vendredi 31 janvier 2014

Reflets dans un oeil d'or de Carson McCullers


Au début du siècle dernier, dans une garnison isolée du sud des Etats-Unis, le hasard tisse entre deux femmes et trois hommes des relations singulières. Rapports d'autorité, problèmes et conflits sexuels sont au cœur de l'intrigue que Carson McCullers développe avec cette exquise subtilité qui lui est propre. Coloré tour à tour de lyrisme, de suspense et d'humour, ce roman bref et dense dévoile les mécanismes d'un drame imputable moins au hasard des situations qu'à la psychologie des personnages et aux ressorts inconscients qui inspirent souvent notre conduite à tous. (Stock)

Carson McCullers a le mérite de ne pas tourner autour du pot et d'annoncer d'entrée de jeu l'intrigue de son roman : "Il y a un fort, dans le Sud, où il y a quelques années un meurtre fut commis. Les acteurs de ce drame étaient deux officiers, un soldat, deux femmes, un Philippin et un cheval.".
Ce n'est d'ailleurs pas plus mal puisque son récit va être centré exclusivement sur ces personnages, les relations qui se nouent et de dénouent entre eux.
Sous l'apparente banalité de l'intrigue, ce roman est en réalité complexe car livrant une étude de mœurs poussée dans ses moindres retranchements.
Impossible pour le lecteur de ne pas comprendre que l'intrigue se passe dans le Sud des Etats-Unis : il y a un racisme sous-jacent, ici à l'égard du serviteur Philippin; ainsi qu'un refus d'admettre sa différence par peur de perdre son statut social, représenté par le prisme du capitaine Penderton.
Dans ce roman, rien n'est aussi simple qu'il n'y paraît et c'est ce qui en fait toute sa beauté.
Un commandant aime la femme du capitaine Penderton, sa femme devient folle de chagrin et meurt, tandis que le jeune soldat Williams s'éprend de la femme du capitaine et entre la nuit dans sa chambre pour l'observer.
Quant au capitaine, et bien celui-ci est très partagé, notamment envers sa femme qu'il déteste mais pas non plus complètement : "A cause d'elle, il souffrait. Il avait une malheureuse tendance à tomber amoureux des amants de sa femme.".
Le capitaine Penderton est un homosexuel refoulé qui n'arrive pas à se rendre compte de ce qu'il ressent, qu'il s'agisse des amants de sa femme ou du soldat Williams qui le fascine.
Il ne comprend pas les tourments de son âme, il adopte des réactions de défense et de facilité, en prenant en grippe le soldat Williams : "Il y a des moments où le besoin le plus pressant d'un homme est d'avoir quelqu'un à aimer, un point central où puissent se rassembler ses émotions diffuses. Il y a aussi des moments où les irritations, les déceptions, les craintes de la vie, exerçant leur poussée comme des spermatozoïdes doivent trouver une issue dans la haine. Le pauvre capitaine n'avait personne à haïr et, depuis des mois, c'était le plus malheureux des hommes.".
Mais cette attirance n'est pas que sexuelle, elle a aussi une autre dimension, une recherche de fraternité, l'idée que le capitaine Penderton pourrait être l'égal du soldat Williams, ce qui dans la vie réelle n'est pas vrai.
A propos de sexualité, ce roman en contient beaucoup, avec des allusions plus ou moins directes, ce qui venant de la part d'une femme et remis dans l'époque où ce roman a été écrit était plutôt novateur et osé.
La sexualité est essentiellement représentée par l'étalon, le cheval de la femme du capitaine. C'est cet animal qui la contient et peut l'exprimer librement, les autres personnages n'étant pas libres de s'exprimer à ce sujet.
Le soldat Williams passerait presque pour un être asexué tant il relève parfois de l'irréel : "Le soldat marchait comme un homme sur qui pèse un rêve sombre et ses pas étaient silencieux.", pourtant sa fascination à l'égard de la sensuelle femme du capitaine est bien là, tandis qu'elle-même l'ignore et ne le voit pas, à l'inverse de son mari :  "Il avait l'expression étrange, absente, d'un visage à la Gauguin.".
Si l'étalon est la sexualité, la femme du capitaine est le désir, qu'elle inspire à tout homme à l'exception de son mari, avec ses formes sensuelles, sa beauté de femme mûre que le temps n'a pas encore atteint.
Quant à Alison, la femme du commandant, elle trouble par son mal être et son désespoir, ainsi que par l'étrange relation qu'elle a avec son domestique Anacleto.
A lire cela il serait facile de penser que ce roman est vivant de par les émotions qui sont en jeu et s'affrontent. En réalité il est froid et cruel, et c'est cela qui marque le plus à la lecture.
Il est stérile parce qu'aucune des femmes de l'intrigue n'a d'enfant et les hommes sont tous, à l'exception du commandant Langdon, asexués dans le sens où ils n'ont pas de relations sexuelles et n'en éprouvent pas le désir et l'envie, drôle d'atmosphère qui saisit dès les premiers mots et ne s'estompe qu'après le point final.
Pendant un temps j'ai cherché qui pourrait incarner ce livre à l'écran, jusqu'à ce que je découvre que c'était déjà le cas, dans un film signé par John Huston avec dans les rôles titres Elizabeth Taylor et Marlon Brando.
Une évidence, ils sont les personnages de ce roman et il me tarde de voir cette adaptation.

"Reflets dans un œil d'or" est un cruel et impitoyable roman d'une beauté qui laisse sans voix, signé par Carson McCullers, une auteur américaine de grand talent à la plume aiguisée et ambitieuse, un véritable régal à lire.

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