vendredi 20 décembre 2013

Kyôto de Yasunari Kawabata


L’entente entre la nature et l’homme trouve sans doute son accomplissement dans Kyôto. Deux jumelles ont été séparées à leur naissance. Elevées dans des milieux différents, l’une à la ville, l’autre dans la montagne, vont-elles pouvoir se rejoindre, adultes, et se comprendre ? (Le livre de poche)

"Kyôto" est une oeuvre littéraire maigre par sa taille mais dense par son contenu et dont il n'est sans doute pas possible d'en saisir toute la profondeur et la complexité lors d'une première lecture.
Chieko est une fille de commerçants, aimée et choyée par ses parents, qui vit dans un confort et une certaine forme de luxe.
Tout bascule le jour où, accompagnée d'une amie, cette dernière lui montre une jeune fille plus pauvre et modeste de la montagne qui lui ressemble trait pour trait : "C'est difficile de dire en quoi elle te ressemble, mais ... les yeux, le nez ... . Une jeune fille de la ville et une jeune fille des montagnes n'ont rien de commun, excuse-moi ...".
Chieko vient de rencontrer sa jumelle dont elle a été séparée à la naissance, les deux jeunes filles que tout oppose vont se rencontrer, se parler, mais le poids des années de séparation et les différences sociales auront raison de leur si fragile et quasi inexistant lien du sang.

A travers cette histoire de deux sœurs séparées à la naissance qui se retrouvent pour constater qu'elles vivent dans deux mondes différents qui n'arriveront jamais à se côtoyer, c'est l'affrontement entre le Japon traditionnel avec ses bases sociales, culturelles et morales, décrit notamment au travers des nombreuses fêtes traditionnelles qui jalonnent le récit et le Japon d'après-guerre avec une européanisation forcenée et une américanisation accélérée.
Cela ressort à de nombreux moments, notamment avec les vêtements, les si beaux kimonos qui se perdent au profit d'étoffes et de vêtements de moindre qualité : "Moi, en tout cas, j'ai en horreur tout ce qu'on affuble de mots occidentaux. Est-ce que par hasard, au Japon, depuis les règnes des temps anciens, nous n'avons pas eu des couleurs d'une indicible délicatesse ?", en passant par l'apparition d'objets tel que les transistors, ainsi que la quête de l'enrichissement et le début de la domination du dieu dollar.
Le Japon ancestral se heurte au Japon moderne, une civilisation meurt au profit d'une autre : "Un des derniers reflets des années qui inaugurèrent "la nouvelle civilisation" de Meiji était sur le point de disparaître : le tram de la ligne de Kitano qui suit la rivière Horikawa. C'était le plus vieux tramway du Japon.", l'adaptation des personnages est difficile, certains résistent et refusent mais il ressort qu'ils finiront par disparaître, que le moderne prendra l'ascendant sur l'ancestral pour n'en laisser que des miettes.
Quand on s'intéresse à la biographie de l'auteur, cette oeuvre permet de mieux comprendre son suicide dix ans plus tard, qui a suivi de peu la mort par seppuku de son ami et autre grand auteur japonais Yukio Mishima.
Toujours en se penchant sur la biographie de Yasunari Kawabata, il ressort que ce roman, comme certainement d'autres de lui, contient beaucoup de sa vie personnelle.
Il s'est fiancé avec une jeune serveuse de 14 ans avant de rompre, le père de Yukio s'intéresse de près à une apprentie geisha d'environ 14/15 ans.
Il a été lui-même orphelin, recueilli par ses grands-parents et séparé de sa sœur qui a été recueillie par une tante, il a également adopté un cousin de sa branche maternelle.
Difficile de ne pas établir un parallèle entre Chieko et sa sœur séparées à la naissance, l'une a été adoptée et l'autre recueillie par sa famille à la mort de ses parents, avec le passé de l'auteur.
Il y a également durant tout ce récit une forme de désillusion : le père de Chieko ne croit plus en grand chose et surtout plus en son talent pour bâtir des kimonos, Naeko ne croit pas en de possibles retrouvailles durables avec Chieko, quant à cette dernière elle oscille entre deux générations sans trop savoir vers laquelle aller; accompagnée paradoxalement par une quête du beau, particulièrement à la travers la réalisation de kimonos ou de ceinture, un art en train de se perdre mais que quelques personnages veulent conserver.
Ce roman est écrit dans un style épuré mais percutant, il y a beaucoup de non-dits à travers les phrases et il n'est pas possible à mon sens d'en saisir toutes les subtilités lors d'une première lecture.
Le temps s'écoule au rythme des saisons, il défile inexorablement et renforce le fait qu'il n'est plus possible de revenir dans le passé, à lire ce roman la phrase "Le temps est assassin" prend tout son sens.
J'ai également noté une construction quasi parfaite du récit : neuf chapitres de vingt à trente pages chacun, je n'ai pas si souvent que cela rencontré cette régularité de proportion des chapitres.

Yasunari Kawabata, cet auteur à la plume si subtile qui n'hésite pas à laisser une partie de lui dans ses récits, a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1968, marquant ainsi l'ouverture de ce Prix à la riche littérature japonaise.
"Kyôto" n'est pas un livre facilement abordable mais il recèle pourtant une profondeur et une gravité de toute beauté, une très belle métaphore du basculement du Japon vers l'européanisation et l'américanisation qui fait réfléchir à travers ce récit très riche sur la culture japonaise et les traditions ancestrales, c'est en tout cas une lecture qui m'a profondément touchée.

Quelques images de Kyôto pour s'imprégner de l'ambiance du livre :





2 commentaires:

  1. "cet auteur à la plume si subtile" : c'est exactement ce que j'ai ressenti en lisant Kawabata. Je me suis même dit que c'est comme ça que je voudrais écrire.

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    1. Il y a beaucoup de non-dits sous ses mots qui se devinent, c'est encore différent de l'ellipse je trouve.

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