mercredi 8 février 2017

Petit pays de Gaël Faye


En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français… (Grasset)

Tout commence lorsque le narrateur, Gabriel, raconte son quotidien de cadre vivant en banlieue parisienne : "Ma vie ressemble à une longue divagation. Tout m'intéresse. Rien ne me passionne. Il me manque le sel des obsessions. Je suis de la race des vautrés, de la moyenne molle.", et que naît alors dans son cœur l'envie, la volonté, de retourner sur les traces de son enfance au Burundi.
En 1992, Gabriel a dix ans et vit dans ce pays avec son père, un entrepreneur Français, sa mère Rwandaise mais exilée depuis plusieurs années de son pays natal, et sa petite sœur Ana.
Gabriel a la vie d'un petit garçon tout à fait ordinaire, il va à l'école, a des copains avec qui il fait les quatre cents coups.
Mais des rumeurs commencent à parvenir à ses oreilles, il apprend l'existence des Hutus et des Tutsis : "J'ai découvert l'antagonisme Hutu et Tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou d'un autre.", des heurts éclatent, ses parents se séparent, puis bientôt c'est la guerre civile au Burundi suivie du génocide des Tutsis au Rwanda d'avril à juillet 1994.
L'enfance de Gabriel va basculer dans un univers de violence et de haine qu'il ne soupçonnait pas.

J'ai le même âge que le personnage de Gabriel, j'avais donc 12 ans lors du génocide au Rwanda et je garderai à vie dans la tête les images d'alors, la découverte du mot machette, de ce qu'était cet engin et ce qu'il pouvait faire, puis des camps de réfugiés dans lesquels le choléra a sévi, là encore une maladie qui me semblait appartenir aux siècles passés et sur laquelle j'ai cauchemardé toute une nuit.
Pourtant, je ne garde aucun souvenir de la guerre civile au Burundi, sans doute parce qu'il n'en était que peu voire pas question dans les actualités, ou alors tout s'est mélangé dans mon esprit.
Je croyais d'ailleurs en ouvrant ce livre qu'il allait être question du génocide au Rwanda, oui mais en partie seulement, car le narrateur vit au Burundi, pays qui sera bientôt dévasté par une guerre civile qui durera de longues années, et il vivra par le biais de sa mère le génocide au Rwanda, lorsque celle-ci se rendra dans le pays dévasté à la recherche de sa famille, ou de ce qu'il en reste, s'il en reste quelque chose, une mère qui basculera dans la folie à son retour car "Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés sont mazoutés à vie.".
Sur le fond historique, ce roman est très intéressant car il mêle les deux histoires dont l'une est plutôt bien connue et l'autre moins à travers le regard d'un petit garçon qui voit son paradis se transformer en enfer : "Nous vivions sur le lieu de la Tragédie. L'Afrique a la forme d'un revolver. Rien à faire contre cette évidence.".
Au début, il y a l'interrogation, pourquoi cet appel à la haine, pourquoi les uns détestent les autres, des questions fondamentales et légitimes de la part d'un petit garçon, auxquelles son père répond peut-être de façon simpliste mais en rendant la réponse compréhensible pour un enfant de cet âge : "- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire ? - Non, ça n'est pas ça, ils ont le même pays. - Alors ... ils n'ont pas la même langue ? - Si, ils parlent la même langue. - Alors, ils n'ont pas le même dieu ? - Si, ils ont le même dieu. - Alors ... pourquoi se font-ils la guerre ? - Parce qu'ils n'ont pas le même nez.".
Ne soyons pas hypocrites, nous avons tous entendu au moins une fois cette explication.
Mais les racines du génocide sont bien plus profondes, bien plus complexes.
Au fur et à mesure que l'univers de Gabriel bascule il grandit chaque jour un peu plus vite tandis qu'il voit chaque jour un peu plus son pays s'enfoncer dans une nuit sans fin faite de haine et de violence : "A ces heures pâles de la nuit, les hommes disparaissent, il ne reste que le pays, qui se parle à lui-même.".
Si Gabriel au début ne comprenait pas trop ce qui se passait et cherchait à préserver son insouciance il va finir par basculer dans l'indescriptible pour quiconque ne l'a pas vécu.
Ce roman n'est pas très épais mais il a une certaine puissance grâce à ce personnage de Gabriel.
Sans être autobiographique, Gaël Faye connaît le drame dont il parle, à tel point qu'il serait facile de croire que c'est autobiographique, d'autant qu'il s'agit d'un premier roman.
Et c'est sur ce point sur lequel je suis un peu partagée, je me dis que ce roman aurait peut-être gagné encore en puissance s'il avait été complètement autobiographique.
Ou alors c'est de l'avoir découvert en le lisant qui me fait dire cela, comme une mauvaise foi de lecteur gêné de voir une croyance s'écrouler.
Il n'en demeure pas moins que j'ai beaucoup apprécié le style de Gaël Faye, il n'est pas non plus étonnant que ce livre ait reçu notamment le Prix Goncourt des Lycéens, le sujet est maîtrisé et le personnage de Gabriel très attachant.
Le lecteur est indubitablement sous le charme de ce petit garçon et sous l'emprise du poids de l'Histoire, celle dont j'ai caressé un instant le fol espoir que tout ne serait peut-être pas tragique avant d'être rappelée bien sévèrement à l'ordre par la réalité.

"Petit pays" et son personnage de Gabriel resteront longtemps dans l'esprit des lecteurs, tout comme Gaël Faye dont le deuxième roman est désormais attendu avec impatience.

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