coups durs et malgré cela elle arrive à puiser la force en elle de recommencer à croire pour continuer, avancer.
Elle illumine de sa force, qui la rend encore plus belle aux yeux du lecteur.
Il y a une forme de folie et d'égarement qui habite la plupart des personnages, à l'image de cette femme dans la cave qui se met à raconter à Elizabeth l'enfer qu'elle a connu, elle parle et ne s'arrête plus, sans se soucier d'être écoutée ni de choquer son auditoire par ce qu'elle raconte; ou encore de ces habitants qui se dispersent tandis qu'Elizabeth choisit de rester dans cette cave auprès d'un infirme.
Ce sont des êtres et une ville qui se cherchent, la comparaison à un accouchement est d'ailleurs très juste, c'est une nouvelle vie qui va voir le jour après des mois de gestation, de douleur, de sang et de larmes.
J'ai aimé la force de la plume de Sándor Márai, pour une première lecture j'ai été conquise par cet auteur et je ne vais certainement pas m'arrêter-là dans son oeuvre.

"Libération" est un roman né du chaos et du désespoir de la Seconde Guerre Mondiale et qui pourtant brille grâce à une étoile nommée espoir, un diamant littéraire pur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire