dimanche 9 avril 2017
S'enfuir - Récit d'un otage de Guy Delisle
En 1997, alors qu'il est responsable d'une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, vers une destination inconnue. Guy Delisle l'a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d'un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ? (Dargaud)
Nuit du 1er au 2 juillet 1997.
Christophe André, responsable d'une ONG médicale de MSF dans le Caucase, se retrouve pour la première fois seul à dormir dans le bâtiment de la mission.
Il est enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, pour un lieu de détention inconnu.
Menotté, son seul moment de liberté dans la journée est lors de ses repas et de la courte pause pour assouvir ses besoins naturels.
De ses ravisseurs, il devine qu'ils sont Tchétchènes et qu'ils ont demandé une rançon pour sa libération.
Il changera plusieurs fois de cache et c'est grâce à l'oubli d'un de ses geôliers de lui remettre la menotte qu'il réussira à s'évader après quatre mois de détention.
C'est aussi grâce à un bon samaritain qu'il retrouvera les membres de l'ONG et parviendra, après encore de longs échanges avec les autorités Tchétchènes, à rentrer en France.
Avant de repartir pour une autre mission humanitaire, car malgré le calvaire vécu, Christophe André n'a jamais douté du bien fondé de son engagement.
De Guy Delisle, j'ai déjà lu l'excellent "Chroniques de Jérusalem", récit autobiographique de sa période de vie à Jérusalem durant une année.
Pour cette nouvelle publication, l'auteur a choisi de ne pas raconter un événement personnel mais de narrer celui de Christophe André, ex-otage des Tchétchènes en 1997.
Avec ce récit, Guy Delisle emmène le lecteur dans la tête d'un otage, celle de Christophe André : "Être otage, c'est pire qu'être en prison. Au moins, en prison, tu sais pourquoi tu es enfermé. Il ya une raison, qu'elle soit fausse ou vraie, mais au moins il y a une raison. Alors qu'otage, c'est juste de la malchance. Au mauvais endroit, au mauvais moment.".
Et le rendu est bon, très bon, pour ne pas dire excellent.
Guy Delisle, après entretiens avec Christophe André, a réussi à reconstituer minutieusement son récit et à plonger le lecteur dans la tête d'un otage et de toutes les émotions qui l'agitent : la dure réalité de la situation : "Ça me paraît tellement irréel de savoir que la vie continue dans toute sa banalité alors que je suis enfermé ici, menotté au sol.", le doute, la patience : "Certes, une discussion est en cours, mais j'imagine qu'avant de trouver un accord ça peut traîner encore un bon moment. Je dois prendre mon mal en patience et me projeter dans un temps long.", mais surtout toute la force mentale que cela demande pour tenir le coup.
Parfois anxiogène, à d'autres moments le récit se révèle presque cocasse face à certaines situations : le surnom de Thénardier pour un des geôliers, les histoires qui se font et se défont dans la tête de Christophe André.
S'il n'y a pas beaucoup de situations, les vignettes étant majoritairement consacrées à l'enfermement de Christophe André reposant sur un matelas et menotté, il n'en demeure pas moins qu'une certaine tension s'instaure et que l'auteur a su retranscrire avec justesse les différentes phases psychologiques et émotionnelles traversées par cet homme : au début l'espoir d'une libération rapide, puis l'espoir fondé sur d'éventuelles négociations, puis les doutes, les moments de désespoir et d'abattement, les questionnements, mais aussi l'imagination qui a permis à Christophe André de tenir et de faire ainsi passer le temps, jusqu'aux derniers doutes sur l'intérêt ou non de profiter de cette opportunité de s'évader et enfin le sentiment d'euphorie qui l'habite tandis qu'il erre sur les routes en cherchant à mettre le plus de distance entre lui et ses geôliers : "Je suis en train de vivre quelque chose d'énorme. Après presque 4 mois d'enfermement, je m'évade. J'ai dépassé mes limites comme je n'aurais jamais imaginé pouvoir le faire. Rien ne peut m'arrêter maintenant, je me sens invincible.".
L'épilogue précise également que les deux personnes ayant prêté main forte à Christophe André lors de son évasion ont par la suite connu de nombreux embêtements, à tel point qu'ils ont dû se réfugier en France avec leur famille.
Non seulement Guy Delisle a réussi à retranscrire dans son scénario l'enfermement durant quatre mois d'un otage, mais il a aussi su transmettre les émotions à travers ses dessins et le choix de la couleur.
Les bulles oscillent entre des nuances de gris et de bleu, aucune couleur chaude ce qui est bien normal et met ainsi le lecteur en condition par rapport à la situation du personnage.
Malgré une histoire prenant place dans un lieu clos, Guy Delisle réussit à transporter le lecteur, un pari qui était non seulement risqué mais loin d'être gagné et qui prouve, s'il en était encore besoin, toute l'étendue du talent de cet auteur.
"S'enfuir - Récit d'un otage" est un texte - sans vilain jeu de mots - captivant qui dépeint avec brio le quotidien d'un otage pendant quatre mois, une bande dessinée faisant office de témoignage, un genre qui va décidément très bien à son auteur, Guy Delisle.
Si je devais mettre une note à cette BD : 18/20
BD lue dans le cadre "La BD fait son festival 2017" organisé par PriceMinister.
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Cette BD me tente depuis longtemps, mais j'ai peur que ce soir éprouvant à lire...
RépondreSupprimerNon je n'ai pas trouvé.
SupprimerTu pourras la feuilleter quand tu viendras et si ça te plaît je te la prête.
Super !!! :)
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