dimanche 15 mai 2016
La route étroite vers le nord lointain de Richard Flanagan
En 1941, Dorrigo Evans, jeune officier médecin, vient à peine de tomber amoureux lorsque la guerre s’embrase et le précipite, avec son bataillon, en Orient puis dans l’enfer d’un camp de travail japonais, où les captifs sont affectés à la construction d’une ligne de chemin de fer en pleine jungle, entre le Siam et la Birmanie.
Maltraités par les gardes, affamés, exténués, malades, les prisonniers se raccrochent à ce qu’ils peuvent pour survivre – la camaraderie, l’humour, les souvenirs du pays. Au cœur de ces ténèbres, c’est l’espoir de retrouver Amy, l’épouse de son oncle avec laquelle il vivait sa bouleversante passion avant de partir au front, qui permet à Dorrigo de subsister.
Cinquante ans plus tard, sollicité pour écrire la préface d’un ouvrage commémoratif, le vieil homme devenu après guerre un héros national convoque les spectres du passé. Ceux de tous ces innocents morts pour rien, dont il entend honorer le courage. Ceux des bourreaux, pénétrés de leur “devoir”, guidés par leur empereur et par la spiritualité des haïkus. Celui d’Amy enfin, amour absolu et indépassable, qui le hante toujours. (Actes Sud)
En 1941, Dorrigo Evans est un jeune médecin Australien qui vient de rencontrer une femme mystérieuse, Amy, qui irrésistiblement l'attire et dont il pressent qu'elle sera le grand amour de sa vie : "Il ne s'était rien passé, et pourtant il savait que quelque chose commençait."; mais bien vite il bascule dans la l'enfer de la Seconde Guerre Mondiale et se retrouve captif des Japonais dans un camp de travail où lui et les autres prisonniers doivent construire la ligne de chemin de fer entre le Siam et la Birmanie restée tristement célèbre sous le nom de "voie ferrée de la mort".
Cinquante ans après il se remémore toutes ces années et toutes ses camarades morts à l'occasion de l'écriture de la préface d'un livre.
Pour être tout à fait honnête, deux choses m'ont attirée vers ce livre : son titre et sa couverture.
Si comme moi au moins l'un des deux vous inspire n'hésitez pas, et si aucun des deux ne vous inspire, n'hésitez pas non plus.
J'ai eu un énorme coup de cœur pour ce roman, c'est à la fois une très belle découverte et un roman exigeant car traitant d'un sujet difficile et plutôt méconnu.
Là où Pierre Boulle avait imaginé une histoire de fiction avec "Le pont de la rivière Kwaï", porté à l'écran par David Lean, sur la base de ce fait historique, Richard Flanagan le met littéralement K.O.
Certes, lui aussi a créé une oeuvre de fiction, Dorrigo Evans n'est pas un personnage ayant existé, mais il a présenté un récit au plus près de la vérité, sans doute parce que son père a travaillé sur ce chantier.
Richard Flanagan ne s'est pas contenté d'effleurer les conditions de vie des prisonniers de guerre dans cette jungle, avec des mots précis il plonge littéralement le lecteur dans cet enfer.
C'est un récit dur, violent, parfois à la limite du soutenable car l'auteur n'épargne rien des souffrances endurées par ces hommes, des maladies comme le béribéri, la dysenterie, le choléra, qui les déciment; et puis il y a la folie des Japonais, de ces hommes à qui l'on a demandé de construire une ligne ferroviaire pour l'Empereur et qui se croient donc investis d'une mission divine : "Il n'y avait pas le choix : ou bien l'on existait pour l'Empereur et pour la voie ferrée - laquelle incarnait, après tout, la volonté de l'Empereur -, ou bien l'on avait plus de raison de vivre, ni même de mourir.".
A la lecture de ce roman je comprends un peu mieux comment (et pourquoi) les soldats Japonais se sont transformés en kamikazes pendant la guerre du Pacifique, et pourquoi les Américains ont fini par choisir de faire exploser deux bombes nucléaires pour mettre définitivement fin à cette guerre.
Au-delà de cet aspect historique particulièrement bien retracé, il y a le personnage de Dorrigo Evans, un homme auquel le lecteur finit par s'attacher et pour lequel il ressent une profonde empathie.
Il y a le Dorrigo Evans d'avant, l'amoureux d'Amy, cette figure féminine et aimée qui va l'aider dans sa lutte pour survivre en incarnant une raison de rester en vie :
"Sans elle, sa vie paraissait ne plus mériter d'être vécue.", et qui le hantera tel un fantôme tout le restant de sa vie.
Il y la Dorrigo Evans pendant la guerre, celui que les hommes appellent "Big Fella", le grand chef, celui qui se battra chaque minute de chaque jour pour essayer d'adoucir les conditions de détention des hommes.
Et puis il y a le Dorrigo Evans d'après, celui qui revient vivant de cet enfer mais sans être la même personne, celui qui vivra sa vie en se détachant de son âme et qui aura tendance à décevoir sa femme et ses enfants, qui se perdra dans les mignonnettes d'alcool et collectionnera les maîtresses : "Les sentiments d'un homme ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu'est la vie. Parfois ils ne sont pas à la hauteur de grand-chose.".
"Un homme heureux n'a pas de passé, un homme malheureux ne possède rien d'autre.", voilà une phrase qui résume assez bien l'essence même de cette histoire, quand tous ces hommes étaient insouciants et heureux ils ne faisaient pas attention à la vie, quand ils se retrouvent prisonniers et obligés de travailler de force jusqu'à la mort il ne leur reste que leur passé auquel se raccrocher.
Voilà un très beau roman qui a eu le mérite de mettre mal à l'aise et de me plonger dans l'enfer, tout en faisant vivre la mémoire de ces milliers d'hommes morts pour et par la folie d'autres hommes qui avaient décidé de construire une improbable ligne ferroviaire pour leur Empereur en pleine jungle, et dont les os sont aujourd'hui enfouis profondément dans la boue, et celle de ceux qui en sont revenus.
"La route étroite vers le nord lointain" est un roman où la violence est folie et où l'amour absolu guide un homme de l'enfer vers la lumière de la vie.
Un récit puissant qui ne peut laisser personne indifférent.
Livre lu dans le cadre du Prix Relay 2016
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