dimanche 26 janvier 2014

Instinct primaire de Pia Petersen


Un ciel bleu, une église, un mariage, une foule rassemblée pour célébrer l'amour, la montée vers l'autel, une mariée souriante... Une mariée aux yeux brouillés de larmes qui s'enfuit, laissant derrière elle l'homme de sa vie. C'était un an plus tôt, et la narratrice n'a plus jamais revu celui qu'elle a choisi de ne pas épouser. Elle souffre : il lui manque, elle lui écrit. Malgré son apparence criminelle, cette fuite devait sauver un homme et une femme de ce qu'ils repoussaient tous deux au début de leur passion : les conventions, les automatismes, la résignation. Elle se croyait aimée et donc comprise ; mais en cours de route, rattrapé par les réflexes du conformisme, il a oublié qu'elle ne lui avait jamais demandé de quitter sa femme, qu'elle aimait être sa maîtresse, qu'elle ne voulait pas d'enfant, et que l'amour qu'elle lui portait était absolu, puisqu'il était aussi amour de sa liberté. Or, la liberté semble demeurer le plus encombrant des cadeaux... À force d'entendre les héritières du féminisme décréter qu'une femme n'est jamais « complète » si elle ne devient pas épouse et mère, un homme peut-il admettre un discours différent de la part de celle avec qui il souhaite partager sa vie ? N'a-t-il pas, d'ailleurs, été forgé, éduqué, dressé par sa propre mère à ne jamais concevoir aucune autre représentation de la femme ? (Nil Editions)

J'ai repéré ce livre depuis quelques temps sur la blogosphère et j'avoue que son contenu m'intéressait fortement.
Ce très court roman, sous forme de lettre de la narratrice à l'homme qu'elle a abandonné un an auparavant au pied de l'autel, à de quoi interpeller tout lecteur et le faire réagir, en bien ou en mal sur son contenu.
Le thème développé m'intéressait, sans doute de par ma situation personnelle actuelle, et j'étais curieuse de voir les arguments avancés par l'auteur pour la prise de position de sa narratrice, bien que je m'interroge dans quel mesure il n'y a pas du vécu et jusqu'à quel point l'auteur et la narratrice ne se confondent pas.
Au final, je partage certains arguments et points de vue, mais je ne suis pas non plus d'accord avec tout.

Pia Petersen mène une réflexion sur deux fronts : tout d'abord celui du mariage, assimilé à un contrat et à toute l'horreur de ce terme : "Le mariage, c'est signer un contrat dans lequel il est stipulé qu'il ne faut plus jamais tomber amoureux de quelqu'un d'autre. Est-ce que l'on a si peur de perdre l'autre que l'on soit obligé de lui mettre un contrat autour du cou ?"; ainsi que sur le conditionnement des femmes à devoir faire des enfants et surtout de le désirer sous peine de passer pour un animal de foire :  "Depuis mon enfance, on m'a raconté qu'une femme doit désirer se marier, elle doit vouloir des enfants et si ce n'est pas le cas, elle n'est pas normale, une vraie femme cherche l'homme avec qui construire le nid, un homme prêt à s'engager jusqu'au bout, ce bout étant la construction de la famille et accessoirement, elle peut viser une carrière mais toujours accessoirement, l'enfantement étant le but final.".
Grand bien m'en fasse, et j'en remercie mes parents, je n'ai pas été élevée dans cette vision archaïque et dépassée de la femme et de sa condition, mais je dois reconnaître que malheureusement pour certaines personnes ce point de vue est toujours d'actualité.
Pourtant, qu'il s'agisse de cette vision ou d'autres phrases venues de "bonnes" amies ou de personnes moins proches, comme quoi ce n'est pas possible de ne pas fondre d'admiration devant un bébé, de ne pas le désirer depuis mes quinze ans, de dire que je suis bien toute seule cela veut en fait dire que je préférerai être en couple, j'ai entendu tout cela au moins une fois dans ma vie.
Je rejoins donc l'auteur sur certaines anecdotes de son récit, ce sont des situations que j'ai plus ou moins vécues et où j'ai eu plus ou moins envie d'expliquer que la vie ne correspond pas à une seule case bien définie à laquelle il faut se conformer et/ou d'étriper la personne en face de moi devant tant de bêtises et de lieux communs débités à la seconde.
Mais là où je suis moins d'accord, c'est le manque de nuance qu'il y a.
Soit la femme est totalement hors cadre, soit elle s'inscrit dans le schéma et juge la précédente.
Heureusement qu'il y a des femmes plus nuancées, de celles qui même mariées avec enfants acceptent la célibataire ne désirant pas d'enfant.
Le propos développé passe trop d'un extrême à l'autre, il y a aussi un juste milieu, des femmes qui ne jugent pas d'autres femmes.
La femme n'est pas que carriériste ou désirant fonder un foyer avec un mari aimant, il y en a qui choisissent les deux, finalement j'aurais bien aimé entendre parler d'elles également, car elles ont fait avancer le féminisme à leur façon et ne sont pas non plus une minorité.
Là où je rejoins l'auteur, c'est que je pensais également que le féminisme aurait rendu les femmes plus tolérantes les unes envers les autres, or il n'en est rien : "Je pensais qu'après le féminisme, les femmes seraient plus tolérantes envers celles qui font des choix de vie différents, comme celui de ne pas avoir d'enfant mais non. Je me suis longtemps demandé pourquoi et c'est assez incroyable mais les femmes se définissent encore aujourd'hui d'après leur ventre.".
Mais encore une fois, ce propos bienvenu n'est pas nuancé et tout de suite l'auteur lui fait face avec son opposé : "Moi, je dis que la femme devrait penser plus avec son cerveau qu'avec son utérus.".
Non, la femme ne pense pas qu'avec son utérus ou qu'avec son cerveau, certaines utilisent très bien leur cerveau, ce qui n'est pas incompatible avec l'utilisation de son utérus.
Tout comme une femme écrivain n'écrit pas soit un roman dégoulinant d'amour appartenant à la catégorie Harlequin soit une autofiction.
Tout comme sa vision de la femme, cette classification des écrivains féminines est elle aussi réductrice.
L'autre point intéressant de cette lettre, c'est que Pia Petersen y dé-diabolise la vision de la maîtresse, cette horrible femme qui s'accapare l'époux d'une autre dans des intentions toutes plus mauvaises les unes que les autres.
Il y a des femmes qui vivent très bien leur condition de maîtresse et qui l'acceptent, c'est le cas de la narratrice à qui cette situation convenait très bien et qui n'a jamais demandé à en changer : "Je crois que c'est ce que j'aimais dans notre histoire, notre liberté, la tienne, la mienne. C'était fondamental. On n'avait pas besoin d'un contrat d'appartenance.".
Là où j'ai été interpellée dans ma lecture, c'est que malgré les fautes reconnues de la narratrice et celles qu'elle énonce de son ex-compagnon à aucun moment il n'est vraiment question de communication entre ces deux êtres.
Car finalement, ce qui a conduit à leur rupture, à cette fuite à l'église, c'est bel et bien un manque de communication, de dialogue.
A force de trop se reposer sur des non-dits, des certitudes que l'on croyait connues de l'autre, cela a conduit à la séparation de deux êtres : "J'ai probablement eu tort en n'abordant jamais la question mais je n'acceptais plus ce droit de propriété induit et bétonné par le contrat de mariage où l'on appartient entièrement à quelqu'un, où l'on est dépossédé de soi et de sa liberté élémentaire.".
Cet aspect d'un couple n'est qu'effleuré et c'est dommage car pour être complète cette confession sous forme parfois de remise en question n'aurait pas dû porter que sur la femme-mariée et la femme-mère car finalement, les erreurs reconnues ne le sont qu'à moitié et n'expliquent pas tout.

A lire cette chronique, il ne faut pas croire que je ne garderai de ce texte qu'un sentiment mitigé, d'autant plus qu'il s'agit de ma première lecture d'une oeuvre de Pia Petersen mais j'ai d'ores et déjà un de ses romans en attente, c'est donc avec grand plaisir que je continuerai de la découvrir.
Au contraire, cette lecture a tenu ses promesses et même si mon propos est parfois nuancé, je reconnais que Pia Petersen a fait preuve d'un courage littéraire en écrivant un tel texte, qu'il soulève des questions qui touchent plus ou moins chaque lecteur en le renvoyant à son propre vécu, qu'il dépoussière le féminisme et permet d'y apporter un regard neuf, et dont la plus grande qualité est de ne laisser personne indifférent.
C'est un écrit qui suscite le débat et les échanges de point de vue, à mon sens l'un des récits les plus intéressants de cette rentrée littéraire 2013/2014.

"Instinct primaire" fait partie de ces livres couillus qui malmènent le lecteur en énonçant des vérités ou tout du moins des points de vue qui ne sont pas toujours plaisants à entendre et qui ont le mérite de lancer et de nourrir le débat.
Un beau manifeste féministe à lire et à relire, à faire circuler autour de soi et dont l'encre versée jusqu'à présent à son égard est pleinement justifiée.

Livre lu dans le cadre du Plan Orsec pour PAL en danger 2014


2 commentaires:

  1. Je suis très contente de lire ton billet car je me sentais un peu seule et je constate que tes réserves correspondent aux miennes.

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    1. J'attendais beaucoup de ce livre, finalement je trouve sa vision des choses peu nuancée et trop dans l'extrême.
      Le fond reste très intéressant.

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