samedi 28 décembre 2013

Mattéo Troisième époque (août 1936) de Jean-Pierre Gibrat


C’est le temps du Front populaire. Dix-huit ans plus tôt, au retour de Russie, après la mort de Gervasio, après aussi que Juliette lui a appris la naissance de son petit Louis, Mattéo s’était livré aux gendarmes : toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt pour désertion, il fut condamné aux travaux forcés, et envoyé à Cayenne. Ayant purgé sa peine, Mattéo s’installe en région parisienne, où il retrouve son ami Paulin et Amélie, l’infirmière qu’il avait connue à la guerre.Août 36. C’est le bonheur des premiers congés payés. Accompagné de Paulin, d’Amélie et d’Augustin, le compagnon de celle-ci, Mattéo revient, pour la première fois depuis longtemps, à Collioure. Comment sa mère va-t-elle l’accueillir ? Et Juliette et son fils Louis, que sont-ils devenus ? Août 1936. C’est la liesse des bains de mer et des bals populaires. Mais de l’autre côté des Pyrénées, dans l’Espagne toute proche, le bruit et la fureur de la guerre civile se font de plus en plus entendre. Et Mattéo, le fils d’anarchiste espagnol, malgré l’indifférence au monde dans laquelle la douleur de Cayenne l’avait plongé, dresse de plus en plus l’oreille… Légère et enjouée, cette comédie, finement ciselée, virera au questionnement dramatique. Une fois encore, la réalité finira par rattraper Mattéo, et par le prendre méchamment par le col… (Futuropolis)

En ce mois d'août 1936, Mattéo est revenu depuis quelques temps du bagne, il est désormais tailleur de pierres à Paris, mais c'est surtout les premiers congés payés lancés par Léon Blum qui le font revenir à Collioure, accompagné de Paulin, Amélie et son ami Augustin.
La guerre d'Espagne vient de commencer, les communistes font entendre de plus en plus leurs idées, et dans tout ce début de chaos politique, Mattéo est fidèle à lui-même en ne prenant part à rien, en n'évoquant jamais le bagne qu'il préfère oublier, en restant indifférent à tout : "Je ne vous reconnais plus tout à fait ... Il se passe tant de choses enthousiasmantes ... et vous semblez indifférent.".
Mattéo est marqué, au sens propre comme au sens figuré par ces années passées au bagne.
Il n'est plus tout à fait le même, même s'il a gardé ses amis et qu'il retrouve Juliette, il y a quelque chose en lui qui s'est brisé et qui ne se reconstruira pas.
Il n'empêche, il va continuer à vivre les événements de son époque, qu'il le veuille ou non.
Il se retrouve ainsi à devoir voler et planquer des armes pour les envoyer en Espagne, à lire quotidiennement le journal "L'humanité" à un Paulin privé de ses yeux.
Ici, Mattéo n'est plus le seul héros.
Jean-Pierre Gibrat a eu la très bonne idée de garder Paulin et de faire revenir Amélie, j'aime énormément l'amitié entre cette dernière et Mattéo, cela donne lieu à de très beaux passages, à des confidences et à un soutien mutuel : "Des fois c'est tout simple, il suffit que quelqu'un ait vraiment envie d'écouter pour avoir envie de parler ... Elle était douée pour ça, Amélie, cueillir les confidences, délicatement.".
Le personnage de Paulin prend également de l'importance et j'avoue qu'il a un côté touchant, il garde une forme de rancune pour la perte de ses yeux mais il affiche une forme d'ironie et des idées communistes qui mettent du piment dans les discussions.
Le personnage de Juliette ne surprend jamais tout à fait, je dois même reconnaître que j'avais deviné son secret dès le début, mais sa beauté réside ailleurs, dans cette histoire d'amour qui semble souvent impossible pour ne pas dire improbable avec Mattéo.
Ce n'est pas une oie blanche ni une jolie gourde, c'est une femme relativement moderne qui tente de s'émanciper et dont l'évolution est intéressante à suivre.
Outre la guerre d'Espagne, il y a aussi les premiers congés payés de 1936 en toile de fond de cette bande dessinée, avec le sentiment de méfiance de certains vis-à-vis de ce nouvel acquis social : "Les congés payés, ça mérite pas la mort, ça ? On va pas tarder à les voir débarquer, d'ailleurs ... ça aussi, ça va nous faire du propre."; et la joie des autres de pouvoir enfin bénéficier de quelques jours de repos rémunérés : "Tout semblait possible, même le meilleur ... Il s'agissait d'améliorer l'ordinaire, un nouveau menu, avec occupation des cuisines, Blum au fourneau ... On remettait tout à plat, la France pique-niquait.".
Jean-Pierre Gibrat a su retranscrire parfaitement cette époque, avec les bains de mer, les gens qui viennent se délasser et prendre le temps de pique-niquer, de faire du vélo tandis que le Tour de France s'achève.
Le contexte historique est particulièrement bien rendu à l'image, d'autant plus que c'est une période peu souvent mise en scène en bande dessinée.
Je trouve également que le personnage d'Amélie reflète particulièrement bien cette période, avec sa robe d'été à fleurs et son chapeau de soleil, elle correspond parfaitement à l'image que l'on peut avoir de la jeunesse française en 1936.
J'ai donc retrouvé dans cette bande dessinée tout l'esprit de 1936 et du gouvernement Blum, à travers un scénario très bien écrit et cohérent du début à la fin.
Et puis, c'est toujours avec énormément de bonheur que je retrouve le si beau graphisme de Jean-Pierre Gibrat, avec ses dessins tenant de l'aquarelle et sa mise en couleur réussie.
J'aime énormément cet auteur qui manie désormais aussi bien ses scénarios que ses dessins, c'est toujours un régal pour les yeux de le lire.

"Mattéo Troisième époque" est un nouvel opus réussi de cette série qui comprendra à terme cinq tomes, présentant ici une chronique douce-amère de l'année 1936 à travers le regard de Mattéo, un personnage attachant accompagné d'amis fidèles, dans cette période de calme relatif avant l'agitation et l'embrasement de l'Europe.
Vivement le prochain tome pour y retrouver une nouvelle fois Jean-Pierre Gibrat et ses personnages !

Je remercie Babelio et les Editions Futuropolis pour l'envoi de cette bande dessinée dans le cadre de l'opération Masse critique.

2 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé les 2 premiers volumes, je veux les relire avant de lire celui-ci, mais je n'ai guère d’inquiétudes : Gibrat est une valeur sure !

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    1. J'avais eu l'intégrale des deux premiers volumes à Noël dernier, cela a été l'occasion de les lire. Jean-Pierre Gibrat fait partie de mes chouchous en auteur de BD !

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