dimanche 26 mars 2017

Des chauves-souris, des singes et des hommes de Paule Constant


Dans un village africain, une fillette heureuse cajole une chauve-souris. De jeunes garçons rapportent fièrement de la forêt le cadavre d’un beau singe au dos argenté. Ainsi débute une série d’événements qui frappent tour à tour les protagonistes de cette histoire : habitants des cases, coupeurs d’hévéas, marchands ambulants, piroguiers, soignants, et même primatologues en mission. 
Un mal pernicieux se propage silencieusement au pied de la Montagne des nuages, et le long d’une rivière sur laquelle glisseront bientôt les pirogues funèbres. La plupart l’ignorent superbement, d’autres en cherchent vainement l’explication dans la magie, la science ou la nature. (Gallimard)

"Imaginez une épidémie qui dévasterait les villages en les traversant les uns après les autres tout le long du fleuve, une chaîne de contamination qui la conduirait jusqu'à la Mégalo, qui entrerait dans la ville par les bidonvilles, ferait cent, mille malades ... arriverait à l'aéroport international et embarquerait pour toutes les destinations du monde le même jour !", tel est le postulat de départ de Paule Constant dans ce roman.
Si vous vous intéressez quelque peu aux virus, le titre devrait, comme moi, vous mettre sur la piste de la maladie dont il va être question : la maladie à virus Ebola, autrefois appelée fièvre hémorragique à virus Ebola, du nom d'une rivière près de la ville de Yambuku dans le nord de la République Démocratique du Congo (ex Zaïre) où le virus a été identifié pour la première fois en 1976.
Le titre reprend l'hypothèse du cycle de ce virus encore mal connu : les chauves-souris seraient des porteuses saines, elles contamineraient les singes, les humains chassant en forêt se feraient contaminer en mangeant de la viande de brousse ou les chauves-souris, ainsi qu'en rencontrant les singes.
Il est ici question des grands singes, proches de l'Homme, et il est communément admis que "Les épidémies chez les singes précèdent généralement les épidémies humaines.", ce qui est particulièrement vrai avec le virus Ebola.
Dès qu'il resurgit chez les singes, il précède une épidémie chez les humains, dont la dernière en date s'est étalée sur plus d'une année et sur plusieurs d'Afrique de l'Ouest, c'est à ce jour l'épidémie qui a produit le plus de cas et de décès que toutes les précédentes réunies.
Je me demandais donc quand ce virus serait abordé en littérature, il faut croire que cette dernière flambée de 2014-2015 a inspiré Paule Constant.

L'auteur a bâti son histoire et ses personnages sur le postulat connu à ce jour du cycle de la maladie.
Dans un village, la petite Olympe boude car les garçons sont partis chasser et ont refusé une nouvelle fois de l'emmener avec eux.
Mais la fillette fait une découverte extraordinaire à ses yeux : une chauve-souris au sol, qu'elle prend, cajole, tente de nourrir pour la maintenir en vie.
Les garçons, quant à eux, reviennent fièrement de la chasse avec le cadavre d'un grand singe au dos argenté.
Aussitôt le village se met en ébullition et prépare cette viande dans une grande fête.
Ce que les garçons ne disent pas tout de suite, c'est que le singe était déjà mort quand ils l'ont trouvé.
Dans le même temps, Agrippine, médecin pour Médecins Sans Frontières, arrive pour procéder à une campagne de vaccination.
Elle trouve sur place les sœurs de la mission qui l'abrite ainsi que Virgile, un jeune Européen contre les vaccins et ayant fait une thèse sur le sujet.
Une équipe de primatologues est également à observer les grands singes, les Silverbacks.
Et bientôt, un mal pernicieux commence à se propager dans le pays de la Montagne des nuages.
Le nom d'Ebola ne sera prononcé qu'une seule fois, par une primatologue qui se désole que les grands singes soient de nouveau chassés par les humains alors qu'ils se relèvent d'une épidémie de fièvre hémorragique, le reste du temps il ne sera pas nommé, les gens en souffrant et tombant les uns après les autres comme des nuages ne savent pas ce qui leur arrive.
Il sera également fait référence à une chambre d'hôpital à pression négative, la seule façon de confiner de manière sûre les personnes atteintes de ce mal.
Le reste du temps, l'auteur restera dans la flou, à l'image de toutes ces personnes qui savent pas, et ne comprennent pas, ce qui leur arrive.
La plume de Paule Constant a une certaine poésie qui rend cette lecture particulièrement agréable, elle a aussi recours à un certain humour qui dédramatise la situation.
Tout cela donne une impression générale de légèreté, presque de nonchalance dans la façon de traiter le sujet qui, paradoxalement, permet de partager toute la douleur des personnes et le drame qui se joue.
Belle façon de faire qui évite ainsi à l'auteur de tomber dans la facilité ou dans les pièges que ce type d'histoire peut engendrer.
La fin n'en est d'ailleurs pas vraiment une, et alors que d'ordinaire cela m'aurait gênée j'ai trouvé qu'ici c'était au contraire une forme d'ouverture sur le monde et sur un avenir d'apparence sombre mais également porteur d'espoir.

Outre le thème abordé, le roman "Des chauves-souris, des singes et des hommes" vaut d'être lu pour la très belle plume de Paule Constant que je découvrais pour la première fois.

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