dimanche 20 octobre 2013

Jeanne de Jacqueline de Romilly


En 1977, dans l’année qui suit la mort de sa mère, Jacqueline de Romilly écrit ce texte, en fait imprimer quelques exemplaires, destinés aux amis. Mais, par pudeur, parce qu'il y a quelque chose de vulgaire à dévoiler ce que l’on a de plus intime, elle ne souhaite pas que ce livre soit publié de son vivant et charge son éditeur et ami Bernard de Fallois de le faire après sa mort. Jeanne, c’est le portrait d'une femme aux dons multiples, travailleuse infatigable, qui fit preuve pendant trente ans d'un talent d'écrivain reconnu. Veuve dès le début de la guerre de 1914, elle choisit de vivre dans l'ombre de sa fille, tissant ainsi un lien indissoluble entre elles deux. Ce récit nous en apprend beaucoup sur Jacqueline de Romilly, et l’on comprend d’autant plus l’admiration et l’affection que ses lecteurs, même s'ils ne l'avaient jamais rencontrée, ont éprouvées en apprenant sa disparition. (Le Livre de Poche)

Delphine de Vigan l'a si bien écrit dans "Rien ne s'oppose à la nuit" : "Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence.", une phrase qui m'avait renvoyée dans ma propre famille et son histoire.
Il en a été de même ici dès les premières phrases du livre de Jacqueline de Romilly consacrée à sa mère, Jeanne.
L'auteur se fait la réflexion, et éprouve des regrets, sur le fait de ne pas avoir interrogé plus sa mère sur son frère mort durant la Première Guerre Mondiale, un frère qui avait compté pour sa mère et que l'auteur n'a pas connu.
Cette entrée en matière dès les premières pages m'a interpellée, je n'ai pas connu mes grand-parents ni la majorité de mes oncles et tantes du côté de mon père, ils étaient déjà morts et je me rends compte que je n'ai jamais trop posé de questions sur eux, ce n'est pas non plus un sujet de discussion, sans éprouver de regrets je le perçois plus comme de la pudeur et une non volonté d'en parler, ce que je respecte.
A ce stade, je me suis dit que si tout le livre était de cet acabit, sa lecture n'en serait pas facile tant elle serait une forme de miroir qui me renverrait à ma propre histoire.
Finalement, comme avec le roman de Delphine de Vigan, j'ai fini par prendre du recul et, dernier point commun et référence que je ferais à ce roman, là aussi l'auteur parle de sa mère en l'appelant par son prénom, à mon sens une façon de prendre du recul sur les événements et de ne pas laisser sa plume prendre le pas sur les sentiments.

Jacqueline de Romilly a écrit une véritable ode à sa mère, un grand cri d'amour, et, sans avoir lu  ses œuvres hellénistes, je me dis que si elles sont écrites avec autant de passion et d'amour elles doivent être d'une profonde richesse.
C'est avec précision sans toutefois pouvoir être parfaitement exacte que Jacqueline de Romilly parle de sa mère et retrace son parcours.
Jeanne était une femme en avance sur son temps, ouverte d'esprit et sans crainte de choquer les gens bien pensants : "Jeanne au bracelet d'argent était, je le sais, beaucoup plus rebelle, et audacieuse, et passionnée, que ne sont nos filles en blue-jeans.".
A la lecture de ce roman, j'ai éprouvé une forme d'admiration pour cette femme qui se sera mariée une seule fois dans sa vie, aura connu la vie et le bonheur conjugal que quelques courtes années avant que son mari ne soit tué durant la Première Guerre Mondiale, se sera consacrée à sa fille dans une forme d'amour et d'exclusivité rare et que seul l'amour maternel peut expliquer, tout en travaillant et devenant une écrivain reconnue, en tout cas pendant un temps.
Une femme de caractère mais également une belle personne qui a, sa vie durant, tenu à honorer le sens qu'elle donnait au mot "amour" et est toujours restée tournée vers les autres, rompant ainsi l'impression bourgeoise qu'elle dégageait au premier abord : "Indépendante et fière, elle cessait par là même de se confondre avec les bourgeois. Intelligente, elle comprenait les autres et ils le sentaient.".
Jeanne était de ces personnes qui aiment et donnent sans compter, sans rien attendre en retour, et qui savent prendre la vie comme elle vient, ironisant dans les moments difficiles et arrivant ainsi toujours à relativiser les événements, à les rendre plus agréables pour les autres.
Ainsi, c'est tout naturellement qu'elle se dévoue pendant la Seconde Guerre Mondiale à sa fille et à son gendre, forcés de se cacher pour échapper aux rafles de Juifs.
A la lecture de ce roman, je me dis que la vie devait être bien douce aux côtés d'une personne comme Jeanne, et qu'elle fait partie de ces personnes qui auraient mérité d'être connues et reconnues, mais par-dessus tout, de ces personnes qu'il est si facile d'aimer et d'apprécier : "On aimait Jeanne, je crois, pour sa fragilité, pour son courage. On l'aimait pour ce qui survivait en elle de la Jeanne pleine d'histoires, comprenant tout à demi-mot, confiante et ironique, et soucieuse encore de plaire. Mais on l'aimait aussi pour le reflet de cette tendresse sans mesure qu'elle ne cachait pas de me porter. On était gentil pour elle à cause de moi, mais aussi pour moi à cause d'elle.".

C'est dans un style simple mais pudique que Jacqueline de Romilly livre dans "Jeanne" le portrait de sa mère, une femme battante, courageuse et infatigable, qui permet également au lecteur de voir au-delà de ce portrait celui de Jacqueline de Romilly, une femme dont j'ai désormais envie de découvrir l'oeuvre helléniste, tout comme les romans et les pièces de sa mère.

Livre lu dans le cadre du Club des Lectrices

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